« Non. »

Il ne s'était passé que quelques minutes depuis que Scott avait mis un point final à leur discussion. Et Stiles n'avait rien compris. Du refus pur et simple de Scott d'accéder à sa demande, à… A la véhémence de certaines de ses paroles. A vrai dire, l'hyperactif était si surpris qu'il n'en avait imprimé aucun consciemment, mais ceux-ci avaient laissé une marque sur son cœur, une autre dans son esprit.

Il avait mal. C'en était presque physique. A peine avait-il exposé sa demande que… Oh bordel, il ne voulait même pas s'en souvenir. Pire : son désir qu'il existe une machine à remonter dans le temps n'avait jamais été aussi fort. Car s'il avait su que Scott réagirait comme ça, jamais Stiles ne lui aurait ouvert son cœur. Parce qu'il avait bien essayé de lui expliquer, de lui étaler ses motivations sous le nez… Sans succès. Scott n'avait rien voulu entendre. Stiles serra ses mains sur les hanses de son sac. Scott avait osé lui dire que…

- Stilinski ?

Stiles faillit ne pas se retourner, tout simplement parce que tout lui paraissait flou. Sa vue, les sons. Son nom, comme le reste des souvenirs des mots de Scott. Rien n'était clair, rien n'était net. Le visage de Jackson Whittemore non plus. Sitôt que ses yeux se connectèrent à son cerveau et qu'il fit le lien, Stiles chercha tout de suite à éviter la confrontation. Si sa relation avec Jackson n'était plus aussi houleuse qu'avant, le croiser n'était jamais un plaisir. Et dans un jour comme celui-ci, Stiles avait tout, sauf envie de se prendre quelque moquerie que ce soit dans la figure. Parce que ça arrivait, parfois. La plupart du temps, ça ne lui faisait rien.

Aujourd'hui, il se savait capable de tout prendre trop à cœur.

- Je dois aller en cours.

Non, il n'allait pas chercher à voir ce qu'il voulait dire, ne comptait pas se montrer patient, comme il en avait pourtant l'habitude. Parce que oui, souvent, il prenait le temps de savoir ce que voulait la personne qui lui parlait. A près tout, ça pouvait concerner la meute, être un problème surnaturel et… Tout un tas de choses. Mais pas maintenant. Là, peut importe ce que c'était. Stiles n'était pas d'humeur à parler. A aller en cours non plus, d'ailleurs. Sauf qu'il n'avait pas franchement envie que son père débarque du poste, furieux qu'il ait séché. Quel motif aurait-il pu lui sortir ? Dans son état, rien de valable.

Alors, il fuit. Pour ne pas entendre Jackson, pour ne pas se compliquer la vie. Parce que parler à un chieur de première n'était pas dans ses plans du jour. Comme dans un rêve sans saveur et sans sens, Stiles arriva devant sa salle. Attendit, rentra lorsque son professeur arriva. Il s'installa dans le fond de la classe, loin de la place qu'il avait l'habitude d'occuper. Après l'abattage qu'il avait subi, Stiles avait tout, sauf envie de se retrouver près de Scott. Lui, il voulait l'oublier. Oublier cette manière on ne peut plus virulente qu'il avait eue de le rabaisser puis de l'éconduire. Moins près de lui il serait, mieux il se porterait. Complètement ailleurs, il sortit ses affaires, ses prunelles whisky perdues dans un vide sans fond, sans consistance. Stiles était si peu présent qu'il ignora son portable qui vibrait dans sa poche, tout autant qu'il ne vit pas le regard perplexe d'Isaac posé sur lui. Au sien s'ajouta, quelques instants plus tard, celui de Jackson, encore. Si Scott finit par arriver à son tour puis s'installer à sa place habituelle, l'hyperactif n'y fit pas attention. Par la suite, il suivit simplement son cours par automatisme, comme un automate. Notant ce qu'il ne notait jamais, parce qu'il connaissait déjà la leçon. Parce que les mathématiques n'avaient aucun secret pour lui. Là, il le fit. Pour s'occuper les mains, se vider la tête.

Stiles passa une bonne partie de la journée hagard, sidéré. A éviter tout le monde, à s'isoler à l'approche du moindre membre de sa meute. Il ne prononça plus un mot. Le midi, il s'acheta un petit quelque chose et partit manger dans un coin discret du lycée. Ensuite, retour en cours.

En fin de journée, il sécha la Crosse. Parce que ça, il pouvait le faire sans que son père n'en soit alerté.

Le soir, passées vingt-et-une heure, il se rendit compte qu'il avait raté une réunion de meute, prévue depuis quelques jours déjà. Las, il relativisa en consultant ses messages – il en avait un de Lydia, qui datait de plusieurs heures et lui demandait ce qu'il avait. Il choisit de ne pas répondre. Si sa présence était réellement nécessaire là-bas, on serait déjà passé par sa fenêtre pour lui dire de se rameuter.

