Joor ! Mortel

Le calme de la nuit fraîchement tombée contrastait violemment avec les murs en ruines, les maisons fumantes et les corps de gardes, sombrages et impériaux qui jonchaient la route. Quelques rebelles se chargeaient de les entasser sur des charrettes pour les mener à la nécropole, grommelants, épuisés, préférant jurer entre leurs dents que de croiser les yeux vides de leurs frères tombés, mais ils étaient bien les seuls à parcourir les rues.

"On est en retard pour la fête, remarqua Siltafiir dans une tentative d'humour macabre.

- Ulfric s'est emparé de Blancherive, marmonna Lydia, je me demande ce que ça veut dire pour la suite de la guerre…

- Tu te remets ?

- Je suis heureuse que ce ne soit pas une attaque de bandits, de parjures ou de dragon. Je ne suis pas toujours d'accord avec les sombrages, mais ils ne s'en prennent pas aux civils. Ça, je peux le respecter. J'espère juste que Balgruuf va bien…"

Siltafiir lui décocha un sourire compatissant de derrière son masque, mais s'étrangla en découvrant la porte de leur maison grande ouverte. Avant qu'elles ne l'atteignent, deux silhouettes rebelles s'en extirpèrent, chacune chargée d'un sac de toile lourdement rempli.

"Vite, avant que quelqu'un ne nous… " Commença l'un des sombrages.

Repérant les deux femmes, il voulut s'éloigner comme de rien, imité par son comparse, mais le Dovahkiin voyait les choses sous un autre angle.

IIZ

Les deux soldats s'effondrèrent, les jambes prisonnières d'un bloc de glace et, lâchant leur butin, tentèrent de se libérer. Ils n'y parvinrent guère et Siltafiir récolta les sacs dans un reniflement dédaigneux:

"Je vais reprendre mes affaires, merci."

S'amusant de leurs expressions effarées, elle confia les biens dérobés à Lydia et lui ordonna de les déposer à l'intérieur, pour finalement accorder toute son attention aux malfaiteurs.

"Bon, quel sort devrais-je vous réserver ? Réfléchit-elle les poings sur les hanches.

- Qu'est-ce qui se passe ici ? Tonna alors une voix familière du haut de la rue.

- Merde, le lieutenant." Se lamenta l'un des coupables.

Levant le nez, Siltafiir reconnut joyeusement son militaire favori qui accourait, attiré par le vacarme du Thu'Um et suivi de deux hommes en uniforme. Lorsqu'il la reconnut, il s'immobilisa, sourit discrètement, puis baissa les yeux sur ses subordonnés captifs. Toute joie déserta ses traits et il avança d'un pas ferme vers les lieux du crime.

"Pourrais-je savoir pourquoi vous réprimandez mes hommes, Enfant de Dragon ?" Questionna-t-il en s'arrêtant dans le dos des prisonniers.

Ce nom les pétrifia, et ils observèrent la jeune fille masquée comme une bête de foire. Leur teint pâle et leurs pupilles dilatées de terreur arrachèrent une grimace satisfaite à la Brétonne.

"Ils pillaient ma maison, répondit-elle d'un ton exagérément blessé, vous devriez mieux dresser vos hommes, lieutenant; quelqu'un de moins tolérant aurait pu les abîmer."

Ralof jeta un regard sévère sur les accusés, qui se recroquevillèrent dans leurs pantalons gelés. Tandis que la glace commençait à fondre, l'officier put donner ses ordres:

"Kjald, Stern, emmenez-les aux donjons, on s'occupera de ces pillards dès qu'on aura le temps."

Ils s'exécutèrent et, en l'espace de quelques secondes, Siltafiir et Ralof se retrouvèrent seuls. La jeune fille balança d'un pied sur l'autre, hésitante quant au sujet à aborder, puis osa relever la tête.

"Alors les sombrages ont pris Blancherive, résuma-t-elle en glissant un coup d'œil circulaire sur la ville marquée par les trébuchets, joli travail.

- Je pensais qu'un thane serait plus ennuyé que ça par la perte de sa ville, s'étonna-t-il.

- Balgruuf est peut-être un bon jarl, mais il aurait dû confier ce poste à quelqu'un qui le voulait vraiment.

- Était un bon jarl, corrigea le soldat, Vignar Grisetoison est en charge de Blancherive maintenant.

- Que… que lui est-il arrivé ? S'enquit-elle sans parvenir à conserver une voix indifférente.

- Enfermé dans ses quartiers. Demain, il sera envoyé à Solitude avec sa famille.

- Oh, d'accord, souffla-t-elle en se détendant.

- Pour quelqu'un qui ne voulait pas de ce poste, tu m'as l'air inquiète, remarqua-t-il.

