Strin Miin ! L'Œil Fermé
À peine arrivées à Fortdhiver, Siltafiir, Evangeline, Brelyna et Lydia durent se jeter dans l'action, car une horde de volutes magiques s'en prenaient aux habitants. Heureusement, quelques secondes suffirent à les éradiquer, car tous les mages de l'Académie, sans exception, avaient dû trouver refuge dans la ville; un champ de force entourait le bâtiment, jusqu'au centre pont, et rien ni personne n'était parvenu à le détruire. La vue d'Evangeline qui brandissait le bâton de Magnus éleva des cris de joie chez les érudits, et surtout un en particulier qui lu sauta dessus.
"J'étais si inquiet ! s'exclama-t-il en la serrant dans ses bras.
- Père, ce n'est pas le moment." Protesta-t-elle en se dégageant.
Avant qu'il ne puisse l'assaillir à nouveau, Mirabelle Ervine intervint et la mena jusqu'au champ de force tout en ignorant les commentaires indignés du paternel. Il pouvait se plaindre tant qu'il voulait de voir sa fille être mise dans des situations dangereuses, Mirabelle savait que les Psyjiques ne l'avaient pas désignée pour rien, et puis elle avait ramené ce bâton, une preuve suffisante de ses capacités.
Quelques mètres en arrière, Lydia, soudainement intriguée, se pencha sur son thane.
"Evangeline est bien votre sœur." Souffla-t-elle discrètement.
Siltafiir confirma d'un grognement.
"Cet homme est son père. Votre père.
- Et donc ? s'agaça-t-elle en s'assurant que personne ne les entendait.
- C'est un Altmer.
- Les traits raciaux se transmettent par la mère, c'est connu." Trancha-t-elle avant de doubler l'allure.
Parler de sa famille ne lui plaisait pas d'une manière générale, mais quand en plus le sang altmeri s'ajoutait à la conversation, l'envie de casser quelque-chose la démangeait fortement. Déjà qu'une simple Brétonne se ferait remarquer, en l'absence de magie la descendance d'un Haut-Elfe devenait un animal de foire pour les habitants de Refuge. Et il avait fallu que ça tombe sur elle. Grommelante, elle ne reporta son attention sur l'urgence présente que lorsque sa sœur fit éclater le champ de force.
Immédiatement, les maîtres les plus puissants de l'Académie se ruèrent sur le pont, accompagnés de Siltafiir et de sa huscarl. Plusieurs fois, la barrière magique se recomposa, toujours plus proche du bâtiment, et à chaque fois Evangeline la brisait. En une poignée de minutes, les meilleurs mages de Bordeciel se dressaient devant la grande porte de la salle des éléments, escortant Evangeline. Son père trépignait, désireux de lui arracher ce bâton et de l'obliger à au moins se cacher derrière ses aînés, puisqu'apparemment elle refuserait de retourner à la ville et qu'il ne pouvait décemment abandonner ses confrères pour l'y tirer de force.
Peu soucieux des peurs qu'il entretenait, les mages poussèrent les portes et se précipitèrent comme un seul homme dans la pièce centrale, pour bombarder immédiatement Ancano de sortilèges. Mais il ne bougea pas d'un pouce. Une seconde vague magique le frappa de plein fouet, Siltafiir tira même une flèche sur sa tempe, mais il conserva sa droiture, les pupilles rivées sur l'orbe géant et un rire fier roulant sur sa langue.
"Les sorts ne servent à rien ! s'exclama Tolfdir. C'est comme le draugr dans Saarthal !
- Votre pathétique magie ne peut rien contre moi, jubila le Thalmor, vous ne pouvez pas m'atteindre !"
Des mouvements paniqués s'infiltrèrent dans le groupe, mais heureusement le vieux Nordique ne se laissait pas impressionner si aisément.
"Le bâton ! Utilisez-le sur l'Œil !
- Assez ! hurla Ancano alors qu'Evangeline levait l'arme en question. Vous persistez ? Très bien…"
Il concentra une dose phénoménale d'énergie dans l'orbe flottant et une onde de choc jeta tous ses ennemis à terre, à l'exception d'Evangeline. Sonnée par la violence de cette vague magique, elle ne réalisa pas tout de suite que ses alliés étaient victimes d'un sort de paralysie généralisée. Un regard sur le bâton grésillant lui indiqua qu'il avait absorbé la part censée la frapper elle.
