Diist Sil ! Première Âme
Le fumet des poissons fraîchement pêchés se mariait aux convois épicés pour créer ce parfum typique des ports marchands. Le mal du pays s'empara de Siltafiir tandis qu'elle traversait la rivière Karth grâce à son anneau de marche sur l'eau et se remémorait ses journées passées au marché de Refuge. Dérober une pomme sur un étal, vider les poches d'un noble, crocheter la serrure d'un entrepôt… Jamais elle n'avait ressenti une telle nostalgie. Une fois sur le ponton d'amarrage, ses doigts la démangèrent cruellement; une femme aux habits somptueux négociait avec le capitaine d'un bateau.
Siltafiir approcha silencieusement de sa cible, le cœur battant plus vite à chaque pas. La conversation accaparait toute l'attention de cette femme et une bourse bien remplie pendouillait sur sa ceinture lâche. Une occasion trop parfaite. Puis quelqu'un murmura que l'Enfant de Dragon se trouvait là. Immédiatement, tous les regards se posèrent sur son masque, réduisant à néant toute chance d'accomplir son méfait. Crachant un sifflement frustré, elle se dépêcha de monter le chemin qui menait aux portes de Solitude.
Passant sous une arche, elle s'immobilisa dans l'ombre, s'assura que personne ne la suivait, et retira son masque. Malgré son échec au port, elle ne se décourageait pas. Les rues de Solitude regorgeaient de larcins potentiels, un voleur respectable se devait d'en profiter. Sans compter qu'il lui fallait se détendre avant de rencontrer Tullius, et peu de choses possédaient les vertus relaxantes d'un vol à la tire réussi.
Lorsqu'elle entra dans la ville, les soldats postés devant les remparts ne lui accordèrent qu'un vague coup d'œil; ils voyaient passer des voyageurs encapuchonnés trop souvent pour s'en inquiéter. Siltafiir se promena une minute, cherchant du regard une proie facile pour s'échauffer. Sa quête divine ne l'avait que trop distraite ces derniers mois, elle manquait de pratique. Elle repéra l'une des deux Altmers qui tenaient la boutique de vêtements la plus raffinée de Solitude et s'approcha d'elle sans en donner l'air. Les yeux posés sur un grand bâtiment, une fausse curiosité dans le regard, elle heurta l'elfe et s'écarta tout aussi vite en s'excusant.
La victime, inconsciente du tort qui venait de lui être causé, renifla dédaigneusement et partit sans un mot. Tâtant sa nouvelle acquisition le sourire aux lèvres, Siltafiir échappa un sifflement heureux. Au-travers de la bourse, au milieu des septims, elle sentait deux pierres taillées. Sous sa cape, elle détacha la cordelette et poussa un petit cri de joie; des émeraudes, rien de moins. Elle avait presque oublié à quel point elle aimait cela.
Dire qu'une fois cette trêve organisée elle ne serait qu'à un pas de la fin de sa mission et donc de son retour définitif dans la Guilde. Elle ne se soucierait plus que de remplir ses poches et les coffres des voleurs. Plus de raison de sauver Nirn, juste de la piller. Plus motivée que jamais, elle longea les routes pavées, et ce n'est qu'en fin d'après-midi qu'elle jugea bon de rencontrer le général.
Au profit d'une ruelle isolée, elle cacha son sourire derrière Krosis et se dirigea vers Mornefort. Son anonymat envolé, elle fut bien forcée de remarquer les coups d'œil et les sourcils ondulant des habitants. Quelques murmures lui égratignèrent les oreilles: on s'extasiait, on désapprouvait, on mentionnait ses exploits ou ses colères, et bien entendu...
"C'est la trainée des sombrages."
Son sourire retomba.
"Je me cacherais aussi le visage si j'avais écarté les jambes pour les hommes d'Ulfric."
Elle accéléra le pas, les poings serrés.
"Si ça se trouve, elle veut goûter de l'impérial maintenant. Regarde, elle se dirige vers les casernes."
C'en était trop. Elle se tourna d'un coup vers l'homme à l'allure bourgeoise qui avait prononcé ces dernières paroles. Il blêmit immédiatement, regrettant sa langue trop pendue. Fixant le médisant, Siltafiir s'approcha lentement, ravie de voir son expression se décomposer un peu plus à chaque pas. Il rentrait la tête entre ses épaules, au point que son menton disparaissait dans le col de sa tunique.
