Diist Sos ! Premier Sang

Par où commencer ? Quagmire s'étendait sans fin et Nahlaas pouvait se trouver dans n'importe quelle flaque de souvenir. Si Værmina ne l'avait pas déjà repéré. Siltafiir ne savait pas ce que le Seigneur des Cauchemars ferait à son ami si leurs routes se croisaient et d'ailleurs elle préférait ne jamais le découvrir. Le cœur battant, elle courut dans le labyrinthe, direction les limbes, craignant déjà le pire. Si Værmina l'avait capturé, elle découvrirait leurs plans, condamnerait encore l'accès à la part prisonnière de son âme, placerait peut-être celle-ci en un lieu totalement inatteignable. Puis elle leur ferait payer son affront.

Avant que Siltafiir ne trouve le temps de s'imaginer quelles tortures la Dame réservait à ceux qui tentaient de la doubler, un murmure lui caressa la nuque. Se retournant d'un bond, elle découvrit une silhouette informe, tirant sur les verts, qui avançait d'un pas irrégulier en marmonnant d'inintelligibles paroles. La jeune fille l'observa un moment, puis reprit sa route en se retournant tous les cinq pas.

Cette chose lui hérissait le poil. Si seulement Nahlaas l'accompagnait, il aurait pu lui dire ce que c'était. Croyant s'être débarrassée de la créature au profit d'un contour, elle couina de surprise quand trois autres se dressèrent sur le sentier. L'une fixait un portail sans un bruit, sans un geste, la seconde, floue au point d'en confondre les bras et les jambes, remuait au sol en échappant de lointains borborygmes et la dernière marchait droit sur Siltafiir en jetant des regards hasardeux. Celle-ci sauta sur le côté pour l'éviter, mais ne parvint qu'à attirer son attention.

Le bras violacé de l'étrange apparition s'éleva, traversa la tête et le torse de la Brétonne terrifiée, puis se rabaissa et la chose reprit son chemin sans plus s'attarder. Siltafiir, tremblante, l'observa s'éloigner et, dès que ses jambes cessèrent de flageoler, s'élança plus vite que jamais vers les mares de souvenirs. Avant de les atteindre, elle croisa presque une dizaine de ces êtres aux teintes et consistances variables. L'image d'Erandur lui revint alors en mémoire, son corps translucide un peu plus flou, plus absent à chacune de leurs rencontres, sa main spectrale qui se plantait dans son torse…

Alors c'étaient des âmes damnées, mais pourquoi les voyait-elle seulement maintenant ? Était-elle restée trop longtemps dans ce plan ? Sûrement. Elle devait se libérer, et vite, mais d'abord…

"Nahlaas." Geignit-elle à la lisière du labyrinthe.

Tentant d'ignorer les silhouettes qui erraient entre les flaques, elle marcha lentement en se tenant les bras, son regard fébrile détaillant le paysage. Des mouvements attiraient ses pupilles en permanence - une bulle explosant à la surface d'une mare, un damné qui s'agitait, un portail de rêve qui s'ouvrait dans le lointain - mais rien ne ressemblait à une tête cornue volante.

Le temps lui paraissait long. Tellement long. Après ce qui ressemblait à une éternité, elle se retourna pour évaluer son avancée, mais comme le château de Værmina, les abords des limbes semblaient la suivre, jamais trop loin, jamais trop près.

Sa motivation vacilla. Elle ne connaissait aucun moyen de traquer Nahlaas dans ce plan. Comment s'orienter quand les lois des rêves supplantaient celles de la logique ? Et pas question de libérer son âme; si elle se séparait définitivement de cet endroit, son ami n'aurait plus aucun moyen d'en sortir. Dans un soupir pitoyable, elle retira Krosis, s'ébouriffa les cheveux et s'assit lourdement. Elle hésita à se rouler en boule, juste là, mais un souvenir lui releva brusquement la tête. Nahlaas lui avait bien dit qu'il pouvait la sentir se réveiller, non ? Il lui suffisait d'attendre et il la retrouverait, rien de plus simple. Et si ça ne fonctionnait pas cette nuit, elle n'aurait qu'à retenter la fois suivante, et la suivante, et encore la suivante jusqu'à y arriver. Ne restait qu'à savoir combien de temps elle résisterait à Værmina.