Bien qu'effrayée à l'idée d'affronter cet Altmer expérimenté sans assistance, elle leva le bras et lança un éclair blanc sur l'Œil. Sa crainte s'évapora. Le pouvoir coulait à flots, canalisé par le bâton, il traversait son corps, l'alimentait, elle se sentait invincible. Plus, juste un peu plus, et elle pourrait vaincre Ancano, égaler tous ses maîtres… refuser d'obéir à son père. Si elle le voulait, elle pourrait prendre le contrôle de cette Académie ! Elle absorba, et absorba encore, consciente uniquement des vibrations, de l'euphorie irréelle qui s'emparait de ses sens.
Seul comptait l'Œil et la puissance qu'il renfermait, son lien direct avec l'Ætherius, toute la magie de l'au-delà à portée de main. Mais cela ne pouvait durer. Une fausse manipulation, d'elle ou du Thalmor, força l'Œil à se fermer, et elle fixa l'elfe d'une pupille enragée. Il lui renvoya son regard, les doigts brillants de magie. D'un même mouvement ils attaquèrent. Le faisceau du bâton intercepta les éclairs d'Ancano, en résultat une explosion qui les jeta tous deux à terre et frappa l'Œil. Celui-ci se rouvrit dans une lumière aveuglante, libérant une horde de volutes qui se jetèrent sur tous les hommes et elfes présents.
Heureusement, l'effet de la paralysie avait commencé à s'estomper quelques instants plus tôt, permettant à tous de se défendre contre les créatures. L'une d'entre elles tenta de s'en prendre à Evangeline, pour être absorbée par le bâton et nourrir le pouvoir de la Brétonne. Celle-ci ne s'intéressa guère au sort de ses confrères et de sa famille; obnubilée par les lumière d'Ætherius, elle se retourna vers l'Œil et reprit sa récolte.
Chaque goutte magique qui entrait dans ses veines lui conférait une plus grande conscience du monde qui l'entourait; elle sentait les courants qui alimentaient les sortilèges de ceux qui combattaient alentours, elle voyait l'air pulser sous les assauts des mages, tout lui apparaissait clairement, nettement. Même ce Thalmor qui tentait de dérober sa puissance sous son nez. Elle siffla de mécontentement et, abandonnant un instant sa récolte, envoya une boule de feu sur l'importun. La déflagration engloba plus de la moitié de la salle, touchant certains de ses alliés. Elle ne prêta aucune attention aux exclamations choquées et aux regards accusateurs, trop heureuse d'avoir déstabilisé Ancano. Grisée, elle s'apprêta à recommencer, mais les spectateurs ne l'entendaient pas de cette oreille. À peine les braises s'allumèrent-elles dans sa paume que quelqu'un se jeta sur son dos et la plaqua au sol.
"On a tous envie de lui faire sa fête, grogna sa sœur, mais on a surtout envie de pas y rester, alors tu te calmes tout de suite !"
Siltafiir, dans son empressement, n'avait veillé à immobiliser ses mains, et un sortilège de foudre à la puissance décuplée lui arracha un cri étranglé. Couchée à terre, agitée de spasmes, elle croisa le regard de son aînée et se laissa envahir par la panique. Les yeux d'Evangeline brillaient d'une lumière blanche, comme celle qui se dégageait de l'Œil. C'était mauvais, très mauvais, plus que mauvais. Les flammes qu'elle s'apprêtait à lui lancer ne présageaient rien de bon non-plus, surtout que ses muscles aux contractions erratiques l'empêchaient de respirer normalement, de bouger, et surtout de crier. Par chance, les autres mages occupaient plus qu'un rôle de spectateurs, et Evangeline dut élever une barrière pour se protéger des sorts de paralysie qu'ils lui envoyèrent. Siltafiir profita de cette diversion pour ramper le plus loin possible, sans cesser d'observer ce combat inattendu.
Evangeline repoussait tous les assauts avec une aisance déconcertante et ripostait aussi rapidement, alternant barrières et éclairs, le tout en alimentant sa réserve de magie grâce au bâton. Elle voyait tout, sentait chaque tentative d'attaque avant même qu'elle soit lancée, savait où se trouvaient ses adversaires. Même Ancano, elle le sentait se glisser dans son dos, se préparer à l'assaillir traitreusement. Bien qu'armée d'une puissance qu'elle n'aurait jamais cru atteindre dans ses rêves les plus fous, elle savait que repousser des assauts par tous les flancs s'avérerait impossible. Elle se tourna brusquement vers l'Œil, y concentra son énergie et une onde de choc traversa toute la pièce.