"Vous avez quelque-chose à me dire ?" siffla-t-elle à moins de trente centimètres de l'homme terrifié.
Il répondit d'un couinement négatif.
"Vraiment rien ? insista-t-elle en élevant la voix. Plus envie de critiquer mon comportement alors même que je risque ma vie tous les jours pour sauver ce pays de… de… vokogaan firokke !"
Il recula d'un pas, soufflé par la colère de Siltafiir. Mais elle ne s'arrêta pas là. Les calomnies résonnaient encore contre ses tympans. Une petite voix lui intimait de se calmer, de laisser couler ces insultes d'ignorant, mais le thu'um grondait plus fort. Bah, fus, krii, yol, tant de mots qui se bousculaient dans son esprit, se disputaient le droit de réduire ce mortel pathétique au silence.
"Hors de ma vue !" s'écria-t-elle avant qu'un vrai rotmulaag ne lui échappe.
L'homme atterrit sur deux spectateurs, puis se releva en titubant, aidé par une vieille femme qui jetait des regards noirs à Siltafiir. Celle-ci se dirigea finalement vers Mornefort, encore tremblante de rage. Son après-midi ruiné par ces malappris, et cela parce qu'elle n'avait pas réfléchi aux conséquences d'un simple baiser, ne présageait rien de bon pour son entretien avec le général. Il connaissait forcément sa réputation et refuserait donc de participer à ce conseil.
Ignorant les gardes qui la fixaient avec une appréhension non-dissimulée, elle poussa la porte du fort et demanda où trouver Tullius. C'est autour d'une table couverte de cartes et de lettres qu'il se tenait, discutant avec une Nordique en armure de légionnaire, sûrement la légate Rikke.
"Nous devons absolument reprendre Blancherive, grogna-t-il sans lever la tête de ses documents, cette position est trop précieuse.
- Ulfric le sait aussi bien que vous, répondit sa subordonnée, nos sources ont confirmé qu'il avait doublé le nombre de soldats en garnison là-bas, et puis..."
Elle s'interrompit quand Siltafiir entra dans la pièce. Interpellé par ce silence, Tullius leva les yeux et demanda:
"Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous voulez ?"
Son ton agressif arracha un grincement de dents à la jeune fille, mais elle inspira profondément et répliqua:
"J'ai besoin d'aide pour sauver Tamriel. Je suis l'Enfant de Dragon.
- Ah, oui, j'ai entendu parler de vous, dit-il en haussant un sourcil, pourquoi n'allez-vous pas importuner les sombrages ?"
Elle cracha un juron qui agita toutes les chandelles de la pièce avant de résumer son plan aux deux militaires. Rikke la fixait avec intérêt, mais Tullius se contenta de secouer la tête.
"Je ne peux pas me permettre d'ignorer Blancherive alors qu'Ulfric continue de s'en prendre à mes postes avancés, surtout pas pour de vulgaires légendes."
Il ne put réprimer un sursaut quand Siltafiir plaqua ses mains sur la table.
"Alduin n'est pas une vulgaire légende, cracha-t-elle, il a détruit Helgen sous vos yeux !"
Là, ils l'écoutaient, et les papiers qui volaient de toutes parts aidaient certainement.
"Vous étiez à Helgen ? questionna Rikke, une main sur le pommeau de son épée.
- En effet, d'ailleurs j'ai eu de la chance qu'il attaque à ce moment-là. Trente secondes plus tard et vous m'auriez coupé la tête. Sans procès."
Le ton glacial de la jeune fille éteignit une bougie proche.
"Oui, je me rappelle, reprit Tullius sans se laisser impressionner, mais ça ne change pas-
- Général, coupa Rikke, vous devriez l'écouter, elle a raison à propos d'Alduin.
- Elle vient d'avouer être une criminelle et vous me conseillez de lui obéir ?
- Justement. Si elle avait eu le choix, elle ne serait pas venue."
La ride qui séparait les sourcils de la légate se creusa encore plus, mais pas à cause du regard sévère de son supérieur.