Un plan désespéré, pour dire les choses poliment.

Tout ça parce qu'elle avait accepté un marché sans réfléchir, effrayée comme une gamine par des mauvais rêves. Si elle avait simplement ignoré Værmina lors de son séjour à Aubétoile… Erandur aurait tué Nahlaas. Mais si elle s'était contentée de retourner à la Gorge du Monde sans détour, jamais ils n'auraient été embusqués par ces vampires. Puis Evangeline aurait dû traverser le Labyrinthe et combattre Morokei sans son aide. Elle serait probablement morte.

Le front contre les genoux, elle échappa une plainte rauque et crispa ses doigts autour de Krosis. Elle pouvait imaginer tous les scénarios, se lamenter des heures durant, ça ne ramènerait pas son ami. Se perdre dans un souvenir lui ferait passer le temps, l'empêcherait peut-être de penser à sa situation, mais le cœur n'y était pas. À quoi bon… Elle courba encore plus le dos, ne voulant qu'oublier, disparaître.

Un sourire amer tordit ses lèvres. Abattre des dragons, se débarrasser de Mercer, vaincre un sorcier vieux de plusieurs millénaires… Seul un adulte responsable aurait dû se montrer capable d'accomplir de tels faits, alors pourquoi se sentait-elle envahie d'une impuissance infantile ? Peut-être parce que même le plus ancien des Altmers n'apparaissait comme rien de plus qu'un gosse aux yeux d'un daedra. Ou parce qu'elle était effectivement une gamine idiote. Après tout elle savait pertinemment que tuer quelqu'un ne requérait guère de maturité, juste de la chance et de bons réflexes.

Paupières closes, elle se remémora le jour où cette leçon s'était gravée dans son esprit. Le sang écarlate sur le corps inerte, le choc sourd quand il s'effondrait, les arbres tout autour qui le couvraient de leurs ombres, l'odeur piquante de la sève… Tout lui revenait avec une précision effrayante. Son nez frétilla sous l'assaut des senteurs terreuses, ses tympans vibrèrent quand le bruissement des feuilles les caressa, le vent moite de Haute-Roche s'infiltra dans les plis de son armure.

Elle releva brusquement la tête, huma l'air, tendit l'oreille… Ça n'était pas que sa mémoire. À quatre pattes, elle poursuivit ces sensations, hypnotisée - et peut-être un peu trop désireuse d'oublier sa brusque solitude. La flaque qui crachait ces relents familiers ne se trouvait qu'à quelques mètres et paraissait minuscule comparée à celles de Miraak et des dragons. Elle y plongea, guidée par une curiosité irrépressible vers la bulle mémorielle qui éveillait ses sens, pour finalement se tapir derrière un buisson.

Un regard au-dessus des feuilles révéla une paire de biches insouciantes. Sans un bruit, l'observateur leva son arc, arma une flèche, bloqua sa respiration, puis un craquement sonore lui déroba un sursaut et alerta les bêtes qui disparurent immédiatement entre les arbres. Crachant un juron, il se retourna vers la source du dérangement, la fusilla d'un regard sévère et Siltafiir peina à croire ce qu'elle voyait.

La coupable, son pied encore posé sur la branche brisée, le fixa sans rien dire, les joues pâles et les lèvres tremblantes. Bien que frustré par la fuite de leurs proies, il ne pouvait vraiment lui en vouloir; lui-même ne faisait pas toujours preuve d'une discrétion infaillible, surtout à ses débuts. Pour dire qu'elle ne pratiquait l'archerie que depuis quelques mois et accompagnait ses séances de chasse depuis moins longtemps encore, il s'était attendu à plus de maladresses, tout particulièrement venant d'une fille de bonne famille. Ajoutés à cela les mets ou babioles qu'elle dérobait chez elle en échange des leçons qu'il lui prodiguait - une bassesse qu'aucun bourgeois normal ne s'autoriserait - elle était vraiment un drôle d'animal.

