Faas ! Peur
Quelles inconscientes. Pourquoi refusaient-elles de l'écouter ? Elles couraient à leur perte ! Bien sûr que ce chemin était plus rapide que le détour qu'elle leur proposait, mais s'il fallait crever juste pour gagner une heure ou deux à quoi bon choisir la voie classique ! Non, elles ne la convaincraient jamais, pas avec ces arguments-là, pas avec ce danger-là, pas avec cette horreur qui les attendait une vingtaine de mètres plus loin.
"Je ne comprends pas, tenta Brelyna en détaillant la silhouette tétanisée de Siltafiir, vous avez repoussé un dragon en lui parlant il y a quelques jours et là vous reculez à cause d'un ours ?
- On peut raisonner un dragon, les ours sont des bêtes sanguinaires ! crissa l'interrogée.
- Tu en as tué certains, non ? Ils sont bien plus puissants que des ours.
- Ils sont lents au sol et quand ils volent on peut facilement se mettre à couvert, alors que les ours sont rapides et assez petits pour me suivre dans une caverne !
- Mais vous maîtrisez la Voix.
- Je ne peux pas utiliser deux cris d'affilée, si je rate le premier, je meurs ! Ils peuvent nous arracher la tête d'un coup de patte ! Ce sont des monstres !"
Qu'avait donc sa sœur à lever les yeux au ciel ? Se foutait-elle de sa gueule ? Oh, elle n'avait pas intérêt !
"Si vous tenez tellement à vous faire étriper allez-y, mais ne venez pas vous plaindre ensuite !" les prévint-elle en crachant une bourrasque.
Hélas, son remue-ménage avait alerté l'animal qui poussa un grognement sonore. Siltafiir se figea. L'image de l'ours noir gigantesque qui avait bien failli dérober son œil lui obstrua la vue, ses oreilles se noyèrent dans le grondement bestial, ses jambes flanchèrent. D'un bond maladroit, elle se jeta derrière un rocher, s'accroupit, rabattit son capuchon devant son masque et pria Nocturne de la dissimuler, de la protéger du regard du monstre malgré le soleil de midi. Elle implora avec tant d'ardeur que le vacarme des sorts et des beuglements ne l'atteignit même pas, et seule la poigne d'Evangeline sur son épaule la ramena à la réalité.
"Il est mort, calme-toi." souffla l'aînée après lui avoir arraché un sursaut.
Elle s'étonna de sentir des tremblements si violents sous sa paume. Sa sœur craignait les ours, elle le savait bien, mais jamais elle n'aurait cru que sa terreur atteignait une telle ampleur. L'accident datait de presque dix ans.
Siltafiir jeta un regard au-dessus du rocher et constata qu'effectivement la carcasse de la bête, hérissée de stalactites, fumait pitoyablement sur le sentier. Les grognements vibraient encore contre ses tympans, mais le vent des plaines les effaçait peu à peu, aidé par l'odeur de fourrure et de chair brûlées et le contact de la terre meuble sous ses pieds. Plus d'ours, plus de danger, tout allait bien, elle respirait, vivait, possédait encore tous ses membres et ses organes.
"Comment tu fais quand tu voyages seule ? interrogea Evangeline en l'aidant à se relever.
- Je fais des détours." rétorqua-t-elle en avançant rapidement.
La magicienne soupira, puis reprit la marche. Le ton de sa cadette ne laissait aucune place au doute: elle ne s'étendrait pas sur le sujet. Heureusement pour le trio, elles ne rencontrèrent plus que des loups et des givrépeires jusqu'à Blancherive et Siltafiir effaça joyeusement cet événement honteux de sa mémoire.
Les deux soldats qui gardaient l'entrée de la ville l'assistèrent brillamment dans cette tâche lorsqu'ils attisèrent sa colère. Trop habitués à pouvoir insulter sans conséquences les voyageurs qui leur déplaisaient, ils ne prirent guère soin de baisser leurs voix quand les trois femmes approchèrent.
"Qu'est-ce que des mages fabriquent ici ? grogna le premier en serrant le pommeau de son épée.
