Dir Vorey Sul ! Meurs Un Autre Jour
Wilhelm se serait endormi sur le comptoir de son auberge si la porte ne s'était ouverte en claquant pour laisser entrer deux voyageuses essoufflées. Il sursauta, renversa une chope vide, rajusta son tablier et s'approcha d'elles en bâillant. Presque à leur niveau, il reconnut soudainement le masque mentionné par tous les voyageurs qui traversaient le village, écarquilla les yeux, hésita un instant sur l'attitude à adopter puis les salua en mélangeant ses mots. Elles l'ignorèrent, préférant s'effondrer côte-à-côte sur un banc et échanger quelques paroles saccadées.
"Vous… Vous êtes… irrécupérable… articula la plus grande.
- Ne dis… plus un mot… siffla l'autre.
- On venait… de tuer… cinq vampires…
- Je t'ai… donné un ordre… Lydia… menaça Siltafiir en posant les fentes de son masque sur la huscarl.
- Mais un… un ours… non… pas moyen…
- La ferme !"
Tout le bâtiment grinça, les braises du foyer explosèrent et toutes les chopes de la pièce rejoignirent celle renversée par Wilhelm - qui sursauta de plus belle. La Nordique, décoiffée par cet éclat, pinça les lèvres et leva les mains en signe de capitulation. Elles se fixèrent un moment, leurs respirations toujours folles, puis l'aubergiste trouva le courage de les aborder. Lydia commanda deux repas et deux lits pendant que Siltafiir, bras croisés, ravalait ses mots, les yeux rivés au sol. Après un regard nerveux sur l'Enfant de Dragon, Wilhelm se mit au travail.
Un craquement dans le coin de la pièce attira leur attention. Une Nordique sortit de la chambre qui leur faisait face en se frottant les paupières et questionna Wilhelm sur l'origine du fracas.
"Ma faute, confessa Siltafiir d'une voix rauque, pardon."
Dans sa lancée, elle s'excusa auprès de Lydia, qui lui retourna un sourire résigné.
"Ah mais je vous reconnais ! s'exclama la nouvelle arrivante. Enfin, votre masque, je reconnais votre masque. Vous êtes l'Enfant de Dragon, pas vrai ?"
Siltafiir acquiesça.
"On a beaucoup entendu parler de vous, continua-t-elle en s'asseyant au bord du foyer, le nombre de pèlerins a triplé ces derniers mois.
- Euh… tant mieux ? hésita l'Enfant de Dragon en se massant la nuque.
- Le commerce en profite et surtout, surtout, entre les combattants qui veulent suivre vos pas et les faiblards qui emmènent des gardes du corps, les ours se raréfient. Alors oui, tant mieux."
Siltafiir redressa la tête, trouvant cette femme soudainement fort amicale. Temba, car elle se nommait ainsi, oublia sa fatigue au profit de la curiosité et questionna l'Enfant de Dragon sur les rumeurs qui traversaient Fort-Ivar. Certains récits éveillèrent de nets souvenirs, comme le dragon chassé à l'aide d'une simple menace, l'usurpatrice deux fois dénoncée et ses démêlés avec Ulfric. D'autres s'autorisaient plus de fantaisie; on contait qu'elle avait chevauché un dragon pour repousser des bandits, qu'elle pouvait contrôler l'esprit des mortels et invoquer des tempêtes, que Talos était apparu dans ses rêves pour lui confier sa quête - une version alternative le remplaçait par Akatosh - et finalement qu'elle avait assisté les sombrages durant la prise de Blancherive.
"Quoi ?
- Il paraît qu'on vous a vue là-bas le lendemain de l'attaque, et avec ces histoires comme quoi vous seriez… euh… intime avec un de leurs capitaines…"
Wilhelm les interrompit en apportant les assiettes, puis repartit en déclarant qu'il devait finir de préparer la chambre. Siltafiir observa son plat sans bouger pendant que Lydia sautait sur le siens. Il fallait enlever le masque, sauf que Temba la verrait, et si Temba la voyait… Ça ne changerait rien à sa situation. Un instant plus tard, son capuchon balançait contre ses omoplates et son masque trônait sur le banc. Adossée à la table, elle tenait son assiette d'une main, sa fourchette de l'autre, et avait préparé ses réponses.
"Oui, j'ai une… relation avec un sombrage, grogna-t-elle en gigotant sur le banc, non, je ne les ai pas aidés à envahir Blancherive. J'habite à Blancherive."
Elle planta son morceau de viande au bout de sa fourchette et s'attela à en arracher des morceaux à l'aide de ses dents.
"Bon, d'accord, dit alors Temba, mais le rêve ?
- Je fais des rêves prémonitoires, mais j'ai jamais vu Talos ou Akatosh, expliqua-t-elle avant s'attaquer encore à sa viande.
- Et pour le dragon que vous avez chevauché ?
- Pure invention. J'ai combattu des bandits en voyageant, et j'ai pu voler sur un dragon quand on a traversé Griffenoire, mais pas les deux en même temps.
- Griffenoire ?"
Siltafiir termina son rôti, le remplaça par une pomme-de-terre, puis revint à ses aventures souterraines en s'amusant du regard avide de Temba. Elle termina son assiette en résumant ses voyages, s'interrompant quand Lydia désirait ajouter un commentaire, pendant que la mâchoire de leur auditrice menaçait de se décrocher. Wilhelm revint bientôt, leur demanda si elles désiraient encore quelque-chose et bâilla joyeusement quand elles lui assurèrent que non. Il rejoignit son lit, imité peu après par les trois femmes, et Temba se réjouissait déjà de répéter ces histoires à tout le hameau - Fastred surtout, elle n'en croirait pas ses oreilles.
