Vunek Hind ! Futile Espoir

Les ténèbres insondables, profondes, où seuls la faible lueur de sa cellule magique et le clapotis d'un point d'eau lui tenaient compagnie. Au début, l'idée d'attendre que ces deux sorciers aient épuisé leurs réserves ne l'effrayait pas - quelques décennies d'immobilité ne pouvaient l'affecter tant que ses serviteurs lui procuraient l'énergie nécessaire - mais le retour inattendu des dragons et les relents étranges que son bâton s'était mis à cracher depuis quelques temps effritaient sa patience. Il devait sortir, servir ses maîtres, guider ses frères et rebâtir le culte. Sans son intervention, les autre prêtres se contenteraient de dormir, leur influence demeurerait perdue dans l'ombre de leurs cryptes et le culte ne retrouverait jamais sa gloire d'antan. Hors de question ! Il n'avait pas croupi dans l'ombre à observer sa silhouette athlétique se décomposer juste pour manquer cette opportunité ! Malheureusement, il ne pouvait rien accomplir depuis cette cage. Cage qui n'existerait pas sans cette bande de gamins fouineurs !

La venue du jeune Aren et de ses camarades avait certes été un changement bienvenu après les dizaines de pillards qui s'étaient aventurés dans sa demeure. Pratiquement aucun ne survivait au dragon squelettique de la première salle, pas sans un sacrifice ou deux. Oh ! il en était fier de son dragon, il devait l'avouer, et avoir enchanté les autres squelettes pour l'inhumer à la fin de chaque combat trônait parmi ses plus glorieuses mises-en-scène. Quoi de mieux qu'un revenant gigantesque cracheur de glace surgissant des entrailles de la terre pour impressionner les importuns ?

Mais ni le dragon, ni aucun des serviteurs suivants n'avaient suffi à stopper tous les jeunes étudiants. Sûrement cette habitude qu'il avait de faciliter la tâche à ses confrères mages durant sa jeunesse. Placer à côté de ses pièges des livres de sort spécialement choisis pour les désamorcer témoignait d'une arrogance qui le hantait encore après toutes ces années. Aider ses ennemis à l'envahir… qui craignait la solitude à ce point, sérieusement ?

Maintenant qu'Aren avait scellé le Labyrinthe, il pouvait être certain que personne ne l'embêterait - ou le sortirait de sa prison. Comme si ensorceler ses propres amis ne suffisait pas, le malappris avait verrouillé la porte principale. Plus personne ne pouvait entrer à présent, à part Aren lui-même, et il doutait de le voir revenir un jour.

BANG BANG BANG

À moins que… ?

xxx

Evangeline lâcha le heurtoir et recula d'un pas quand la porte colossale du Labyrinthe grinça sur ses gonds. Heureusement que Mirabelle lui avait confié cette pièce d'acier enchantée, parce qu'elle doutait que quiconque puisse mouvoir ces battants sans l'assistance d'un mammouth.

"Allez, nous y sommes enfin ! Ne perdons pas plus de temps !"

Siltafiir, Evangeline et Brelyna sursautèrent de concert à l'entente de cette voix, puis se retournèrent pour découvrir un cercle de spectres encapuchonnés venus de nulle-part.

"Est-ce vraiment une bonne idée ? demanda le timbre rocailleux d'une Argonienne.

- On sera de retour à l'Académie avant qu'on ne remarque notre absence, rétorqua une Rougegarde d'un ton assuré.

- Cela doit vous concerner, vu que vous avez la faveur de l'archimage, ricana un autre.

- N'oubliez pas, à l'origine, c'était l'idée d'Atmah, précisa un elfe en désignant la Rougegarde.

- Entrons, voyons ce qu'on peut trouver." Conclut le plus grand du groupe.

Ils marchèrent vers la porte du Labyrinthe, passèrent devant les trois femmes puis disparurent sans un bruit, les abandonnant, hébétées.

"Je n'ai pas reconnu les autres, mais ce Dunmer ressemblait à Savos Aren, nota Brelyna, en plus… jeune.

- Comme un souvenir, ajouta Siltafiir.

- Un souvenir réveillé par l'enchantement qu'il avait jeté sur le heurtoir ! compléta Evangeline. Et je parie qu'on en apprendra plus une fois à l'intérieur."

Trois pas entre les immenses colonnes suffirent à émerveiller les magiciennes, tandis que Siltafiir s'aventurait dans les recoins du vestibule à la recherche de biens revendables. Elle avait vu assez de ces vieilles constructions, les ruines nordiques se ressemblaient trop pour encore la surprendre.

"Je ne peux pas croire que nous soyons en train de faire ça !"

Un sursaut la prit et elle se retourna vers les spectres qui étaient à nouveau apparus en cercle.

"Pouvez-vous imaginer la tête qu'ils feront lorsque nous reviendrons ? s'enthousiasma Savos.

- Vous parlez comme si vous aviez la certitude que nous allions trouver quelque chose d'utile ici, contra un Nordique d'un ton désabusé.

- Compte tenu de l'histoire de ce lieu, il y a des chances qu'un certain pouvoir y subsiste encore, remarqua un Bosmer.

- Des armes enchantées, des ouvrages renfermant des connaissances anciennes, les propres secrets de Shalidor, énuméra le futur archimage, qui sait ce que nous pourrions trouver !

- Et si… l'endroit est gardé ? s'inquiéta l'Argonienne dans un sifflement reptilien.

- Contre six mages de l'Académie parfaitement entraînés ? On devrait s'en sortir." Rit Atmah en se mettant en route.

Comme précédemment, ils s'évaporèrent et le trio échangea des regards curieux.

BANG

Elles hurlèrent d'une même voix, effrayées par le claquement assourdissant de la porte. Son écho refusait de se taire, glissant sur les escaliers et répandant ses vibrations dans les entrailles obscures.

xxx

Les voilà piégés, ces intrus bienvenus, mais il doutait de les voir traverser tout le Labyrinthe; deux mages ne suffiraient jamais à vaincre tous ses serviteurs. Cela dit, peut-être étaient-ils accompagnés de guerriers ? À cause de cette cage il ne pouvait observer son temple en détails, tout être peu doué dans les arts des arcanes demeurerait totalement indétectable.