- Une demi-elfe et une peau-grise en plus, surenchérit le second quand les concernées se tassèrent sur elles-mêmes, et c'est quoi ce masque ?"
Cette dernière remarque figea l'autre garde, qui tenta de prévenir son collègue en agitant les mains. Trop tard.
"Cédez le passage, ordonna Siltafiir, les poings sur les hanches, l'Enfant de Dragon souhaite entrer."
Elle ricana quand ils s'exécutèrent en bégayant de rapides excuses et laissa ses compagnes la dépasser. À la hauteur des mauvais parleurs, elle s'arrêta, se délecta de leurs frissons paniqués et déclara:
"Attention à ce que vous dites sur les elfes et les mages; il y a beaucoup de ces deux choses dans ma famille. Vous ne voulez pas insulter ma famille, n'est-ce pas ?"
Ils répondirent chacun d'un geste négatif; il était de notoriété publique que s'attirer les foudres du Dovahkiin résultait souvent en une punition assourdissante, les aubergistes de Markarth et Vendeaume en témoignaient aussi souvent que possible. Satisfaite, Siltafiir rattrapa les magiciennes, heureuse de produire un tel effet par sa simple présence, et les mena jusqu'à sa demeure. Devant l'entrée, elle déglutit pourtant quand ses doigts se fermèrent sur la poignée; sa huscarl ne se laisserait pas impressionner aussi aisément.
"Tu as vraiment ta propre maison, remarqua Evangeline
- Hein ? Ah, oui, c'est le jarl - enfin, l'ancien jarl - qui me l'a offerte quand j'ai tué mon premier dragon, répondit-elle en poussant le battant.
- Plutôt généreux.
- Apparemment il est indécent d'être thane sans posséder une demeure, mais je pense surtout que rencontrer une légende vivante l'a rendu déraisonnable, expliqua-t-elle en jetant son sac par terre, Lydia ?"
La Nordique, en train de déguster une soupe dans le fond de la pièce, se leva immédiatement et manqua de renverser son bol.
"Mon thane, salua-t-elle sans même tenter de dissimuler son agacement, vous avez pris votre temps.
- Oui, à ce propos…" marmonna l'accusée avant de lui exposer la situation.
À son grand soulagement, Lydia ne s'énerva pas, préférant hausser les épaules et dire qu'elle avait prévu ce genre de développement; rien ne se passait jamais comme planifié avec son thane. La huscarl s'en alla donc chercher son équipement pendant que les magiciennes soulageaient leurs jambes et que Siltafiir remplissait son sac de provisions. Denrées en poche, elle héla sa huscarl:
"Sors le Parchemin de ta chambre tant que t'y es. Autant se rendre directement à la Gorge du Monde quand on aura fini."
Lydia les rejoignit peu après vêtue de son armure et tendit le Parchemin à Siltafiir.
"Vous saviez qu'il était dans ma chambre ?
- Je peux le sentir. Tu sais, âme de dragon, liée au temps, tout ça."
La huscarl haussa les épaules et s'assit pour enfiler ses bottes. Remarquant l'air curieux des magiciennes, elle leur présenta l'artefact et s'amusa de leur incrédulité. Elles lui demandèrent plusieurs fois s'il s'agissait vraiment d'un Parchemin des Anciens, comme refusant de croire qu'un trésor d'une telle valeur puisse se trouver devant leurs yeux. Quelques questions et explications plus tard, leur curiosité satisfaite, Siltafiir se retourna vers la Nordique qui terminait d'ajuster sa ceinture.
"T'as pas eu trop de problèmes avec les sombrages ?" demanda-t-elle innocemment.
L'interrogée se figea, un voile terne lui couvrit le front, et son thane se tritura les doigts.
"J'ai dit quelque-chose de mal ? s'inquiéta-t-elle.
- Non, non… Je suis une Nordique, ils m'ont laissée tranquille, siffla Lydia en achevant de se vêtir, ne peux pas en dire autant pour Adrianne et Belethor, et je ne vous parle même pas du tenancier du Chasseur Ivre. Je ne sais pas comment son frère et lui font pour garder le sourire, ils ont perdu une bonne partie de leurs clients.