"Pour la peine je te laisserai dépecer notre prochaine prise toute seule."

Il ricana devant la grimace dégoûtée d'Ursanne, ou Siltafiir puisqu'elle insistait pour qu'il l'appelle ainsi, et rangea sa flèche. Un coup d'œil entre les feuilles des arbres lui rappela que le crépuscule approchait, pas le temps de reprendre la traque. Heureusement que la chasse de la veille avait porté ses fruits ou son père lui aurait passé un savon - la présence de la gamine l'énervait assez sans besoin d'en rajouter. Déjà que le noble qui possédait ces terres les accusait de braconnage à la moindre occasion, si on les liait la disparition d'une petite bourgeoise… Une pensée pour les brioches qui l'attendaient dans un fourré effaça toute inquiétude. Il s'arrangeait toujours pour la garder loin des ours, des bandits et des soldats impériaux; tant qu'elle surveillait sa langue ils ne risquaient rien.

"Tu veux laisser ton arc à la cabane ?"

Elle acquiesça sans oser le regarder, triturant l'arc en question. Depuis la semaine précédente, elle refusait de le ramener chez elle, sûrement pour être plus discrète. Il ne pouvait que soutenir cette décision, même s'il se demandait ce qui avait bien pu la rendre soudainement si prudente.

Dans un haussement d'épaules, il rejoignit le sentier en se retournant de temps en temps pour s'assurer qu'elle suivait le rythme. À la moindre erreur, elle tentait de se faire oublier et donc marchait plus silencieusement qu'un chat. Plus silencieusement que lui. Une performance impressionnante, ne restait qu'à l'appliquer lorsqu'elle chassait. Il ricana encore, trop heureux de voir une gosse de riche perdre ses grands airs devant un prolétaire tel que lui. Encore une bonne raison de l'entraîner.

Des mouvements inhabituels mirent fin à ses réjouissances et il ordonna à Siltafiir de se cacher dans un buisson. Des voix près de chez lui. Des voix inconnues. Il approcha d'un pas lent, prudent, pupilles et narines dilatées, oreilles frémissantes, une flèche pointée sur l'origine des sons. Entre les branches, il repéra la porte de la maison, ouverte, et deux hommes en armures dépareillées, un Nordique et un Dunmer. Un frisson lui parcourut le dos. Des bandits. Il recula lentement, trop conscient du danger, mais révisa ses plans quand un Bréton passa l'encadrement, les bras chargés de fourrures et de viande.

"J'ai pas trouvé grand-chose, même pas un paysan à effrayer, se plaignit-il en présentant ses trouvailles aux deux autres, on n'en tirera que dalle.

- Gardons-les pour nous, on n'a jamais trop de bouffe et de vêtements."

Non, non, non, non ! Sans ce cuir, sans ces gigots, son père et lui n'auraient rien à vendre au marché, rien à manger ! Il ne pouvait pas les laisser s'en tirer comme ça !

Il sortit une flèche de son carquois et la pointa sur le plus proche des malfaiteurs. Sa visée habituellement stable ne cessait de trembler. Il fallait pourtant qu'il ne manque aucun de ses tirs. Trois d'affilée, pas d'erreur ou il risquait d'y passer, mais la flèche glissait déjà entre ses doigts moites. Une seule fois dans sa vie s'était-il attaqué à autre chose qu'un animal, quand d'autres bandits avaient tenté de les dépouiller son père et lui. Mais son père connaissait l'art du combat, il savait se défendre mieux que beaucoup de chasseurs. Hélas ! il pouvait se trouver n'importe où dans les bois, pas le temps de le retrouver. Pas le choix.