Les mages restèrent un moment dans le vestibule, puis descendirent vers son premier barrage. D'une seconde à l'autre, ils éveilleraient le dragon. Presque… presque… Un hurlement secoua les murs. Ils y étaient. Le Thu'Um glacial de sa création frappa la roche et ébranla les fondations. Même si sa liberté dépendait du succès des visiteurs, il ne regretterait leur défaite qu'à moitié. Cela prouverait simplement qu'on ne démontait pas ses défenses sur un coup de tête.

Un second éclat de Voix coupa là ses réflexions. Ce cri ne ressemblait pas à ceux de son dragon, il dégageait plus de rage, plus de puissance. Beaucoup plus. Un Parleur ? Un autre échange de rotmulagge confirma cette supposition. Tout cela devenait plus intéressant de minute en minute. L'art glorieux de la Voix avait donc continué de se répandre malgré l'absence des dragons.

Les intrus terrassèrent leurs adversaires et s'enfoncèrent plus profondément dans les ruines. Les deux forces magiques rayonnaient encore pleinement, un signe encourageant. Comme dans le vestibule, il sentit le sortilège mémoriel d'Aren s'activer, puis dès qu'il cessa de faire effet, l'expédition reprit son chemin. Il se demandait bien quel genre de message le jeune goujat avait abandonné derrière lui, mais fut détourné de sa réflexion quand les mages se trouvèrent à portée de son pouvoir.

Parfait. L'occasion de savoir qui était ce Parleur qui avait terrassé si aisément l'une de ses plus belles créations et de s'approprier un peu de son énergie. Il serra son bâton entre ses doigts osseux, canalisa le pouvoir de l'artefact, concentra sa magie sur le duo et déchira une part de leurs réserves magiques.

Acceptables. Un manque d'entraînement certain, mais le potentiel y était. Bien sûr, impossible de savoir lequel des deux maîtrisait la Voix. Pas sans une inspection plus directe. Il ferma les yeux, étendit son aura jusqu'au groupe et remua ses corde-vocales desséchées:

"Wo meyz wah dii vul junaar ?"

Pas de réponse. Le guerrier de glace qui venait de se réveiller jouait certainement un rôle dans leur mutisme. Il ne s'attendait pas à voir son invocation les arrêter, d'ailleurs elle résista moins d'une minute. N'importe quel adepte de la destruction pouvait la terrasser de quelques éclairs enflammés. Il voulut répéter sa question, puis se ravisa au dernier instant. Non, ça n'aurait pas l'air sérieux. Il tenta autre chose:

"Nivahriin muz fent siiv nid aaz het.

- Nivahriin hinmaar !" Répliqua le Parleur inconnu en faisant trembler les murs.

Il se trouva soufflé par cette réponse… peu conventionnelle. Cet interlocuteur n'atteignait pas exactement des pics d'éloquence, mais il suffirait. Pas comme si le choix lui était laissé.

xxx

Evangeline se tenait le crâne dans une tentative vaine d'empêcher le monde de tourner. D'abord son énergie avait été absorbée, puis une voix étrange, puis ce guerrier de glace, puis de nouveau la voix, puis ce… ce cri. Elle leva les yeux pour découvrir sa sœur qui respirait comme un bœuf, son masque tourné vers le plafond, et Brelyna, assise entre deux urnes. Tout lui revint.

"Par les Neuf… Ursanne !" Rugit-elle.

L'interpelée se retourna vivement, les poings serrés, mais avant qu'elle ne puisse réagir, l'aînée ajouta:

"Tu as failli nous tuer !"

Cette accusation paralysa Siltafiir qui observa bêtement les deux magiciennes.

"Je n'irais pas jusqu'à dire que nous avons failli mourir, intervint la Dunmer en se recoiffant, mais c'est vrai que vous pourriez prévenir."

Evangeline se releva prudemment, les oreilles encore bourdonnantes, pendant que Siltafiir tentait de cacher sa tête entre ses épaules.

"Ce n'était pas volontaire, marmonna-t-elle.

- J'espère bien !" Répliqua sa sœur en se tâtant le cuir chevelu.

Elle grimaça quand ses doigts pressèrent une bosse douloureuse, et grimaça encore lorsqu'ils en revinrent couverts de sang.

"Tu es blessée !" S'exclama Brelyna en lui sautant dessus.

L'elfe lui saisit l'épaule et, à l'aide d'un sort de rayonnement, examina la plaie. Evangeline, sa surprise passée, se contenta de sourire, habituée à la prévenance exubérante de son amie. Elle la soupçonnait de se sentir encore coupable de l'avoir transformée en vache lors de ses expériences. Et puis, il fallait bien l'avouer, elle appréciait ses attentions, peut-être plus que de raison.

"Ça m'a l'air bon." Déclara la Dunmer après un soin rapide.

Evangeline la remercia et Brelyna s'éloigna, sans manquer de presser doucement ses doigts autour de l'épaule de sa camarade. La Brétonne sourit de plus belle et elles purent reprendre leur chemin.

Une poignée de draugrs les attendait plus bas, mais entre les flèches de l'une et la magie des autres ils n'offrirent qu'une résistance limitée. L'agencement des ponts et des escaliers s'avéra plus dangereux que les revenants, avec ses cailloux glissants et son manque terrifiant de rambardes. Après la descente instable les attendait un tunnel où s'engouffrait un cour d'eau, mais avant qu'elles n'aient le temps de se plaindre de leurs pieds trempés, les deux magiciennes hoquetèrent de surprise.

"Vous allez bien ? s'inquiéta Siltafiir.

- Ça recommence, grogna Evangeline en s'appuyant sur ses genoux.

- Lui aussi il pourrait prévenir, geignit Brelyna en se tenant au mur, aspirer la magie des gens comme ça…"

Tandis qu'elles reprenaient leur souffle, la voix mystérieuse se fit à nouveau entendre:

"Fos yah ?"

xxx

Après un temps beaucoup trop long, il était parvenu à rétablir le lien avec les intrus. Malgré son manque certain de maturité, la puissance du Parleur avait suffi à briser sa concentration, mais peu importait: il saurait bientôt ce qui les attirait chez lui. Si leur but impliquait de le tuer, il lui faudrait se préparer à combattre, mais s'ils ne désiraient que des trésors, il les laisserait passer sans heurts. Sa liberté valait bien un acte de clémence.