- Oh, c'est…
- Et vous n'avez pas vu comment ils ont traité Balgruuf, s'enflamma-t-elle, et la pauvre Irileth ! Et même mon père !
- Ton père ?
- Oui, mon père, Hrongar.
- Hrongar ? Alors tu… tu es la nièce de Balgruuf !"
Lydia leva un sourcil désabusé, puis acquiesça en grognant. En effet, elle ne le lui avait jamais dit. Peut-être espérait-elle garder ce secret; avouer qu'elle était devenue sa huscarl grâce aux liens de son sang plutôt que par son véritable talent lui hérissait le poil. Remarquant les magiciennes qui s'agitaient inconfortablement sur leurs chaises, elle indiqua la porte à son thane.
"Tu es certaine de vouloir nous accompagner ? questionna celle-ci. Je sais que la magie ce n'est pas ton point fort.
- N'imaginez pas vous débarrasser de moi si facilement cette fois, j'ai appris ma leçon." répliqua-t-elle en tentant de sourire malgré ce manque de confiance.
Le ricanement qui s'échappa de derrière le masque la rassura étrangement; elle n'aurait plus à passer d'interminables journées dans cette ville qu'elle reconnaissait à peine. Plus que le racisme latent, c'était la peur des traîtres qui agitait les sombrages. À l'exception des Grisetoison, personne n'échappait à cela, surtout pas elle, contrairement à ce qu'elle avait révélé à son thane. Tout Blancherive connaissait son héritage; si elle n'avait pas été au service de la seule et unique Enfant de Dragon, elle aurait suivi sa famille jusqu'à Solitude sans délai.
Brelyna sauta sur ses pieds, suivie par Evangeline qui montra moins d'entrain, et le quatuor quitta la demeure en direction des écuries.
xxx
Toutes ces âmes errantes la rendaient folle. Les silencieuses qui la suivaient d'un mouvement de leur tête informe, celles qui titubaient sans lui prêter d'attention - elle ne savait lesquelles la perturbaient le plus. D'ailleurs elle ne voulait pas perdre son temps à les comparer, retrouver Nahlaas occupait toutes ses pensées. À chaque détour du labyrinthe elle croyait reconnaître sa silhouette cornue, pour réaliser qu'il ne s'agissait que d'un damné ou des lumières d'un portail. Même la vue des mares mémorielles n'atténua guère ses hallucinations: tous les mouvements, tous les sons ressemblaient à son ami, à sa voix, à sa manière de virevolter. Quagmire jouait sans pitié avec ses sens, elle devait se le répéter encore et encore.
Elle ne pouvait chercher Nahlaas ainsi, sans la moindre piste, elle perdrait la raison en quelques nuits à peine et elle ne pouvait se le permettre, tout d'abord parce qu'elle désirait vivre de nombreuses années, mais surtout parce qu'un esprit brisé ne vaincrait pas Alduin. Ses yeux parcoururent distraitement les flaques, incapables d'en choisir une. Retrouver l'autre Enfant de Dragon serait une distraction bienvenue, tout comme explorer les souvenirs de Konahrik ou ceux de Paarthurnax. Ou peut-être qu'ils lui rappelleraient sa mission et ruineraient le peu de motivation qu'il lui restait.
Non, à ce moment précis, elle voulait un ami, quelqu'un qui pourrait la rassurer, lui faire oublier tous ses problèmes. Son esprit se tourna vers Ralof, lui arrachant un grognement étouffé. Malgré l'ardeur de ses arguments quand sa sœur avait critiqué cette relation, elle se posait de plus en plus de questions. Elle se moquait de leurs statuts, de leurs différentes éducations, et même l'idée qu'il vivrait moins d'un siècle ne la gênait pas vraiment. Le problème résidait ailleurs, dans ses aspirations et dans son sang.