"Acceptez de participer à ce conseil."
Un duel silencieux s'engagea entre les militaires, puis Tullius soupira, exaspéré, et concéda la victoire à Rikke.
"Très bien, je viendrai, mais je doute du succès de ces négociations.
- Peu importe que vous aimiez cette idée, trancha l'Enfant de Dragon, tout ce que vous devez faire c'est d'être présent le moment venu."
Avant qu'il ne lui réponde, elle s'éclipsa à grandes enjambées. Elle n'avait tué personne, brisé aucune pièce de mobilier et il ne lui manquait qu'un seul homme à convaincre. La journée ne se déroulait pas si mal que ça après tout.
Elle ouvrit bientôt la porte du Ragnard Pervers, poussant un râle épuisé lorsque les odeurs d'hydromel et de potage lui emplirent les narines. Ignorant les murmures et coups d'œil qui suivaient sa trace, elle s'appuya au comptoir et commanda une chambre, un repas et un bain. Elle paya grâce à l'une des bourses dérobées le jour-même puis, alors qu'elle attendait son bol de soupe, une poutre attira son attention.
Coupant les sillons du bois, un petit triangle posé sur un losange tronqué lui rappela ses quelques mois passés à la Guilde. Depuis une table qui bordait la poutre gravée, un Argonien la détaillait avec ce qui ressemblait à de la suspicion. Elle observa la marque, puis l'Argonien, puis à nouveau la marque, et lui lança finalement un signe de tête auquel il répondit. Elle s'éloigna du comptoir, empoigna une chaise et, accoudée à la table, lui murmura:
"Ça vous dit de faire affaire ?"
Lire les froncements de sourcils d'un être sans sourcils était fort compliqué, mais devant un sourire si grand, personne ne pouvait se tromper. Ils marchandèrent un moment, Siltafiir obtint une somme raisonnable pour ses acquisitions de l'après-midi et le receleur se présenta sous le nom de Gulum-Ei.
"Alors ils ne se moquaient pas de moi, susurra-t-il pendant que Siltafiir remballait ses affaires, l'Enfant de Dragon est vraiment l'une des nôtres.
- Vous avez des nouvelles de la Guilde ?" questionna-t-elle, soudainement intriguée.
Elle apprit que Brynjolf abhorrait sa fonction de maître et que Delvin, motivé par l'envolée de la malédiction, avait triplé son temps sur le terrain. Vex, quant à elle, se chargeait de tester les nouvelles recrues, et ces jours-ci elle ne manquait pas de travail. Rien d'autre n'avait vraiment changé. Les affaires de Tonilia prospéraient, Niruin se vantait de surpasser tout le monde au tir à l'arc, Rune n'avait toujours rien découvert de ses origines et Thrynn cherchait encore une personne capable de le vaincre au bras de fer.
Siltafiir soupira, nostalgique. Certes, ça ne faisait même pas une année qu'elle avait commencé sa quête, mais la Guilde lui manquait tant…
"Je suis sûr qu'ils voudront savoir comment vous vous portez, murmura Gulum-Ei, Delvin s'inquiète pour vous. Il demande à tous les contacts de la Guilde s'ils ont des informations sur vous, moi compris, dès qu'il en a l'occasion.
- Ça lui ressemble bien, sourit-elle, vous pourrez lui dire que…"
Elle s'interrompit, hésita une seconde, puis gloussa en pensant à leurs réactions lorsqu'ils entendraient cela:
"Dites-lui que je dois organiser une trêve entre Ulfric et Tullius, ça devrait lui plaire."
Gulum-Ei la fixa un moment, puis souffla:
"Vous êtes sérieuse ?"
Elle acquiesça.
"Il ne sera pas le seul à qui ça plaira, caqueta-t-il, et vous pensez y arriver ?
- J'ai convaincu Tullius de participer aux négociations et je pense qu'Ulfric acceptera aussi. Ce qui me fait peur c'est la rencontre elle-même."
