CHAPITRE 3 : CROISER LA TEMPETE

Adamaï, Coqueline, Ush

Même avec toutes les teintes existantes, il était difficile de maquiller la puissance de la félicité qu'éprouvait Adamaï lorsqu'il assimilait l'île luxuriante de végétation tachant l'horizon. Depuis plusieurs jours, le paysage était comme délimité par une masse difforme aux rebords floutés par les nuages en haut et par le spectacle incessant des vagues en bas.

Durant cette traversée, il avait pu assister en tant qu'acteur secondaire à toutes les situations lui servant à présent d'arguments à son dégoût pour la navigation maritime. Tout d'abord, il y avait eu un soulèvement, du moins un début, piqué par des plaintes et des murmures trop bruyants, menés au silence par la capitaine qui avait tronqué toute son image de novice insouciante contre un chef toujours sur le qui-vive, l'oreille avertie et prévenante. Adamaï prit note de la rapidité avec laquelle la mutinerie allait se déclencher, la comparant avec les secondes suffisantes pour l'étouffer. Le capitaine Ecaflip avait souri, sardonique, comme quoi tout feu méritait d'être éteint et de la même et seule manière efficace en coupant leur oxygène.

« L'oxygène est pourtant quelque chose de vital, comment êtes-vous sûre de faire le bien ?

- Vital, mais inflammable. Je fais ce qui me semble correct pour la sécurité de tous, rien ne justifie une destruction – pas sur mon navire en tout cas, répondit-elle vigoureusement, puis reprit : pourquoi ? Vous avez déjà été privé d'air ?

- Oh, vous savez capitaine, il ne faut pas chercher à comprendre, commença à expliquer Coqueline, Adamaï est spécialisé dans la combustion spontanée… »

Et c'est reparti.

« Ouais, il a tendance à s'enflammer, continua Ush en pouffant.

- C'est ça, faites vos vannes sur les dragons une bonne fois pour toute qu'on s'en débarrasse pour le reste du voyage.

- Dis pas ça, tu vas mettre le feu aux poudres !

- C'est qu'il aime bien jouer avec...

- Vous avez l'air fins, bravo. »

Ils éprouvèrent ensuite un calme maritime - où Adamaï se faisait violence pour s'occuper l'esprit, tandis que le vent, immobile, se décidait à prendre racine. Les marins – composés principalement de Roublard fripons et de grands gaillards sadida – se devaient de grimper dans la mâture pour ferler les cacatois et les perroquets. Ils rentrèrent la grande voile, amenèrent le clinfoc et lovèrent toutes sortes de manœuvres et ce pendant deux jours, jusqu'à ce que le ciel, ayant fini de contempler les conséquences de son courroux, changea d'aspect et déploya son voile sombre, planant et ondulant au-dessus de leur tête. La pluie tomba par torrents sous les hurlements des cieux. Les matelots prirent des doubles ris aux huniers tandis que le quartier-maître hurla de lâcher les petites voiles, qui reprirent leur forme majestueuse. Le bâtiment peinait à tenir le cap tandis que des vents violents poussaient les vagues de tous les points du compas.

Déjà nerveux par la lenteur de ce moyen de transport – trop habitué à un rythme de vie trépidant – ces détours inutiles causés par la tempête ravagèrent le seuil de sa patience.

« Bon sang Ush, on aurait dû y aller autrement. Je déteste la mer.

- Tu exagères, franchement, c'était compliqué de trouver des places.

- On est ralenti d'une semaine en plein milieu de nulle part, excuse-moi de ne pas te sortir les cotillons ou les confettis.

- Ah, moi qui pensais que vous seriez ravis, fêteriez mon talent, érigeriez une statue à mon effigie avant de fuir avec moi pour élever des cochons de lait à côté de la foire du Troll…

- C'est vrai que ça aurait été plus rapide autrement… marmonna l'osamodas qui n'arrivait pas à dormir sous un sol qui la ballotait dans tous les sens.

- On se serait surtout pris un éclair, protesta l'écaflip, nous serions morts tragiquement et on serait passé en rated M.