Si Alduin ne la tuait pas, elle reprendrait ses activités de voleuse, un choix qui déplairait grandement au Nordique, et même s'il lui assurait vouloir demeurer à ses côtés après cet aveu, rien ne prouvait qu'il aimait autre chose que son titre de Dovahkiin. Maintenant qu'elle y songeait, peut-être la courtisait-il uniquement pour qu'elle rejoigne la rébellion. Elle fixa l'horizon d'un regard vide. Rien ne la convaincrait jamais de sa sincérité. À moins que…
Ses yeux sautèrent d'une flaque à l'autre tandis qu'une idée bourgeonnait; les mémoires de tous les habitants de Tamriel s'étalaient à ses pieds, autant en profiter. Elle abaissa ses paupières et pensa de toutes ses forces à sa barbe piquante, à sa voix légèrement rauque, à son parfum âcre qui vint rapidement lui chatouiller le nez. Suivant cette odeur, elle atteignit rapidement la flaque désirée, pour s'immobiliser.
Il ne pouvait pas éprouver quoi que ce soit de sincère pour elle, elle le savait, mais la crainte de le voir de ses yeux la paralysait. Pourtant il le fallait; entretenir cette relation si le sombrage prévoyait de se servir d'elle ne résulterait en rien de bon, et dans l'éventualité où il était vraiment honnête, elle profiterait enfin de ces moments d'évasion sans se laisser interrompre par d'invasives suspicions. Après une dernière bouffée d'air, elle sauta au milieu des bulles de souvenirs.
Certaines, dégageaient des sons violents, des cris, des parfums de fumée ou de sang, mais la plupart n'étaient emplies que de rires et d'instants paisibles. Une lumière rougeoyante attira son regard, et une voix inhumaine la foudroya dès qu'elle osa s'en approcher. La voix d'Alduin. Ce devait être Helgen, le jour de leur rencontre. Autant commencer quelque-part, pensa-t-elle en entrant dans le souvenir.
Ralof se précipitait vers une tour dans le but d'échapper aux incendies et aux rugissements du Dévoreur. Ayant atteint le centre du bâtiment, il se retourna pour voir si son alliée de fortune le suivait toujours et s'autorisa un soupir soulagé en la voyant claquer la porte de ses mains encore attachées.
"Nous devrions être en sécurité pour le moment, dit-il en s'appuyant sur ses genoux, viens par là, que je coupe ces liens. Siltafiir, c'est ça ?"
La Brétonne acquiesça, encore essoufflée, puis s'approcha d'une démarche tremblante. Il saisit délicatement son avant-bras, fronça les sourcils en voyant les hématomes infligés par les impériaux, puis trancha la corde avec sa dague. Ces légionnaires n'épargnaient aucun ami de la rébellion, pas même une fille aussi jeune. Du moins, elle paraissait jeune; les Brétons vieillissaient moins vite que les autres humains.
"Merci." souffla-t-elle en croisant son regard, un sourire hésitant mais reconnaissant étirant ses traits.
Ralof se perdit un instant dans ses iris, surpris par leur teinte dorée - une couleur rare dans les yeux des Nordiques - puis s'intéressa au reste de sa dégaine. Son air inquiet, ses membres tremblants, ses lèvres bleuies par le froid ne semblaient pas appartenir à la grande gueule qui avait partagé son chariot un peu plus tôt. Brave et insolente devant l'ennemi, mais baissant sa garde dès qu'elle se trouvait en sûreté. Un peu comme Gerdur, pensa-t-il dans un rire silencieux.
Observant les alentours, il s'assombrit brusquement; contre un mur, affalé, pâle, se trouvait Gunjar, l'un de ses camarades. La plaie béante de son ventre et les traces de sang qui rampaient jusqu'à lui depuis l'entrée ne laissaient que peu de doutes quant à son destin. S'accroupissant devant le corps, Ralof murmura:
"Nous nous reverrons en Sovngarde, mon frère…"
Il se releva et se tourna vers la jeune fille qui détaillait le mur de pierre d'un air gêné. Elle frottait ses bras, sûrement dans le but de se réchauffer, et grimaçait discrètement au contact des bleus qui les parsemaient. Ralof se mordit la lèvre, regrettant d'avance les mots qu'il allait prononcer, mais la situation ne laissait que peu d'options.