"Mu laan Magnusro vasmiir." Répondit enfin le Parleur.

Alors ils voulaient son bâton, songea-t-il en le serrant possessivement. Cela compliquait les choses. Il ne pouvait autoriser une personne extérieure au culte à manier un tel pouvoir, cependant activer l'Œil sans le bâton résulterait en un désastre incommensurable. Il lui fallait plus de précisions, mais une fois encore le Thu'Um de son interlocuteur l'avait déconnecté du groupe. Tant de force, si peu de contrôle. Il lui rappelait Nahkriin.

Il s'attela à reforger le lien et se réjouit de voir que les intrus avançaient rapidement. Ils approchaient de la Lucereine. Après leurs exploits précédents, il ne doutait guère de leur victoire, mais mieux valait ne pas les distraire. La Voix du Parleur vibra dans l'air, juste assez proche pour qu'il reconnaisse les mots du souffle embrasé. Ses lèvres se fendirent d'un sourire desséché. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait entendu la douce musique du Thu'Um, ses rafales glorieuses, ses trémolos envoûtants… Et il fallait que cette stupide cage l'empêche d'en profiter pleinement !

Heureusement, ils se remirent bientôt en marche, l'occasion parfaite de les interroger et de déguster un peu plus de leur pouvoir. Drainer ses serviteurs suffisait à le maintenir en vie, mais il ne crachait jamais sur une réserve de magie fraîche.

"Fahvos praag nii ?"

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Siltafiir toisait les magiciennes qui s'étaient allongées par terre. Comme précédemment, le maître des lieux avait dû absorber leur énergie - le rythme effréné de leurs poitrines confirmait cette hypothèse. L'absence de talent magique octroyait certains avantages après tout.

Lorsqu'elles eurent retrouvé une certaine contenance, Evangeline se redressa.

"Qu'est-ce qu'il a dit… cette fois ? s'enquit-elle entre deux halètements.

- Il demande pourquoi on veut le bâton.

- Et tu vas lui répondre ?"

Elle hésita un instant, se demandant bien pourquoi il s'intéressait à leurs motivations. Est-ce qu'il songeait à s'en séparer ? Cela paraissait improbable. Elle choisit de satisfaire sa curiosité; pas comme si divulguer cette information pouvait leur causer du tort.

"Wah nivos Magnusro Miin al Keizaal."

Un juron détourna son attention de la voix mystérieuse, pour la diriger sur les autres femmes qui se massaient les oreilles. Le regard noir de sa sœur lui laissait supposer que des reproches pleuvraient bientôt.

"Contrôle-toi, s'énerva Evangeline sans remarquer la posture défensive de sa cadette, tu veux nous rendre sourdes ?"

D'accord, son éclat précédent avait mérité des critiques, mais là elle exagérait !

"Si je ne me contrôlais pas, vous seriez toutes les deux écrasées contre un mur !"

Cette perte de patience suffit à prouver ses dires: Evangeline évita le mur, mais roula tout de même sur plusieurs mètres. Brelyna courut jusqu'à son amie pendant que Siltafiir ricanait discrètement. Perdre la maîtrise de sa voix l'horripilait, mais la vue de son aînée se relevant maladroitement supplanta ses tracas. Elles reprirent leur avancée en silence et se trouvèrent presque immédiatement devant une porte léchée de flammes.

"J'ai une impression de déjà-vu, dit Siltafiir en bandant son arc.

- Je parie que c'est comme pour le guerrier de glace, ajouta Brelyna, des stalactites au bout des doigts.

- D'ailleurs il y a un livre de froid mordant juste là, remarqua la troisième en pointant ledit tome sur un socle, à croire qu'il veut se faire envahir."

Elles échangèrent des regards curieux, puis Evangeline usa du sort de glace sur la porte. Le brasier magique s'éteignit et le panneau métallique glissa pour révéler un passage étroit. Une faible onde de choc s'en dégagea, suivie d'un fantôme embrasé qui opposa plus de résistance que son homologue de givre, mais pas suffisamment pour arrêter ses assaillantes. Quelques mètres plus loin, elles découvrirent une salle circulaire où le souvenir de l'archimage les fit à nouveau sursauter.

"Encore une minute, s'il vous plaît, implora l'Argonienne fantomatique.

- Allez, nous ne pouvons pas nous arrêter. Nous devons continuer ! insista Savos.

- Où est Elvali ? Elle était juste derrière moi, paniqua Atmah.

-Morte, grogna le Nordique d'un ton plus rigide que jamais, quelque chose l'a attrapée par derrière. Je n'ai rien pu faire.

- C'est de la folie. Nous n'aurions jamais dû venir ici, geignit encore l'Argonienne.

- Vous avez raison, confirma Atmah dans un soupir, c'est de ma faute. On devrait peut-être faire demi-tour ?

- Je doute qu'y retourner soit une bonne idée, marmonna le Nordique.

- Si nous rebroussons chemin, cela causera notre perte à tous, trancha alors Savos, si nous allons de l'avant, nous nous en sortirons. Je vous le jure !"

Sur ces mots, ils disparurent, ne laissant derrière eux que les éclaboussures d'un filet d'eau et les plaintes rauques de draugrs peu éloignés.

"Je commence à comprendre pourquoi Savos Aren est le seul que nous connaissons." Murmura Brelyna.

Evangeline acquiesça gravement pendant que Siltafiir s'empressait d'avancer. Toute l'empathie qu'elle aurait pu ressentir pour les mages spectraux fut assourdie par les échos d'un chœur familier glissant contre les murs. Un rotmulaag reposait en ces lieux, le meilleur remède aux tracas de son quotidien.