- Balgruuf est un type bien, et les habitants de Blancherive te diraient la même chose. Ç'aurait été dommage qu'il… Bref, tu veux entrer boire un verre pour récompenser ton travail acharné ?

- C'est vrai qu'on a sécurisé la ville, confirma-t-il en jetant un regard au-dessus de son épaule, ils pourront se passer de moi quelques heures. Ou même toute la nuit."

La jeune fille rougit violemment, autant à cause de ces paroles que du sourire malicieux qui les avait prononcées. Déboussolée, elle l'invita à passer l'encadrement de la porte fracturée, puis gémit en découvrant que la serrure ne servait plus à rien. Ce désagrément tomba dans l'oubli lorsqu'elle vit Lydia, en train de ranger consciencieusement les objets que les pilleurs avaient tenté d'emporter, le tout éclairé par un feu qu'elle venait de ranimer.

"Tu n'as pas besoin de tout remettre à sa place…

- Mon thane, si je ne le fais pas, ces sacs resteront au milieu de l'entrée pendant des semaines. Vous savez parfaitement que vous ne rangez jamais rien."

Elle stoppa son activité en remarquant le sombrage, se crispa légèrement, puis ajouta:

"D'ailleurs, évitez de faire monter votre invité. Je ne pense pas qu'il soit préparé au champ de bataille que vous avez laissé là-haut."

Siltafiir, honteuse, cacha Krosis derrière ses doigts pendant que Ralof éclatait de rire dans son dos. La huscarl rejoignit sa chambre d'un pas raide et laissa son thane s'étouffer dans l'embarras.

"Je ne t'imaginais pas désordonnée, avoua-t-il entre ses gloussements.

- Ouais, bon, grommela-t-elle en déposant son sac sur une chaise et en ôtant son masque, on a tous nos défauts."

Elle sentait ses joues la brûler et n'osa se tourner, de peur d'apparaître plus idiote encore devant Ralof. Heureusement, elle n'eut à le faire, car le Nordique s'était approché silencieusement. Il rabattit le capuchon de la jeune fille, caressa l'arrière de son oreille du bout du nez et lui embrassa la nuque, ses mains posées sur ses épaules.

"Tu m'as manqué." Souffla-t-il contre sa peau.

Elle frissonna, puis se détendit rapidement et, ne trouvant les mots appropriés, fit volte-face pour s'accrocher au cou du soldat. Il s'étonna un instant de cette exubérance, mais évita soigneusement de s'en plaindre, préférant coller ses lèvres contre celles de la Brétonne. D'une poussée délicate, il la mena jusqu'à la table de la cuisine et, lui dérobant un hoquet aigu, saisit ses cuisses pour la déposer sur les planches grinçantes.

Elle peina à comprendre ce qui lui arrivait, pourquoi ses jambes ne touchaient-elles plus le sol, comment leurs nez s'étaient-ils retrouvés à la même hauteur et quand donc avait-il ouvert le col de sol armure pour lui dévorer la gorge ? Bah, de quoi se plaignait-elle ? Elle s'accrocha de plus belle à Ralof, une fois encore trop absorbée par les picotements de sa barbe pour se rendre compte qu'il continuait de la déshabiller. Après une lutte discrète, il parvint à défaire le plastron et la cape du Rossignol, jetant le tout derrière ou à côté de la jeune fille, qui se sentit soudainement fort vulnérable. Une impression de nudité la saisit, alors même qu'une tunique recouvrait ses formes, ne laissant rien paraître que ses bras et clavicules. À force de vivre - et de dormir - en armure, elle la considérait comme une seconde peau, et laisser quelqu'un la lui ôter… D'instinct, elle croisa les bras, se saisit les épaules, se tassa légèrement, et Ralof s'immobilisa.

"Ça va ? Demanda-t-il, les sourcils courbés.

- Euh, je… C'est… Bégaya-t-elle sans vraiment le savoir.

- Je vais trop vite, hein, marmonna-t-il en reculant, désolé, la finesse c'est pas vraiment mon truc.

- C'est pas grave, assura-t-elle hâtivement en agrippant l'armure du sombrage, ça va aller, il faut juste… que je m'habitue."

Elle soutint ses paroles en attirant le soldat jusqu'à elle, puis l'embrassa du bout des lèvres, mais malgré toute cette bonne volonté, sa vulnérabilité lui arrachait des frissons nerveux. Comme l'ayant ressenti, Ralof déroula les nombreuses lanières de cuir qui composaient son uniforme, et bientôt il ne fut pas plus vêtu que son amie. Un peu rassurée par cette égalité retrouvée, Siltafiir s'attela à rendre ses touches d'affection au militaire, les phalanges crispées sur son col, l'autre cherchant maladroitement le bord du tissu pour s'y glisser subrepticement.