Or, personne n'était venu et Stiles continua de faire le lézard sur son lit jusqu'à ce que ses yeux se ferment, que son corps lache. Parce qu'il avait mal, son idée avait été de regarder le plafond et d'attendre de s'endormir ainsi. C'était nul comme soirée, parce qu'il n'aidait personne, ne faisait rien, ne jouait même pas à un quelconque jeu vidéo. Pas envie. De toute façon, rien n'effacerait complètement cette conversation qui, s'il avait oublié la plupart de ses mots, en avait retenu l'essentiel.

Scott lui avait dit non.

Aux yeux de Stiles, il n'y avait rien de pire que ça, à cet instant. Oui, rien de pire qu'un refus aussi clair, sauvage. Il lui avait juste demandé une faveur, de réaliser son souhait le plus cher depuis longtemps. Lorsqu'il commença à se laisser attraper par Morphée, l'hyperactif se dit qu'il s'en remettrait, bien sûr… Et que ce n'était rien de grave. Son meilleur ami avait juste refusé d'accéder à une demande extrêmement importante pour lui, celle qui aurait finalement changé sa vie. Ce n'était pas non plus horrible. Son existence était juste nulle et Stiles n'arrivait pas à se dire qu'il trouverait le bonheur un jour. Parce qu'il n'était pas heureux, non. Il ne l'avait jamais réellement été. Il était descendu si bas récemment avec tout ce qu'il avait traversé que ce coup de massue donné par Scott n'était que l'apothéose de tout ça. Il se prit à penser que, logiquement, les choses ne pouvaient plus empirer, juste stagner.

Stiles ne le savait pas, mais il avait tort.

xxx

Stiles était quelqu'un de lucide et qui se connaissait très bien. Il n'était pas du genre à se laisser vivre dès la première difficulté – il avait passé ce cap depuis longtemps déjà. La veille, il avait passé sa journée sidéré et ailleurs, et ceci lui était passé dans la nuit. Il pourrait continuer d'être ainsi car c'était plus facile de vivre comme un automate lorsqu'on ne se sentait pas bien. Cependant, ce n'était pas son genre. Il avait rapidement besoin de recommencer à bouger, de tout bonnement reprendre le cours de sa vie. Elle était peut-être nulle, mais c'était la sienne et il n'avait d'autre choix que de continuer d'en écrire le cours.

Ainsi, même s'il n'en avait pas envie, il s'extirpa de son lit, fit toute sa routine matinale et se prépara pour aller en cours. Un rapide coup d'œil dans le miroir de la salle de bain lui fit remarquer qu'il avait des cernes. Sans doute son sommeil n'avait-il pas été aussi réparateur qu'il ne le pensait. Après tout, il en avait passé du temps, à mater son plafond… Dont il avait sans doute mémorisé toutes les tâches discrètes et les aspérités. Il y avait aussi deux moustiques morts qui y étaient restés collés depuis ce qui devait être des temps immémoriaux. Avec lui, ces abominations de la nature n'avaient jamais aucune chance de survie.

Stiles se tapota doucement les joues pour mieux se réveiller. En soi, son visage était à peu près comme d'habitude et il se sentait un peu plus d'humeur à se concentrer sur sa journée que la veille. Maintenant, restait à se placer toujours à bonne distance de Scott et éviter celui-ci. Dans sa vie, Stiles lui avait pardonné tout un tas de choses trop facilement et il le savait. Cette fois, son meilleur ami allait devoir fournir quelques efforts s'il voulait regagner sa sympathie. Son refus d'exaucer son souhait était une chose : lui parler comme il l'avait fait en était une autre. Stiles savait que, parce qu'il était son meilleur ami, il avait été trop laxiste avec lui sur certaines choses. Il avait toujours tout laissé couler, par gentillesse ou bien… Naïveté. Mais pas cette fois. Scott, monsieur l'alpha, allait devoir ramer. Evidemment, Stiles attendait des excuses. Sauf que cela ne suffirait pas. Le latino aurait de réels efforts à fournir s'il voulait se faire pardonner. Stiles était – trop – gentil, et venait un moment où il avait des limites. Ici, elles étaient clairement dépassées. Et si cet idiot venait lui parler et osait lui reprocher son absence à la réunion de la veille, l'hyperactif verrait rouge. Il n'était peut-être rien de plus qu'un humain, mais il ne fallait pas le chercher.

Et quand il le voulait, il pouvait se montrer détestable. Parfois, c'était un plaisir de montrer ce côté-là de lui.

Ainsi partit Stiles au volant de sa vieille Jeep prête à mourir à tout moment. De son côté, il était en état d'en découdre. Pire que ça, il en avait presque envie.

Car après le choc et la sidération venait souvent la colère. Celle-ci rendait son regard dur, presque complètement froid. Elle serrait sa mâchoire et rendait bien vite son visage moins avenant.

Stiles était toujours gentil, toujours serviable. Il avait beau ne pas être un loup, il saurait être insupportable si Scott osait lui faire quelque remarque que ce soit en ce jour.