Avant que le Thalmor ne puisse se relever, elle lui jeta sa boule de feu la plus destructrice, assez pour instantanément le réduire en cendres. Les flammes englobèrent toute la pièce cette fois, mais heureusement les barrières des maîtres de l'Académie les protégèrent eux et leurs collègues. Seules quelques brûlures résultèrent de cet assaut, mais elles forcèrent les blessés à quitter le combat, n'abandonnant qu'une poignée de mages face à l'ouragan qui habitait la jeune Brétonne.
Elle ne voulait qu'une chose: drainer toute l'énergie qu'elle pourrait emmagasiner, puis remodeler la réalité à sa convenance. Plus rien ne compterait que ses désirs, son père retournerait en Haute-Roche la queue entre les jambes ou il disparaîtrait, car personne ne s'opposerait à elle. Personne n'en aurait la capacité. Le bâton pointé sur l'Œil, une main levée devant elle pour avertir quiconque penserait à intervenir, elle continuait de s'imprégner de magie pure. Elle ne désirait pas spécialement les tuer, mais dans le cas où ils essaieraient de la stopper, elle n'hésiterait pas.
Son père se dégagea du groupe et cria quelque-chose, mais les vibrations magiques couvraient ses mots. De toute manière, elle savait ce qu'il voulait: il lui demandait de laisser tomber cette chance inouïe, de se redevenir la fille sage qui travaillait dur pour plaire à ses parents et ses professeurs. Pas question. Elle concentra sa magie au bout de ses doigts, visa son père, ignora les gestes terrifiés des mages et…
ZUN
Le bâton s'arracha de sa main. Elle se retourna juste à temps pour voir une face masquée, puis un poing qui s'approchait trop vite de son visage. Puis plus rien. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, son père et Brelyna se tenaient accroupis à ses côtés pendant que Siltafiir la surplombait, appuyée sur le bâton de Magnus. Son œil gauche refusait de s'ouvrir complètement et la lançait douloureusement, tout comme le reste de son corps. Elle avait l'impression qu'un mammouth venait de la piétiner, sa peau la piquait, ses muscles ne répondaient qu'au prix de douleurs lancinantes et son crâne exploserait si elle réfléchissait trop fort, elle en était certaine. Même le sort de soin dont son père l'enveloppait ne suffisait à assourdir ces peines.
"Evangeline, tu nous entends ?" Couina la Dunmer en voyant ses paupières bouger.
Elle acquiesça, trop engourdie pour parler. Rassemblant toute ses forces, elle tourna la tête pour voir ses professeurs et camarades, affairés à se soigner ou à lui jeter des regards fébriles. La mémoire lui revenait lentement, suivie par une honte qui lui donna l'envie de se cacher le visage dans les mains - dommage qu'elle ne puisse pas bouger.
"Pardon, murmura-t-elle, le timbre rauque.
- Chut, ne te fatigue pas, ordonna Roderic d'une voix tremblante, le corps n'est pas fait pour supporter une telle quantité d'énergie, tu as de la chance d'être encore en vie."
Elle sentit Brelyna s'emparer de sa main et lui répondit d'une faible pression des doigts.
"Qu'est-ce qui… s'est passé ? Où est… l'Œil ? questionna-t-elle en respirant difficilement.
- L'Enfant de Dragon a réussi à le fermer grâce au bâton, expliqua Brelyna alors que Siltafiir confirmait d'un geste de la tête, puis des membres de l'Ordre des Psyjiques sont arrivés de nulle-part et l'ont emmené avec eux.
- Tu n'as plus à te soucier de ça, souffla Roderic, dès que tu seras rétablie, on retournera à la maison. Pas question que je t'abandonne dans ce pays de fous. J'ai déjà perdu une fille, je ne veux pas te perdre aussi."
Evangeline baissa les yeux, consciente que rien de ce qu'elle dirait ne lui ferait changer d'avis, et Siltafiir frissonna d'inconfort avant de s'éloigner. Elle fourra le bâton dans les mains de Tolfdir et échangea quelques mots avec lui, puis le vieux Nordique revint auprès de Roderic et déclara:
"L'Enfant de Dragon désire vous parler en privé.