Le râle d'un revenant l'arracha à ses pensées. Au fond du tunnel, derrière une petite colonne d'eau qui trouait le plafond, apparut un corps décharné que l'archère s'empressa d'abattre. Cela en attira un second, suivi d'un molosse, mais leur apparence la figea. Un ectoplasme translucide connectait leurs os, remuait à chacun de leurs pas, teintait de bleu la roche qu'ils piétinaient. Profitant de sa stupeur, le chien spectral lui sauta à la gorge. Elle le repoussa d'un coup d'arc et s'assura qu'il ne reviendrait pas à la charge:

YOL TOOR SHUL

Ce qui ne brûla pas éclaboussa le mur, le sol, le plafond et l'armure de Siltafiir. Tandis qu'elle frissonnait de dégoût, les magiciennes bombardèrent le draugr jusqu'à le réduire au même état que le chien et imitèrent la plus jeune quand leurs chaussures se noyèrent dans la substance visqueuse.

"Urgh… Ça s'enfile partout, crissa Evangeline.

- Et ça sent la mort, ajouta sa sœur, trouvons vite ce bâton et allons nous laver.

- Je ne vais pas attendre aussi longtemps, en plus mes pieds sont déjà trempés."

S'étant approchée de la chute d'eau, Evangeline tendit sa jambe droite, puis la gauche, puis à nouveau la droite, pour ôter le gros de l'ectoplasme de ses semelles et du bas de ses robes. L'autre sorcière la rejoignit, pressée de se nettoyer, mais à peine eut-elle posé sa botte à côté de la Brétonne que ses projets s'effondrèrent. Littéralement.

Une seconde, Siltafiir les observait calmement, la suivante, elles avaient disparu, englouties par les dalles. Elle ne comprenait pas ce qui s'était produit, mais les cris et explosions magiques qui s'échappèrent de la trappe la dégagèrent de sa torpeur. Un coup d'œil à l'étage inférieur lui arracha un juron.

FEIM

Sa forme éthérée atterrit juste à côté de Brelyna qui soignait sa jambe. Un peu plus loin, Evangeline boitait à reculons, une main sur la hanche, pendant qu'une paire de draugrs translucides agitaient leurs armes devant elle. Elle se retrouva plaquée au mur, sans échappatoire, protégée seulement par une barrière magique qu'elle peinait à maintenir. Siltafiir se rua sur le zombie le plus proche, Mort-Dragon dégainée. Elle taillada la créature poisseuse, détourna son attention de la magicienne et jura entre ses dents quand l'énorme hache s'abattit sur elle. Sa parade lui évita une migraine fatale, mais la déséquilibra.

Les fesses à terre, elle ne pensait pas pouvoir se protéger. Si seulement elle avait pu crier… mais sa gorge engourdie par le mot précédent refusait de coopérer. Elle ne priait pas souvent - à quoi bon ? Les divins ne répondaient jamais - mais la hache luisante qui s'élevait lentement et le poids de l'amulette autour de son cou l'incitèrent à modifier ses habitudes.

L'ennemi attaqua et elle supplia Talos de donner plus de pouvoir à son pendentif, de lui rendre sa voix, tout de suite.

Peut-être l'adrénaline lui faisait-elle ressentir des choses, ou peut-être que l'amulette chauffa plus fortement contre sa peau, déploya son baume sur ses cordes vocales et lui octroya le pouvoir qu'elle désirait tant.

FUS RO DAH

L'ennemi quitta le sol, heurta son comparse, continua sa course jusqu'au mur et emporta Evangeline au passage. Les créatures explosèrent sous le choc, couvrant les Brétonnes d'une nouvelle couche d'ectoplasme. Collantes, étourdies, elles demeurèrent assises en face l'une de l'autre en essayant de ne pas avaler l'écœurante substance. Siltafiir retira son masque et s'essuya le visage sans oser respirer - cette chose s'enfilait vraiment partout - pendant que sa sœur reprenait pied avec la réalité.

"Ça va ?" S'inquiéta Brelyna en approchant.

Elle se pencha sur Evangeline, qui avait retrouvé assez de conscience pour traiter sa hanche blessée, et se laissa rassurer par le sourire gluant qu'elle lui décocha. Vexée qu'on ne lui prête aucune attention - - Siltafiir se redressa dans un grognement, rinça ses joues sous la cascade et se sécha à l'aide de sa cape. Krosis renfilé, elle s'éloigna, pressée de trouver le rotmulaag qui s'était bien rapproché grâce à ce raccourci inattendu. Un sourire grimpa jusqu'à ses pommettes et elle se précipita vers la source de ce pouvoir, oubliant complètement les magiciennes.

xxx

Tout devait se produire en même temps. Son emprisonnement, le retour des dragons, l'activation de l'Œil… Forcément. Au moins il savait pourquoi le bâton s'était mis à crépiter depuis quelques temps. S'il refusait de le leur donner, la magie d'Aetherius inonderait Bordeciel, altérerait les flux énergétiques de Nirn, briserait toutes les règles arcaniques érigées par des millénaires d'études et d'expériences - dans le meilleur des cas. S'il acceptait, ce pouvoir serait canalisé, contrôlé, et ils obtiendraient une puissance incommensurable. Largement assez pour anéantir ce qui restait du culte si l'envie les prenait. Le risque était trop grand. Mieux valait quitter son temple et endiguer la menace lui-même, peut-être avec une petite troupe de draugrs. Il était certainement capable de s'en charger seul, mais sa mort condamnerait ses frères à une éternelle inaction; l'heure ne se prêtait guère à l'imprudence.

Bien entendu, rien ne s'accomplirait tant que sa cage subsistait. Il soupira, sa patience millénaire s'effritant tandis que les mages atteignaient son couloir piégé, preuve glorieuse de ses talents d'enchanteur. Ce passage avait grandement retardé tous les visiteurs précédents - ceux ayant survécu jusque-là - car seule une puissante barrière pouvait stopper les boules de feu et tempêtes de glace qui déferlaient d'un bout à l'autre du corridor dès qu'on s'y aventurait. Il espérait que ces mages-ci savaient jeter autre chose que des sorts de destruction.

FUS RO DAH

Ou peut-être que le Parleur pouvait renverser ses gemmes piégées sans avoir à s'en approcher - le mauvais joueur. Ils avancèrent rapidement, confirmant le succès du cri déferlant.