La corde se détendit brusquement, l'air siffla, la carrure large d'un des brigands s'effondra. Le tireur prépara un second trait sans attendre, malheureusement les deux survivants possédaient des réflexes de combattants aguerris. Le Dunmer dégaina son propre arc pendant que le Nordique chargeait, bouclier et hache levés. Un deuxième trait s'envola, mais la coque d'acier le dévia. Un troisième, un quatrième. La panique contrôlait les mouvements du garçon. Le cinquième perça finalement l'œil ennemi. À moins de trois pas. Trop lent, beaucoup trop lent, il devait abattre le dernier immédiatement ou… ou…

Mais l'archer qui aurait dû le tuer ne bougeait pas. Il fixait le vide, une main devant la gorge, la bouche entrouverte, un filet de sang au coin de ses lèvres noires. Il s'effondra finalement, une flèche dans le cou, pour révéler Siltafiir qui tenait encore son arc à bout de bras quelques mètres plus loin.

"C-Clendil… ?" Couina-t-elle sans bouger.

Sa voix encore plus aiguë qu'à l'accoutumée le reconnecta à la réalité et il se dirigea vers elle d'un pas instable. Son cœur tambourinait, son souffle tressautait, mais il échappa un rire bruyant, trop heureux de s'en être sorti sans heurts.

"Beau travail, la félicita-t-il, vraiment tu…

- Ça devrait pas être aussi simple."

Il l'observa, troublé, s'étant attendu à plus de joie après une telle démonstration.

"Qu'est-ce qui… ?

- Les gens devraient pas mourir aussi facilement, coupa-t-elle sans quitter les cadavres des yeux.

- Ces bandits ne méritent pas que tu te tracasses, grommela-t-il, ils n'hésitent pas à attaquer les innocents."

D'ailleurs, une adolescente comme elle, avec ses jolis cheveux blonds et ses traits un peu elfiques, ils ne se seraient pas contentés de la tuer, pensa-t-il dans un frisson dégoûté. Il connaissait ce genre de hors-la-loi, ceux qui prenaient tout même s'ils n'en voulaient pas vraiment, juste pour montrer qu'ils pouvaient.

"Ils ne valent pas mieux que des animaux et tu n'as pas de problème à tuer des biches, si ?"

Elle répliqua d'un hochement négatif, mais conserva son teint blême et ses lèvres tremblantes. Il soupira lourdement, puis se rappela sa première rencontre avec la mortalité des hommes et des mers. Maintenant qu'il y songeait, sa réaction n'avait pas été plus glorieuse que la sienne.

"Viens, on va se faire du thé, ça va te calmer les nerfs."

Il ramassa les fourrures et la viande puis, de son coude, poussa la jeune fille dans la cabane, se disant que les bois étaient plus dangereux qu'escompté. Peut-être devrait-il refuser de l'entraîner plus longtemps… Ou peut-être pas. Sa présence venait non-seulement de sauver ses produits de chasse, mais surtout sa vie. Il y réfléchirait quand son père l'aurait engueulé; il lui avait répété assez souvent de rester loin des brigands et de ne pas jouer les héros, avec raison, et quand il verrait les corps la sentence s'abattrait sur son crâne comme une massue. La porte claqua.

Siltafiir quitta la bulle de souvenir pour se laisser flotter jusqu'à la surface et se trouva agenouillée, le dos courbé, perdue dans ses souvenirs et ceux de Clendil. Quel changement tout de même; elle se reconnaissait à peine. Dire qu'il lui avait fallu des jours entiers pour se remettre de cette expérience, et maintenant elle abattait ses ennemis sans y penser. Elle y prenait du plaisir, réalisa-t-elle en repensant au Thalmor dans le Labyrinthe.

Si seulement Nahalaas était là, il lui dirait que c'était normal, que beaucoup de mortels s'amusaient de la souffrance d'autrui, qu'elle n'était pas si horrible. Il possédait le don de la rassurer alors même qu'elle se comportait comme une égoïste nourrie à l'orgueil, comme… comme… un dragon. Elle grogna. Prononcer le nom de Volsung juste pour énerver Morokei, pour lui faire payer son isolement inutile, torturer cet Altmer, même si ça n'avait duré qu'une poignée de secondes, se délecter de pouvoir les surpasser à l'aide de simples mots, voilà qui reflétait bien l'attitude des dov.