- Ce n'est pas le moment, s'énerva l'Altmer sans quitter sa fille des yeux.
- Elle dit que c'est à propos d'une certaine Ursanne."
Il se retourna violemment, fixant Tolfdir avec intensité.
"Vous en êtes sûr ?
- Je suis peut-être vieux, mais mes oreilles et ma mémoire sont encore en bon état, rit-il en s'agenouillant, allez-y, je me charge d'Evangeline."
Roderic jeta un regard hésitant à sa fille, soupira, puis s'éloigna d'un pas vif. Siltafiir l'attendait dans le vestibule et passa la grande porte dès qu'elle le vit approcher. Il doubla l'allure, agacé par cette évasion, mais se calma légèrement en la retrouvant au centre du chemin dallé qui traversait la cour.
"Vous savez quelque-chose sur Ursanne ? s'impatienta-t-il.
- Vous vous inquiétez trop, vos filles ne sont plus des gamines. Elles peuvent se débroui-
- Je vous suis reconnaissant d'avoir sauvé Evangeline, mais ne me dites pas comment me comporter ! s'enflamma-t-il, penché sur Siltafiir. Vous ne savez pas ce que c'est de se demander tous les jours si les deux personnes les plus importantes de votre vie respirent encore, alors dites-moi ce que vous savez !"
Elle recula d'un pas, secouée par l'émotion palpable qui suintait de ses mots, de ses gestes. Il était connu pour son attitude un peu trop protectrice, chose qu'elle lui reprochait sans arrêt durant leur vie en Haute-Roche, mais soudainement elle le comprenait. Un peu.
"Je-C'est… Ur-Ursanne va bien, bégaya-t-elle en ôtant son masque, je vais bien."
Elle prit soin d'observer tout ce qui l'entourait, sauf son père, et eut le souffle coupé lorsqu'il se jeta sur elle pour la serrer dans ses bras. L'étreinte dura de longues minutes, et il s'écarta finalement sans pour autant lâcher ses épaules. Les yeux en amande qu'elle connaissait bien la détaillaient avec une douceur inattendue. Elle avait cru recevoir des remontrances, des cris, des punitions lors de leurs retrouvailles, mais seules des larmes de joie l'accueillaient. Roderic remercia les divins une bonne dizaine de fois, l'embrassa à nouveau, et sa fille ne savait plus où se mettre. Son malaise ne dura pas, car son père se figea brusquement, ses sourcils blonds se froncèrent, et il murmura d'un ton accusateur:
"Tu as des taches noires dans les yeux."
Elle cligna desdits yeux, déstabilisée par ce changement d'attitude. Il la saisit par les joues et approcha leurs visages pour mieux la détailler.
"Est-ce que tu as pactisé avec un daedra ?"
Malgré la colère certaine qui s'emparait lentement de lui, des vibrations paniquées agitaient sa phrase. Avant même qu'elle ne puisse répondre, il déclara:
"On va retourner à Refuge et trouver un moyen de te libérer ! Je ne te laisserai plus jamais…"
Mais sa fille le coupa d'un mot implacable.
FUS
Il tituba et dut se rattraper au mur de la tour principale avant de jeter un regard choqué à Siltafiir.
"Je ne vous suivrai nulle-part, cracha-t-elle en reculant, d'ailleurs, même si j'en avais envie, je ne pourrais pas quitter ce pays.
- Quel daedra te force à rester ici ?"
Elle roula des yeux et grogna:
"Nocturne ne me force à rien, c'est ma destinée d'Enfant de Dragon qui est en cause. Si je pars, Tamriel est condamnée.
- Nocturne ? répéta-t-il d'un air accablé.
- J'aurais pu faire pire, admettez-le."
Comme pactiser avec Værmina, pensa-t-elle en se mordant la lèvre.
Roderic s'affala contre le mur, la paume sur le front et le teint pâle. Il marmonnait les mots "destinée" et "Nocturne" en fixant le vide, peinant à assimiler ces informations. Après quelques secondes, il osa se retourner vers sa fille.
"Pourquoi t'es-tu associée à ce daedra ? demanda-t-il d'une voix éteinte.
- Pour protéger ma Guilde.
- Ta Guilde… de voleurs ?"