Le menton sur sa paume, elle soupira longuement. Gulum-Ei rit discrètement alors qu'elle ramassait son sac et lui souhaita bonne chance. Elle en aurait besoin.
xxx
Assise devant les souvenirs de Ralof, Siltafiir redoutait sa visite à Vendeaume. Les chances de le croiser là-bas étaient moindres, mais existantes, et elle ne savait comment gérer cette rencontre. Les rides qui ondulaient sur le liquide mémoriel lui rappelaient la vieillesse imminente du sombrage, la mort qui le rattraperait en un clin d'œil, et ce uniquement si cette guerre ne le tuait pas avant.
Ajoutées à cela les rumeurs honteuses qui couraient le pays, Siltafiir voyait mal quels plaisirs il lui restait à tirer de cette relation. Oui, son étreinte, ses baisers, toutes ces marques d'affection qui accéléraient les battements de son cœur suffiraient à la convaincre en d'autres circonstances, mais toujours l'appel du fendragon les effaçait, la rappelait à leur nature éphémère. Futile.
Elle se demanda si, après tant d'années, Miraak était parvenu à oublier ce cri. Peut-être en le remplaçant par un autre mot, comme frul avait occulté ul, ou autrement... Hermaeus-Mora, le maître du savoir, connaissait sûrement un moyen, il le devait. Elle se tourna vers le château de Værmina. Si Mora possédait ce pouvoir, c'était le cas d'autres daedras, et si quelqu'un savait comment effacer un souvenir, il s'agissait bien de la reine des souvenirs. Siltafiir oserait-elle quémander son aide ? L'idée la fit déglutir. De toute manière il ne servait à rien de s'en inquiéter jusqu'à la défaite d'Alduin, autant ne pas y penser.
Secouant la tête, elle se releva. Il lui fallait se calmer avant de rencontrer Ulfric, ce qui ne risquait pas d'arriver si elle continuait de se torturer avec ces questions. Là-bas, pas de Rikke pour l'aider, mais au moins elle pouvait compter sur le chef rebelle pour prendre la menace d'Alduin au sérieux. Un tel traditionaliste ne pourrait ignorer la plus vieille légende du Nord. Et tant pis si Ralof l'attendait à Vendeaume, autant crever l'abcès le plus vite possible, songea-t-elle en marchant.
Plus question de se morfondre, et surtout pas à cause d'un homme. Elle avait gaspillé une trop longue partie de son adolescence à chercher quelqu'un et autant de temps à se convaincre qu'elle se suffisait à elle-même. L'Enfant de Dragon n'avait besoin de personne. Décidée, elle choisit de reprendre ses activités d'espionnage, en commençant par la mémoire de Miraak.
Quelques secondes de concentration suffirent à retrouver le marécage du premier Dovahkiin. Elle y plongea et chercha un souvenir digne d'intérêt. Une bulle explosait de violence pendant qu'une autre, terne, ne dégageait qu'ombres et grésillements. Certaines se tenaient là, silencieuses, sombres, inquiétantes, au milieu d'images fredonnantes ou accablées de chagrin. Celle qui attira Siltafiir était enveloppée d'une aura paisible, si blanche qu'elle aurait dû l'aveugler. Lorsqu'on s'en approchait, on sentait pourtant les vibrations lointaines d'une voix puissante. Il n'en fallut pas plus pour la convaincre d'y entrer.
Elle atterrit dans un lieu si blanc qu'on n'en distinguait pas les contours. Un souffle régulier l'enveloppait, comme les vagues allant et venant dans les ports, accompagné d'une voix à peine audible. Cette voix gagnait en force à chaque instant, son borborygme se précisait jusqu'à former un mot qu'elle répétait inlassablement, mais impossible de le saisir. Les lèvres de Miraak tentèrent de le prononcer, sans succès. Pourtant il l'avait lu quelques heures auparavant, il devrait s'en rappeler aisément, mais la nature insaisissable de ce rotmulaag rendait sa tâche difficile.
Malgré son impatience, Miraak se força à conserver son calme. S'il s'énervait maintenant, tous ses efforts tomberaient à l'eau et il ne pourrait que tout recommencer. Il connaissait trop bien cette frustration, l'ayant vécue lorsqu'il apprenait feim et zii. Tous les autres mots lui venaient avec une facilité déconcertante, alors pourquoi ces trois-là refusaient-ils de...
"Dovahkiin !"