En quittant Haute-Roche elle espérait vivre dans les ombres, parmi des gens qui apprécieraient ses efforts sans essayer de la changer, qui respecteraient ses capacités, pas son titre. Et voilà qu'elle se transformait en une des créatures les plus fières, possessives, violentes de Mundus. Le pire dans tout cela ? Elle aimait ce pouvoir. Elle aimait que les habitants de Bordeciel la regardent avec peur ou admiration. Elle aimait les murmures et les remous que sa simple présence causait. Et elle se détestait pour cela. Quel genre de voleuse voulait être le centre de toutes les attentions ? Le genre qui manquait cruellement de professionnalisme.

Elle s'ébouriffa les cheveux, soupira, et dirigea à nouveau son attention sur les souvenirs de Clendil. Elle hésita à y replonger, découvrir à quoi sa vie ressemblait depuis qu'elle ne le distrayait plus avec ses caprices de fille de bonne famille. Un sourire s'invita entre ses joues. Il ne la trouvait pas si envahissante que ça, malgré son insistance de gamine, malgré les risques qu'il prenait en l'acceptant comme élève. Peut-être s'était-il pris d'amitié pour elle après ces sept années passées ensemble. Elle se pencha, frôla la surface, s'apprêta à plonger, quand quelqu'un saisit son épaule. Elle se retourna violemment et croisa un regard jaune où se reflétait la lueur d'un feu.

"À toi de monter la garde." Déclara Evangeline en s'écartant.

Siltafiir mit plusieurs secondes à comprendre où elle se trouvait, puis les crépitements du brasier et le toit de pierre le lui rappelèrent. Le petit dôme dans la cour du Labyrinthe, glacial comparé aux chambres des auberges, mais une protection bienvenue au milieu des intempéries nocturnes. Elle s'étira, bailla, ramassa son masque, puis s'approcha du feu, encore emballée dans ses fourrures et piteuse à l'idée de n'avoir pas retrouvé Nahlaas. Accroupie, elle fixa Krosis d'un œil absent, avant de retourner vers son sac et de s'emparer du masque de Morokei, collecté sur le cadavre du sorcier zombifié. Elle ajouta à cela un masque de bois trouvé ici-même, alors qu'elles installaient leur bivouac.

Les trois sortaient du même moule, arboraient les mêmes gravures géométriques, et seules les différenciaient la teinte bleutée de Morokei et celle brun-vert de Krosis. Celui fait de bois - sûrement du pin - s'habillait d'une aura chaude, orangée, et vibrait dès qu'on l'approchait des deux autres. Curieuse, elle l'enfila, mas rien ne se produisit. Elle reposa le trio, soupira, s'ébouriffa les cheveux.

Cette distraction vaine ne parvint pas à effacer Nahlaas de ses pensées. Échappait-il à Værmina ? Pour des raisons évidentes, elle en doutait, mais elle ne pouvait exactement retourner en Quagmire alors que le dernier tour de garde lui incombait. Non seulement sa vie, mais celle des magiciennes reposait sur ses épaules à cet instant. D'ailleurs, ce gémissement qui venait de résonner hors du dôme, était-ce le vent ou un ennemi potentiel ?

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Non, juste le vent, personne à l'horizon.

"C'était quoi ça ?"

Siltafiir se retourna, agita ses paupières, puis réalisa que la tache écarlate qui venait de couiner n'était autre qu'Evangeline.

"Un cri de détection, répondit-elle d'un souffle rauque, comme ta détection des vivants, mais en mieux. Le miens fonctionne aussi avec les morts et les automates dwemers."

L'aînée grommela, demeura immobile juste assez longtemps pour que l'effet du cri se dissipe, puis continua:

"J'ai lu les histoires qui parlent des Enfants de Dragon. Je n'arrive toujours pas à croire que tu sois l'une d'entre eux. Ça paraît tellement… énorme.