Elle acquiesça tout en se préparant à recevoir l'engueulade du siècle, mais il s'affaissa de plus belle et soupira:
"Je ne peux pas dire que c'était imprévisible. Toujours à crocheter tout ce que tu trouvais, à sortir en douce…"
Il se massa la tempe, la détailla quelques secondes de plus et posa une dernière question:
"Tu ne regrettes rien ?
- Rien du tout."
Après une lourde expiration, il s'approcha, lui serra l'épaule et proposa de retourner dans la tour. Elle lui décocha un sourire désolé, la poitrine allégée par cette imprévisible tolérance, et le raccompagna jusqu'à Evangeline.
xxx
"Vous allez encore disparaître pendant des jours, bouda Lydia.
- Mais non, je serai de retour dans deux heures maximum, peut-être moins avec cet anneau de marche sur l'eau, assura Siltafiir en lui présentant la bague qu'elle avait faite enchanter un peu plus tôt.
- On verra bien…"
Sans plus de commentaire, la Brétonne avança sur le pont de l'Académie, choisit un endroit sans barrière et sauta en criant:
FEIM
Lydia blêmit, ne s'étant préparée à un tel spectacle, et se pencha sur la rambarde pour voir la forme éthérée de son thane s'écraser plusieurs dizaines de mètres en contrebas. Elle n'osa recommencer à respirer que lorsque la minuscule silhouette bougea, puis agacée par ce comportement insensé retourna dans l'enceinte de l'Académie.
Une petite heure plus tard, Siltafiir atteignait l'avant-poste de Septimus Signus, mais la joie d'être sèche disparut immédiatement quand elle poussa la petite porte de bois. La sensation reposante, rassasiante, réchauffante de ce lieu lui arracha un désagréable frisson. La dernière fois, elle l'avait bénie, heureuse de pouvoir s'égoutter dans une atmosphère confortable, mais cette fois elle en connaissait l'origine. Le livre d'Hermaeus-Mora dans le souvenir de Miraak dégageait le même pouvoir.
Elle sortit nerveusement le lexique dwemer de son sac et avança jusqu'au centre de la caverne. Le vieil Impérial chantonnait distraitement en détaillant l'énorme contenant, ne la remarquant que lorsqu'elle le héla. Sans politesses, elle lui jeta le lexique entre les mains, mais il ne s'en offusqua guère, trop occupé à lire les inscriptions lumineuses qui parsemaient le petit cube.
"Comme c'est intéressant… oui, oui… je vois… très bien…"
Peu à son aise, elle s'excusa et voulut s'enfuir, mais il lui attrapa le poignet et exposa ses découvertes:
"Je sais comment activer ce mécanisme, s'excita-t-il, il me suffit de quelques gouttes de sang dwemer."
À peine termina-t-il sa phrase que la réalité le força à contenir sa joie.
"Cela dit, ils ont tous disparus."
Il avait de la poigne pour un vieillard, et Siltafiir dut dégager son bras d'un coup sec, mais avant qu'elle ne puisse partir, il se frappa le front.
"J'ai besoin d'un peu de sang de tous les mers encore vivants ! Orsimer, Altmer, Bosmer, Dunmer… et Falmer ! Attendez une minute que je retrouve mon extracteur."
Dès qu'il se retourna pour fouiller la sacoche qui trainait dans un coin, Siltafiir courut jusqu'au tunnel de sortie, décidée à ne pas participer plus longtemps à la libération d'un artefact daedrique. Elle aimait bien Nocturne et ses ombres, mais le Prince de la connaissance ne lui inspirait aucune confiance, et puis elle avait assez à faire à se libérer de Værmina. Malheureusement, la seule échappatoire se trouva bloquée par une vision abominable. Une aura noire d'encre ponctuée d'yeux globuleux et de tentacules échappa un rire lent qui lui glaça le sang.
"Approchez encore, susurra l'amas sombre, profitez de mon aura."
Siltafiir recula dans un sursaut, arrachant un gloussement supplémentaire au monstre. Les tentacules s'étirèrent pour lui couper toute retraite, puis l'aura reprit:
"Je suis Hermaeus Mora, le gardien de l'invisible, qui connais ce que nul ne sait. Je vous observe depuis longtemps.
- Je sais qui vous êtes, répliqua-t-elle d'un ton trop aigu pour être menaçant, et ça me suffit largement. Laissez-moi passer.