Elle perdait tout sens de la réalité, tandis que ses doigts s'aventuraient sous la tunique de coton pour explorer fébrilement cette étendue inconnue. Se remémorant sa dernière rencontre avec l'anatomie masculine, quand Clendil et elle s'étaient lavés dans une rivière après une bonne séance de chasse, elle sentit les mêmes grésillements s'éveiller dans son bas ventre, les mêmes bouffées de chaleur, les mêmes palpitations que durant ce bain improvisé. À ceci près que, maintenant, elle pouvait s'adonner à ces pulsions en toute impunité. Sous ses doigts, les pectoraux pulsaient au rythme du cœur, les abdominaux se scindaient nettement sur le ventre, tous les muscles roulaient sous la peau, soulevant parfois une cicatrice ou un hématome. Longeant une côte, elle sentit une blessure dont la balafre était encore enflée. Tandis qu'elle la traçait de son index, le soldat échappa un rire et lui saisit le bras.

"Pas là, haha, ça chatouille, pouffa-t-il avant de la libérer.

- D-désolée, marmonna-t-elle en reculant.

- C'est rien." Assura-t-il en embrassant sa joue gauche, lui chapardant un sourire timide.

Profitant de son élan, il encouragea la jeune fille à s'allonger sur la table, repoussant l'assiette sale et la chope qui bloquaient le passage et dévorant ses lèvres plus avidement qu'auparavant. Il glissa une main sous la tunique de Siltafiir, s'amusa de son hoquet surpris, puis massa lentement le sein qu'il avait déniché. Le gémissement qu'elle poussa lorsqu'il mordilla son cou décida le soldat à s'aventurer plus bas. De sa paume libre, il caressa l'intérieur de sa cuisse, longeant le pantalon qui moulait parfaitement ses jambes. Elle se raidit une fraction de seconde, puis expira lentement et enroula ses bras autour de lui, plongeant ses doigts entre les mèches blondes.

Puis deux chocs retentirent, suivis d'un grincement sonore et d'un courant d'air glacial. Les deux batifoleurs se redressèrent et observèrent l'entrée de la maison. Un homme, que Siltafiir crut reconnaître comme étant l'un des deux soldats qui avaient embarqué les pilleurs, se tenait dans l'encadrement, le poing levé comme s'il venait de frapper à la porte, pendant que celle-ci terminait de s'ouvrir.

"Lieutenant, déclara l'intrus en baissant le bras et en peinant à contenir son rire, le jarl Ulfric vous fait mander. Mais je peux lui dire que vous êtes… hum… en pleine discussion avec l'Enfant de Dragon ?"

Siltafiir récupéra sa cape et s'y enroula, horriblement gênée par cette interruption, tandis que Ralof, bras croisés et dos droit, ne battait même un cil.

"Non, dis-lui que j'arrive, répondit-il d'un ton professionnel.

- Oui, chef, ricana le soldat en faisant mine de quitter les lieux.

- Et, Kjald, l'interpella son supérieur, fais attention à ce que tu racontes aux collègues. Je ne pense pas que tu as envie de passer la nuit en cellule."

Soudainement moins guilleret, son subordonné referma la porte et Ralof soupira d'agacement.

"Désolé, le devoir m'appelle, grommela-t-il en ramassant son armure.

- Il faudra que je fasse réparer cette serrure rapidement, souffla-t-elle en serrant un peu plus sa cape autour de ses épaules, une idée de ce qu'Ulfric peut te vouloir ?

- Non, mais s'il a besoin de me voir en personne, c'est que ça doit être important, autrement il aurait demandé un rapport écrit…"

Il batailla un moment avec sa cotte de mailles et, celle-ci enfilée, reposa les yeux sur Siltafiir, se désolant de la voir recroquevillée, la cape remontée jusqu'au nez.

"J'aurais voulu rester plus longtemps, murmura-t-il en lui caressant la pommette.

- Il y a certaines responsabilités dont on ne peut se défaire, grimaça-t-elle en pressant sa joue contre la paume calleuse.

- Avec tout ça t'as même pas pu me raconter comment se passe ta quête, ajouta-t-il en continuant de s'habiller.

- Elle se passe bien. J'ai trouvé le Parchemin des Anciens."

Ces paroles foudroyèrent Ralof, qui jeta sur son amie un regard effaré.

"Tu plaisantes.

- Non, d'ailleurs il est juste là."

Disant cela, elle sauta de la table et marcha jusqu'à son sac. S'apprêtant à décrocher le Parchemin, elle posa les yeux sur Nahlaas et son teint s'embrasa. Avait-il… vu ? Elle le fixa durant quelques secondes, ne sachant si elle préférait son silence à un commentaire scabreux, puis récupéra le rouleau.

"Ta-daaa !" Chantonna-t-elle en le présentant au soldat.

Il approcha d'un pas hésitant, les pupilles rivées sur l'artefact brillant.