Bientôt ils l'atteindraient, ne leur restait à vaincre qu'une poignée de draugrs. Une tâche aisée au vu de leurs précédentes démonstrations. De plus en plus proches, il pouvait sentir les grésillements de leurs sorts entrecoupés de mots draconiques. Les auras de ses serviteurs s'éteignaient une par une tandis qu'ils progressaient, accéléraient, s'approchaient des dernières salles qui les séparaient encore de lui et… s'immobilisaient.

Il n'entendait l'écho d'aucun combat et leurs réserves magiques ne trahissaient guère de faiblesse. Pourquoi s'arrêter ?

xxx

"Pourquoi on s'arrête ?"

Siltafiir ignora sa sœur et caressa le mur d'où s'échappaient les voix qu'elle aimait tant. Leur chant semblait plus lent qu'à l'accoutumée, plus serein, il résonnait longuement contre la pierre et s'insinuait doucement dans son esprit, sans forcer, sans se précipiter. Chaque bouffée d'air s'attardait dans ses poumons, chaque expiration se figeait devant ses lèvres tandis qu'elle assimilait le mot nouveau.

Le troisième et dernier rotmulaag du cri de ralentissement. Elle le prononça en silence, ses doigts longeant la roche griffée. Tout son corps se détendait alors que l'unique syllabe se frayait un chemin jusqu'à son esprit, jusqu'à son âme, lui enseignait l'infini, lui murmurait le secret des Vennesetiid, lui offrait un aperçu de la vraie nature des dovahhe. L'éternité.

"Ce n'est pas le moment d'étudier une langue morte, pressa Evangeline, on doit avancer.

- Ce n'est pas une langue morte, c'est celle des dragons.

- Elle ne va pas nous aider à traverser ce temple, dépêche-toi."

Siltafiir s'étonna elle-même quand l'envie de réprimander sa sœur ne la titilla pas. En place de cela, elle sourit et s'écarta du texte gravé.

"C'est comme ça que j'apprends les cris, expliqua-t-elle dans un souffle lent, chaque mot me rend plus puissante."

Elle avança sans attendre de réponse, encore perdue dans la douceur de ses connaissances fraîchement acquises.

xxx

Il agita ses articulations grinçantes et échauffa ses poumons engourdis, prêt à accueillir ses invités dans les règles de l'art. Même si tout indiquait que ce Parleur ne connaissait rien des traditions du culte, il recevrait des salutations officielles. Cela faisait trop longtemps qu'aucune politesse n'avait résonné entre ces murs, beaucoup trop longtemps. Seuls des souvenirs embrumés lui restaient de ces jours lointains, porteurs de douceur, de douleur, vestiges d'une gloire éteinte qui ne demandait qu'à renaître. Il entendait encore ses disciples lui présenter leurs respects, les voyait déposer leurs offrandes ou rendre leurs rapports devant son trône et son autel, s'agenouiller et prier leurs maîtres ailés. Les richesses de cette époque glorieuse miroitaient toujours dans le fond de son esprit, illuminaient l'attente obscure à laquelle il s'était condamné.

Le sortilège mémoriel d'Aren interrompit ses rêveries, reportant son attention sur les intrus à quelques pas seulement de son sanctuaire. Il absorba une dernière fois leur magie, se demandant encore lequel usait du Thu'Um. Sans être de complets novices, ils dégageaient de jeunes auras. Très jeunes pour maîtriser si bien la Voix. Trop jeunes, maintenant qu'il y pensait. Cri déferlant, souffle embrasé, le premier mot de la forme éthérée… Lui-même n'aurait requis pas moins d'une décennie pour s'imprégner d'un quart de ces connaissances, à peine moins s'il avait renié sa pratique des arcanes. Le Parleur était peut-être dénué de talent magique, tout comme Rahgot, mais à cette distance personne ne devrait pouvoir échapper à son inspection; même le barbare le plus ignare possédait une connexion, si faible soit-elle, avec l'Aetherius.

La porte s'entrouvrit alors, crachant un grincement sonore et une fine bande de lumière. L'ombre d'un capuchon sortit de derrière un battant, demeura immobile le temps de s'habituer aux ténèbres du sanctuaire, puis avança prudemment, s'éloignant de l'unique éclairage. Une seconde silhouette suivit immédiatement, puis une troisième. Et toujours deux auras. L'hypothèse du Parleur sans magie semblait se confirmer. Quelle étrange sensation tout de même… jamais il n'avait rencontré d'être à ce point déconnecté. Il se demanda un instant si ses yeux ne l'avaient trompé, si la dernière silhouette n'était qu'un figment de son imagination, mais fut forcé de d'admettre sa réalité lorsqu'aucun des deux mages ne prononça les mots suivants:

"Ofan vasmiir."

Il concentra toute son attention sur l'insolent qui osait lui donner des ordres - après une telle introduction, il pouvait oublier les salutations officielles. S'il ne l'avait entendu parler, il n'aurait jamais su où le chercher; son armure, plus sombre encore que l'obscurité, paraissait trouer la noirceur ambiante, rejetant les rares reflets qui tentaient de s'y déposer. Agacé par cet étalage de discrétion et ce cruel manque de révérence, il siffla:

"Wo krilon uth dovahsonaak ?

- Zu'u Dovahkiin." Répliqua fièrement le Parleur.

Ça, il ne s'y attendait pas, et d'ailleurs il n'y croyait pas. Une simple tentative de le déstabiliser, rien de plus. On n'enverrait jamais un enfant d'Akatosh dans un temple aussi bien protégé que le sien accompagné d'une si ridicule escorte. Et pourtant, sa maîtrise impressionnante du Thu'Um contrastait violemment avec les accents trop humains qu'il versait dans sa conversation. Comme Miraak à ses débuts. Il inspira profondément, puis déclara:

"Vasmiir los het. Gestin zey uv neh ofaal nii."

Il attendit la réaction de ce soi-disant Dovahkiin, l'entendit converser avec les mages, crut le voir remuer, puis soudainement l'un des sorciers qui alimentaient sa cage explosa dans un nuage ectoplasmique. Un deuxième trait sortit des ombres, remplissant le même rôle que son jumeau, et la cellule s'évapora dans un pitoyable grésillement. Enfin !