- Non, car on serait arrivé avant la tempête.

- Tu sais quand on se serait pris la tempête ? En attendant dehors un plan pour infiltrer le palais sadida. Là, on vient livrer la cargaison, on prend les dofus, les cadeaux pour Black Bump et on s'en va ni vu ni connu.

- Hein ? hallucina le dragon. Black Bump t'a demandé de ramener des culottes ? Dans un moment pareil ?

- Il a toujours eu le sens des priorités… commenta calmement Coqueline.

- T'es sûr qu'il fait que les exposer ?

- J'sais pas et j'veux pas savoir. »

Instant de flottement.

« Je déteste la mer.

- Tu l'as déjà dit.

- Et toi aussi, avec tes idées débiles.

- Ça aussi, tu l'as déjà dit.

- Et bien laisse-moi t'apprendre une dernière chose-

- Etonne-moi.

- Je suis un dragon.

- Et… je suis déçu !

- Et un dragon, ça a des ailes. On aurait pu voler !

- J'ai entendu dire qu'un nabot se promenait partout dans le royaume des douze en demandant qui a vu son frère dragon. »

Ush marqua une pause, sachant qu'il devait se taire, mais il reprit tout de même.

« Tu devrais peut-être aller le voir.

- Qui ?

- Yugo.

- Non.

- Il te cherche.

- Je sais.

- Il te cherche, répéta le demi-dieu.

- Et j'ai des ailes.

- Par Ecaflip… ! Tôt ou tard, il faudra bien ''collaborer'' avec lui !

- Tu sais ce que j'en pense, Echo sait ce que j'en pense, Oropo aussi… tout le monde, en fait, protesta Adamaï d'un air las. »

Il marqua une pause, jaugeant les sourcils frémis de son compère, puis reprit :

« Quand il aura ma taille, je songerai peut-être à lui reparler.

- T'es pas pressé, ricana joyeusement Ush. Il fait la taille d'un cupcake.

- Eh ! Qu'est-ce que vous avez contre les petits ? gronda Coqueline, du haut – façon de parler - de son un mètre vingt. »

Adamaï lui sourit et ébouriffa ses cheveux, dérangeant son masque.

« Rien, surtout si c'est toi, 'tite fille.

- Rhooo, mais vous allez arrêter ! Je ne suis PAS UNE GAMINE !

- Regarde Ad, elle essaye de nous faire peur.

- J'ai l'impression de me faire gronder par une tartelette, c'est trop mignon.

- Grmlm… 'uis pas 'ignonne.

- Terre en vue ! »

Le cri, lancé par la vigie, raviva le trio qui rappliqua sur le pont dévoilé par la clarté de la lune. La pluie battait toujours et forçait les voiles, faisant craquer la misaine, mais cela n'empêcha pas aux demi-dieux de distinguer l'ombre de leur destination, enveloppée au loin dans la brume.

Amalia

Le vent balaya une pluie qui heurta chaque parcelle du royaume sadida, frappant le sol de manière pulsatile, le transformant en margouillis. Le rythme effréné trancha avec l'atonie des sujets, amorphes et vidés de toute énergie, prisonniers de leurs émois. La nouvelle avait à présent atteint toutes les oreilles le roi était souffrant et le royaume n'était plus l'ombre de ce qu'il n'était. Brillant sous un soleil d'été, il était à présent caché par un voile d'automne sans fin, comme si le ciel pleurait d'avance une perte imminente.

Le silence qui régnait au château du roi Sadida avait un arrière-goût de calme avant la tempête, comme s'il servait de barrage et arrivait à créer un semblant d'équilibre, illusoire et instable. Aurora se massa le pouce d'un air absent, avant de se lever, déclarant qu'elle avait besoin de se coiffer, sans doute juste pour s'occuper. Elle supportait de moins en moins cet air malsain rempli de tension où stagnaient des accusations muettes et des rancunes inaudibles. La voix d'Amalia était, quant à elle, contractée par son diaphragme. Une douleur sourde lui torturait les entrailles. Les yeux rivés tantôt vers le sol, tantôt vers son frère, elle pouvait suivre l'évolution de ses réactions et assister à son sang qui grimpait jusqu'à ses joues.