Lydia ferma la porte de la chambre alors que Siltafiir jetait son sac au pied d'un des deux lits.
"Vous avez oublié de lui raconter comment vous vous êtes cassé la main en assommant votre sœur, ricana-t-elle une fois son armure ôtée.
- Ça n'aurait rien apporté au récit", répondit innocemment son thane.
Lydia rit de plus belle, puis lui souhaita une bonne nuit en soufflant la bougie qui ornait sa table de chevet. Siltafiir sauta à son tour sous les couvertures, impatiente de fouler le sol de Quagmire et de retrouver son ami. Plongée dans le noir complet, yeux clos, elle n'entendait que sa respiration, celle de Lydia et celle de… de… qui d'autre respirait ? Elle se redressa, plissa les paupières, tenta de repérer l'origine du son, puis réalisa qu'il venait du pied de son lit. Sans un bruit, elle rampa sur le matelas, écouta, curieuse, cet être invisible qui s'était invité dans leur chambre et tendit la main. Elle ne trouva que son sac, mais d'infimes vibrations s'en dégageaient, émises par le Parchemin.
Le Parchemin. Elle ferma ses doigts sur le rouleau, glissa sa paume contre le métal qui protégeait les écrits intemporels et, sans y faire attention, calqua sa respiration sur ses afflux d'énergie. Délicatement, elle détacha les lanières et se recoucha, l'artefact posé sur son torse. Un sourire souleva ses pommettes alors qu'elle abandonnait toutes ses préoccupations au monde mortel, se perdant dans les remous du temps. Le Parchemin chantait en harmonie avec son âme et, tandis que les secondes ralentissaient, une troisième voix les rejoignit, tombant du ciel, de la Gorge du Monde. La fracture du temps répondait à l'artefact, et dans l'esprit de la jeune fille un mot s'éveillait: ul. Elle ressentait sa puissance avec plus d'intensité qu'auparavant, comprenait son sens véritable. L'éternité.
xxx
Siltafiir inspira profondément l'air de Quagmire avant de remarquer qu'elle tenait toujours le Parchemin. La sérénité trouvée plus tôt ne l'avait accompagnée jusqu'ici; les flots du temps semblaient assourdis par la magie d'Oblivion et bien qu'ils ne s'y écoulent pas aussi vite que sur Nirn, elle pouvait les sentir avancer, s'épuiser même. Elle secoua la tête, passa la sangle de cuir du Parchemin sur son épaule et rejoignit les limbes des souvenirs, forçant ses pensées à se tourner vers Ralof. Elle devait encore trouver une preuve de sa sincérité - il l'avait considérée séduisante dans les donjons d'Helgen, certes, mais elle ne croyait pas au jugement d'un homme blessé qui venait d'échapper à la mort.
En chemin, elle jeta des regards à tout ce qui bougeait, espérant voir Nahlaas à chaque mouvement, ne découvrant que déception sous la forme d'âmes damnées et de lueurs oniriques. L'idée que son ami puisse demeurer dans ce royaume jusqu'à la fin des temps lui arracha un frisson. Passer des années, des siècles, des millénaires dans la demeure d'un daedra…
Hermaeus-Mora et Miraak lui traversèrent l'esprit, et elle blêmit violemment. Tout laissait croire que le premier Enfant de Dragon avait effectivement passé tout ce temps en Oblivion, à la merci de ces yeux, de ces tentacules. Pendant une seconde, elle sentit à nouveau la texture sèche, irritante qui avait caressé ses doigts lors de son échange avec le daedra. Elle tenta d'effacer cette image de son esprit, mais plus elle essayait de l'oublier plus l'horreur gagnait en netteté. Il lui fallait une distraction, n'importe-quoi qui lui fasse penser à autre chose qu'au sort de Miraak.
Malgré ses efforts, les tentacules obscurcissaient chaque visage, chaque lieu qu'elle visualisait, jusqu'à ce qu'elle se laisse tomber par terre en gémissant. Yeux écarquillés, elle fixa le ciel, mais échappa un grognement frustré en n'y trouvant aucune étoile. La noirceur sans fond ne fit qu'accentuer son stress; pourquoi Quagmire changeait-il ainsi entre ses visites ? Elle devait absolument récupérer son âme avant d'en connaître la réponse, mais elle ne se le pardonnerait jamais si Nahlaas restait ici… si elle l'abandonnait…
Râlante, elle se passa les mains sur le visage, puis dans les cheveux, et se releva mollement. Plus vite elle trouvait la flaque de Ralof, plus vite elle cesserait de se ronger les sangs. Elle se concentra à nouveau sur le sombrage, forçant les picotements de sa barbe à remplacer la texture de vieux parchemin, et laissa son instinct la guider jusqu'à une mare proche. Elle y plongea et, quelques secondes plus tard, reconnut la bulle qui contenait les images d'Helgen, avant d'en repérer une toute proche, presque invisible tant elle était calme. Impatiente, elle y entra sans prendre le temps d'observer les autres et atterrit sur un lit de paille.
Siltafiir reconnut la maison de Gerdur, sentit la chaleur du foyer, le parfum d'une soupe et une démangeaison fort agaçante. L'épaisse main de Ralof frotta délicatement la couche de bandage qui protégeait son ventre, céda presque à la tentation de se gratter, puis il choisit de sortir un moment pour se vider l'esprit. Il aurait volontiers aidé sa sœur et son beau-frère à la scierie, mais Gerdur l'attacherait au lit s'il prenait le moindre risque. Un sourire souleva sa barbe; il n'appréciait qu'à moitié d'être traité comme un enfant, mais les soins prodigués par sa famille lui réchauffaient le cœur. Toute la fraternité des casernes ne pouvait remplacer cela.