Tout en lévitant jusqu'au bord de son estrade, Morokei raviva les brasiers alentours d'un geste du poignet, projetant une lueur vacillante juste assez forte pour englober les intrus. Trois femmes. Les deux magiciennes s'agitèrent, mais la Parleuse conserva une posture inébranlable, une flèche pointée sur lui. La lumière avait révélé son masque qui, bien que terni par les millénaires, ne pouvait être confondu avec aucun autre. Krosis était donc morte. Vraiment morte. Une entrave supplémentaire à la glorieuse renaissance du culte.

"Vasmiir. Nu." Commanda-t-elle en tendant un peu plus la corde de son arc.

Elle crachait ses ordres avec un naturel proprement agaçant, preuve supplémentaire que le sang draconique coulait dans ses veines. Quel développement inattendu. La venue d'un nouveau Dovahkiin annonçait un tournant dans l'Histoire, pour le meilleur et le pire. Le parcours de Miraak au sein du culte, bien qu'ayant duré moins d'un demi-siècle, avait changé complètement les rapports entre hommes et immortels. Sans l'intervention d'Hermaeus Mora, l'empire des dragons aurait perduré à travers les âges. Ne restait qu'à savoir si cette fille d'Akatosh mènerait le culte à une gloire inégalée ou à son anéantissement total, deux choses que son prédécesseur avait bien failli accomplir.

"Aam hio Alduin ?

- Nid. Krii Alduin dezi." Grogna-t-elle avec une soudaine agressivité.

Cela ressemblait fort à un non définitif. Quel gâchis. Il éleva son bâton et envoya un faisceau d'énergie sur l'ennemie de son maître qui dut sauter sur le côté et manquer son tir. Avant qu'il ne puisse la viser à nouveau, un éclair enflammé explosa contre son épaule, le forçant à reculer. Il avait oublié les magiciennes, dont une s'était empressée d'invoquer un atronach de feu. Une deuxième salve magique vola dans sa direction, mais il éleva une barrière protectrice juste à temps pour la dévier. Sans leur laisser plus de temps, il prit le contrôle de l'atronach et l'envoya attaquer sa créatrice, puis se retourna vers l'Enfant de Dragon. Mais impossible de la retrouver. Il parcourut la salle des yeux, observa les colonnes, les escaliers, détailla les ombres qui séparaient chaque brasier, tenta de sentir son aura, mais rien. Même libéré de sa cage, même alors qu'il pouvait déployer ses capacités à leur maximum, cette femme demeurait totalement indétectable.

Une flèche perça son ventre. L'impact le déstabilisa et, dès qu'il cessa de tanguer, il repéra son assaillante qui avait escaladé les tribunes et bandait encore son arc. Posséder un corps sans terminaisons nerveuses fonctionnelles n'était pas si désagréable quand une pointe d'acier se promenait dans vos entrailles. Il lévita de droite et de gauche pour entraver la visée de son adversaire et ajusta son propre tir. Le même rayon qu'auparavant quitta le pommeau du bâton et cette fois elle n'y échappa guère. Un cri étranglé résonna derrière Krosis pendant qu'elle titubait à reculons et se faisait happer par les ombres. Disparue.

Il n'avait absorbé que de l'essence vitale, preuve définitive de son absence de talent magique, alors comment, sans ingérer de potion, pouvait-elle s'évaporer si aisément ? Était-elle sous la protection du signe de l'Ombre ? Peu probable, il aurait senti un afflux d'Aetherius lors de son activation. Ici, rien, juste le silence. Les ombres.

Une explosion le tira de ses réflexions pour lui rappeler la présence des magiciennes. Elles venaient de vaincre l'atronach.

Du haut des tribunes, Siltafiir observait la scène en reprenant son souffle. Elle devait le reconnaître: les compagnons de route créaient de parfaites distractions durant les combats. Elle préférait toujours voyager sans personne bien sûr; la solitude offrait plus de discrétion, permettait de contourner la plupart des ennemis sans besoin de prendre les armes et rendait toute expédition bien plus rapide, mais jamais elle n'aurait traversé ce temple-là sans aide, il fallait bien l'avouer.

En contrebas, les magiciennes luttaient difficilement. Entre ce bâton qui dérobait l'énergie et les sortilèges de foudre, elles ne tiendraient pas longtemps. Siltafiir décocha une flèche de plus sur le prêtre-dragon, dissipant la barrière qui aurait dû le protéger d'une boule de feu d'Evangeline. Les Brétonnes poussèrent un cri de joie synchronisé quand l'explosion le jeta au sol, mais il se releva presque immédiatement et répliqua d'un puissant éclair qui foudroya les deux magiciennes. Siltafiir usa encore de son pouvoir de Rossignol avant qu'il ne puisse s'en prendre à elle et se dirigea vers les escaliers.

À ce rythme, elle sortirait seule de cet endroit - si elle en sortait un jour - il fallait qu'elle distraie encore Morokei avant qu'il achève ses compagnes. Elle se dépêcha de rejoindre le pont qui liait les tribunes à l'estrade et, son ennemi à portée, inspira profondément.

IIZ SLEN NUS

Malgré son âge avancé, le prêtre montrait tous les réflexes d'un combattant aguerri. Le premier mot l'avait alerté, au second il avait élevé une énième barrière, et le troisième parvint tout juste à briser sa protection sans pour autant l'immobiliser. Siltafiir voulut maudire son trop-plein de confiance, mais le pouvoir du bâton lui ôta toute pensée cohérente. Le mur derrière elle l'empêchait de fuir, les magiciennes peinaient encore à se tenir debout et pas moyen de réfléchir avec cette douleur insensée. Le sortilège du vampire rencontré avant leur entrée dans le Labyrinthe l'avait drainée d'une façon similaire, mais avec beaucoup, beaucoup moins d'intensité. Quand elle tenta de sauter hors de portée du rayon, ses genoux flanchèrent et son masque heurta la roche de plein fouet. Elle voulait hurler, mais sa gorge gelée ne crachait que des plaintes rauques.

Puis la douleur disparut. Sonnée, engourdie de la tête aux pieds, elle n'osa se mouvoir durant plusieurs secondes, s'attendant à replonger dans cette mare de souffrances, et quand rien de tel ne se produisit elle se tourna tant bien que mal vers Morokei. Sa vision floue devina la silhouette du prêtre, de l'autre côté du pont.