Son frère s'était attaché à la lecture d'un compte-rendu qui vraisemblablement, ne lui plaisait guère. Les jointures de ses doigts devinrent si blanches que le tofu chargé de livré le message avait pris la peine de s'écarter du prince, malgré son épuisement. Il maudissait son sort ainsi que le ciel, lui jetant une ribambelle de fulminations en tout genre.

Armand détourna les yeux du rapport qu'il tenait entre les mains, avec fureur, puis recentra son regard, obstiné, pour poursuivre une deuxième lecture. Il s'attendait, avec un espoir naïf, que les mots aient changé de place, se soient dénaturés en d'autres, annonçassent de meilleurs horizons et chassassent le mauvais temps. Finalement, il se leva, traversa la salle avec de grandes enjambées, frappa le sol avec son pied, puis s'exclama d'une voix désordonnée et animée :

« Plusieurs navires ont été retardés par la tempête, surtout ceux provenant du nord.

- Ça, on le savait déjà, ça fait cinq jours qu'ils sont censés avoir accosté… souffla faiblement Amalia d'un ton maussade.

- Trois cargaisons ont fait naufrage. On n'aura pas toute la marchandise. Ils amarreront demain ou au mieux ce soir. »

Sa phrase aspira toute la chaleur de la salle. Amalia avait soudainement froid et tentait à présent de combattre une céphalée qui la comprimait jusqu'à la nausée.

« Père ne peut pas se passer de ses médicaments, arriva-t-elle à articuler.

- Je sais, Amalia, je sais, siffla son frère, exténué. Et que dire du peuple ? La situation est assez critique sans qu'on se risque à une révolte due à la famine… Mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? »

La princesse se raidit et se lança dans un duel visuel frigorifiant avec son aîné. Elle éprouva, par anticipation, une colère muette et des angoisses réelles. Pour peindre leur relation conflictuelle, il fallait s'imaginer deux membres d'une fratrie s'apprêtant, impuissants, à devenir orphelins, se querellant à propos de la question du pouvoir – il y avait une réelle différence entre s'y préparer et y être confronté, mais aussi du favoritisme. Il fallait l'admettre, le roi avait toujours vu en Amalia une future reine juste et dévouée. Depuis toujours, elle surpassait son aîné en stratégie guerrière et ne puisait aucun effort au fait de sacrifier son bonheur pour celui de son peuple. Armand ne l'avait jamais digéré, quand bien même il tenait à sa petite sœur.

« Pour commencer, présenta-t-elle d'un ton froid, renégocier avec les Eniripsa. Prévoir un convoi exceptionnel au niveau des frontières, mettre à jour les instructions concernant les marées hautes, commencer une planification pour optimiser nos surfaces agricoles, abandonner cette année la récolte céréalière trop mauvaise au profit des vivaces… »

Elle continua l'énumération, implacable.

Oui, Armand aimait sa sœur. Cependant, l'amour était étroitement lié à la haine. Il jalousait les traitements de faveur que lui accordait son père, il se maudissait de ne pas être celui ayant découvert les plans de Nox, il enviait son sang-froid, son sens stratégique et sa proximité avec le peuple.

Amalia était une princesse délicate, qui ne mettait pas de barrière à son irritabilité, mais quand il s'agissait de son royaume, elle restait toujours debout, solide.

« Comme tu sembles à l'aise avec ce programme, tu devrais t'y tâcher, décréta-t-il, acide.

- Pendant que tu choisiras la nouvelle couleur du tapis dans la salle du trône ?

- Ce n'est pas parce que tu méprises ma vision pour notre royaume que tu peux te permettre d'être aussi condescendante.

- Ta vision d'avenir ? Basée sur les importations ? Perdre tous nos savoir-faire ? Nous, sadida, avons toujours été proches de la nature, nous étions souverains, autonomes…

- Nous n'avons plus assez de terres, la coupa-t-il, véhément, la moitié a été ravagée par Ogrest !