Au moment de sortir, il repéra un seau vide et décida de le remplir d'eau fraîche pendant sa promenade. Il ne recevrait pas de remontrances pour cela - du moins il l'espérait - et puis sa blessure nécessitait un bon nettoyage. Traversant le hameau, il manqua de se faire renverser par Frodnar et Dorthe qui jouaient au loup, ignora les regards sévères d'Alvor et Sigrid et salua Faendal qui portait des bûches à l'auberge. Protéger son pays le rendait fier et il n'échangerait cette responsabilité pour rien au monde, mais retrouver la tranquillité de son enfance lui arracha un soupir nostalgique. Oublier la guerre pour un moment ne pouvait pas lui faire de mal.
Avant qu'il n'atteigne la rivière, une vision saugrenue le détourna de son but; une voyageuse à l'armure dégoulinante dépassa l'entrée ouest de la ville en boitant bien bas. Ralof cligna des yeux, étonné par cette silhouette familière, puis lâcha son seau et courut vers elle dès qu'il la reconnut.
"Qu'est-ce qui t'est arrivé ?" s'inquiéta-t-il en lui offrant son bras.
Siltafiir sursauta à moitié, ne l'ayant vu venir, grimaça quand son pied blessé toucha le sol et s'accrocha au sombrage avant de s'effondrer.
"J'ai… glissé sur un rocher en traversant la rivière" avoua-t-elle, tête baissée.
Ralof retint un rire à cette confession et l'aida à rejoindre la maison de Gerdur. En chemin, il s'interrogea sur les raisons de son retour à Rivebois, et surtout pourquoi elle arrivait par le chemin opposé à celui de Blancherive. Il ne s'attendait pas à cette réponse-là:
"Le tertre des chutes tourmentées ? répéta-t-il en poussant la porte. Mais ces ruines sont hantées ! Qu'est-ce que tu faisais là-bas ?"
Il la mena jusqu'à une chaise et s'assit à coté d'elle, le visage froissé par l'inquiétude.
"Le mage de la cour de Balgruuf m'a chargée d'une mission, expliqua-t-elle en ôtant délicatement sa botte.
- Quelle mission ? continua-t-il, peu rassuré par la mention du mage.
- Aller chercher une pierre avec des gravures bizarres."
Elle lui montra le roc qui dépassait de son sac, puis se pencha sur sa cheville enflée. Ralof fixa la pierre comme si elle allait exploser. Il ne voulait pas perdre la face devant Siltafiir, mais la présence de cet objet possiblement maudit lui arracha un frisson. Qu'est-ce que ce mage pouvait bien vouloir en faire ? Il tenta de se convaincre que Balgruuf n'hébergerait pas un fou dangereux, mais les pratiques occultes avaient altéré plus d'un esprit.
"Et toi, qu'est-ce qui t'est arrivé ?" questionna Siltafiir en l'arrachant à ses pensées.
Il demeura un instant silencieux, puis réalisa qu'elle parlait de ses bandages.
"C'est la blessure que j'ai reçue quand on s'échappait d'Helgen.
- Mais tu as pris une potion dès qu'on est arrivés ici, s'effraya-t-elle, ça devrait être guéri.
- Une infection a ralenti la guérison, mais rien de grave. Je pourrai repartir d'un jour à l'autre."
Il lui décocha un grand sourire pour appuyer ses dires, ce qui suffit à la rassurer. Peu après, elle lui demanda s'il voulait bien lui servir de béquille jusqu'au magasin de Lucan. Elle désirait vendre les biens récupérés lors de son expédition et en profiter pour remplir sa réserve de vivres et de potions. Pas besoin d'insister, il enfila une tunique et la porta à moitié jusqu'au comptoir de la boutique où Lucan les salua joyeusement. Cette joie se transforma en cri extatique quand Siltafiir lui présenta son butin. L'Impérial se jeta sur la griffe d'or massif que la jeune fille venait de sortir de son sac, arrachant un sursaut aux deux visiteurs et manquant de faire tomber la blessée. Elle s'accrocha encore une fois à Ralof, puis s'appuya sur le comptoir pendant que Lucan fouillait un coffre.
"J'ai reçu quatre-cents pièces d'or pour mon dernier chargement, elles sont à vous !" s'exclama-t-il en revenant vers sa cliente.
Elle ricana, empoigna la lourde bourse qu'il lui tendait et reprit les affaires:
"Il me faut des potions de soin.
- Bien sûr, tout ce que vous voulez."
Il déposa quelques fioles devant lui, mais avant qu'elle ne puisse payer, y ajouta une boite brune ornée d'un texte calligraphié que Ralof ne parvint pas à déchiffrer.
"Et un cadeau de la maison, déclara Lucan en tapotant le couvercle, des chocolats tout droit importés de Haute-Roche. Ça vous rappellera le pays."