"Grik suleyk…" Souffla-t-il en jetant un regard à son bras gauche.

Un épais cocon de givre l'enserrait des phalanges jusqu'au coude, impossible de canaliser sa magie dans ces conditions. Une preuve indéniable qu'elle maîtrisait également le cri de glace. Tant de talent, songeait-il en approchant du Dovahkiin qui s'asseyait contre le mur, peut-être pourrait-il lui faire entendre raison; si elle acceptait de servir le culte, ils y gagneraient tous.

"Diriil fund kos nev, déclara-t-il solennellement, hio fund naram nel voth zaag."

Elle le fixa dans un silence hésitant. Rien ne serait plus simple que de lui suggérer une feinte alliance, lui dire qu'elle n'avait jamais cru qu'un autre destin que celui de vaincre Alduin lui serait proposé - ce qui n'était pas vraiment faux - et dès que sa Voix lui obéirait, elle pourrait l'achever d'un cri bien choisi.

Cependant de vieux souvenirs se jouaient dans sa mémoire. Ceux d'Alduin, Paarthurnax et Miraak. Tous possédaient une qualité étrangère à Morokei, un besoin de tout contrôler retrouvé dans chaque âme qu'elle avait absorbée, même celle de Vulthuryol. Jamais un dragon ne s'infligerait ce destin reclus, pas volontairement, pas dans le but de servir quiconque autre que lui-même, et personne ne la verrait courber l'échine devant ce personnage servile. D'ailleurs, plus question qu'elle l'honore en usant du langage draconique, des mots mortels suffiraient largement à sa triste condition.

"Je ne sais pas ce que vous avez fabriqué… avec l'Œil de Magnus… et la nécromancie d'Hevnoraak, haleta-t-elle en se relevant, les doigts crispés contre le mur, mais vu l'état de Krosis… quand je l'ai combattue… vos confrères l'ont bien moins supporté que vous."

Ces paroles le foudroyèrent. Effectivement, il ne devait pas s'attendre à ce qu'elle mentionne un plan secret aussi vieux. Et il n'était pas au bout de ses surprises; un simple nom, entendu dans le souvenir de Konahrik, avait suffi à l'enrager quatre mille ans plus tôt. Le toucherait-il encore après tout ce temps ?

"À force de vous accrocher à cet espoir futile… vous avez définitivement perdu Volsung, ajouta-t-elle lentement en se réjouissant de voir les phalanges de Morokei serrer le bâton au point de craqueler le dos de sa main.

- Nahlot ! cracha-t-il haineusement. Hi mindok nid !"

Elle se contenta de ricaner pendant que son amulette terminait d'apaiser ses cordes-vocales.

"Hi kos dilon." Déclara-t-il froidement avant d'emplir sa poitrine de syllabes menaçantes.

Siltafiir tendit ses muscles endoloris, prête à répliquer. Le souffle du prêtre quitta alors ses poumons, vibra contre son palais et se déversa dans un blizzard furieux:

FO KRAH DIIN

À peine le premier mot avait-il traversé ses lèvres que la Brétonne lui exposait ses propres arguments:

TIID KLO UL

Elle inspira lentement, puis expira à la même vitesse, une, deux trois fois. Juste devant ses yeux, frôlant son masque, un nuage blanc reflétait les lueur immobiles des brasiers. Glissant sur le côté, loin de la trajectoire du souffle gelé, elle avança d'une démarche claudicante jusqu'à Morokei. Passant à sa gauche, elle s'arrêta, hypnotisée par cette inertie totale. Du bout du doigt, elle toucha l'un des cristaux de givre qui se brisa sans émettre un son.

Forcer le monde à ralentir, à s'arrêter même… Commander aux Vennesetiid… Elle devait rêver, une puissance pareille ne pouvait pas s'acquérir si aisément. Et pourtant la preuve se tenait devant ses yeux.

L'Enfant de Dragon dut se faire violence pour ne pas détailler plus longtemps les effets de son pouvoir. Dans le dos du prêtre, elle renifla, ses muscles lui reprochant sans retenue de n'avoir pas usé de ce criplus tôt. Levant ses bras endoloris, elle brandit Mort-Dragon à deux mains et s'acharna à enseigner le principe de courants d'air à la cage thoracique de son opposant.

Morokei ne comprit rien. Rien du tout. Quand il avait crié, elle se tenait devant lui, mais seul le mur se trouvait sur la trajectoire finale de ses mots. Et puis, d'où sortait cette lame ? Non seulement distrayante, elle manquait terriblement de logique. Le seul moyen qu'elle aurait eu de pouvoir parasiter ainsi son champ de vision serait de passer par son… torse. Baissant les yeux, il voyait sans y croire les pièces osseuses qui se détachaient de ses côtes, puis observa le sol de près quand l'épée, en s'extirpant, brisa sa colonne vertébrale et rendit invivable son enveloppe déjà frêle.

Le cadavre, délesté de l'âme qui le maintenait dans un état de semi-vie, tomba en poussière, n'abandonnant que des robes mitées, le bâton tant désiré et un masque presque identique à celui de Krosis. Siltafiir lâcha un soupir rauque avant de s'effondrer sur place. Du coin de l'œil, elle percevait les mouvements maladroits des magiciennes, apparemment aussi engourdies qu'elle.

Ah… et dire qu'elles devaient encore marcher jusqu'à Blancherive… Siltafiir réserva une pensée à sa huscarl et poussa un faible rire en imaginant sa réaction: "Je vous l'avais bien dit !" s'agacerait-elle. Oui, elle le lui avait dit: "Je parie que vous allez mettre trois fois plus de temps que prévu" et, en effet, les trois, peut-être quatre jours initialement envisagés dépasseraient la dizaine une fois le lexique rendu à Septimus.

Toute à ses réflexions, elle ne remarqua ses acolytes que lorsqu'elles se penchèrent sur elle. Des traces de brûlures parsemaient leurs robes et leur peau, les mèches de cheveux qui dépassaient de leurs capuchons luisaient de sueur et d'ectoplasme, la poussière collait à leurs joues… Jamais elle n'aurait cru voir sa sœur dans un tel état, mais ses crampes et courbatures assourdissantes ne lui offraient guère le loisir de s'en amuser.