Il ouvrit les yeux, fixant Dukaan qui se tenait agenouillé en face de lui. Le vieillard rachitique avait soulevé une de ses paupières alourdies par les rides. Il observait la fenêtre de sa tour de méditation où s'engouffra un second appel:
"Zu'u vogahvon hi !"
Dukaan soupira avant de se retourner vers le jeune homme.
"Nous avons terminé pour aujourd'hui, déclara-t-il de sa voix usée, il serait malavisé de refuser un défi."
Miraak cligna des yeux, encore à moitié déconnecté, puis l'information atteignit ses méninges.
"Quoi ?
- Il est déjà surprenant qu'aucun maître ne vous ait attaqué jusqu'à maintenant, continua le prêtre, mais il faut avouer que Solstheim n'est pas un territoire très prisé.
- Il veut... me combattre ?
- Bien entendu. Vous avez grandi au sein du culte, vous connaissez nos lois.
- Oui, mais... Je...
- Vous êtes un dovah. Si vous refusez ce duel, vous devrez quitter Solstheim et je ne pourrai plus rien vous enseigner," ponctua Dukaan sans perdre son indifférence.
La bouche de Miraak s'ouvrait et se fermait sans but. Il ne pouvait pas affronter un dragon seul à seul, des groupes entiers de rebelles ou d'elfes se faisaient décimer ainsi, et contrairement aux immortels il ne reviendrait pas à la vie. Il ne pouvait pas non-plus refuser, car Dukaan avait raison. Comme toujours.
"Bo tir !" pressa le dragon.
Une boule dans la gorge, les jambes encore engourdies par sa méditation, Miraak enfila son masque, apparut au balcon de la tour et déclara d'une voix plus aiguë qu'escompté:
"Zu'u het !"
En un instant, l'immense reptile adopta un vol stationnaire devant lui. Une tête démesurée d'où s'échappaient des dents assez large pour traverser un crâne, des écailles pâles, aussi épaisses que des boucliers d'acier et sûrement plus résistantes, des serres aiguisées, des ailes interminables, des yeux bleus aussi froids que les nuits du Nord. Seule sa conversation avec Alduin surpassait cette vision. Il croisa ses bras pour les empêcher de trembler, mais ne put retenir un sursaut lorsque le dragon gloussa:
"Dovahkiin los dovahkiir. Ful pus."
Miraak ne sut que répondre. Venait-il de se faire insulter ? Il semblait bien. Et d'une manière terriblement puérile. Tous les duels se déroulaient-ils ainsi ou était-il juste malchanceux ?
"Los Dovahkiin vunnu ?" moqua le dragon avec un sourire trop satisfait.
Un peu de colère se mêla à la terreur du garçon. Ce n'était pas de sa faute s'il manquait d'expérience ! Repoussant la boule qui lui obstruait la gorge, il leva le menton et crissa:
"Fos los faaniil ?
- Zu'u Saagahnokguur, drog do Veysenor. Nuvahiil drunkoros bahi."
Miraak serra les poings. Non-seulement il allait mourir aujourd'hui, mais en plus il le ferait en écoutant ces infantilités. C'en était trop. S'il tombait, il graverait au moins quelques cicatrices sur ce tas d'écailles arrogant. Se remémorant ses entraînements, il alluma des éclairs au bout de ses doigts et se positionna. Malheureusement, il manquait d'expérience sur le terrain, et donc de réflexes; d'un fus ro dah bien placé, Saagahnokguur l'envoya voler par-dessus la rambarde du balcon. Tout ne devint qu'un tourbillon de couleurs indistinctes. La vitesse coupa le souffle de Miraak qui ne parvint qu'au dernier instant à prononcer ces mots salvateurs:
FEIM ZII
Il s'écrasa sans heurts dans la cour du temple, arrachant des cris aux disciples qui s'y trouvaient. Dès que l'effet de feims'estompa, il sentit à nouveau son cœur battre. À dire vrai, il ne sentait que son cœur; contre ses côtes, dans sa gorge, derrière ses tempes, au fond de ses oreilles, il n'entendait plus rien d'autre. Se forçant à inspirer profondément, il se releva, osa un regard vers le ciel et éleva immédiatement sa plus puissante barrière magique.
