Le réveil sonnait sans discontinuer depuis une petite dizaine de minutes, mais Stiles commençait à peine à l'entendre. Le sommeil dans lequel son état l'avait plongé était si profond qu'il avait véritablement du mal à en sortir, comme si celui-ci tentait de le ramener à lui à chaque « bip bip » supplémentaire qu'hurlait son téléphone. Son alarme était programmée pout tous les jours, excepté le week-end. Durant ces deux jours, il s'autorisait à dormir un peu plus, voire à faire la grasse matinée, dont le concept seul lui plaisait plus que de raison.

Mais nous étions en semaine, et Stiles avait le malheur d'avoir cours. Alors lorsqu'il finit par ouvrir les yeux, ce fut à contrecœur. La conscience pas complètement réveillée, il se leva mollement « seulement » accablé de fatigue, comme s'il n'avait pas réellement dormi – or, sa nuit avait été complète et sans accroc. Les souvenirs de la veille n'avaient pas encore pointé le bout de leur nez, ainsi Stiles profita de quelques minutes fort légères, dans lesquelles il ne vit pas l'ombre d'une réflexion se former dans son esprit. Et pourtant, il était toujours sidéré – il ne s'en rendait simplement pas encore compte. Pour l'heure, il était trop occupé à prendre son petit-déjeuner pour songer à quoi que ce soit de concret qui pourrait avoir un quelconque rapport avec ce… Cette chose qui avait eu lieu. Il étalait son Nocciolata avec une précision toute relative sur sa tranche de pain et s'en mettait parfois sur le bout des doigts. Un lavage de mains et de bouche plus tard, le voilà en train de remonter pour préparer son sac avant de s'en aller. L'air de rien, il n'avait pas tant de temps que ça devant lui et s'il voulait arriver au lycée à l'heure, il fallait qu'il commence à se dépêcher. Et c'est ce qu'il fit en triant les cours de façon à ne prendre que ce dont il aurait besoin pour sa journée. Enfin, il descendit. Quelques petites minutes plus tard, le voilà qui démarrait sa Jeep d'un air absent. De façon générale, il ne pensait pas vraiment comme il avait l'habitude de le faire tant il restait… Vide. Protégé de ses propres émotions par cette espèce de sidération latente.

Mais elle n'était pas faite pour durer et ça, Stiles était sur le point de l'apprendre.

Dès qu'il arriva au lycée, un certain mal-être le gagna. Incapable de le définir ni même de savoir d'où il venait précisément, le jeune homme ne fit rien de plus que garer sa voiture et s'engouffrer dans la cour, qui commençait à se vider. Après un léger coup d'œil sur son téléphone portable, il constata qu'il ne lui restait que quelques minutes pour atteindre sa salle de cours. En somme, il n'était pas en retard. Alors pourquoi diable commençait-il à avoir mal au ventre et à sentir sa gorge se serrer ?

Parce qu'il percevait, sans même le savoir, la source de toutes ses préoccupations. Elle était au premier étage et amorçait sa descente vers le rez-de-chaussée.

Et alors qu'il marchait, le rythme de ses pas ralentit doucement, jusqu'à se stopper devant la double porte qui le ferait pénétrer à l'intérieur du bâtiment principal du lycée. En soi, les souvenirs lui étaient tous revenus il y a quelques minutes déjà, sans le percuter directement. Le rappel s'était fait… Avec toute la douceur que pouvait lui procurer cette espèce de distanciation émotionnelle, la même qui le protégeait provisoirement des conséquences des évènements de la veille. La même qui lui avait fait mettre son téléphone en mode avion… Quand, d'ailleurs ? Hier soir ? Ce matin ? Il ne s'en souvenait plus.

Un bruit plus que désagréable le fit revenir brutalement à la réalité. Stiles tourna instantanément la tête vers sa provenance : le diffuseur de son juste au-dessus de la grande double-porte. La sonnerie du lycée lui donna l'impression de lui déchirer les tympans tant elle lui paraissait forte, stridente. Pourtant, il ne l'entendait réellement pas mieux que d'ordinaire, mais chacun de ses sens lui semblait… Non pas surdéveloppé, mais trop sensible. En particulier l'ouïe. Stiles n'avait pas bien et… Savait que s'il pouvait éviter les cours pour ne pas avoir à subir ce genre de désagréments, il l'aurait fait. Tout inconscient qu'il puisse parfois être… Il n'empêche qu'il se connaissait et savait quels symptômes physiques pouvaient découler de son mal-être. Et l'agression qu'il avait subie, même si elle avait été plus ou moins empêchée… L'avait d'ores et déjà marqué au fer rouge.

Parce que Stiles réalisait qu'il avait demandé la morsure… Et que c'était un coup de griffes qu'il avait manqué de se prendre.

C'est le cœur battant que Stiles progressa dans les couloirs du lycée, allant là où ses pas avaient décidé de le mener. Ces pas-là suivaient sa raison, qui lui ordonnait ni plus ni moins d'aller en cours, de ne pas renoncer malgré les pensées qui émergeaient à la surface de son esprit. La gorge de Stiles s'assécha. Il n'avait pas seulement manqué de se faire lacérer par les griffes acérées de son meilleur ami. Il avait laissé éclater sa colère face au mépris et au manque de respect qu'il avait eu à subir de la part de Scott, et… Il était parti. La réunion n'avait même pas commencé qu'à cause de tout cela, il s'en était allé. Avait-elle finalement eu lieu ? Avait-on conversé et échangé comme si rien ne s'était passé ? Scott s'était-il calmé ? Et Isaac ? Isaac l'avait accompagné jusqu'à sa voiture, comme si… Stiles ne savait pas quoi dire de ce fait, ni même ce qu'il devait en penser. C'était tout aussi gros et invraisemblable que le reste. Ça n'a pas de sens, ça n'a pas de sens, se répéta-t-il en boucle, ça n'a pas de sens… Rien. L'emportement de Scott, son attaque à son encontre, l'espèce de garde rapprochée qu'avait semblé incarner Isaac tandis que Derek et Jackson s'étaient opposés à l'alpha… Et lui, Stiles, il… Se cogna contre quelque chose, qui était en fait quelqu'un, ce dont il se rendit compte uniquement une fois que la collision eut lieu. Il leva la tête, médusé, prêt à s'excuser… Et croisa le regard de Jackson, qu'il ne chercha pas le moins du monde à analyser. Dans sa tête, ce fut clair : Whittemore. Loup-garou. Griffes. Attaque.

- Pardon, souffla rapidement l'hyperactif.

Il devait absolument atteindre sa salle. A l'intérieur, il aurait beau être entouré de loups-garous, il serait tout de même… En sécurité. Car en public, devant une classe et un professeur, aucun d'entre eux n'oserait laisser apparaître autre chose que des ongles au bout de leurs doigts. Pourquoi Stiles pensait-il de cette façon alors que Jackson n'avait rien à voir avec Scott ? Parce qu'il était encore sous le choc, sidéré par la réalisation matinale. Il n'arrivait tout simplement pas à se faire à l'idée qu'une simple demande avait pu le mettre dans une telle merde… Au point que l'on veuille lui faire du mal. Et ces loups-garous, qu'il avait pourtant l'habitude de côtoyer chaque jour, devinrent rapidement pour lui une source de peur immense et inexplicable. Alors, il commença à partir d'un pas pressé.

Mais les doigts de Jackson s'enroulèrent autour de son avant-bras.

- Hé, attends, fit-il d'un ton que Stiles avait déjà connu plus assuré.

L'hyperactif secoua la tête et dégagea vivement son bras de l'étreinte de la main de Jackson. Il n'avait pas la moindre envie d'être là, pas la moindre envie de subir quelque agression que ce soit, pas la moindre envie de se confronter à la conséquence de l'un de ses actes de la veille. Il était parti loin, le Stiles qui avait tenu tête à Scott de la plus efficace des manières… Il avait d'ores et déjà disparu. Quoique la formulation était mauvaise. Ce Stiles-là existait toujours : le choc et la sidération l'avaient tout simplement endormi pour un moment.

Et Jackson, tout aussi perturbé par la veille que par ce jour, le laissa partir sans chercher à le retenir davantage.