- Si tu le dis.

- Le plus incroyable c'est que tu n'es pas juste une Enfant de Dragon, tu es celle de la prophétie, plus importante encore que Tiber Septim et tous ses descendants.

- Où tu veux en venir ? siffla la Dovahkiin en s'agitant sous ses fourrures.

- Je ne sais pas trop… Là, sans ce masque, tu m'as juste l'air d'être Ur… d'être ma petite sœur. C'est comme… comme si c'était quelqu'un d'autre qui s'était battu contre Morokei et ce… Thalmor."

Elle avait prononcé ce dernier mot avec timidité, comme effrayée par la simple pensée de cet elfe mort. Siltafiir baissa les yeux sur Krosis. Oui, peut-être qu'elle se laissait aller quand elle l'enfilait, qu'elle se souciait moins de l'image reflétée par ses actions.

"Au moins ça ne t'a pas empêchée de dénicher quelqu'un, remarqua Evangeline d'un ton soudainement accusateur.

- Q-quoi ?

- Tu trouves vraiment les Nordiques intéressants ? renifla-t-elle en levant un sourcil.

- Celui-là, oui, se défendit la cadette en grognant, et qu'est-ce que ça peut te faire ?

- Tu sais qu'ils ne vivent jamais plus de quelques décennies ?

- Tu sais que je dois combattre le Dévoreur de mondes, le premier fils d'Akatosh, et que je serai la personne la plus chanceuse de Mundus si je survis jusqu'à l'année prochaine ?"

L'aînée blêmit et reprit plus délicatement:

"Tu pourrais te trouver quelqu'un de plus… approprié.

- Il est vraiment gentil.

- Gentil ? C'est ça ton critère ? Tu ne voudrais pas de quelqu'un qui a une bonne situation ? Quelqu'un de cultivé ?

- Ralof est quelqu'un de bien ! Il n'a peut-être pas notre éducation, mais il sait commander des troupes, se faire respecter et respecter ceux qui lui sont inférieurs. Contrairement à certaines.

- Ce-ce n'est pas… non, je respecte les… les…

- Les prolétaires ? Les paysans ? La plèbe ?

- Oh, ça va ! Où est le mal à vouloir quelqu'un du même niveau que soi ?

- Il est du même niveau que moi. Juste pas dans les mêmes domaines."

Elles se turent, chacune fixant un point opposé de l'abri. Siltafiir fulminait. Comment sa sœur osait-elle juger un homme aussi prévenant alors qu'elle ne le connaissait pas ! Mais après tout c'était ainsi que fonctionnaient les nobles et les bourgeois de Haute-Roche: créer des alliances avec les plus intelligents, les plus riches, les plus hauts placés et marcher sur les moins chanceux pour grimper l'échelle sociale. Dire qu'elle aurait sûrement partagé cette vision du monde si un ours n'avait pas manqué de lui arracher la tête, pensa-t-elle en grimaçant. Peut-être était-elle trop dure avec son aînée. Tout le monde ne pouvait pas avoir deux points de vue différents.

"Avant de rencontrer Clendil et Amren je pensais comme toi, murmura-t-elle en enfonçant sa tête entre ses épaules, ils m'ont fait voir les choses sous un autre angle. Sans eux nos parents m'auraient trouvé un bon parti à marier - avec la dot qu'ils ont prévue ça n'aurait pas pris longtemps - et je l'aurais accepté sans protester." Souffla-t-elle en observant le feu.

Un rire grinçant lui traversa les lèvres.

"Sans trop protester." Ajouta-t-elle en osant un regard dans la direction d'Evangeline.

Celle-ci ne quitta pas le mur des yeux, s'obstinant à garder le silence. La cadette renifla, agacée, avant de se recentrer sur le brasier. Qu'on ne vienne pas lui dire qu'elle n'avait pas essayé.

"Ils m'ont trouvé un fiancé." Déclara platement Evangeline.