"Qu'est-ce que tu vas en faire ? Questionna-t-il fébrilement.

- Le lire sur la Gorge du Monde pour apprendre le fendragon.

- Et ce cri te permettra de vaincre Alduin ?

- D'après les Lames et Paarthurnax, oui."

Ralof empoigna délicatement le concentré de connaissances, le soupesa et s'étonna de n'avoir à fournir aucun effort pour le soulever malgré son poids indéniable.

"Je suppose que tu vas retourner au Haut-Hrothgar dès demain ? Demanda-t-il en lui redonnant.

- Non, je dois d'abord me rendre à Fortdhiver. Le vieil homme qui m'a indiqué l'emplacement du Parchemin voulait que je lui rapporte un lexique dwemer.

- Tu ne peux pas t'en charger après ta mission ?"

Elle ouvrit la bouche, la referma, détourna les yeux et rentra la tête dans ses épaules.

"Dans le doute, je préfère m'en occuper avant de croiser Alduin." Marmonna-t-elle en posant le Parchemin sur son sac.

S'obstinant, à fixer ses bagages, elle ne remarqua pas le regard concerné du sombrage.

"Tu ne penses pas revenir de ce combat, dit-il gravement.

- Je ne sais pas. J'ai tué, quoi, vingt ou trente dragons ? Comparé au pouvoir du premier fils d'Akatosh, c'est risible.

- Qu'est-ce que tu racontes ? S'énerva-t-il brusquement, la dégageant de sa torpeur défaitiste. C'est plus que n'importe quel autre humain ! Tu as trouvé un Parchemin des Anciens, est-ce que ce n'est pas une preuve suffisante que les divins te soutiennent ?"

Les yeux ronds, elle observa le soldat, choquée de l'entendre hausser le ton, puis son sang draconique bouillonna.

"Et de quel droit tu me dis comment je dois me sentir ? Siffla-t-elle, bras croisés. On parle du dévoreur de mondes, le plus vieil être de tout Nirn, et tu oses… !"

Elle se mordit la lèvre, sentant sa gorge gronder dangereusement tandis qu'un courant d'air surnaturel traversait la demeure. L'agitation brusque du foyer interpella Ralof qui, troublé, détailla l'Enfant de Dragon. Elle se désola un instant de voir la peur se frayer un chemin entre les sourcils du soldat, mais continua dans un murmure vibrant:

"Mieux vaut être réaliste, ça évite les mauvaises surprises.

- Pourquoi tu n'abandonnes pas si c'est perdu d'avance ? Questionna-t-il d'un ton prudent.

- L'alternative est pire. Attendre que le monde soit détruit sans rien faire…"

Elle soupira, lasse, se massa le front, puis leva des pupilles ternes sur le Nordique.

"Les divins auraient dû choisir quelqu'un comme toi, dit-elle en laissant tomber ses épaules.

- Toujours persuadée qu'ils ont eu tort, hein." Se résigna-t-il.

Elle expira lourdement, se frotta la nuque, posa un œil vide sur le feu et demanda:

"Qu'est-ce qui te plaît chez moi ?

- Quoi ?

- Si je n'étais pas l'Enfant de Dragon, tu ne te serais jamais intéressé à moi ! L'accusa-t-elle brusquement.

- Mais, je… Non ! D'où tu sors cette idée ?

- D'un minimum de logique ! Je suis une voleuse, je me plains d'être l'élue des dieux, je ne suis même pas jolie ! S'énerva-t-elle en renversant une chaise de par son souffle. Et je brise des meubles en parlant, ajouta-t-elle entre ses dents.

- Je vois, soupira-t-il en posant une main sur l'épaule de Siltafiir, tu as oublié désordonnée et caractérielle. Heureusement que tu es honnête, courageuse, excellente archère, et peut-être que tu n'es pas jolie, mais je sais que tu es très belle."

Tandis qu'il la complimentait, sa paume glissa contre le bras nu et s'arrêta autour du poignet et des doigts crispés qui occupaient son extrémité. Elle l'observa attentivement, voulant se convaincre qu'il mentait juste pour lui faire plaisir, mais se laissa séduire malgré tout. Répondant à la poigne délicate, elle passa ses doigts entre ceux du Nordique et lui offrit un sourire à peine forcé.

"Courageuse ? Ricana-t-elle. Tu te souviens de l'ours dans les donjons d'Helgen ?

- Tu te souviens des araignées ?" Répliqua-t-il du même ton.

Elle échappa un rire à cette pensée, puis un hoquet lorsque Ralof lui empoigna la taille et la souleva jusqu'à son visage.

"Je sais pas comment ça se passe en Haute-Roche, mais ici quand on aime bien quelqu'un on ne se pose pas de questions, surtout si c'est réciproque. Ça te dit d'essayer ?"