La tornade glacée de Saagahnokguur s'abattit sur lui, mais sa protection tint le choc. Alors qu'il se retournait pour suivre son adversaire des yeux, un bloc givré attira son attention: un adepte du culte n'avait pas eu son réflexe et maintenant une statue de glace difforme trônait dans la cour. Les spectateurs s'écartaient en se marchant dessus, peu désireux de subir le même sort que ce malchanceux.
Déglutissant, Miraak se prépara à l'attaque suivante. Ce dragon privilégiait l'usage de la glace, il y résistait donc certainement. Yol, comme réveillé par cette pensée, chatouilla la gorge du jeune homme, prêt à chauffer ce débat. L'ombre des ailes glissait rapidement dans sa direction, mais l'excitation du combat aiguisait ses sens, sa vitesse. Dès que le dragon reprit l'argumentation, Miraak l'imita:
FO KRAH DIIN
YOL TOOR SHUL
Les deux phrases se heurtèrent dans une tornade éblouissante, un épais nuage de vapeur obstrua la vue du dragon, l'onde de choc déséquilibra Miraak et les témoins poussèrent des exclamations fascinées. Saagahnokguur atterrit en secouant la tête, les yeux desséchés par les propos brûlants du jeune homme. Celui-ci en profita pour décharger sa magie dans un flot électrique, arrachant un beuglement au dragon.
Blessé dans son corps autant que son orgueil, Saagahnokguur se rua sur le garçon la gueule grande ouverte, et Miraak se protégea à nouveau grâce à sa barrière. Sa magie tint bond, mais ses jambes ne supportèrent pas la force brute de l'ennemi. Sur le dos, ses bras fatiguaient rapidement contre les coups de crocs qui attaquaient le bouclier. Il voyait le fond de l'énorme gorge se rapprocher et s'éloigner, encore et encore, tant et si bien qu'il atteignit sa limite.
Les bras de Miraak tombèrent, tout comme sa barrière, et Saagahnokguur en profita. Il inspira avec une lenteur toute calculée, savourant ce qu'il prenait déjà pour une victoire. Miraak, les bras trop douloureux pour user du moindre sort, observait d'un air hagard la gorge écailleuse qui se gonflait. Il entendait presque les syllabes mortelles qui grimpaient le long de cet interminable cou, voyait les muscles du dragon se contracter pour expulser sa réplique finale.
Il ne pouvait rien faire. Son corps ne pouvait rien faire. Quelle injustice ! Sans cette différence physique, il aurait gagné ! Sa Voix surpassait celle de ce vantard ! Agités par sa colère, les rotmulagge se bousculaient derrière ses dents, tous plus impatients de venger la honte du Dovahkiin. Saagahnokguur ouvrit grand ses mâchoires et sa gorge gronda. Dès qu'il prononça la première syllabe de son point final, les poumons de Miraak expulsèrent tout l'air qu'ils contenaient, ses cordes vocales vibrèrent si fort qu'il crut les déchirer, sa Voix le protégea.
IIZ SLEN NUS
FUS RO DAH
Les mots de Saagahnokguur gelèrent ses propres écailles, ses naseaux et sa langue cessèrent de remuer, figés. Les spectateurs beuglèrent leur surprise et admiration, mais Miraak s'éloignait aussi vite que possible, préférant mettre le plus de distance entre Saagahnokguur et lui. Il manqua de trébucher plusieurs fois avant de finalement se sentir en sécurité et de reprendre ses attaques. La gorge et les bras encore endoloris, il dut se contenter de quelques traits de foudre éparses, mais ils semblaient suffire.
Saagahnokguur secouait la tête, tentait de se libérer de sa muselière gelée, à tel point qu'il frappait le sol de son menton. Sa frénésie, ajoutée aux assauts du jeune homme, l'épuisa rapidement, et quand enfin la glace se fissura, il dut reprendre son souffle, la nuque courbée et la queue tombante. Lorsqu'il se tourna enfin vers Miraak, il était trop tard; l'Enfant de Dragon déversa ses flammes sur son ennemi.
YOL TOOR SHUL
Les disciples qui assistaient au duel se couvrirent les oreilles, assourdis par les hurlements de Saagahnokguur. Les braises glissaient entre ses écailles, sous ses paupières, asséchaient sa bouche. Le feu le dévorait de partout. Seuls quelques éclairs suffirent à l'achever alors qu'il se frottait dans la neige pour apaiser ses douleurs. Sa carcasse souleva un nuage de poudreuse en s'effondrant, puis un silence lourd tomba sur le champ de bataille.
Miraak ne comprenait plus rien de ce qui se déroulait autour de lui. Les yeux rivés sur le cadavre, il ne sentait qu'une chose: une connexion. Il revivait la découverte de son pouvoir, la même impression de sérénité inégalable l'envahissait lentement. Alors que le dragon se désagrégeait, le cœur du garçon retrouva un rythme calme et son souffle suivit. Il abaissa ses paupières, entendit à peine les exclamations effarées des témoins, puis un vent chaud le traversa, nettoyant toutes les douleurs de la bataille.
Seule sa respiration lui prouvait que le temps s'écoulait encore. Il aurait pu rester ici, sans bouger, pour une éternité. Une telle énergie, un tel confort, il ne nécessitait rien d'autre. On ne pouvait rien demander de plus. Malheureusement, aussi vite qu'elle était venue, son impression d'infinité s'évapora, ne laissant place qu'à la cour enneigée et venteuse de la Crête Blanche. Il réalisa que le soleil se couchait, teintant chaudement le paysage, mais remarqua surtout le squelette immaculé de son adversaire.
"Dovahkiin los krongrahkei." déclara une voix aussi essoufflée qu'imposante.
Miraak et tous les disciples se tournèrent vers le balcon de la tour et reconnurent le masque de Dukaan. Le vieux prêtre offrit un simple signe de tête à l'Enfant de Dragon avant de regagner sa salle de méditation. Beaucoup prendraient ce salut comme des félicitations, mais Miraak connaissait son sens véritable: la distraction passée, il était temps de retourner au travail.
Il conserva une attitude digne, mais se dirigea tout de même rapidement vers les portes du temple. Il devait recommencer sa méditation depuis le début, et peut-être que cette fois il parviendrait à apprendre… gron ? Au milieu des escaliers, il s'arrêta, se concentra sur le mot, et murmura:
feim zii gron
Les yeux rivés sur ses mains translucides, il échappa un petit cri de joie et se précipita jusqu'au sommet, bien décidé à partager cette nouvelle avec son professeur. Alors qu'il escaladait les marches deux par deux, sa vision devint floue, les torches s'éteignirent sur son passage, tout ne devint qu'un tourbillon chaotique.
Le monde ne retrouva des formes reconnaissables que lorsque Siltafiir atterrit à côté du marécage.
À suivre…
Termes draconiques:
vokogaan firokke - ingrats bâtards (je ne sais pas pourquoi j'aime tant les insultes draconiques)
Zu'u vogahvon hi ! - Je te défie !
Bo tir ! - Viens dehors ! / Sors !
Zu'u het ! - Je (suis) ici !
Los Dovahkiin vunnu ? - (L')Enfant de Dragon est(-il) sans langue ?
Fos los faaniil ? - Quel est ton nom ?
Zu'u Saagahnokguur, drog do Veysenor. Nuvahiil drunkoros bahi. - Je suis Saagahnokguur, seigneur de Solstheim. Ta présence provoque mon courroux.
Dovahkiin los krongrahkei. - (L')Enfant de Dragon est victorieux.
Saag, Ahnok, Guur - Dire/Dis, Bonjour, Au-revoir (en référence à "Hello Goodbye" des Beatles, mais aussi au fait que Saagahnokguur apparaît pour mourir tout aussi vite… du coup voilà).
Le conseil de paix devrait avoir lieu au prochain chapitre, normalement, mais je ne fais pas de promesse parce que je me connais, je sous-estime toujours la quantité de texte nécessaire à chaque événement.
Comme d'habitude, j'espère que ça vous plaît, et si ce n'est pas le cas j'espère que vous me direz pourquoi :) le manque cruel de commentaires du dernier chapitre m'a quelque-peu attristé, je dois bien l'avouer. Malgré toutes mes théories comme "il faut écrire pour soi, pas pour les autres", je me laisse gagner par l'envie de plaire…
Mais peu importe ! À bientôt mes chers !