Siltafiir releva la tête, étonnée par la froideur de cette révélation, et attendit silencieusement.

"C'est un noble, cousin du roi au treizième degré, la meilleure alliance qu'une famille sans titre puisse espérer."

Son dos s'arrondissait, ses doigts se crispaient.

"Mais… ?" Encouragea Siltafiir.

Evangeline se mordit la lèvre, remua nerveusement et jeta un regard qu'elle croyait furtif vers la silhouette endormie de Brelyna.

"Disons qu'il… il n'est pas… mon genre." Répondit-elle sans croiser le regard de sa cadette.

Siltafiir fronça les sourcils, pencha la tête dans un mouvement interrogatif et tenta de tirer un peu de logique de cet aveu. Sa sœur clamait si souvent que le statut valait bien ce genre de sacrifice, que son mari idéal devait posséder richesses, connaissances ou statut, et voilà qu'on lui en trouvait un qui remplissait au moins deux de ces critères. Alors pourquoi une telle déception ? Ses yeux dérivèrent sur la Dunmer et la lumière se fit dans son esprit.

"Oh ! Tu préfères les… Oh…"

Evangeline échappa un soupir épuisé et acquiesça en se tenant les bras.

"Contrairement à toi j'ai accepté sans rien dire. Prétendre que ce voyage en Bordeciel servirait à étoffer mes connaissances pour me rendre plus apte à servir la couronne… quelle blague. Juste un moyen de retarder l'inévitable."

Ses traits s'affaissèrent, elle passa une main sur ses paupières. Siltafiir ne la connaissait pas si pitoyable. Toujours elle lui avait parue capable de prendre le contrôle de toutes les situations ou de les subir avec dignité. La voir fuir ses responsabilités et le lui avouer aurait dû lui procurer un plaisir sans bornes, mais les circonstances de cette révélation lui donnaient plutôt envie de la serrer dans ses bras. Jamais elle ne le ferait, d'ailleurs la pulsion s'amenuisait déjà, mais tout de même. Sa réflexion trouva une fin abrupte quand Evangeline s'autorisa un rire discret.

"Fais pas cette tête, tu ressembles à un poisson."

Siltafiir, rougissant brusquement, ferma sa bouche béante et s'éclaircit la gorge, mais n'ajouta rien. Que pouvait-elle dire ? Que les choses s'arrangeraient ? Peu probable. On ne revenait pas sur une promesse faite à un noble sans répercussions, et malgré leurs différends elle ne souhaiterait jamais ce déshonneur à ses parents. Voilà pourquoi elle avait disparu avant qu'ils ne puissent la fiancer à qui que ce soit, contrairement à Evangeline.

Elle se demanda alors si son statut de légende vivante pourrait servir à aider sa sœur. Le nom de Dovahkiin possédait-il un pouvoir suffisant de l'autre côté de la frontière ? Elle en doutait, surtout alors que le Domaine Aldmeri contrôlait la majorité de Haute-Roche. À clamer que le sang de Talos coulait dans ses veines elle risquait surtout de faire exiler ou exécuter sa famille et de leur coller le titre d'hérétiques. Mieux valait ne pas s'en mêler.

"Tu devrais dormir, conseilla-t-elle, on a un long chemin à faire demain."

Evangeline répondit d'un murmure inintelligible et s'emballa dans ses couvertures.

À suivre…

En espérant que je ne vous ai pas trop fait attendre, voici un chapitre plutôt calme.

N'oubliez pas que les reviews sont hautement appréciées, qu'elles soient purement encourageantes ou qu'elles servent à pointer les défauts de l'histoire (je sais qu'il y a plein de défauts, nul besoin de me ménager), je les porte toutes dans mon cœur et je m'en sers pour avancer, pour m'améliorer et pour me convaincre que cette fanfic plait à quelqu'un d'autre qu'à moi.

J'espère que ça vous intéresse toujours, et que vous laissiez ou non un commentaire merci d'avoir lu jusqu'ici (je vois le nombre de visiteurs, je sais que vous êtes là bande de petits canailloux).