- Ravagée, se moqua-t-elle, oui, inondée, c'est tragique, mais on peut les exploiter. Un barrage, de l'aquaculture, j'en passe, on s'adapte, c'est la nature ! Et c'est toujours mieux que de dépendre des autres royaumes…

- Ton fantasme irréalisable de retrouver un retour à la nature, enterré depuis plusieurs années maintenant par la nouvelle génération. Toi, enfermée dans ton château avec tes parfums et tes bijoux, ne te demandes-tu pas si le peuple aimerait autre chose ? Dehors, ils demandent à s'élever, tu leur promets de rester à travailler la terre toute leur vie ? On offrirait d'autres services, ce n'est pas de la dépendance, mais un échange, une alliance ! rugea-t-il en pointant du doigt sa bague d'engagement. »

Et recommença l'éternel cycle. Deux visions, issues de deux vies donnant deux avenirs. Alors les deux implacables puissances que rien n'émouvaient – sinon l'amer rappel de leur père – bouillonnaient et leurs passions démesurées s'entrechoquaient, l'un un redoutable tsunami, l'autre un roc massif inamovible.

Tandis que le monde tourbillonnait et changeait de réplique en réplique, ils ne firent pas tout de suite attention à un domestique venant annoncer l'arrivée imminente d'invités. Ils reprirent leur indifférence coutumière, façade craquelée de fondations légères.

« J'ai rendez-vous avec les membres du Parlement, cet après-midi.

- Et c'est parfait que ce soit toi qui t'y rendes.

- Je me suis préparé toute ma vie, mais toi, Amalia, quand apprendras-tu à te comporter comme une reine ? »

La princesse garda un silence très parlant. Un froncement de sourcil commença à barrer son visage, une tension croissante s'activa dans l'air quand deux éclairs bleus frôlèrent le plancher, le premier avec une précision fluide et maîtrisée, tandis que le deuxième, maladroit, fut si près du sol que le malheureux utilisateur s'y écrasa avec un gémissement douloureux. Rapidement, ils purent distinguer deux portails lumineux, formés de deux rosaces trouées en leur centre, pareils à des astres baignés d'une lumière bleutée céleste. Quand ils disparurent, quatre silhouettes connues se distinguèrent, dont deux vautrées douloureusement.

« Je déteste ces portails… grogna Ruel, l'air pâteux.

- Bobo… geignit le petit Chibi, face contre terre.

- Yugo ! s'exclama joyeusement Amalia.

- Amalia ! »

La princesse eut à peine le temps de se décoller du mur qu'elle reçut un Eliatrope dans ses bras, qu'elle enlaça avec une excitation non dissimulée. Son cœur s'était comme gonflé d'un air nouveau, ses jambes chancelaient tellement elle avait du mal à se contenir. Métamorphosé comme par renaissance, Yugo ne fit aucun effort pour réprimer son sourire grandissant, magnétique.

L'air qui était si lourd il y a quelque instant, se transforma en une brise zéphyrienne.

« Yugo l'Eliatrope, salua le prince Armand avec dédain, qui zap comme bon lui semble, même dans le palais royal…

- Ça va Chibi ? s'assura le dragonnet, ignorant royalement l'homme sadida.

- Ouiiin, non !

- … qui n'est d'ailleurs pas une garderie.

- Armand… commença à siffler Amalia. »

Yugo s'apprêta à calmer le jeu et se confondre en excuses – quoiqu'Amalia l'enlaçait toujours assez fermement - lorsque les portes s'ouvrirent sur une femme, attirée par le raffut. Elle était vêtue d'une longue robe rouge dévoilant ses immenses longues jambes, des cheveux platine épousaient la courbure de son dos à la peau sombre, turquoise. Elle balaya le tableau de ses yeux rehaussés de cils épais et volumineux, jaugeant son fiancé abhorrer le nouvel arrivant, qu'elle reconnut aussitôt.

« Roi Yugo ! »

Armand tiqua, contrit. Il oubliait toujours ce petit détail.