"Prends l'équipement de Gunjar, tu en auras plus besoin que lui.
- V-vraiment ? hésita-t-elle. Dépouiller les morts, ce n'est pas trop…
- Il comprendrait. Je sais que ce n'est pas l'idéal, mais…"
Elle le coupa d'un hochement de tête, puis se pencha sur le cadavre et entreprit de le déshabiller. Ralof se sentit tout de même rassuré par le froncement dégoûté de son nez. Contrairement aux dires de certains de ses compatriotes, les Brétons n'étaient pas que des demi-elfes sans restes d'humanité, et malgré ses oreilles légèrement pointues, celle-ci montrait un comportement plus respectable que beaucoup d'Impériaux, de Rougegardes… ou même que certains Nordiques.
Il monta la garde pendant qu'elle enfilait l'armure de cuir, priant Talos pour que personne ne les trouve maintenant.
"C'est fait, grommela-t-elle en bouclant la ceinture encore dégoulinante du sang de son précédent propriétaire.
- Bien, il ne nous reste plus qu'à sortir d'ici."
Siltafiir s'approcha d'un portail métallique pendant que Ralof inspectait une poterne barrée d'une grille de bois cloutée. Il grogna de frustration en découvrant que son mécanisme s'enclenchait depuis l'autre côté, et voulut s'arracher les cheveux quand la Brétonne lui rapporta que l'autre ne s'ouvrirait pas sans clef.
"Nous voilà dans de beaux draps, siffla-t-il en s'appuyant d'une main contre le mur.
- Peut-être que le dragon est parti ?" suggéra-t-elle en timidement.
Comme pour lui répondre, un hurlement monstrueux résonna à l'extérieur, arrachant un gémissement plaintif aux fondations du bâtiments.
"Je n'en ai pas l'impression." maugréa-t-il en se massant la tempe.
Elle recula, les yeux rivés sur le sol, triturant machinalement la tenue maculée qui, malgré son état déplorable, lui assurait une protection plus efficace contre le froid que sa bête toile de jute; la peau de son visage retrouvait déjà une jolie teinte dorée sous son trio de cicatrices. Ralof se surprit à questionner l'origine de ces blessures. Elles dataient de plusieurs années au vu de leur pâleur, mais les entailles avaient dû être profondes pour abandonner de telles traces. Il voulut lui demander ce qui l'avait ainsi marquée, mais des voix pressées surgirent du bout d'un couloir, juste derrière la grille de bois.
"Des impériaux, cracha Ralof en s'écartant violemment de la poterne, vite, prends la hache de Gunjar et cache-toi de ce côté."
Elle ne réagit pas tout de suite, apparemment confuse, puis secoua la tête et suivit ses directives. Serrant l'arme de ses deux mains tremblantes, elle se plaqua contre la roche et observa une immobilité totale, les yeux rivés sur le passage sombre d'où provenait la menace. Malgré ses jambes flageolantes, elle se tenait droite, prête à sauter sur l'ennemi comme un prédateur en chasse, ce qui déroba un sourire à Ralof. Encore une preuve que la réputation lâche des Brétons ne s'appliquait pas à cette fille-là.
"…n'y crois pas ! Un dragon ! Des siècles qu'ils avaient disparu, et voilà que ça nous tombe dessus, geignait l'un des légionnaires.
- Juste au moment où on allait avoir ce chien d'Ulfric, renchérit une voix féminine en jetant un voile de colère sur la face de Ralof.
- En tout cas, on a eu de la chance de lui échapper. Heureusement que cette caserne tient encore debout.
- Ouais, ouais. Donne-moi la torche, que je puisse trouver ce foutu levier."