- Que diriez-vous de savoir comment sauver votre ami de ma rivale ?" insista-t-il sans se vexer.
Elle se figea. Pouvait-il l'aider à retrouver Nahlaas ? Seul un prince pouvait défier un prince après tout, mais elle risquait surtout d'augmenter ses chances de ne jamais remplir sa part du contrat de Nocturne - la Dame des Ombres, sans être faible, ressemblait plus à une observatrice qu'à quelqu'un qui combattrait activement pour défendre ses biens, et les souvenirs de Miraak et Konahrik lui avaient prouvé que Mora ne faisait pas les choses à moitié. Non, malgré la tentation qui s'écoulait de cette voix suave, elle résisterait.
"Laissez-moi passer." Couina-t-elle encore, toujours incapable de verser une once d'assurance dans ses paroles.
Mora la fixa un moment de ses yeux innombrables, puis lui déroba un cri étranglé en enroulant l'un de ses tentacules autour de son avant-bras. Elle n'osait bouger, n'osait même respirer, incapable de penser à autre chose qu'à la texture de vieux papier qui glissait contre ses doigts. La pression se relâcha soudainement et seul un poids demeurait dans le creux de sa main: un objet métallique hérissé d'aiguilles plantées sur des contenants. Sûrement l'extracteur dont parlait Septimus.
"Réfléchissez à ma proposition." Souffla Hermaeus Mora en disparaissant lentement.
Les doigts crispés autour de l'instrument, Siltafiir se précipita hors de la grotte dès que toute trace de l'aura sombre se fut évaporée. Fuyant le plus vite possible, elle bénit l'anneau de marche sur l'eau, car dans sa précipitation il lui aurait été impossible d'éviter la baignade. L'adrénaline lui permit de rejoindre Fortdhiver en moins de trente minutes, et c'est une Brétonne incapable de retrouver son souffle qui passa les portes de l'Académie. Au milieu de la cour, elle s'effondra contre une colonne, glissa à terre et cracha un râle inhumain qui attira l'attention d'un passant.
"Vous allez bien ?" S'inquiéta Onmund en approchant.
Des borborygmes lui répondirent. Il jeta des regards confus alentours, se demanda s'il devait user d'un sort de soin ou simplement l'ignorer, puis essaya à nouveau d'obtenir une information utile:
"Est-ce que vous avez besoin d'aide ?
- Huscarl…" articula-t-elle, la respiration sifflante.
Le mage l'a fixa quelques instants, puis partit à la recherche de Lydia. Il fut si efficace qu'elle rejoignit son thane trop rapidement pour lui laisser le temps de récupérer.
"Vous avez été rapide. Il y avait un ours sur le trajet ?" Demanda-t-elle en s'accroupissant devant Siltafiir.
La Brétonne lui jeta un regard si haineux qu'elle put le sentir au-travers de Krosis. Un moment plus tard, ses poumons enfin sous contrôle, elle lui conta sa courte aventure.
"Que voulez-vous dire par "sauver Nahlaas" ? interrogea-t-elle, sourcils froncés.
- Il est coincé en Quagmire. Je l'ai… perdu."
Lydia n'éprouvait pas exactement d'amitié pour les créatures d'Oblivion, mais la voix cassée de son thane la forçait à se sentir concernée par l'avenir de celle-ci. Elle aida Siltafiir à se relever, puis la suivit dans le pavillon de l'accomplissement où se reposaient Evangeline et Roderic le temps d'un au-revoir. Son père aligna toutes les excuses de Mundus pour la forcer à rester plus longtemps, mais elle les effaça en tapotant le Parchemin des Anciens qui ornait ses bagages. Il se résigna à la laisser partir après une dernière embrassade et son aînée, toujours épuisée par le pouvoir de l'Œil, la salua d'un geste encourageant depuis son lit.
Siltafiir et Lydia purent entamer le voyage en direction de la Gorge du Monde.
À suivre…
Des fois il me faut plusieurs mois pour sortir un chapitre, et des fois une semaine et demie suffit largement. Ah, les mystères de l'inspiration…
Mon empressement ne change pas mon désir de recevoir des critiques, bien entendu :) j'aime m'améliorer et j'aime vous divertir. D'ailleurs, merci encore Stephanie, j'espère que ce chapitre est à la hauteur de tes espérances.