Le nez collé à celui du sombrage, elle demeura muette un instant, comme peinant à comprendre la simplicité de ces paroles. Ne pas se poser de questions sur l'un des sujets les plus compliqués de l'Histoire ? Comment faisait-on cela ? À Refuge, même ceux dont l'habileté sociale laissait à désirer connaissaient les ragots, les affaires de maris délaissés, de femmes trompées, les peines des jeunes nobles forcés de se marier au plus riche et non au plus aimant et ceux qui fuyaient avant de se voir unis à l'être non-désiré. Un peu comme elle, en fait…

"Je veux bien, hésita-t-elle avant de lui décocher une grimace, préviens-moi si je recommence à m'inquiéter pour rien.

- J'y manquerai pas." Conclut-il joyeusement en la serrant un peu plus.

Au milieu de leur embrassade, Ralof échappa une exclamation, puis reposa la jeune fille pour se précipiter sur le reste de ses affaires.

"Ulfric est pas réputé pour sa patience, expliqua-t-il en accrochant sa ceinture de travers, je sens que je vais en prendre pour mon grade…

- Désolée pour la distraction.

- Peut-être qu'il pardonnera mon retard si je lui dis que ta quête avance bien.

- Ouais, peut-être…"

Pendant qu'il rajustait son uniforme, Siltafiir redressa la chaise tombée et grogna en découvrant une fissure sur son dossier. Au moins elle était encore utilisable. Ils se trouvèrent bientôt devant la sortie, s'embrassèrent une dernière fois et le Nordique disparut par l'encadrement. La Brétonne referma immédiatement le battant et s'y adossa, silencieuse. Ralof avait raison, tout se passait bien, elle ne se trouvait qu'à un pas du fendragon, l'arme tant désirée. Et plus elle y pensait, plus l'idée d'apprendre ce cri l'effrayait. Ça n'était pas logique, mais son instinct ne cessait de lui répéter qu'un danger l'attendait sur la Gorge du Monde. Un danger qu'elle préférait éviter le plus longtemps possible.

Quand comptes-tu lui révéler ton retour dans la Guilde des Voleurs ?

Elle blêmit, ayant complètement oublié ce détail-là, puis se massa les tempes en marchant vers son sac.

"Tu sais quoi, je pense qu'il prendra bien mieux la nouvelle une fois que j'aurai sauvé le monde."

Connaissant ton habileté légendaire en matière de procrastination, cela risque de prendre un moment.

"Il n'a pas besoin de savoir quand j'ai retrouvé ma place."

Oh, je vois. Mensonge par omission.

"Si tu veux. Bon, direction Quagmire, un corps fatigué ne peut procrastiner efficacement."

Elle ramassa ses affaires, grimpa les escaliers, zigzagua entre les vêtements et autres objets éparpillés, puis jeta son fardeau au pied du lit. Glissant entre les couvertures avec Nahlaas sur son épaule, elle balaya la chambre d'un regard fatigué, se disant que, après tout, un bon nettoyage ne ferait pas de mal. Juste au cas-où.

xxx

"Tu te diriges vers les limbes, remarqua Nahlaas d'un ton suspicieux, ne voulais-tu rendre visite à ton âme ?

- Changé d'avis.

- Pourquoi donc ?

- Je ne sais pas comment la libérer, et je doute que discuter avec elle m'aidera à trouver un moyen.

- Mais encore ?

- J'aimerais avoir plus d'informations sur ce Miraak." Répliqua-t-elle en haussant les épaules.

Nahlaas ricana à cet aveu, mais n'ajouta rien, de peur de lui faire changer d'avis. Ils marchèrent tranquillement - ou flottèrent, dans le cas de l'artefact - durant plusieurs minutes, jusqu'à atteindre les premières flaques.

"Je ne sens rien, déclara-t-il en s'élevant de quelques centimètres.

- Pareil, confirma son amie, d'habitude il y a toujours au moins un dragon à proximité, mais là c'est le calme plat.

- Préfères-tu que je reste avec toi ou puis-je aller manger ?

- Tu peux y aller, je crois que j'arriverai bien à marcher toute seule."

Il lui faussa compagnie immédiatement et elle entama son avancée hasardeuse entre les sentiers mouvants. Les yeux perdus sur l'horizon, elle songeait au moyen de réunir les deux parts de son âme. Un regard au château de Værmina - qui semblait ne jamais quitter son champ de vision depuis qu'elle l'avait découvert - lui fit se demander si la solution ne s'y trouvait pas, mais l'idée de se trouver nez-à-nez avec la Dame la dissuada. Elle réserverait cela à une situation plus… désespérée.