Ralof se sentit brusquement saliver, n'ayant goûté qu'une seule fois de sa vie à un bout de chocolat, quatorze ou quinze ans plus tôt, alors qu'un riche voyageur un peu ivre en distribuait à tous les enfants du hameau. Impossible de se rappeler du goût de la friandise, juste qu'il avait l'avait trouvée délicieuse. Il baissa les yeux sur Siltafiir et se laissa décevoir par le froncement dégoûté de son nez - pas de chocolat aujourd'hui, pensa-t-il en soupirant. Hochant négativement la tête elle s'apprêta à répondre à Lucan, mais croisa le regard de Ralof et se ravisa, acceptant le présent avec un sourire. Elle ingurgita une potion immédiatement, remua son pied jusqu'à ce qu'il soit rétabli, fourra les autres bouteilles dans son sac et s'empara de la boîte en souhaitant une bonne journée au vendeur, imitée par le Nordique. À peine sortis, elle lui fourra les chocolats entre les mains.
"Tiens, t'en as plus envie que moi.
- Tu es sure ? s'étonna-t-il sans parvenir à cacher sa joie.
- Je suis allergique, grimaça-t-elle, failli en mourir quand j'avais… quoi… cinq ans ?"
Ralof ne sut trop que répondre, alors il se contenta de la remercier, pensant déjà aux réactions de sa sœur et, surtout, de Frodnar. Siltafiir commença à lui dire au-revoir, déclarant qu'elle devait retourner à Blancherive le plus vite possible, mais il l'interrompit, arguant qu'elle tomberait malade si elle ne se séchait pas - il devait l'avouer, son inquiétude n'était pas totalement désintéressée.
"Je sais qu'on est en plein vifazur, mais des habits trempés ça ne pardonne pas."
Siltafiir voulut tout d'abord protester, mais se ravisa et accepta l'invitation. Ralof s'en réjouit, trop heureux de pouvoir la garder un peu plus longtemps ici et de finalement lui offrir un verre. Une fois retourné à ses obligations de soldat, il n'en aurait sûrement plus le temps. En rentrant, ils tombèrent sur Hod et Gerdur qui prenaient leur pause de middas. La maîtresse de maison s'empressa de fournir des vêtements secs à la Brétonne et d'étendre ses affaires près du feu. Ralof dut se forcer à fixer un mur quand Siltafiir se déshabilla - il se serait autorisé un rapide coup d'œil en d'autres circonstances, mais sa sœur protégeait la dignité de leur invitée en le menaçant de sa louche.
Il tenta malgré tout, croyant pouvoir tromper la vigilance de sa sœur, mais elle lui tapa le haut du crâne de son arme improvisée. Une plainte sonore répondit à cette attaque, mais Siltafiir ne l'entendit guère, car un fracas orageux ébranla tout le souvenir, le troubla, la jeta hors de la bulle et de la flaque. Quagmire trembla sur ses fondations, des remous agitèrent les flaques, le paysage se brisa alors que Siltafiir se redressait dans son lit, réveillée par un hurlement inhumain.
Sans réfléchir, elle courut hors de la chambre Mort-Dragon en main,
vêtue uniquement d'une tunique et de ses dessous. La présence d'un dragon lui ôtait toute pudeur; si elle prenait le temps de se couvrir, il détruirait la moitié de Fort-Ivar. La porte de l'auberge manqua de sauter de ses gonds quand la jeune fille l'ouvrit d'un coup de pied. Elle se rua dehors, le nez tourné vers le ciel rosé par l'aurore à la recherche de celui qui avait perturbé son sommeil, et poussa une exclamation victorieuse quand il atterrit sur un toit. Avoir laissé son arc à l'intérieur n'était pas la décision la plus sage qu'elle ait prise, réalisa-t-elle en grommelant, mais son thu'um lui suffirait à jeter ce lézard à terre.
"Dovah ! héla-t-elle, un sourire en coin. Laat grozein bovul !"
L'interpellé lui accorda toute son attention, demeurant d'abord silencieux, puis se laissant agiter par des gloussements rocailleux.
"Dovahkiin ! répondit-il en claquant ses mâchoires. Bek honah hi. Zu'u laan jur."
Siltafiir détailla sa face d'écailles, peinant à croire qu'un dragon la poursuivrait dans le seul but de la défier, mais dut se rendre à l'évidence: elle était assez importante pour cela et l'idiotie n'était pas réservée aux mortels. Un sourire fendit lentement son visage alors qu'elle s'inclinait respectueusement.
"Zu'u eim, déclara-t-elle solennellement, rodraan dir."
Le dragon rit de plus belle et attaqua, criant ses flammes sur Siltafiir, qui répliqua avec des mots gelés. Le reptile et l'humaine durent tous deux se jeter en arrière pour éviter la déflagration, l'un dans le ciel, l'autre sous le porche de la taverne.
"Qu'est-ce qui se passe ?" s'écria Lydia à l'entrée de l'auberge.
La huscarl, à peine plus vêtue que son thane, jetait des regards aussi fous que ses cheveux à toute la rue. La Brétonne lui ordonna de rester en retrait, un affront accentué par le sourire qui avait prononcé ces mots.
"Vous plaisantez, grogna Lydia, je ne peux pas juste vous regarder alors que…
- Il m'a lancé un défi, mon honneur est en jeu." coupa-t-elle malicieusement.
La huscarl voulait protester, mais Siltafiir courait déjà à la rencontre de son adversaire. Lydia lâcha épée et bouclier, s'assit sur le porche et observa le duel en grommelant. Les dragons accordaient-ils tant d'importance à ces traditions ? Elle peinait à y croire. Partir à l'aventure avec une légende vivante ne s'avérait pas aussi intéressant que prévu. C'était toujours mieux que de passer le balai, mais tout de même…
La poignée de gardes qui protégeaient habituellement le hameau reçurent le même traitement que Lydia, repoussés par l'Enfant de Dragon. Bientôt, tous les habitants assistaient au combat, soufflés par les explosions, jusqu'à ce que le dragon soit forcé d'atterrir, épuisé par ces échanges. À seulement quelques mètres des hostilités, Lydia discernait nettement les coudes et genoux éraflés de son thane, son torse qui se soulevait et s'abaissait rapidement, les trous qui parsemaient sa tunique roussie par les flammes, et surtout l'expression heureuse qui illuminait son visage poussiéreux.