« Quel honneur avons-nous de vous recevoir ? demanda-t-elle d'une voix enjouée, assez forte pour cacher le « il n'a ni royaume, ni sujets… » de son prince. »

Le concerné regarda la noble à la voix un peu haut perché, sans comprendre, cherchant à mettre un nom et une circonstance au visage de sa sauveuse. Lorsqu'il tilta, il se détacha – enfin – de son amie pour s'incliner légèrement, poing au cœur, genou à terre. Les trois compagnons se contentèrent d'une simple révérence, un peu gauche.

« Je vous demande pardon pour cette interruption, prince Armand, s'excusa-t-il d'une voix quelque peu cassée avant de relever la tête, et c'est un plaisir de vous voir, Dame Aurora.

- Tu n'as pas à te montrer si formel, Yugo, rassura Amalia d'une voix douce, tu as sauvé le royaume plusieurs fois, tu sais très bien que le royaume Sadida considère respectueusement les Eliatropes, n'est-ce pas, Armand ?

- Hum. »

Un sourire étira les lèvres parfaites de l'osamodas, une mimique commerciale dont elle seule avait le secret. Elle ignorait ce qui anima tant la condescendance de son promis, mais si ses parents lui avaient inculqué quoique ce soit, c'était bien le respect des personnages de haut rang.

« C'est divin, oui, divin, s'extasia-t-elle. Comptez-vous rester dîner ? Vous avez dû faire un voyage éprouvant avec cette tempête.

- Oh oui, regardez-moi ça, vous êtes tout trempés ! pépia la voix melliflue de Canar. »

Canar et Renat, qui s'étaient tenues en arrière jusqu'ici, s'approchèrent pour prendre soin des invités, en particulier les deux enfants qui se retrouvèrent choyés et cajolés, comme des bébés venus du ciel, sous une montagne de serviettes parce que « ils sont trop mignons ! ».

Après un voyage express au bord de la machinerie ronronnante – et archaïque d'après Otomai – de Ruel, la petite troupe avait pris un zaap comme prévu avec l'argent donné par Alibert, leur permettant d'éviter les ennuis causés par la tempête qui s'était déclarée aux quatre détroits de l'île. Les deux plus âgés, versatiles et abonnés aux complications de voyage, étaient cependant contraints de faire quelques haltes et s'adapter au rythme néophyte des cadets. Ils ne savaient pas si c'était dû à leur caractère fougueux ou à cause de leur insouciance juvénile, mais les jumeaux du dofus ébène ne pouvaient s'empêcher de causer des excursions improvisés à chaque nouvelle contrée, soit pour combattre l'envie d'aventure, soit pour acquérir la maîtrise de leurs pouvoirs. Ce n'était donc pas surprenant de les voir trempés jusqu'aux os, comme un nourrisson suite à son baptême.

« Yugo, je sais pourquoi tu es venu, rapporta Amalia, rejoins-moi dans mes appartements. Canar, Renat, veuillez préparer des chambres pour nos amis. »

Décontenancé, il avisa sa meilleure amie regagner sa chambre, ignorant bien ce qu'elle attendait de lui. Aurore s'était entichée de son prince et l'avait traîné jusqu'à la réunion qui était bel et bien prévue, tandis que les domestiques se chargèrent de mettre les invités à leurs aises et les convièrent à se rassasier dans la haute-cour. C'est à ce moment, après s'être assuré de la sécurité de ses jeunes frères, que Yugo se décida d'aller rejoindre la princesse.

Il arpenta le château comme s'il y avait passé sa jeunesse, traversa par enjambée de portails les couloirs voutés avec des solivages de bois de Belgamète et d'acajou, dont les courbures naissaient à partir de bouquets denses sempervirents. Il arrivait à se souvenir des différentes intersections marquées par de longues colonnes de chêne jaillissant du sol, qui étaient autrefois habillées d'ipomées vigoureuses et de jasmin étoilé. Ses oreilles s'abaissèrent d'elles-mêmes à cette pensée même les plantes étaient plongées dans un profond sommeil.

Au troisième étage, l'enfant-roi arriva devant le lieu de rendez-vous et laissa les gardes prévenir la princesse avant de pénétrer dans sa chambre. Amalia était assise sur les draps de soie soigneusement brodés, une pile de documents entre les mains et le regard absent. Puis c'est là qu'il comprit à quel point il avait manqué à ses côtés.