"Vous allez bien ? s'inquiéta Brelyna.

- J'ai connu pire… je crois…" marmonna-t-elle en s'asseyant difficilement.

La Dunmer usa immédiatement d'un sort de soin sans attendre de demande ou d'autorisation, ce dont Siltafiir ne se plaignit guère. En une minute à peine, elles pouvaient se diriger vers un tunnel, juste derrière les tribunes, sans manquer de vider les deux coffres qui ponctuaient le chemin. Dès qu'elles poussèrent les portes du passage, un spectre apparut devant leurs yeux, leur arrachant un ultime sursaut.

"Je suis désolé, mes amis, geignit Aren, les mains jointes, je suis terriblement désolé ! Je n'avais pas le choix ! C'était la seule façon de s'assurer que ce monstre ne s'échapperait jamais ! Je vous promets que je ne laisserai pas l'histoire se répéter ! Je vais condamner cet endroit…"

Les magiciennes s'accrochèrent au bras l'une de l'autre, le regard braqué là où se trouvait le souvenir de l'archimage une seconde plus tôt.

"Il a utilisé ses propres amis…" Souffla l'elfe en serrant un peu plus la manche d'Evangeline.

Elles frissonnèrent de concert, tandis que Siltafiir passait machinalement les doigts dans son dos, sur le manche de Nahlaas. Maintenant qu'elle y songeait, il s'était montré extrêmement silencieux ces dernières heures. Bien sûr, il lui avait dit qu'il ne parlerait pas beaucoup, rapport à la présence des deux autres, mais tout de même, pas un seul commentaire de toute l'expédition.

"Nahlaas ?" Murmura-t-elle pendant que les magiciennes s'interrogeaient sur les motivations de feu l'archimage.

Pas de réponse. Elle réessaya, légèrement plus fort, mais toujours rien.

"Draaf." Jura-t-elle entre ses dents.

Son réveil brutal par attaque de vampire n'avait pas laissé le temps à Nahlaas de regagner le bâton. Il se trouvait encore en Quagmire. Plus vite elles monteraient un camp, mieux ce serait. Siltafiir encouragea ses comparses à accélérer. Ouvrant une porte d'un coup de pied, elle dut pourtant s'arrêter alors qu'un uniforme noir tissé d'or lui barrait la route, porté par un Altmer à la mâchoire large. Un Thalmor.

"Ainsi, vous avez réussi à vous en sortir, renifla-t-il quand les magiciennes eurent rattrapé Siltafiir. J'ai peur de devoir vous prendre ce bâton. Ancano veut le garder en sécurité…"

Il éclaira ses doigts de magie destructrice avant d'ajouter:

"Oh, et il veut vous voir mourir. Ce n'est pas contre vous."

Evangeline serra possessivement le bâton alors que Brelyna se préparait à attaquer. La plus jeune, souriante derrière son masque, inspira profondément.

TIID KLO UL

Son arc lentement dégainé, elle tira une flèche qui, ayant à peine quitté la corde, s'immobilisa à la hauteur de son visage, pointée sur l'épaule droite de l'Altmer. Elle en tira une seconde, droit sur l'épaule gauche, puis continua avec les genoux, lui tourna autour, visa ses coudes, n'oublia ses fesses et retourna d'un pas guilleret à sa place initiale. Quelques secondes de plus et le temps reprit son cour, libérant toutes les flèches au même instant.

L'arc bandé, elle marcha tranquillement vers le sorcier qui gisait dans la poussière en crachant des plaintes étranglées. Il tenta de s'éloigner en rampant, mais elle lâcha la corde et le trait se ficha entre ses deux yeux. Satisfaite de son expression terrifiée immortalisée par son décès, elle se retourna comme de rien vers les magiciennes mais se laissa agacer par leur regard troublé.

"Quoi ? grogna-t-elle en rengainant.

- C'était un peu… brutal… expliqua Evangeline en baissant les yeux.

- Même contre un Thalmor, compléta Brelyna sans cesser de fixer la mare de sang qui s'élargissait peu à peu.

- Il l'a bien cherché." Rétorqua-t-elle en marchant d'un pas vif vers la sortie.

Qu'elles laissent la mort de ce pitoyable ver les choquer, si ça les chantait. Elle, préféra se diriger vers la sortie, plus que désireuse d'enfin monter un bivouac et de retrouver Nahlaas.

À suivre…

Termes draconiques:

Wo meyz wah dii vul junaar ? - Qui s'aventure dans mon sombre royaume ?
Nivahriin muz fent siiv nid aaz het. - (Les) hommes lâches ne trouveront pas de pitié ici.
Nivahriin hinmaar ! - Lâche toi-même !
Fos yah ? - Que cherchez(-vous) ?
Mu laan Magnusro vasmiir. - Nous voulons (le) bâton de Magnus.
Fahvos praag nii ? - Pourquoi en avez(-vous) besoin ?
Wah nivos Magnusro Miin al Keizaal. - Pour empêcher (l')Œil de Magnus (de) détruire Bordeciel.

Ofan vasmiir. - Donne (le) bâton.
Wo krilon uth dovahsonaak ? - Qui ose commander (le) prêtre-dragon Morokei ?
Zu'u Dovahkiin. - Je (suis) Enfant de Dragon.
Vasmiir het. Gestin zey uv neh ofaal nii. - (Le) bâton (est) ici. Libère-moi ou ne l'obtiens jamais.
Vasmiir. Nu. - Bâton. Maintenant.
Aam hio Alduin ? - Servez-vous Alduin ?
Nid. Krii Alduin dezi. - Non. Tuer Alduin (est) mon destin.

Grik suleyk… - Tant de pouvoir…
Diriil fund kos nev, hio fund naram nel voth zaag. - Votre mort serait (un) gaspillage, vous grandiriez rapidement avec (le) culte.
Nahlot ! Hi mindok nid ! - Silence ! Tu (ne) sais rien !
Hi kos dilon. - Tu es morte.

Un chapitre de plus… Wouhou !
Ouais, non… rien de spécial à dire aujourd'hui. Commentez si ça vous plaît et/ou si vous trouver que des améliorations pourraient se faire. Comme d'hab' quoi :)
Que Talos vous guide, chers amis.