Une énergie connue stoppa là ses réflexions, et elle s'élança hâtivement vers l'origine de cette perturbation. Ça n'était pas Miraak, mais bien l'un de leurs frères. L'un des plus vieux. Le plus sage de tous. Pressant le pas, elle surplomba bientôt la mémoire de Paarthurnax, calme, sans remous pour perturber ses flots translucides. L'air alentour s'adoucissait à mesure que Siltafiir s'en imprégnait, bouffée de sérénité au cœur de l'atmosphère oppressante d'Oblivion. Pas de doute, il s'agissait bien du maître des Grises-Barbes.

Sans plus d'intérêt pour son âme ou le château de Værmina, elle sauta d'un coup entre les gouttes et s'immergea profondément, jusqu'à l'époque du culte draconique, là où macéraient les informations tant désirées. Les courants accéléraient à mesure qu'elle s'enfonçait, la lumière s'amenuisait, la pression augmentait. Les vents aqueux la guidèrent jusqu'à un cri, la voix d'un dovah qu'elle connaissait bien à force de l'espionner, bien qu'elle paraisse… différente, confuse. Son instinct lui hurla de reculer, mais sa curiosité prit le dessus.

Siltafiir plongea sans attendre, giflée par les vents de Bordeciel dès qu'elle parasita le corps de son frère et mentor. Il planait au-dessus d'une montagne où se taillait la silhouette d'un fort, le camp principal des rebelles humains, l'arme qui lui permettrait de détrôner Alduin. S'appuyer sur des mortels pour accomplir son dessein l'horripilait, mais il connaissait trop bien le pouvoir de son aîné pour tenter de l'affronter seul. Commettre deux fois la même erreur n'entrait guère dans ses habitudes, et la défense brisée sur sa mâchoire inférieure lui rappelait celle-ci en permanence. Non, même une éternité de pratique ne lui permettrait jamais d'égaler Alduin.

Posant son regard sur le centre du camp, il laissa un sourire lui étirer les écailles, et Siltafiir s'étonna de reconnaître le Haut-Hrothgar; les pierres finement taillées, à peine érodées, les escaliers qui dépassaient nettement de la poudreuse, les tours dressées aux quatre coins de la bâtisse ressemblaient à peine au monastère décrépit qu'elle connaissait, mais la zone plane couverte d'une neige piétinée était celle où maître Borri lui avait enseigné wuld, pas de doute possible.

Dans cette cour s'entraînaient de petits êtres, agenouillés dans une position de méditation ou brandissant l'épée les uns contre les autres, et la certitude d'avoir enfin découvert une faiblesse à son frère emplit Paarthurnax d'une chaleureuse satisfaction. Qu'il était fier de cette idée ! User de la tare principale des mortels, de leur nature éphémère contre un immortel, qui y aurait pensé ? Certainement pas Alduin du haut de son piédestal. Tout à son admiration, il remarqua tardivement l'homme barbu qui l'observait depuis le sommet d'une tour. Felldir l'Ancien, comme le nommaient les humains. Cette appellation l'amusait grandement, il devait l'avouer; s'attribuer le titre d'Ancien à seulement huitante ans… les mortels pouvaient être d'un drôle parfois. Il s'approcha du mage, adopta un vol stationnaire devant lui et le salua:

"Drem yol lok, Felldir.

- Drem yol lok, maître Paarthurnax, répondit l'humain en s'inclinant bien bas, j'ai des nouvelles concluantes concernant l'expédition de Solstheim.

- J'écoute, encouragea-t-il.

- Ils sont revenus hier soir, et vous aviez raison, Miraak a accepté de les suivre.

- Tozeinvu !"

Plusieurs fois il avait vu le Dovahkiin accepter les défis de frères imprudents, et toujours il l'avait vu gagner et absorber l'âme du vaincu avec toute l'arrogance que l'on attendrait d'un dovah. Si d'autres dragons se joignaient à la cause rebelle par simple respect pour leur benjamin, il ne s'en étonnerait pas une seconde.

"A-t-il déjà appris le fendragon ? Interrogea-t-il avidement.

- Pas encore. Le trajet a été long, il lui fallait du repos, mais il sera prêt d'un moment à l'autre. Il y a autre chose: un allié inespéré l'a accompagné.

- Qui est-ce ?

- Krosis. "

À peine eut-il prononcé ce nom que la porte principale du monastère grinça, cracha trois silhouettes, puis se referma dans un claquement lourd. Hakon le Borgne guidait l'Enfant de Dragon et la prêtresse suscitée. Paarthurnax s'était attendu à la venue de Miraak, l'ayant encouragée au-travers de leurs dialogues, mais celle de Krosis le surprenait grandement. D'un coup d'ailes, il se posa sur le toit du bâtiment, oubliant complètement Felldir. Le fracas de son atterrissage attira tous les regards et son jeune frère le salua d'un hochement de tête.

"Ahnok Paarthunax." Dit-il simplement de derrière son masque.

Le vieux dovah ricana, habitué à cette insolente nonchalance, puis répliqua du même ton avant de se tourner vers l'invitée incongrue.