Il se rappelait avec précision d'une adolescente à la peau chocolat, contrastant avec ses cheveux d'un vert chatoyant, qui retombaient gracieusement avec de similis ondulations, couvrant un visage rond qui disparaissait derrière de grands yeux bruns émerveillés et remplis de chaleur, qu'il voyait comme douce et agréable, bien que parfois brûlante. La Amalia qu'il avait en face de lui était différente. Son visage s'était amincit, ses pommettes hautes et des cernes plus creusées – par les pleurs sans doute, elle avait opté pour une coiffure plus travaillée, plus mûre. Un voile terne retombait sur ses prunelles, pourtant si lumineuses quand elle le regardait. Son corps aussi, avait changé, n'importe qui pouvait l'accuser du paradoxe d''avoir des courbes réjouissantes tout en conservant une silhouette tonique, mis en valeur par son pantalon en toile clair.

Yugo déglutit douloureusement quand il se rendit aussi compte que malgré la distance, malgré ses efforts, malgré tous ses soucis… quelque chose n'avait toujours pas faibli.

Amalia sembla seulement se rendre compte de sa présence, ses iris s'adoucirent en rencontrant les siens.

« Ça te va bien, cette nouvelle tenue, s'entendit-il souffler, ne sachant pas comment lui remonter le moral.

- Tout me va, répondit-elle avec assurance en posant une main sur la place disponible à côté d'elle. »

L'Eliatrope observa son visage s'éclairer avec un sourire, s'installa à ses côtés et avisa la pile d'archives qu'elle tenait entre ses mains.

« Il y a eu des… complications ces derniers mois et je n'ai pas trouvé le temps de te les remettre…

- Oh… Les rapports de recherche…

- J'ai envoyé plusieurs équipes et demandé à plusieurs maîtres, mais… sa voix s'éteignit, elle ne savait pas comment expliquer le désintérêt et la lassitude croissants qu'éprouvaient les unités.

- Amalia, je ne suis pas venu pour ça.

- Pourquoi tu… ? »

Elle croisa son regard brun, remarqua qu'il était piqueté d'ambre, avec une lueur de compassion. Sa respiration se condensa dans l'air, puis elle sourit, distante. Mais on aurait plutôt dit qu'elle pleurait. Amalia se pencha et posa sa tête sur l'épaule de son héros. Il l'attira vers lui, posa sa main sur ses cheveux. Ce n'était pas la première fois qu'ils s'enlaçaient, mais cette fois-ci, c'était différent. Ça devait être l'instinct, tout leur semblait naturel, mais en même temps pas.

« Tu es toujours là quand il faut, dit-elle d'une voix douce.

- Oui… balbutia Yugo, incapable de choisir les bons mots. »

Amalia rit doucement, gentiment, d'une manière qui ne blessait pas.

« Oui… répéta-t-elle. »

Et ils restèrent comment ça.

Adamaï, Coqueline, Ush

Le débarquement avait pris beaucoup moins de temps que prévu. C'était comme si tous les ouvriers de l'île s'étaient mobilisés aux frontières, tous s'activaient vigoureusement, infatigables dans leur travail, malgré les gouttes qui tambourinaient la terre, maintenant devenue boueuse. Le royaume avait bien changé depuis la défaite d'Ogrest. De nombreux hectares de vastes forêts ont été submergés et seul un petit bout de terre, formant maintenant un îlot rocheux parsemé de végétation dense couronnée par l'arbre de vie, a réussi à subsister. Les contours formaient un cordon dunaire bordé d'une plage de galets, entrecoupée par de hautes falaises constituées de veines pegmatitiques, sous les eaux de la marée haute deux fois par jour, permettant la création de nombreux ports. De prairie majestueuse, le royaume était devenu une sorte d'immense montagne circulaire qui s'affaissait sous le château, fusionnant au niveau de sa baie avec la chevelure de Neptune, d'abord verdoyante puis turquoise.