Quelques grommellements et bruits de rouages plus tard, la grille s'éleva, et Ralof fléchit les genoux, paré à charger dès que les jupes rouges entreraient dans son champ de vision. Les grincements du mécanismes se turent, remplacés presque immédiatement par le claquement de bottes impériales. D'abord une torche se profila, suivie d'un bras ganté d'acier, puis d'une manche écarlate, puis de la femme vêtue d'une armure d'officier.
Ralof attaqua, poussant un cri bestial qui terrifia les deux militaires. Malheureusement, la gradée faisait honneur à son rang et elle esquiva l'assaut tout en dégainant. Cela ne découragea pas le sombrage qui trancha l'air de plus belle, tournant autour de son ennemie pour la déstabiliser. L'armure lourde limitait ses mouvements, mais elle la protégeait également, et l'épée ricochait sans la blesser. Il finirait par gagner, ses talents de duelliste en avaient abattu plus d'un, mais les secondes s'écoulaient; du coin de l'œil il voyait Siltafiir reculer jusqu'à se faire acculer contre un mur. Si elle n'avait tenté de les prévenir lors de l'embuscade, elle se serait trouvée loin d'ici, en sécurité. Il devait l'aider !
Redoublant d'ardeur, il parvint à planter sa lame entre deux plaques de métal, dans l'épaule de son ennemie, mais celle-ci répliqua, plus enragée qu'apeurée. Il para, recula sous la puissance de l'attaque, mais regagna son équilibre immédiatement et la repoussa de toutes ses forces. Quand la grimace douloureuse de l'officier lui indiqua une ouverture, il plongea en avant et lui trancha la gorge d'un geste vif.
Le corps n'avait même touché le sol qu'il s'en désintéressa pour s'attaquer au soldat restant, mais le sang quitta ses joues; Siltafiir, fesses à terre, venait de trébucher et l'impérial allait abattre son épée. Ralof sauta sur le légionnaire sans trop d'espoir, mais les réflexes peu conventionnels de la Brétonne lui offrirent le temps requis. Elle jeta sa hache au visage de l'assaillant qui dut interrompre son attaque. Une seconde plus tard, l'épée de Ralof traversa le cuir qui couvrait le dos du soldat.
Le calme revenu, il s'accroupit devant la Brétonne et, bien qu'heureux de la voir indemne, s'inquiéta de l'expression choquée qui étirait son visage.
"Pas l'habitude des combats, hein ? souffla-t-il.
- S-seulement à dis-distance." bégaya-t-elle, la respiration folle.
Ralof lui décocha un sourire désolé et l'aida à se relever, puis pendant qu'elle reprenait contact avec la réalité fouilla l'officier. Au bout de quelques secondes, il poussa un sifflement victorieux, une clef entre les doigts, et s'approcha de la porte grillagée. Quand les gonds grincèrent, il exécuta une rapide danse de la joie et se retourna vers Siltafiir en s'attendant à ce qu'elle partage ses réjouissances. Loin de là. Les yeux braqués sur le cadavre de celui qui avait bien failli la tuer, elle affichait toujours un air confus, comme si elle peinait à comprendre ce qui venait de se produire.
"Jamais vu de cadavre ?"
Elle sursauta à cette question, puis s'ébouriffa les cheveux sans oser croiser son regard.
"Si, quelques fois, marmonna-t-elle en approchant de la porte, mais jamais d'impériaux. On m'a toujours dit qu'ils étaient là pour nous protéger et… je sais pas…"
Elle soupira au lieu de terminer sa phrase, mais Ralof comprenait; jusqu'à la signature du traité d'Or-Blanc, lui aussi les considérait comme les défenseurs de Tamriel. Il lui secoua amicalement l'épaule alors qu'elle passait la porte, avant de s'apercevoir qu'elle avait oublié son arme. Elle se hâta de la ramasser dès qu'il le lui fit remarquer et le suivit de près quand il s'engagea dans les escaliers qui menaient aux profondeurs de la caserne.
Après un effondrement qui manqua de les écraser, ils croisèrent une seconde paire d'impériaux. Heureusement, ils leur tournaient le dos, et Ralof parvint à tuer le plus proche avant de se faire repérer. Le second ne dura pas plus longtemps, incapable de résister au duo après cette macabre surprise. Ralof essuya son épée et s'apprêta à continuer le chemin, mais Siltafiir s'accroupit devant l'un des corps. Il s'étonna de la voir se relever quelques secondes plus tard, armée d'un arc, de flèches et d'une lueur assurée dans les pupilles.
Ils avancèrent donc pour trouver un combat déjà engagé entre des survivants des deux camps. Ralof se laissa surprendre quand un des impériaux se défendit à coups d'éclairs, et avant qu'il ne puisse retrouver sa contenance, l'ennemi s'effondra, une flèche plantée à l'arrière du crâne. Le dernier impérial tomba rapidement sous les coups des trois autres sombrages. Ralof se tourna vers Siltafiir qui souriait en baissant son arc. Il ricana, impressionné par ce changement d'attitude radical et par la rapidité de son tir, puis s'avança vers ses confrères.
Il se réjouit de reconnaître Kjald, Stern et Sorlena, mais s'assombrit vite en ne voyant pas son jarl, et s'inquiéta plus encore lorsqu'aucun des sombrages ne put lui donner d'informations. Il inspira profondément et prit la tête des opérations. Même si perdre Ulfric représenterait le pire désastre possible pour la rébellion, s'abandonner à la panique maintenant ne servirait à rien; ils devaient sortir de ce donjon.
D'une voix autoritaire, il ordonna à tous de le suivre dans les souterrains. Ils rencontrèrent encore des impériaux, mais cette fois-ci l'effet de surprise leur offrit un avantage écrasant. Chargeant avec deux de ses camarades, Ralof décima les premiers hommes pendant que Siltafiir et une sombrage abattaient les archers un par un. Durant l'escarmouche, une lame se planta dans son plastron, épargnant heureusement ses zones vitales. Il se maudit de sa maladresse, mais préféra ne rien dire aux autres. De toute manière, ils manquaient d'équipement médical, se plaindre ne l'avancerait à rien.
Ignorant la douleur, il avança d'un pas ferme, et à nouveau Siltafiir le suivit comme son ombre. Une seule voie s'offrait, sous la forme d'un court tunnel qui débouchait sur un minuscule pont de bois. Tandis qu'ils traversaient la passerelle, le dragon décida de leur rappeler sa présence, propageant une violente secousse dans toute la colline. Un instant plus tard, Ralof grognait de douleur, le nez dans la poussière.
"Qu'est-ce qui s'est passé ?" toussota-t-il après que Siltafiir se fut écartée de son dos.
Elle lui répondit en désignant le passage qu'ils venaient d'emprunter, maintenant rien de plus qu'un tas de pierres qui requerraient des heures de déblayage. Il jura entre ses dents, pria Talos qu'aucun de ses amis ne soit coincé sous les décombres, puis se résigna à avancer. Sa blessure, même bénigne, risquait de s'infecter s'il délayait ses soins trop longtemps. Parvenant à oublier sa douleur, il reprit la marche, attentif à tout mouvement suspect. Il doutait de croiser plus d'impériaux dans ces grottes, mais trop de prudence n'avait jamais tué personne.
Il ne regretta pas d'avoir redoublé d'attention: des araignées avaient installé leur nid un peu plus loin. Il échappa un couinement plus aigu que désiré.
"Pas l'habitude des givrépeires ? murmura Siltafiir en pointant une flèche sur les créatures.
- Tous ces yeux…" grommela-t-il en se sentant rougir.
Il se sentit plus honteux encore quand elle les tua une par une, flèche par flèche, sans même leur laisser l'occasion de les repérer, et rangea son arc d'un mouvement souple. Les yeux baissés sur elle, il se réjouit de voir un sourire fier élever ses pommettes; il la trouvait déjà jolie quand elle tremblait de peur, alors dans son élément, avec la bonne arme en main, elle rayonnait. Il secoua la tête pour se rappeler que la situation se prêtait à la survie et non à l'admiration; le temps de lui offrir une chope d'hydromel se présenterait bien assez vite une fois hors de cette grotte, à condition de ne pas laisser sa blessure empirer.