La Nordique s'attendait à la voir charger, profiter que la bête soit enfin à portée de lame, mais en place de cela trois mots résonnèrent:
TIID KLO UL
Lydia se frotta les yeux, cligna des paupières, se pinça, puis le hurlement du dragon attira son attention. La bouche grande ouverte, elle découvrit son thane, maintenant sur la tête du reptile, son épée plantée dans la nuque géante. Le corps s'effondra lourdement après un dernier soubresaut, jetant Siltafiir à terre et la forçant à rouler sur une bonne distance. Elle se releva difficilement, massant ses articulations, puis se retourna vers la carcasse qui partait en flammes. L'âme de l'immortel s'envola, enveloppa la jeune fille et disparut aussi vite que la chair du dragon.
Dans un râle extatique, Siltafiir revint vers sa huscarl, totalement débarrassée des blessures superficielles glanées durant le combat. Elle éclata de rire en voyant l'air hébété de la Nordique et lui proposa d'aller prendre un petit-déjeuner pour se remettre de ses émotions. Lydia fronça des sourcils vexés, mais finit par accepter, suivant la Brétonne sautillante qui fredonnait une chanson pleine de fausses notes. Elle ne se rendormirait pas après cela de toute manière.
xxx
Malgré les remontrances de Lydia, Siltafiir ne parvenait pas à se presser. Le temps s'écoulait si lentement, si agréablement, les secondes se répercutaient contre le Parchemin des Anciens et ul répondait, vibrant dans son âme et son esprit. Plus elles approchaient de la Gorge du Monde, de la fracture du temps, et plus ces sensations s'intensifiaient. Si elle pouvait un jour ressentir l'éternité, c'était à ce moment; le passé et l'avenir s'unissaient, deux parts d'un tout séparées par l'instant présent. Voilà ce que signifiait être un dragon. Son extase l'empêcha de s'offusquer quand Lydia lui saisit les épaules et la poussa le long des sept-mille marches en grommelant. La huscarl ne voulait pas rester sur cette montagne plus longtemps que nécessaire; même pour une Nordique, il y faisait drôlement froid.
Lorsqu'elles traversèrent le Haut-Hrothgar, Lydia peina à dissimuler son agacement. Grimper toutes ces marches pour, une fois encore, attendre son thane, bien sagement, en arrière. Elle voulait racheter son inutilité lors des événements de Fortdhiver, compenser son inaction de la matinée, mais profaner un lieu sacré ne l'aiderait pas à satisfaire ce dessein. Elle salua le départ de Siltafiir par un soupir exaspéré et retourna dans le monastère en priant Ysmir qu'elle ne s'attire pas trop d'ennuis.
Siltafiir jeta un dernier regard à Lydia, puis les brumes de la Gorge du Monde la forcèrent à avancer. Impossible de méditer sur ul en criant tous les vingts pas, surtout que, sans Lydia pour la garder loin des précipices, crevasses et toutes les chutes mortelles, elle devait se concentrer sur le chemin. Pour ne rien arranger, elle se posait des questions et il fallait qu'elle en dérobe les réponses à Paarthurnax sans lui révéler son lien avec Værmina. Elle lui ferait avouer la manière dont Miraak avait perdu son calme, l'effet du cri. Elle apprendrait ces mots, oui, mais elle voulait savoir ce qui l'attendait.
Entendre les échos de la blessure du temps ralentissait sa réflexion; ils la heurtaient par vagues irrégulières, parasitaient ses sens avec plus ou moins d'intensité, lui proposaient traîtreusement de s'asseoir et de méditer sans fin dans ce nid à spectres des glaces. C'est frustrée - et essoufflée par l'utilisation répétée du cri ciel dégagé - qu'elle atteignit la dernière ligne droite avant le repère de son aîné. La présence du vieux dovah lui paraissait étouffée, noyée dans les flux d'énergie qui enveloppaient le pic, mais il était là, nul doute possible.
Elle s'arrêta quelques secondes, répéta ses questions et inspira profondément. Dès qu'elle atteignit le sommet, il la salua d'un ton impatient et lui conseilla de lire immédiatement le Parchemin, là où la blessure du temps était la plus profonde. L'artefact vibrait dans son dos, aussi pressé que le vieux dragon, mais Siltafiir avait vu la réaction de Miraak, sa perte de contrôle. Sa rage. Paupières closes, elle visualisa ces images pour tenter d'assourdir les flots temporels et de finalement construire une phrase claire, puis fixa Paarthurnax.
"Il n'y a aucun risque, n'est-ce pas ? s'enquit-elle en décrochant le Parchemin de son bagage.
- Votre âme est liée au temps, répliqua-t-il, pour vous, un Kel n'est pas plus dangereux qu'un livre normal. Allez-y."
Elle se surprit à sourire, mais insista:
"Je veux dire, le fendragon, il n'aura pas d'effet négatif, n'est-ce pas ?
- Alduin approche, grogna-t-il en agitant sa queue et ses ailes, nous n'avons plus le temps.
- Alduin ?" répéta-t-elle en tournant la tête vers le ciel.
Maintenant qu'elle se concentrait, elle sentait effectivement un pouvoir incommensurable se diriger vers eux à grande vitesse, et son ventre se noua. Elle allait le combattre ? Ici ? Non ! Elle manquait d'entraînement, de préparation ! De temps !
"Il aura vu les signes, pressa-t-il, il sait ce que nous nous apprêtons à faire. Dépêchez-vous !"
Sonnée par l'éternité qui filtrait au-travers de la fissure, par la puissance de son ennemi, par les ordres de Paarthurnax, elle oublia ses questions, déroula le Parchemin et le parcourut du regard. Les flots du temps s'écoulèrent sans retenue depuis la page, traversèrent son âme, s'y mêlèrent naturellement. Impossible de respirer, heureusement elle n'en ressentait pas le besoin car les Vennesetiid nourrissaient son corps, lui prodiguaient toute l'énergie dont elle pourrait jamais rêver. Les textes construits de signes intemporels lui sautèrent au visage, leur sens se grava dans son esprit et leur histoire se déroula devant ses yeux. D'abord, tout se passait en même temps, ni début, ni fin, puis les événements se séparèrent, s'alignèrent.
Un ciel orageux s'étendait à perte de vue, la Voix des dragons l'emplissait, et leurs carcasses jonchaient les neiges éternelles du pic. Trois Nordiques… non, trois Atmoréens venaient d'abattre un immortel. L'oreille tendue, elle les entendit parler d'Alduin, du Parchemin, de leurs frères tombés. Ses jambes et le reste de son corps refusèrent d'obéir quand elle leur commanda d'avancer pour mieux écouter, alors elle fixa la scène avec intensité. Tout son être anticipait le fendragon, crainte et impatience se mêlaient. Elle ne voulait pas apprendre ces mots, la réaction de Miraak la terrifiait, mais combattre Alduin sans ce pouvoir…
Un rugissement surpuissant déchira les cieux. Quelques secondes plus tard, une ombre colossale balaya la Monahven et les Atmoréens s'agitèrent. Un choc se propagea dans tout le pic lorsqu'Alduin en personne atterrit sur le mur à rotmulagge qui ornait la montagne. La voix du dévoreur tonna:
"Meyye ! Tahrodiis aanne ! Him hinde pah liiv ! Zu'u hin daan !"
La force de cette voix secoua Siltafiir alors même que des millénaires la séparaient de cette scène, et l'arrogance dont fit preuve la seule femme du trio la déconcerta.
"Comme ceux qui nous regardent en Sovngarde doivent nous envier en ce jour !" s'exclama-t-elle en bombant le torse.
Ils s'alignèrent, emplirent leurs poumons de l'air glacial de la Monahven et hurlèrent sur Alduin.
Siltafiir crut que sa tête explosait.
Trois mots lui brisèrent le crâne pour atteindre son cerveau.
Elle voulait fermer les yeux, se boucher les oreilles, crier jusqu'à noyer ces connaissances, mais ses yeux voyaient, ses oreilles entendaient et les flots du temps noyaient son souffle. Le fracas qui parcourut la montagne lorsqu'Alduin s'écrasa au sol l'atteignit à peine, mais la douleur qui suinta de ses paroles la força à écouter:
"Nivahriin joorre ! cracha-t-il en se redressant du mieux qu'il pouvait. Qu'avez-vous fait ? Quels sont ces mots déformés que vous avez créés ?!"
Une minute plus tôt, Siltafiir n'aurait jamais cru qu'Alduin ressentait la peur, mais une telle détresse habitait sa voix…
"Tahrodiis Paarthurnax ! gronda-t-il en découvrant ses crocs. Je vais te rompre le cou ! Dir ko maar ! Vous allez mourir de terreur en apprenant votre destin !
- Si je meurs aujourd'hui, ce ne sera pas de terreur ! rétorqua la femme en chargeant. Bordeciel sera libre !"
Les deux autres la suivirent, usant du cri de glace et tailladant les côtes et les ailes d'Alduin.
"Tu ressens la peur pour la première fois, ver de terre, nargua-t-elle de plus belle, je le vois dans tes yeux."
Enorgueillie, elle baissa sa garde un instant de trop, et les dents du dévoreur s'emparèrent de son torse. Un craquement mortel résonna sur le pic, puis le corps brisé vola, jeté comme un déchet par le plus vieux des dovahhe. Il se retourna vers les survivants qui reculaient en tremblant.
"Ça ne sert à rien ! se lamenta le plus jeune, Felldir, utilisez le Parchemin ! Maintenant !"
Alduin ne prêta aucune attention à ces mots, crachant ses flammes sur celui qui venait de parler pendant que l'autre reculait en brandissant l'artefact. Il entonna une prière à Kynareth, le Parchemin déroulé, tourné vers Alduin. Le dragon ne l'entendit que tardivement, occupé par son assaillant, et ce n'est que lorsqu'une colonne de lumière l'enveloppa qu'il déposa son regard sur le vieil homme.
"Faal Kel…?! Nikriinne…"
Ses yeux rouge s'écarquillèrent, la terreur enroua sa voix, il tenta de brûler l'insolent qui voulait le bannir mais l'énergie du Parchemin repoussa les flammes. Et il disparut. Suivant rapidement, la vision se troubla, les voix des deux hommes s'estompèrent, Siltafiir retrouva le contrôle de ses membres. Plus elle reprenait pied avec la réalité, plus la douleur du fendragon s'intensifiait. Ses poumons se gonflaient, son cœur s'agitait, et chaque expiration la drainait, chaque battement fatiguait ses veines. Fixer la neige abîmait sa vue. Son corps faible se désagrégeait au contact de l'air. Le froid attaquait ses voies respiratoires, grignotait sa peau. Rester debout blessait ses muscles et ses os.
Tout son être mourait.
"Bahloki nahkip sillesejoor, tonna une voix maintenant familière, je suis repu des âmes de tes frères mortels, Dovahkiin."
Alduin la toisait, une bonne dizaine de mètres au-dessus de la Gorge du Monde, mais rien ne l'intéressait moins. Elle ne sentait presque plus les flots du temps. Elle se tenait au milieu de la brisure, là où la connexion aurait dû se faire sans le moindre effort, mais ils produisaient à peine plus d'énergie qu'un faible brise. Le chant du Parchemin n'atteignait plus son âme. Ul ne vibrait plus. Plus du tout. Elle se rappelait de tiid et de klo, comprenait leur sens comme toujours, mais ul ne signifiait plus rien, que deux lettres vides, un son dénué de corps. Ses lèvres tentèrent de le former, mais le couinement qu'elles produisirent lui donna envie de pleurer.
Et Alduin la narguait, la traitait de mortelle, prononçait son nom, Dovahkiin, d'un ton moqueur. Elle le haïssait. Cet immortel arrogant, cette créature qui ne connaissait pas sa souffrance, elle voulait le jeter à terre, lui faire partager sa peine. Lui faire comprendre.
"Tu vas mourir, siffla-t-il, et je te retrouverai en Sovn-"
- JOOR ZAH FRUL."
Ces mots l'horripilaient et les prononcer lui donnait envie de vomir, mais l'expression horrifiée qui tordit les écailles du premier fils d'Akatosh valait bien ce sacrifice. La neige soulevée par sa chute le dissimula complètement pendant une seconde, puis ses yeux sanguins réapparurent, embrasés par la colère. Tandis qu'il se redressait en soufflant bruyamment, Siltafiir approcha et dégaina Mort-Dragon.
"Dir ko maar." crissa-t-elle en soulevant une tornade de flocons.
Alduin découvrit ses dents dans une grimace haineuse, mais ne répondit pas, préférant tourner sa gueule vers le ciel. Sa gorge serpentine se gonfla, ses mâchoires se séparèrent largement et il cria:
VILD AG MAH
Le choc déstabilisa l'humaine qui dut poser un genou à terre. Suivant le regard de son ennemi, elle déglutit, revivant les événements d'Helgen comme s'ils dataient de la veille. Le ciel s'assombrit, s'enflamma, et une par une des pierres brûlantes en tombèrent, s'écrasèrent sur la montagne.
xxx
Lydia se précipita dans la cour du monastère, alertée par les hurlements qui tombaient du pic. Son thane lui avait juré qu'elle ne devait rien faire d'autre qu'apprendre des mots, mais comme toujours elle s'était trompée. La Nordique se maudit de l'avoir abandonnée. Oui, elle était un millier de fois plus faible que Siltafiir, oui, elle ne valait presque rien face à un dragon ou un daedra, mais elle était sa huscarl, elle devait l'aider en toutes circonstances ! Elle jeta un regard désespéré au chemin barré par les vents et la brume alors que le ciel se couvrait et que des rocs - des rocs - en tombaient, brisant les flancs de la montagne. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer là-haut ?
Arngeir et les autres ermites la rejoignirent rapidement et elle espéra recevoir des réponses, mais l'inquiétude qui accentuait les rides des moines découragea ses questionnements. Elle se contenta de fixer le sommet, le cœur tambourinant presque aussi fort que les cris qui en tombaient. Lorsqu'un dragon apparut dans son champ de vision, elle soupira de soulagement: si son thane savait faire quelque-chose, c'était tuer ces monstres. Son assurance s'effrita quand un second reptile rejoignit le premier, plus grand, plus sombre, et qu'Arngeir blêmit en murmurant:
"Alduin…"
Elle se tourna brusquement vers lui, refusant d'y croire, mais les yeux écarquillés du vieil homme ne mentaient pas. Sa confusion doubla quand le premier dragon attaqua le dévoreur, l'empêchant d'esquiver un cri qui avait sûrement été lancé par Siltafiir. Ils disparurent à nouveau, n'abandonnant derrière eux que les sons du combat. Lydia devait se mordre le poing pour éviter de gémir sous le poids de la tension. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer là-haut ?
Après ce qui lui parut une éternité, les dragon réapparurent, luttèrent à coups de griffes, de crocs, de mots, puis le plus sombre, celui qui devait être Alduin, repoussa l'autre assez puissamment pour le faire tomber, heurter la roche et rouler, aussi lourd et rapide qu'une avalanche. Lydia, mue par ses instincts de combattante, saisit le bras d'Arngeir juste à temps pour le tirer loin de la course incontrôlable du dragon. Celui-ci s'arrêta au milieu de la cour, peinant à se redresser, secouant sa tête immense pour reprendre ses esprits.
"Maître Paarthurnax !" s'écria Arngeir en courant à la rencontre du reptile.
Paarthurnax ? Le maître des Grisesbarbes ? La pauvre femme observait tour à tour le vieil homme et le vieux dragon, incapable de gérer cette révélation précipitée. Heureusement, une distraction se présenta: le ciel s'éclaircit et Alduin s'envola loin du pic, suivi presque immédiatement par une exclamation enragée.
"Bo rigir ! Lir ! Nikriin !"
Lydia ne comprit aucun de ces mots, mais le frisson qui traversa son dos les traduisit pour elle. Le regret de n'avoir accompagné son thane là-haut disparut, remplacé par le désir de la voir rester le plus loin possible, le plus longtemps possible. Jamais elle n'aurait dû ressentir ça à l'égard de celle qu'elle avait juré de servir, mais un accent dans sa voix la terrifiait. Absorbée par ce conflit interne, elle ne se rappela du dragon que lorsqu'il décolla en déclarant que l'Enfant de Dragon n'était plus dans son état normal.
Il vola jusqu'au sommet, craignant la réaction de la jeune fille maintenant qu'Alduin avait fui. Il avait espéré qu'elle supporterait mieux le fendragon que Miraak, mais il s'était trompé. Les âmes draconiques, même celles prisonnières d'un corps éphémère, ne pouvaient s'adapter au concept de mortalité. Il atterrit sur le mur à rotmulagge et attendit, la queue agitée, que Siltafiir le remarque. Elle piétinait la neige, tournait en rond, ouvrait et fermait les poings en marmonnant. Un comportement qui lui rappelait désagréablement celui de Miraak.
C'est alors qu'elle se figea. Le silence pesant inquiétait Paarthurnax, mais il savait que la presser ne résulterait en rien de bon. Il attendit, une, deux, trois minutes, puis une voix rauque s'échappa du masque de Krosis:
"Vous le saviez. Vous m'avez laissé l'apprendre sans rien dire."
Il ne sut que répondre, mais apparemment elle s'en fichait.
"Vous aviez quatre mille ans et vous n'avez rien trouvé de mieux que ces… ces mots… tordus."
Il aurait juré qu'un sanglot venait de l'interrompre, alors il ouvrit la bouche pour tenter de la calmer, mais elle ne lui accorda pas même une seconde.
"JOOR ZAH FRUL." hurla-t-elle en se retournant.
Paarthurnax s'écrasa au pied du mur, et presque immédiatement une pression s'exerça sur son cou, trop légère pour le garder à terre, mais assez forte pour attirer son attention. Il posa son œil sur l'origine de ce poids. C'était le pied de l'Enfant de Dragon, et juste au-dessus son épée, encore rouge du sang de leur aîné, menaçait de s'abattre pour un coup mortel.
"Tu connaissais l'effet de ces mots ! s'étrangla-t-elle. Tu as vu ce qu'ils ont fait à Miraak et tu m'as laissée les apprendre !"
- Comment savez-vous… ? entama Paarthurnax.
- C'est moi qui pose les questions !" trancha-t-elle, le timbre cassé.
Tout son corps tremblait, elle sentait des larmes couler librement sous son masque, ses phalanges craquaient tant elle serrait le manche de Mort-Dragon. Elle fixait l'œil de Paarthurnax, y cherchait la peur de la mort, la colère de se voir menacé, mais rien de tout cela ne brillait derrière la pupille blanchie par les ans. Seul un voile de regret couvrait ses traits, et il inspira profondément avant de répondre.
"Miraak était pahlokal, arrogant. Tous lui répétaient qu'il devait dominer. Vahraan med vozahlaas, même nous, les dovahhe, le traitions comme un immortel. Je pensais… j'espérais que grandir parmi les hommes vous aurait protégée. J'avait tort."
Elle demeura immobile, son souffle erratique agitait tout son être, et après quelques secondes elle lâcha son arme, ses jambes l'abandonnèrent, elle s'agenouilla dans la neige. Paarthurnax se redressa lentement, toujours endolori par le pouvoir de fendragon, et attendit. Après un court moment, elle ôta son masque, essuya ses yeux, son nez et murmura:
"Je dois encore tuer Alduin."
À suivre…
Pardon pour l'attente. Avoir envie d'écrire la scène du fendragon avant même de commencer cette fic ne m'a pas rendu plus rapide.
Depuis ma toute première partie, je me suis toujours demandé quels mots Alduin utilisait pour invoquer une pluie de météores… Du coup j'en ai trouvé trois qui pourraient convenir. J'espère qu'ils vous plaisent :D comme le reste de l'histoire d'ailleurs.
Et pardon pour le titre, j'ai pas pu m'en empêcher. :D
Termes draconiques:
Dovah ! Laat grozein bovul ! - Dragon ! (C'est la) dernière chance (de) fuir.
Dovahkiin ! Bek honah hi. Zu'u laan jur. - Enfant de Dragon ! (J'étais) sûr (de) t'avoir senti/repéré. Je veux (un) défi
Zu'u eim, rodraan dir. - J'accepte, prépare(-toi à) mourir.
Kel - Parchemin des Anciens
Vennesetiid - Flots du temps (littéralement: vents du temps)
Monahven - Gorge du Monde (littéralement: Mère Vent)
Rotmulagge - Mots de pouvoir
Meyye ! Tahrodiis aanne ! Him hinde pah liiv ! Zu'u hin daan ! - Idiots ! Traîtres ! Vous vous dépérissez ! Je suis votre perte !
Nivahriin joorre ! Tahrodiis Paarthurnax ! - Lâches mortels ! Traître Paarthurnax !
Faal Kel…?! Nikriinne… - Le Parchemin…?! Lâches…
Bahloki nahkip sillesejoor - Mon appétit (est) nourri par les âmes des mortels.
Vild Ag Mah - Roc Brûler Tomber
Bo rigir ! Lir ! Nikriin ! - Reviens (viens en arrière) ! Ver ! Lâche !
pahlokal - arrogant
Vahraan med vozahlaas - traiter comme (un) immortel