Le trio atypique eut à peine le temps de saluer et remercier la capitaine qu'il se trouva emporté par le flux guidé par quelques lanternes, elles seules arrivaient à dompter la pénombre. Ils tentèrent d'esquiver les flaques d'eau tavelées de taches noirâtres huileuses, frémissant sous leurs pas eux-mêmes étouffés par le guano.

Grâce à la masse, ils arrivèrent sans trop de mal à s'intégrer sans se faire trahir. Coqueline était restée telle quelle, une osamodas donc, bien qu'habillée pour l'évènement, accompagnée de deux familiers, des chacha précisément, un noir aux yeux jaunes et un blanc parsemé de marques phosphorescentes correspondant respectivement à Ush et Adamaï. Ce dernier voulait représenter une capture plus légendaire, mais l'immortel avait perdu son pari lors d'une partie simple de poker – dont il soupçonnait la tricherie. Jusqu'à la dernière minute, il avait tenté de prendre sa revanche, mais se faisait à chaque fois remballer par un « Fais pas ta sucrée » ou encore par l'horripilant « mais tu seras adorable en Chacha ! »

Ils traversèrent plusieurs enceintes et passèrent sous des auvents, découvrant à chaque fois un nouveau paysage, où s'élevait petit à petit le château, impressionnant vu du dessous. La marche était laborieuse, faute à la pente si aiguë que Coqueline arrivait aux genoux de son prochain et à la même hauteur que son voisin de derrière. Le parfum floral de leur cargaison – plusieurs variétés de plantes encombrées sous un paquet de matériel enveloppé et stérilisé en tout genre - permettait d'oublier celui des eaux fétides.

« Eh, l'osamodas ! »

Coqueline se figea et tourna le regard vers le sadida qui lui saisissait fermement l'épaule. Un grand gaillard chargé de toute une série d'instruments bizarres en bois sculpté. Sa voix était rude, sa musculature développée quoique tordue, mais il ne semblait pas menaçant.

« T'es nouvelle, non ? »

L'osamoda acquiesça.

« Ouais, ça se voyait à ta démarche, tu sembles pas savoir où aller avec tes chachas. »

Il s'approcha pour fouiller dans la cargaison, d'ici, elle pouvait sentir son haleine fétide.

« Ah, c'est plus ce que c'était, ils savent plus quoi engager ! Une gamine…

- Je ne suis p… »

Ush et Adamaï, qui étaient suspendus à chacune de ses épaules, plantèrent doucement leurs griffes. L'homme rigola bruyamment avant de lui flanquer une grande claque sur le dos.

« J'sais pas quelles sont tes indications, mais je m'en fiche. Tu vas me suivre, je sais où tu dois livrer ces plantes. Je suis Rachid Daursal, je m'occupe de l'équipe officinale et de la gestion des matières premières – tiens, prends cette brouette, tu vas t'écraser le dos sans ça, Rachid pointa du doigt une baraque près de l'aile gauche du château. D'abord faudra passer à la vérification puis à l'enregistrement, avant il n'y avait pas tout ça au château, le coin est nouveau – t'es sûre que ça va aller, t'vas pas remettre les bestiaux dans ton gobgob ?

- Oui, oui, je maîtrise. Mais euh… pourquoi il y a autant de livraisons ? »

Elle le suivit jusqu'à une salle animée d'un gigantesque chantier, où plusieurs sacs étaient entreposés, vidés et sélectionnés avec soin, sur des tréteaux et des planches, par un mélange assez homogène de sadida et d'eniripsa, quelques fois d'osamodas. Le sol était jonché de copeaux de bois, de feuilles séchées et de pétales écrasés, qu'ils entendirent craqueler sous leurs pas. Une odeur d'armoise submergea l'immense espace de plusieurs pieds de long, soutenu par des colonnes récentes gravées avec empressement, prenant fin sur un plafond constitué de bois de bambou noué les uns contre les autres.

Le visage grave, le sadida qui leur servait de guide répondit, le regard fixe :

« Notre bon roi est malade…

- Oh… J'ignorais que c'était à ce point.