"Krosis het los eldraag.

- Nid poguk for devra vothiz, thuri." Répondit-elle dans une longue révérence.

Pendant que Hakon lui présentait ses respects, il se répéta les paroles de Krosis. Oui, Miraak, lui avait révélé l'implication d'Hermaeus Mora et l'influence qu'il exerçait sur Solstheim - influence qui contaminait peu à peu le continent. Une raison de plus d'éradiquer les sujets d'Alduin. Si la puissance du daedra prenait trop d'ampleur, il deviendrait une menace certaine pour tous les habitants de Bordeciel, puis de Tamriel. Même les dragons seraient menacés.

Il laissa l'Enfant de Dragon se préparer. Un hochement de tête plus tard, Hakon s'écarta, observa le sol et prononça les trois mots incompréhensibles qui formaient le cri fatidique. Le Dovahkiin se pencha sur les écritures ainsi apparues, les décrypta, les absorba, puis serra les poings.

Quelque-chose n'allait pas. Son corps tremblait si violemment que, même depuis son perchoir, Paarthurnax le voyait sans difficulté. Krosis s'approcha, puis sembla dire quelque-chose d'inapproprié, car il la repoussa brusquement et s'éloigna en parlant trop bas pour être entendu. Elle le poursuivit, de toute évidence vexée par ce traitement, mais l'humeur du jeune dovah ne se prêtait guère à la politesse.

"J'ai dit que je voulais être SEUL !" Hurla-t-il lorsqu'elle le rattrapa.

Un cyclone balaya tout devant lui, dérobant l'équilibre de tous les mortels. Miraak ne se préoccupa guère de leur bien-être et gagna le seul chemin qui menait loin du monastère: l'ascension vers la Monahven. Paarthurnax s'inquiéta de voir son jeune frère à ce point troublé, lui qui contrôlait parfaitement son Thu'Um en temps normal.

"Hakon, héla-t-il en déployant ses ailes, ne le suivez pas. Je me charge de lui parler."

Il espérait que la montée donnerait à Miraak l'occasion de se calmer, aussi rejoignit-il directement le sommet. Posé sur un rocher, il attendit patiemment, anxieux de découvrir l'étendue du conflit qui devait habiter le garçon. Rétrospectivement, confronter une âme immortelle au cri spécialement inventé pour insuffler la mortalité n'était peut-être pas une si bonne idée. Quel idiot il faisait à laisser l'orgueil altérer son jugement et à s'impatienter comme un enfant. Il inspira l'air le plus pur de Tamriel, s'imprégna de l'énergie qui frôlait ce pic. Un passage en direction des Vennesetiid y existait depuis toujours, une brisure dont personne ne connaissait l'origine, mais ses vertus apaisantes ne faisaient aucun doute. Miraak n'aurait pu choisir un meilleur endroit pour retrouver le contrôle de ses émotions.

Celui-ci arriva bientôt, essoufflé, et s'immobilisa en remarquant son aîné.

Une aura menaçante tourbillonnait autour de lui, tout son être vibrait de colère alors qu'il approchait d'un pas décidé vers le second fils d'Akatosh.

"Paarthurnax fend ni lost meyz, cracha-t-il.

- Dovahkiin, calme-t…

- Ce cri était ton idée ! Ces mots… tordus !"

Grimper la montagne ne l'avait guère calmé, au contraire, ses paroles soulevaient des tourbillons de flocons, ses mains s'agitaient, se posaient contre son crâne, s'ouvraient et se fermaient, ses semelles aplatissaient frénétiquement la neige, ses cordes vocales grondaient.

"Tout s'est très bien passé avec les autres mortels, tenta le dragon, je ne pensais pas que ce serait différent pour toi."

Miraak s'immobilisa, les fentes de son masques rivées sur le sol. Paarthurnax n'aimait pas cela. Si son petit frère ne pouvait user du fendragon, ils perdraient un avantage au combat, et s'il laissait sa colère dicter ses actes… Nul mortel ou immortel ne désirait se trouver face à un dragon en colère.

"C'est vrai, c'est ce que je suis… Un mortel… Un joor. Je l'avais presque oublié, souffla-t-il entre deux ricanements cyniques, le culte s'est chargé de me le faire oublier. Le culte nous fait tout oublier. Noms, visages, identités. Il les remplace par ces costumes et promet le pouvoir, même moi je ne suis qu'un rôle très bien écrit. Trop bien écrit."

La rage que Paarthurnax redoutait tant s'élevait lentement, transformant ses murmures chaotiques en crissements venteux.

"Je me suis cru spécial, nivok mey, penser que les dov me respectaient… Juste un moyen de me contrôler…"

Il tournait en rond, le ton de sa voix retombant parfois dans un souffle grave, mais toujours assez puissant pour agiter l'air, et le vieux dragon n'en pouvait plus de ces grognements décousus et de son incapacité à trouver les mots qui adouciraient les humeurs hasardeuses du jeune homme.

"Dovahkiin !" S'exclama-t-il brusquement.

Il crut sentir les pupilles de son frère le transpercer malgré la face d'ivoire qui les dissimulait. Sa posture dégageait trop d'agressivité, il pouvait attaquer d'un instant à l'autre.

"Et toi, toujours à comploter, continua l'humain d'un ton plus virulent encore, je parie qu'il ne t'a pas fallu une minute avant de m'inclure dans tes plans ! Un petit mortel capable de tuer définitivement les dragons, on ne peut rêver meilleure arme ! Je libère la place d'Alduin et tu n'as qu'à attendre que le temps vienne à bout de moi ! Rien de plus simple pour un immortel !"

Paarthurnax ne sut que répondre, car une partie non-négligeable de ce discours s'avérait juste. Comme à chaque fois qu'une opportunité se présentait, il utilisait tous les moyens en place pour arrêter son frère, et l'idée de n'avoir qu'à attendre une poignée de décennies pour arborer le titre de plus puissant des dovahhe le réjouissait en effet. Mais il n'avait pas décidé du sort de Miraak, ce choix émanait d'Akatosh lui-même et seuls les fous condamnaient la décision d'un dieu.

Malheureusement, l'Enfant de Dragon était fou de colère.

"Tu veux corrompre la Voix sans connaître cette corruption, reprit le Dovahkiin de son timbre brisé, mais crois-moi, je vais te la faire connaître…"

Nid ! Il s'apprêtait véritablement à attaquer ! Paarthurnax déploya ses ailes et sa gorge, prêt à s'éloigner dans un Thu'Um défensif, mais le petit corps de Miraak lui octroyait une rapidité qu'un dragon au repos ne pouvait égaler.

Trois mots résonnèrent.

Trois mots incompréhensibles.

Il ne sentait plus ses ailes, le vent ne portait rien de sa masse, et le temps… le temps… s'écoulait trop vite, s'épuisait. Même la brisure des Vennesetiid ne parvenait à toucher son âme, à soigner cette faiblesse. Il s'effondra.

Siltafiir happa l'air avec difficulté, les mains crispées sur sa tunique, tremblante de la tête aux pieds, allongée sur le sentier. Depuis sa dernière rencontre frontale avec le fendragon, elle était parvenue à oublier l'insupportable sensation d'impuissance, d'inutilité, la certitude que tout trouverait sa fin tôt ou tard. Tout et tout le monde. Elle, surtout.

Et elle devait apprendre ce cri.

La bonne blague.

Un rire rauque secoua son torse tandis que ses yeux la piquaient. Si sa réaction ressemblait même juste un peu à celle de Miraak, Paarthurnax passerait le deuxième moment le plus désagréable de son existence. À moins que sa colère ne surpasse celle du premier Enfant de Dragon. D'ailleurs, elle avait toutes les raisons de lui en vouloir. Il connaissait les risques, il avait vu de ses yeux le résultat d'un tel acte, et pourtant il n'avait rien dit. Pas un mot pour la prévenir du danger.

"Juste à temps ! Le souvenir de ce Dunmer était tout bonnement fascinant, j'ai bien failli ne pas sentir que tu te réveillais."

La Brétonne cligna des yeux, ne reconnaissant Nahlaas qu'après plusieurs secondes. Il était vrai que le ciel fantastique se voilait doucement, et ses paupières s'alourdissaient.

Tu es pâle comme un vampire, remarqua son ami depuis le bâton, as-tu passé une mauvaise nuit ?

"On peut dire ça." Murmura-t-elle en roulant sur le côté, les bras serrés autour de son torse.

À suivre…

Termes draconiques:
Tozeinvu ! - Parfait !
Ahnok - Salut
Krosis het los eldraag. - Krosis ici est (une) surprise.
Nid poguk fod deyra vothiz, thuri. - Pas (le) choix quand (un) daedra (est) impliqué, mon seigneur.
Monahven - Gorge du Monde (littéralement: Mère Vent)
Paarthurnax fend ni lost meyz. - Paarthurnax n'aurait pas dû venir.
nivok mey - pauvre idiot
Vennesetiid - Flots du Temps (littéralement: Vents du Temps)

Encore un chapitre dont chaque scène a été réécrite au moins deux, souvent trois fois. Je hais les scènes d'amourette, et je hais les personnage à la moralité ambiguë, mais le pire de tout c'est que j'adore les lire et que j'aimerais vraiment apprendre à bien les écrire.

Donc ouais, est-ce que je fais quelque-chose de dramatiquement faux ou ça va et je peux continuer sur ma lancée ? Les reviews sont là pour ça.