Ils rejoignirent bientôt une salle remplie de courants d'air, signe qu'ils sortiraient de ce dédale d'un moment à l'autre. Hélas ! une mauvaise surprise les y attendait; l'assurance de Siltafiir s'évanouit brusquement quand ils croisèrent un animal, seul celui-ci, mais bien plus imposant que les givrépeires.
"Je peux pas, couina-t-elle en reculant dans l'ombre, non je… je peux pas.
- C'est le seul chemin, souffla Ralof en observant l'ours du coin de l'œil.
- Mais si… s'il nous repère il… il va…"
Le pupilles rivées sur la bête, elle leva sa main gauche à hauteur du visage dans un mouvement brusque, comme pour se protéger d'un coup, et Ralof crut deviner l'origine de ses cicatrices.
"Le chemin est sombre, lui assura-t-il, tant qu'on ne fait pas de bruit, impossible qu'il nous voie."
Elle déglutit et s'accrocha à son bras dès qu'il osa faire un pas en direction du danger, mais malgré toute la force qu'elle y mettait il ne ralentit pas d'un poil. Lorsqu'elle abandonna l'idée de l'arrêter et tenta plutôt de reculer seule, il la saisit par les épaules et l'obligea à mettre un pied devant l'autre. Elle ne résista pas longtemps, trop apeurée à l'idée d'attirer l'attention de l'ours et, plus tremblante qu'une feuille morte, se laissa guider par la poussée de Ralof. À mi-chemin du tunnel suivant, l'animal décida pourtant de se lever et son grognement résonna contre la roche. Un instant plus tard, Siltafiir avait quitté la salle plus rapidement qu'une biche en fuite.
Ralof suivit de près, peu désireux d'affronter un ours, même si l'idée ne l'effrayait pas autant que sa camarade. Il la retrouva à la sortie, cachée derrière un rocher, rouge de honte et d'essoufflement. L'animal ne les pourchassait pas, le soleil brillait haut, et il devinait même les fumées de Rivebois à un kilomètre ou deux. Le soulagement lui arracha un rire fatigué et il inspira profondément l'air libre de Bordeciel.
L'image se ternit alors, et des courants irréguliers arrachèrent Siltafiir à la bulle de souvenir. Ils la secouaient de droite et de gauche, de bas en haut, jusqu'à la projeter sur le sentier de Quagmire où elle atterrit le dos en premier. Le souffle coupé, elle cligna plusieurs fois des yeux, aveuglée par une lumière insoutenable, puis trois ombres s'y découpèrent.
"Vous allez bien ? s'inquiéta l'une avec douceur.
- Je ne sais pas comment tu fais pour dormir sur ces chariots, commenta celle qui se tenait à côté de la première, et surtout sur ces bancs.
- Moi non-plus, ajouta la dernière, je ne suis pas du genre à faire la fine-bouche, mais j'avoue que je ne pourrais pas me reposer là-dessus, surtout en mouvements."
Siltafiir grogna et se rassit sur le siège de la charrette en s'étirant.
"Question d'habitude." bailla-t-elle en observant le paysage.
Une neige épaisse recouvrait tout, au point que la route se distinguait à peine. Dans le lointain, elle devinait l'Académie et les vents violents qui l'englobaient. Des vents si épais qu'ils semblaient former une barrière tout autour du bâtiment.
À suivre…
D'abord, merci Stephanie pour la review :) concernant leur relation, comme tu peux le voir Siltafiir a quelques problèmes de confiance, du coup il faudra qu'elle règle ça avant que ça puisse devenir vraiment sérieux. En plus, la situation actuelle ne se prête pas vraiment à une amourette; entre elle qui doit sauver le monde et lui qui doit protéger son pays, ils ont d'autres priorités.
Sinon vous aurez peut-être remarqué le changement de titre. C'est simplement une meilleure traduction (daanik signifie "condamné" plus que "maudit". Oui, c'est subtil, mais les détails comptent).