- Tu le sais peut-être pas à ton jeune âge, mais un sadida, ça peut vivre très longtemps, actif comme un chêne. Seulement, s'il est malade, il ne tiendra pas plus qu'un pauvre olivier. Les Eniripsa sont curieux de notre métabolisme différent, ces deux classes collaborent souvent ensemble, il est temps de mettre toute leur théorie en pratique maintenant. »

Ush remarqua le regard absent d'Adamaï, il fit une patte de velours à Coqueline qui comprit le message.

« Qu'en est-il de la princesse et du prince ? »

Certains spectateurs se retournèrent. La demi-déesse gonfla ses joues malgré elle.

« Ola, la nouvelle ! s'esclaffa le gérant, tu sais te faire remarquer !

- J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

- On est dans un royaume, fillette, quand notre bon roi est malade, il y a une question d'héritage. »

Elle commença à comprendre : il devait y avoir des désaccords quant au meilleur parti qui recevra la couronne.

« Je laisse la politique aux savants, moi, j'ai un remède à faire naître. Allez, bouge-toi, va là, dans la cale, tes frères t'aideront pour le rangement, tu r'viendras me voir quand t'auras fini, je te montrerai comment on manipule une émulsion.

- Bien monsieur ! »

Une fois à l'abri des regards dans la cale, Coqueline s'abaissa pour faire redescendre ses frères.

« Bon… on fait quoi maintenant ? »

Pour toute réponse, Adamaï, l'air confiant, reprit sa forme naturelle et créa une ouverture au niveau des murs végétaux avec un rayon de feu maîtrisé.

« Nous ? On va chercher les dofus. »

Les lèvres de Coqueline s'étirèrent jusqu'à ses oreilles.

Pendant ce temps, du côté Percedal…

Ahem.

Oui, bon, euh. Je me suis laissée emportée.

Grossomodo, la fanfiction est toujours en cours, plus que jamais. Simplement, je n'écrivais que pendant les vacances (là où je peux me poser, lire des livres, être dans mon cocon littéraire et pas celui scientifique dénué d'imagination dans lequel j'exerce), et comme j'en ai subitement plus eu (job étudiant, études prenantes, breeeef)...

Plusieurs chapitres sont prêts dans mes fichiers et le plan est maintenant ancré dans le marbre. Pourquoi ne pas les avoir sortis ? Car le fameux plan changeait un peu tous les 3 mois. Un coup je voulais telle fin, puis huit semaines plus tard le développement ne me paraissait plus logique donc je faisais autrement… Puis je grandis, mes principes et mes opinions changent, ce que je trouvais être une bonne idée ne le devient plus, puis je change et rechange. Or pour changer une histoire en plein milieu, faut que je rectifie les chapitres précédents. D'où mon refus de les avoir mis en ligne. En plus j'ai plus de correctrice, bouhouhou. Breeef. Publier ce chapitre aujourd'hui plante le couteau dans le plat : c'est cuit, je ne changerai plus.

Je suis persuadée cette fois que c'est bon, que le déroulement est une bonne décision, même si je ne vous cache pas que ça n'aura plus grand-chose à voir avec la saison 3 publiée en 2017 (ce sera une histoire linéaire sans le délire de la tour, qui se prête bien à l'animation, mais pas à l'écrit), il y avait beaucouuuuuup trop de contradictions ou de zones d'ombres pour faire ce que je voulais.

Que dire d'autre ? Mes études ne sont pas finies (jE fInIS eN aOÛt !) je privilégie ma thèse avant de mettre en projet principal la finition de cet écrit... mais ça arrive. Ça arrive, mais je veux que ce soit bien, et donc que mon cerveau ne navigue pas entre la médecine et comment rendre Flopin mignon, m'voyez ? Si j'ai le courage de ''corriger'' les chapitres déjà écrits, j'en publierai au fur et à mesure, pour que vous ayez de quoi grignoter malgré ce rythme décadent.

Merci à tous ces gentils commentaires et MP d'encouragement malgré mon absence, ça a fait fondre mon petit coeur à chaque fois, réellement. J'espère pouvoir me faire pardonner et promis, cette fanfic sera écrite et finie. A bientôt. (: