Us Strun ! Avant la Tempête

"Pas question de réduire qui que ce soit en cendres accidentellement," avait décidé Siltafiir en revenant à Blancherive.

Prenant à peine le temps de résumer la situation à Lydia, elle s'était enfermée dans sa chambre pour méditer. Les préparations du piège demanderaient encore cinq ou six jours, et puis yol méritait des remontrances. En tailleur sur son lit, elle engagea donc une conversation avec le mot.

Il jetait ses braises dans tous les sens, quémandant encore plus d'affrontements. Siltafiir attendit quelques secondes qu'il se soit défoulé, mais l'impatience du mot la contamina. Elle grommela, inspira une profonde bouffée d'air par ses narines pincées, et ordonna :

"Drem."

Yol s'immobilisa un instant, puis reprit sa danse folle. Il osait lui désobéir, ce malappris. Le moment d'employer les grands moyens. La mâchoire crispée, elle libéra une part de son Thu'um :

"Zu'u uth. Hon."

Les flammes frémirent et se recroquevillèrent. Fière de son effet, Siltafiir échappa un ricanement, mais yol s'en trouva vexé. Il tourna sur lui-même, gonfla, explosa et projeta une vague brûlante sur la jeune fille. Sa méditation brisée, elle perdit l'équilibre et tomba à côté du lit, sauvée de la commotion par un tas de tuniques sales.

En se redressant, elle s'éventa et hésita à changer de tactique. Comme la dernière fois, il répondait mal à l'autorité. Elle secoua la tête et choisit d'insister ; s'il profitait de son laxisme pour attaquer sans attendre ses ordres, comme il avait voulu le faire avec Tullius, elle ne pourrait plus jamais discuter sans risquer de tuer ses interlocuteurs.

De retour sur le matelas, elle adopta une respiration régulière, profonde, tendit sa colonne vertébrale et abaissa ses paupières. Elle retrouva yol, toujours agité, un peu plus loin qu'auparavant. Il grésillait bruyamment, prêt à attaquer. Elle cracha un sifflement frustré, puis un sourire souleva un coin de ses lèvres. Malgré toutes ses réticences, ce mot souffrait d'une faiblesse qu'elle seule pouvait combler. D'un ton posé qui l'étonna elle-même, elle déclara :

"Zu'u a-

- Mon thane ?"

Siltafiir manqua de retomber du lit. Hagarde, elle jeta des regards à tous les coins de sa chambre en bégayant des questions incomplètes. Lydia leva les yeux au ciel et s'expliqua :

"Vous n'êtes pas sortie depuis deux jours, je pensais que vous voudriez… vous laver ? Manger ?"

Siltafiir cligna des yeux plusieurs fois, l'esprit encore embrumé par sa conversation avec yol. Elle rassembla ses pensées, marmonna quelques mots draconiques et répondit finalement :

"Zu'uGeh, je… je vais… Oui. J'arrive."

Dès qu'elle atteignit le pied des escaliers, deux seaux lui furent présentés. Ses pupilles sautèrent de l'un à l'autre jusqu'à ce qu'elle comprenne le message de sa huscarl. Après quelques voyages au puits, elles eurent rempli la marmite qui reposait sur le foyer et Lydia retourna dans sa chambre.

Siltafiir se laissa distraire par la lueur du feu contre le métal noir. Les craquements des bûches emplissaient la demeure d'un chant saccadé. Comme les chiens qui aboyaient en se croisant, yol réagissait à la présence du brasier, dansait au même rythme que ses flammes.

Sans abandonner sa contemplation, Siltafiir s'affala sur une chaise. La chaleur lui picotait la peau, s'insinuait dans ses veines et ses poumons, l'engourdissait de la tête aux pieds. Yol ronronnait au fond de sa gorge, diffusant son pouvoir alentours. Enveloppée dans cette couverture douce et brûlante, elle ne put retenir un râle extatique.

Sans le réaliser, elle abaissa ses paupières et retourna dans son antre intérieure, face à yol. Occupée à le fixer, elle ne sentit pas tout de suite les petits coups agacés qui remontaient le long de sa gorge. Soudainement, fus apparut et repoussa le mot embrasé pour s'octroyer sa place. Yol riposta violemment. Confuse, elle observa la dispute pendant quelques secondes avant d'intervenir :

"Drem !" ordonna-t-elle assez fort pour immobiliser les deux mots.

Dans un sifflement, elle demanda à yol de se pousser juste un moment. Elle ne s'attendait guère à une crise de jalousie dans son propre crâne. Des protestations s'élevèrent du côté du mot embrasé, mais elle les tut d'un simple "Nid".

"Aaah !

- Vous êtes vraiment sur les nerfs aujourd'hui, remarqua Lydia en lâchant l'épaule de son thane.

- Fos ? Non, c'est juste… Qu'est-ce qu'il te faut ?

- L'eau est chaude," dit-elle en indiquant la marmite bouillonnante.

Comme à leur habitude, elles avaient placé le baquet dans le laboratoire d'alchimie. Lydia transporta le lourd fardeau seule, sous le regard impressionné et vexé de Siltafiir. Elle-même pliait sous le poids de deux seaux d'eau froide.

Tandis qu'elles ajustaient la température du bain, l'expression de Lydia s'affaissa. Elle mordit l'intérieur de sa joue et s'enquit d'une voix hésitante :

"Vous parliez… seule. Je me demandais ?…

- Je méditais sur des mots draconiques, coupa Siltafiir, ça m'aide de leur parler. Je n'ai pas encore perdu la raison.

- Pas encore ? Vraiment ? ajouta Lydia dans une tentative d'humour maladroite.

- Vu ma situation, c'est un miracle que je sois toujours saine d'esprit, rétorqua son thane d'un ton désespérément sérieux, d'ailleurs, tant que j'y pense, à quoi ressemblent mes yeux ?

- Je… n'osais pas en parler…

- Rassurant."

Elle chercha de quoi s'inspecter, puis déroba finalement la dague de Lydia. Elle contourna le baquet pour s'approcher de la fenêtre et leva la lame jusqu'à son visage. Une auréole noire se précisait dans le blanc de ses yeux, camouflée par l'ombre de ses paupières, mais aisée à repérer pour tout observateur attentif. La marque de Værmina gagnait du terrain.

"C'est vrai que ça empire, mais il fallait s'y attendre," dit-elle sans surprise.

Elle rassura la Nordique, effaçant le problème d'un geste du poignet. Après tout, elle savait où trouver son âme et comment la récupérer. Nul besoin de s'inquiéter. Elle lui rendit donc son arme et la remercia pour son aide.

Préférant lire un bon livre que se perdre des heures durant dans la contemplation des rotmulagge, Siltafiir se pencha sur la petite bibliothèque qui trônait dans le fond du laboratoire. Autant profiter de son bain tant qu'il était chaud, déjà qu'elle n'en prenait pas souvent.

Jetant son dévolu sur l'Histoire des Dragons, elle s'en empara et alla s'immerger. L'introduction lui arracha d'abord un sourire, puis un grognement ; elle apprit que Talos s'était allié à certains dragons de son époque, s'attirant ainsi les foudres des mécontents. Son altercation avec Delphine lui revint en mémoire aussi sec. Au moins, tant que Paarthurnax restait sur sa montagne, les Lames ne l'atteindraient pas.

La suite du livre lui changea les idées. Un chapitre conséquent s'attardait sur la reproduction des dragons. Les théories farfelues visant à expliquer l'absence d'œufs et de dragonneaux paraissaient sorties de l'esprit de Sheogorath. Entre les nids cachés dans les nuages, ceux qui prétendaient que les dragons se dédoublaient spontanément ou encore ces histoires d'Argoniens mutés, Siltafiir n'en pouvait plus.

Les drémoras interrogés par le Collège des Soupirs connaissaient mieux le sujet: ils savaient que les dragons ne naissaient pas, ils étaient, ni plus, ni moins. Mais même les enfants d'Oblivion oubliaient certains détails - ou refusaient de les partager - et Siltafiir se félicita de connaître l'origine véritable de ses frères.

Les flots du temps, en s'écoulant sur Nirn, causaient nombre d'éclaboussures. Parfois, une seconde ou une minute giclaient plus loin que les autres et se mêlaient au monde matériel. Certaines de ces gouttes prenaient vie. Ainsi naissaient les dov.

Elle écarta soudainement les yeux de son livre. Où avait-elle bien pu apprendre ça ? Personne, à aucun moment, ne le lui avait dit, pas même Paarthurnax. Elle chercha un moment l'origine de cette information, mais sa mémoire, toujours tronquée par Værmina, ne la contenait guère. Fouillant plus profondément, elle trouva des images floues, plus vieilles qu'elle-même.

Des souvenirs venteux la saluèrent, scènes éparses grignotées par les siècles. La cime d'une montagne vue d'entre deux nuages, la lumière se reflétant sur un tas d'or et de gemmes, un débat enflammé avec un autre dovah… Elle fixa un moment le mur, hébétée par ces réminiscences étrangères.

Ça, c'était une découverte. Trépignant à en causer des vagues, elle chercha plus profondément, avec un succès tout relatif. Trop d'âmes se bousculaient dans son esprit, seules les connaissances communes des dovahhe lui apparaissaient claires, telles leur langue et leurs lois. Les souvenirs isolés s'effaçaient comme des rêves lointains.

La tête légère, elle se replongea dans sa lecture. À trop fouiller son esprit, elle retomberait dans une transe interminable et n'en sortirait qu'une fois son bain refroidi. Heureusement, la mention d'un génocide l'ancra fermement à la réalité.

Entre la guerre draconique et l'invasion akaviroise, ses frères avaient rejoint les flots du temps par centaines. Dépouillés de la Voix d'Alduin, impossible pour eux de revenir sur Tamriel. Jusqu'à maintenant. Et Siltafiir se préparait à leur dérober ce don qu'ils venaient tout juste de retrouver. Elle ne le regrettait pas. À l'exception de Paarthurnax, tous les dragons attaquaient les mortels sans distinction. Ils méritaient la mort autant que n'importe quel bandit.

Alors pourquoi sentait-elle son estomac se contracter ? Elle remua, saisie par un étrange sentiment de malaise. Malgré leur sauvagerie, ils demeuraient les enfants d'Akatosh, plus vieux que tous les êtres de Nirn, témoins de la venue et la chute de nombre d'empires. Maintenant relégués au statut de reliques légendaires, incompris par les plus grands historiens de Tamriel.

Le chapitre suivant n'atténua guère son agitation. L'auteur traitait le Thu'Um comme un simple sortilège, indépendant de la parole des dovahhe, et doutait même de leur éloquence. Bien entendu qu'ils parlaient, s'indigna-t-elle, le menton crispé, mieux que beaucoup de mortels d'ailleurs ! Dire que ce livre les réduisait à des bêtes sauvages !

Elle ferma le tome d'un claquement sec et le jeta à côté du baquet. Les traits crispés, elle tendit une main vers les fioles de savon liquide que Lydia fabriquait durant son temps libre - dont elle ne manquait guère, au vu de l'impressionnante collection qui s'étalait sur la petite table carrée. Cependant, elle avait omis d'étiqueter les bouteilles, forçant son thane à les renifler une par une. Une bien meilleure distraction que ce tas de keydraaf.

Des effluves piquantes d'obscurine s'échappèrent du premier goulot, retroussant les narines de Siltafiir. Un mélange de lys fruité vint ensuite, suivi d'une lavande prenante et d'une langue de dragon douceâtre. Son choix s'arrêta sur une mixture au miel qui déversa des reflets nacrés dans sa paume. Au contact de ce savon revigorant, elle oublia rapidement les inepties contenues dans le livre. Son odeur favorite emplissait doucement la pièce. Ses muscles se relaxaient enfin.

Elle se savonna de la tête aux pieds, massa ses membres éprouvés et démêla ses cheveux. Ses doigts se coincèrent plusieurs fois entre les nœuds, lui arrachant nombre de jurons. Certaines pointes lui frôlaient déjà la mâchoire ; une coupe s'imposait. Pas que ses mèches ondulées lui déplaisent, mais leur entretien demandait trop d'efforts sans l'aide de ses domestiques. Enfin calmée, elle s'enfonça dans l'eau jusqu'au menton et poussa un râle vibrant.

Elle fixa distraitement ses genoux qui perçaient la surface puis, sans le réaliser, abaissa ses paupières. Son cœur battait lentement, ses coups résonnaient dans le corps de Siltafiir, amplifiés par le bain et le silence. Leurs vibrations troublaient la surface d'infimes vaguelettes. À ces vibrations se joignirent de petits coups irréguliers qui escaladèrent sa gorge.

Elle se redressa d'un coup, reconnaissant l'arrivée de fus. Pas question de se laisser entraîner dans une discussion maintenant, mieux valait attendre de retrouver sa chambre. De plus, son estomac gargouillait avec une insistance croissante.

Elle se rinça une dernière fois, sortit du baquet, dégoulina sur les vêtements qu'elle avait jetés par-terre et réalisa qu'elle avait oublié de prendre une serviette. Après un regard résigné à ses pantalons et tunique imbibés, elle les ramassa et entrouvrit la porte du laboratoire.

"Lydia ! cria-t-elle dans le vide. Si tu ne veux pas me voir à poil ferme les yeux !"

Sans attendre de réponse, elle trotta jusqu'aux abords du salon.

"Mon thane, at… tendez…"

Lydia tenait d'une main la porte d'entrée, ouverte sur un homme presque assez grand pour se cogner au battant. La huscarl fit mine de tousser pour cacher son amusement et Ralof contint le sien en se mordant la lèvre. Il se dressait là, en chair et en os, un sac sur l'épaule, délesté de son uniforme d'officier au profit d'une simple tenue de voyage. Et il la regardait.

Un instant plus tard, la porte du laboratoire claqua. Siltafiir s'y adossa, si honteuse que ses oreilles en bourdonnaient. Deux éclats de rire se répercutèrent dans la maison, n'arrangeant rien à son état. Les joues brûlantes, elle enfonça son visage dans sa paume droite. Malgré tout, elle pouffa. Ralof pouvait se vanter de l'avoir vue sous tous ses angles les moins flatteurs. Aux sens propre et figuré.

Elle appuya l'arrière de son crâne contre la porte. Un moment de honte passait vite et, de toute manière, tout laissait croire qu'il l'aurait vue nue à un moment ou un autre. Ne restait qu'à sortir, s'excuser et courir jusqu'à sa chambre. Il lui suffisait de pousser la poignée. Rien de plus simple.

Les pommettes enflammées, elle se retourna. Et s'immobilisa. Plus elle attendait, plus la confrontation s'avérerait compliquée, autant se lancer. Elle déglutit, étira ses phalanges et frôla le bout de métal. Ça n'était pas grave, au contraire, ils repenseraient à son exhibitionnisme involontaire quelques jours ou semaines plus tard et s'en amuseraient. Ne restait. Qu'à. Sortir.

"Ça va ?" demanda une voix extrêmement proche.

Siltafiir sauta loin de la porte, manquant de trébucher sur son bain. La soudaine proximité de Ralof lui assécha la gorge.

"Ou-oui, ça va, ça va, bredouilla-t-elle en serrant ses vêtements contre sa poitrine, tu… tu veux bien… regarder ailleurs ?

- Bien sûr," rit-il.

Le bruit de ses pas s'éloigna. Siltafiir passa la tête dans la porte entrebâillée et se précipita sur les escaliers dès qu'elle repéra le dos de Ralof, assis sur une chaise. Au milieu des marches, elle se retourna pourtant, le surprenant en flagrant délit de rinçage d'œil. Il se concentra immédiatement sur une étagère, comme de rien, mais ne parvint guère à cacher le sourire mutin qui tranchait sa barbe.

Siltafiir ricana au milieu de son rougissement. Vêtue d'un simple haut beige sans manches et de pantalons qui hésitaient entre le gris et le brun, elle redescendait les marches en frottant vigoureusement son crâne avec une serviette. Ralof se leva sans attendre, pour se figer dès qu'elle découvrit sa tête. Il détourna le regard, une main contre la bouche, les épaules agitées de petits soubresauts.

"Qu'est-ce qui… ? commença Siltafiir en passant les doigts dans ses cheveux. Oh !"

Elle se dépêcha d'aplatir sa tignasse, mais ne parvint qu'à amuser Ralof plus encore. Les bras de Siltafiir tombèrent, son expression se résigna. Elle venait d'atteindre un niveau inégalable de ridicule.

"Ça te va bien, sourit-il en levant une main, tu ressembles à un lion."

Il caressa la tempe de Siltafiir et voulut coincer une mèche derrière son oreille, mais les cheveux retrouvèrent d'un bond leur position presque horizontale. Un rire plus tard, il la serra fort contre lui et l'embrassa tendrement. Elle déposa de légers baisers sur son menton poilu et enfonça son nez dans le creux de son cou, pour échapper un soupir extatique.

"Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle en s'écartant.

- À ton avis ? Je suis venu te voir.

- Je m'en doute, répliqua-t-elle dans un roulement d'yeux, mais tu n'as pas de responsabilités ? Même avec la trêve…

- Devoir soutenir l'Enfant de Dragon dans un moment difficile m'accorde quelques privilèges," avoua-t-il, les pommettes rosées.

L'estomac de Siltafiir les interrompit d'un gargouillement colérique. Elle se massa la tempe, inspira profondément et lui proposa de se cuisiner quelque-chose. Son sérieux retrouvé, il accepta l'offre. Ils fouillèrent la cuisine un moment, pour ne découvrir qu'une paire de tomates et une demi miche de pain. Siltafiir n'osa se plaindre du manque de provisions auprès de Lydia.

"Il est quelle heure ?

- La nuit tombait quand je suis arrivé.

- Trop tard pour le marché. Je t'invite à l'auberge."

Il tenta de refuser, mais elle partit en quête d'un peigne sans écouter ses protestations. Elle dompta sa crinière au mieux et redescendit finalement, quelques mèches rebelles brisant encore les lois de la gravité. Une bourse à la ceinture, elle attrapa le bras de Ralof pour le tirer dehors.

Ils suivirent la route pavée sur une vingtaine de mètres, puis elle le força à bifurquer en le tirant de plus belle. Il pointa d'un doigt interrogateur la place du marché, encore bien loin, mais elle lui indiqua une bâtisse un peu plus discrète. Sur son enseigne usée se détachait le nom du Chasseur Ivre.

"Il y aura moins de monde qu'à la Jument Pavoisée," expliqua Siltafiir en gravissant les quelques marches de l'entrée.

Effectivement, à l'exception des deux tenanciers accoudés au comptoir, seules une Dunmer et une petite fille occupaient la salle. La première leur accorda à peine un coup d'œil depuis la table du fond, la seconde ne bougea pas même un muscle, trop occupée à dormir sur une couche improvisée à côté du feu. Quand Siltafiir demanda d'où venait cette enfant, Elrindir, les yeux brillants, lui conta la perte de ses parents et de son foyer. Il se laissait attendrir trop aisément pour un commerçant, songea la Brétonne en posant un regard tout aussi désolé sur la petite.

Le repas se déroula calmement. Penché sur une table, le jeune couple discutait d'une voix discrète, échangeant les anecdotes les plus ridicules possibles.

"C'est vrai que j'ai échappé à la douche d'ectoplasme, concéda-t-il avant de renchérir, mais une fois, en jouant à cache-cache avec Gerdur, je me suis jeté dans un tonneau. Un tonneau à poissons."

Siltafiir s'écrasa sur la table. Dès qu'elle semblait reprendre le contrôle d'elle-même, Ralof ajoutait un détail à son humiliation : l'odeur imprégnée dans ses cheveux pendant plus d'une semaine, le sel coincé dans tous ses orifices - tous ! - et les surnoms malencontreux qui l'avaient poursuivi des mois durant…

"Toutes les variations de "carpe" et "truite" que tu puisses imaginer, dit-il en se délectant du fou rire de sa compagne, mon préféré était celui qu'Hadvar…"

Il s'assombrit, la bouche figée au milieu de sa phrase. Siltafiir essuya ses yeux et fronça les sourcils. D'un mouvement de la tête, elle l'encouragea à continuer.

"Ce n'est rien. Après toutes ces années, je n'arrive toujours pas à croire qu'il ait choisi l'Empire. Et failli nous envoyer au billot. Si je le revois, il va prendre la correction de sa vie !"

Elle lui décocha un sourire compatissant et frôla un de ses poings au-dessus de la table. Il desserra ses doigts, les entremêla avec ceux de Siltafiir et ses traits se détendirent.

"Au billot ? questionna-t-elle. Il se trouvait à Helgen ?

- Tu te souviens de celui qui gérait leur liste de prisonniers ?

- Oui, mais… Vous étiez amis ?

- Les meilleurs, crissa-t-il, nés la même semaine, toujours collés l'un à l'autre. Je ne comprends pas comment il a pu changer au point de renier sa propre patrie."

Les yeux baissés, Siltafiir se mordilla pensivement la lèvre. Elle les releva lentement, pesa ses mots, et argumenta :

"Il doit sincèrement croire que c'est la meilleure solution. Sans l'appui de l'Empire, le commerce souffrira, et je ne te parle pas des infrastructures militaires. Lenclume a prouvé que c'est possible, mais surtout difficile."

Ils se fixèrent en silence pendant de longues secondes. Les sourcils froncés, les lèvres tombantes, Ralof s'intéressa au feu. Siltafiir, le cœur battant de plus en plus vite, commençait à regretter ses paroles. Pourquoi s'était-elle lancée dans un débat politique maintenant ?

"Et toi, tu penses que c'est possible ?" demanda-t-il d'un ton légèrement rauque.

Elle cligna des paupières, observa un instant leurs assiettes vides, puis plongea ses pupilles dans les siennes.

"Ce que je pense c'est que cette guerre fait bien plaisir aux Thalmors. Le pays s'affaiblit de lui-même et tous les disciples de Talos les plus assidus sont réunis dans un seul camp. Il leur suffit d'attendre le bon moment pour vous éliminer. Ce n'est pas pour rien qu'ils ont poussé Ulfric à…"

Sa phrase se suspendit dans les airs. Les yeux écarquillés de Ralof annonçaient une fin de soirée mouvementée. Siltafiir parlait bien trop vite devant lui, il brouillait ses sens et elle allait le regretter.

"Ils l'ont poussé à faire quoi ? gronda-t-il, les poings à nouveau serrés.

- Je t'ai déjà raconté mon infiltration dans leur ambassade, expliqua-t-elle en remuant sur sa chaise, et bien… j'y ai trouvé le dossier d'Ulfric. Les Thalmors l'ont capturé pendant la campagne de la Tour d'Or-Blanc. La guerre civile, la rébellion, c'était un de leurs plans."

Elle se recroquevilla, les mains crispées sur ses genoux, la tête enfoncée dans ses épaules. Nul besoin de regarder Ralof, les claquements frénétiques de son talon trahissaient son agitation. Siltafiir pria Nocturne de la happer dans les ombres, mais Ralof continua son enquête d'une voix presque aussi vibrante que celle d'un Parleur :

"Tu oses traiter Ulfric de traître ?

- Non. Non ! paniqua Siltafiir en sautant à moitié de son siège. Ils l'ont manipulé, lui ont fait croire que c'était son idée. Je l'ai entendu parler à Elenwen, il la hait plus que tout, jamais il ne s'allierait à eux."

Le front de Ralof se rida plus profondément, au grand désarroi de la jeune fille.

"Donc je ne sers pas un traître, mais un pantin. Beaucoup mieux."

Il passa les doigts dans ses cheveux, renifla sa frustration, puis se leva en claquant une paume sur la table.

"J'ai besoin d'air."

Siltafiir demeura bouche bée, incapable d'aligner deux mots pour le retenir. Il ouvrit la porte de l'auberge sur un rideau de pluie et s'y enfonça sans hésiter. Le battant se ferma dans un choc sourd. Un silence suivit, empli uniquement par les grésillements du feu. Depuis le comptoir, Anoriath et Elrindir prétendaient n'avoir rien entendu en comptant les poutres du plafond.

Déterminée, Siltafiir se redressa, les salua d'un grognement et poursuivit Ralof. Elle ne le laisserait pas lui tourner le dos aussi facilement, surtout pas à cause de son crétin de jarl. Elle n'y pouvait rien si Ulfric s'était laissé contrôler, si Ralof avait choisi de le suivre et si l'Empire offrait des avantages que la rébellion peinerait à combler. Pas question qu'elle en subisse les conséquences, pas alors que les choses s'arrangeaient enfin !

Elle déboula dans la rue et grogna de plus belle. L'orage brouillait sa vue, transformait sa propre maison et la forge d'Adrianne en silhouettes informes, avait éteint tous les brasiers extérieurs et, surtout, l'empêchait de suivre la trace de son militaire. Laas traversa ses lèvres, mais Ralof demeurait perdu dans la multitude de taches rougeoyantes qui occupaient la ville. Elle erra au hasard des chemins, guidée par les rares lanternes encore vaillantes.

Les bourrasques accompagnaient ses pas, les ruisseaux les noyaient, le tonnerre les assourdissait. Après qu'elle eut traversé deux fois les quartiers des Plaines et des Vents, sa motivation s'effrita. Même si elle le trouvait, que dirait-elle ? Une ânerie, très certainement.

D'un pas trainant, elle regagna Douce-Brise. Au moment de saisir la poignée, une lassitude terrible l'écrasa. Elle poussa un geignement frustré et s'écarta, passant les mains sur son visage et ses cheveux. Les paumes sur ses yeux, elle inspira profondément, mais, en place d'une expiration sereine, ce fut un sanglot qui s'échappa de sa gorge. Elle le ravala dans un hoquet et recula.

Le calme de sa demeure ne présentait rien d'attrayant à cet instant. Le martèlement constant de la pluie et les gouttes qui glissaient dans ses yeux la distrayaient mieux qu'une chambre silencieuse. Elle se dirigea sans réfléchir vers le marché, puis gravit les escaliers qui menaient au Vermidor, l'arbre blanc sacré de la ville.

Elle le contourna et leva la tête vers la statue de Talos qui se dressait à quelques pas. Son casque ailé se découpait à peine contre les nuages sombres. Parfois, un éclair révélait son visage de pierre. Siltafiir s'arrêta devant l'autel, l'esprit embrumé.

L'orage se calmait lentement, les coups de tonnerre s'éloignaient, seule la pluie tombait inlassablement. Un frisson parcourut les épaules de Siltafiir. Elle réalisa brusquement que le vent traversait sans effort sa tunique trempée, faisant grelotter tout son corps. Frottant ses bras, elle murmura :

yol

Le mot réagit à peine à cet appel démotivé ; la chaleur se répandit sans entrain dans son torse, ignorant ses membres. Ses paupières s'abaissèrent. Elle ne trouva pas l'antre immaculée qui abritait habituellement sa méditation, seule la noirceur l'accueillit percée d'une braise unique. Comme luttant contre la pluie, yol frétillait faiblement.

Siltafiir tenta de le raviver, l'encourageant d'une voix rauque. Il s'éveilla quelque-peu. Les doigts de la jeune fille demeuraient engourdis, mais ses dents cessèrent de claquer. Elle s'autorisa un triste sourire à la lueur de cette étrange compagnie. De sa seule compagnie.

Ses lèvres s'abaissèrent. Non seulement elle venait de chasser Ralof, mais Nahlaas restait introuvable et sa quête l'empêchait de rejoindre ses confrères dans la Souricière. Elle se réjouissait plus que tout de retourner à Faillaise. Si seulement elle avait pu partager une pinte avec Delvin ou n'importe quel autre voleur, cela aurait allégé son cœur. Mais elle était seule.

Un battement d'ailes la coupa dans son pessimisme, mais elle n'y prêta guère d'attention, ne sentant la présence d'aucun dragon. Un combat l'aurait bien distraite à cet instant, hélas ! les dragons attaquaient rarement durant les grosses intempéries. Siltafiir supposait que les bourrasques et les éclairs n'avantageaient pas les créatures volantes.

Le croassement strident qui résonna dans son dos la força pourtant à se retourner d'un bond. En place d'un oiseau, elle trouva une lame, qui volait vers elle, qui allait se planter dans son torse. Avant même qu'elle ne comprenne la situation, yol sauta de sa langue.

YOL

Les flammes enveloppèrent une silhouette à l'armure moulante, la repoussèrent de quelques pas, lui arrachèrent un crissement bestial. La dague d'ébonite tomba aux pieds de Siltafiir qui s'en empara de suite. Malheureusement, le temps qu'elle adopte une position stable, la pluie avait rafraîchi son ennemi et une lame de rechange brillait entre ses doigts.

Les armes s'entrechoquèrent. L'attaquant mystère se fondait dans la nuit, ne laissant à Siltafiir que le temps de contrer ou esquiver ses coups. Des entailles apparaissaient sur ses bras à chaque mouvement de son adversaire. Elle perdit le rythme en quelques secondes à peine et trébucha sur une rigole.

Étalée sur les dalles, elle dévia de justesse le poignet ganté de cuir qui tentait de l'assassiner. Un craquement assourdissant emplit son oreille gauche, suivi d'une douleur lancinante. La bouche béante, aveuglée par ses larmes, Siltafiir tenta de hurler, mais des éclairs parcouraient son épaule gauche, son poitrail, tout son bras. Impossible de respirer. L'attaquant libéra sa lame d'un geste sec, mais au moment d'achever sa cible, il roula sur le côté.

"La Confrérie Noire n'a rien à faire ici !" tonna la personne qui venait de le repousser d'un coup de pied.

L'assassin se prépara à sauter sur l'importun, mais se ravisa quand d'autres voix approchèrent. Dans un nuage violacé, il disparut, happé par la nuit. Siltafiir, le souffle erratique, tenta de se redresser, mais ne parvint qu'à retomber par-terre dans un gargouillis douloureux. Le visage d'une Altmer se pencha sur elle, éclairé par un sort de rayonnement.

"Vous m'entendez ?" demanda sa sauveuse.

Siltafiir acquiesça, les dents serrées. Elle reconnut l'elfe qui lui était rentrée dedans quelques semaines plus tôt. Dans son dos apparut le Compagnon aux yeux fardés de noir qui l'avait accompagnée à ce moment-là.

"Pas réussi à le rattraper, grommela-t-il, avec cette pluie, je peux pas suivre sa trace.

- Tant pis, dit l'elfe en examinant la blessure, connaissant la Confrérie, il refera surface bien assez vite.

- Je vais le tuer, siffla la blessée entre ses dents.

- C'est ça l'esprit, encouragea l'Altmer avant de se tourner vers son frère d'armes, Farkas, va chercher Danica."

Il s'exécuta pendant qu'elle se penchait sur l'épaule de Siltafiir. Celle-ci se concentra sur l'attroupement qui les encerclait pour oublier les contractions lancinantes de ses muscles. D'autres Compagnons s'entretenaient avec les gardes et des curieux se poussaient pour voir l'origine de la commotion. Des exclamations outrées se dégagèrent des spectateurs en même temps qu'un visage familier ; Ralof bouscula plusieurs personnes pour se précipiter aux côtés de la blessée.

"Talos ! Est-ce que ça va ? Dis-moi que ça va !

- Je survivrai," grimaça-t-elle.

Danica les rejoignit bientôt et administra les premiers soins à Siltafiir. Enfin capable de bouger, elle se redressa, soutenue par Ralof et sa sauveuse. Les curieux se dispersèrent sur leur passage, rentrant chez eux un à un tandis que l'escorte se dirigeait vers le temple de Kynareth.

Chaque pas arrachait un grognement à la Brétonne, chaque geste lui demandait plus d'efforts que le précédent. Un engourdissement inquiétant descendait le long de son bras et se diffusait dans son torse. Interpellée par sa température montante, elle renifla son épaule. L'odeur qui s'en dégageait contracta son estomac si violemment qu'elle manqua de retomber.

"Du poison, cracha-t-elle, mora tapinella et… autre chose.

- Déposez-la sur une table de soins, ordonna Danica une fois dans le temple, je vais chercher un antidote."

Ils l'allongèrent aussi délicatement que possible, puis l'elfe voulut s'en aller. Siltafiir la héla d'une voix rauque juste avant quelle ne passe la porte :

"Je ne vous ai pas remerciée.

- Ce n'est pas nécessaire, sourit-elle en se retournant, je n'ai fait que mon devoir.

- Vous m'avez sauvé la vie, ça mérite au moins que je connaisse votre nom.

- Morsara Elsinthar, pour vous servir," répondit-elle dans une révérence basse.

Siltafiir la salua d'un signe de tête en se demandant pourquoi ce nom titillait sa mémoire, mais, distraite par le retour de Danica, la laissa partir sans plus d'interruption. Elle avala l'antidote d'une traite, pinça les lèvres pour éviter de tout recracher, puis se tourna finalement vers Ralof. Il posait son regard partout dans le temple - sur les colonnes de bois et les dalles de pierre, sur les autres patients qui geignaient ou dormaient, sur les prêtresses affairées - sauf sur elle.

Sourcils froncés, elle l'appela d'un "hé" discret. Il répondit en approchant d'un pas, puis s'accroupit, les bras croisés sur la table de soins, frôlant son épaule indemne. En face, Danica se concentrait sur sa guérison sans lui prêter d'attention.

"Je n'aurais pas dû te laisser seule, grommela-t-il en fixant la blessure, si j'avais réagi comme un adulte au lieu de-

- Il aurait attendu un autre moment, coupa-t-elle dans un rictus, et tu avais une bonne raison de t'en aller."

Il se frotta la nuque, les traits toujours creusés par son trop-plein d'émotions. Danica leur demanda du calme pour pouvoir se concentrer - ressouder une clavicule proprement demandait un certain doigté, surtout quand les morceaux se baladaient n'importe où. Ralof lança un sourire crispé à Siltafiir et se dirigea vers un banc, à quelques pas de là.

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Ses courbatures le torturaient - dormir sur un banc, quelle idée ! - mais la pâleur verdâtre de Siltafiir le forçait à contenir ses plaintes. Au moins, il avait eu droit à un peu de sommeil, contrairement à elle, et il ne souffrait pas d'une fièvre empoisonnée. De sa main épargnée, elle protégeait ses yeux du soleil levant, traînant ses pieds sur les pavés.

Ralof ouvrit la porte de Douce-Brise à Siltafiir et, s'assurant qu'elle ne s'encoublait pas contre une marche, la ferma derrière eux. Il voulut la suivre à l'étage, mais elle s'immobilisa au pied des escaliers. Confiant qu'elle ne faisait pas un malaise, il la questionna sur l'origine de cette hésitation. Elle se mordit la lèvre, s'ébouriffa mollement les cheveux et avoua :

"Je n'ai… pas eu le temps de ranger."

Rassuré, il ricana et lui embrassa la nuque. D'une poussée délicate, il l'encouragea à monter, secrètement pressé de voir l'étendue de son désordre. Elle avança avec encore moins de motivation et se figea à nouveau devant la porte de sa chambre. Dans un soupir qui frôlait l'impatience, Ralof leva une main, mais avant qu'il ne puisse tourner lui-même la poignée, elle osa bouger. Un grincement de gonds plus tard, son antre apparaissait à la vue du Nordique.

"Oh," souffla-t-il simplement.

Siltafiir s'ébouriffa les cheveux de plus belle, marmonnant d'inintelligibles excuses. Il pouffa, appuya sa paume contre ses reins et se pencha à hauteur de son oreille.

"Si ça peut te rassurer, dit-il en lui chatouillant le cou avec sa barbe, je ne pense pas que les livres d'histoire mentionneront ce détail quand ils parleront de ta lutte contre Alduin."

Elle poussa un rire sonore, interrompu par un craquement dans son épaule.

"Ça changerait des histoires habituelles," grimaça-t-elle en tournant lentement son articulation.

Ralof répondit d'un sourire fatigué et avança jusqu'au lit, pressé d'enfin s'allonger sur un vrai matelas. Il ôta sa tunique, encore humide à cause de la pluie, avisa une chaise sur laquelle il l'étendit et se laissa tomber à plat-ventre sur la couche. Siltafiir préféra enfiler des habits secs plutôt que se dévêtir, puis retourna vers la sortie au lieu de rejoindre le Nordique. Il s'assit, confus, mais comprit vite ses projets lorsqu'elle poussa une chaise devant la porte et la chargea de divers objets potentiellement bruyants.

"Je ne pense pas qu'il va réessayer de me tuer aussi vite, mais autant ne pas prendre de risque," expliqua-t-elle, s'attirant un hochement de tête favorable.

Un moment plus tard, elle s'enfonçait sous les couvertures avec son militaire. Allongée sur son côté droit, lui sur le gauche, ils se fixèrent sans rien dire pendant de longues secondes. Puis Ralof fronça les sourcils.

"Ce que tu m'as dit hier soir à propos d'Ulfric, commença-t-il lentement, je n'y crois toujours pas. C'est… C'est trop.

- Je veux bien croire, souffla-t-elle en retenant un bâillement, mais ça n'a plus d'importance. Les Thalmors ont encouragé la rébellion, mais ils ne veulent pas que vous gagniez. Un pays uni leur opposerait trop de résistance, autant sous la bannière de l'Empire que celle des sombrages."

Ralof médita sur ces paroles, les yeux perdus dans le vide. Trop fatiguée pour s'inquiéter de sa réaction, Siltafiir abaissa ses paupières. Les contours de Quagmire lui apparaissaient peu à peu, mais la voix de Ralof la ramena sur Nirn :

"Si je n'étais pas là, tu choisirais quel camp ?"

Pourquoi voulait-il parler de ça maintenant ? songea-t-elle en se tournant vers le plafond. Elle s'était infiltrée en Bordeciel pour échapper à ses responsabilités, pas pour discuter de politique - après le conseil de paix et son dérapage de la veille, ce sujet l'horripilait plus que jamais. Mais Ralof voulait une réponse, et elle en trouva une qui ne jurait pas trop avec ses convictions personnelles :

"À ta place, j'aurais aussi suivi Ulfric. Je ne supporterais pas d'obéir aux Thalmors, même temporairement."

Ses paupières retombèrent lourdement après cet effort. À nouveau, elle faillit atterrir en Oblivion, et à nouveau Ralof l'en empêcha. Le matelas s'aplatit de chaque côté de Siltafiir, qui rouvrit les yeux sur le visage du Nordique. L'encadrant de ses bras, il se pencha sur elle et l'embrassa tendrement. Les doigts de la Brétonne s'emmêlèrent d'eux-mêmes dans la barbe hirsute, puis dans les cheveux qui tombaient sur ses joues.

"J'ai une dernière question avant de te laisser dormir, chuchota-t-il en plantant ses pupilles dans les siennes, pourquoi tes yeux deviennent noirs ?"

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Siltafiir s'étira, massa son épaule et s'étira encore. Heureusement que Ralof connaissait déjà son affiliation à Værmina, cela lui avait épargné de pénibles explications.

À force de dormir hors de chez elle, l'habitude de garder ses bottes s'était ancrée dans ses routines, mais cette nuit-là, elle les avait laissées trainer au pied de son lit. Elle avança d'un pas lent entre les portails, appréciant la douceur du sentier sous ses pieds nus. Bien que plaisantes, ces textures tièdes ne surent effacer la question qui la tiraillait depuis la veille : pourquoi connaissait-elle le nom Elsinthar ? Elle trotta jusqu'aux marécages, frissonna de dégoût quand la bourbe se glissa entre ses orteils, puis se ressaisit.

Elle se concentra sur le visage allongé de l'Altmer. Dans le temple, découpée par des vêtements civils détrempés, sa carrure respectable avait parue plus imposante que jamais. Elle soulèverait Siltafiir d'une main que celle-ci ne s'en étonnerait guère. Redoublant d'efforts, la jeune fille pensa au nez protubérant, aux cheveux blonds rasés sur les côtés qui se dressaient en un toupet bouclé, à ces iris dorés encadrés de paupières en amandes, à la peinture de guerre dont un trait tombait sur son sourcil gauche et les deux autres sur sa pommette. Plus que tout, Siltafiir se rappelait de sa voix légèrement cassée, comme si elle la forçait à monter dans les aigus.

Parcourant les flaques du regard, elle hésita à plonger dans la plus proche, mais une autre gargouillait joyeusement à trois pas et une troisième lui frôla le pied d'une vague aventureuse. Impossible d'identifier celle de Morsara. À force de les observer, elle opta pour la plus tactile du trio, celle qui grimpait sur sa cheville sans aucune gêne.

Son instinct la mena au fond de la mare, près d'une bulle grésillante. La voix qui s'en échappait donnait l'envie à Siltafiir de courir dans sa chambre et de s'y enfermer. Intriguée par cette inhabituelle sensation, elle n'attendit pas plus pour infiltrer ce souvenir.

Elle atterrit devant une femme de grande taille, une Altmer aux bras croisés. La tête rentrée dans ses épaules, son hôte n'osait affronter le regard sévère de l'elfe, préférant observer ses bottes. Son complice encaissait les accusations avec détachement, sans ciller.

"Vous êtes irrécupérables ! Surtout toi, Moranil ! Mon fils est assez grand pour prendre ses propres décisions, mais tu es le plus âgé ! Je sais qu'il n'aurait pas repeint tout un quartier si tu ne lui avais pas fourré cette idée dans le crâne !"

Moranil réagit d'un haussement d'épaules, qui provoqua un râle exaspéré chez la mère de son acolyte. Celui-ci osa enfin relever la tête, pour la rabaisser immédiatement quand il croisa des pupilles flamboyantes de colère. Siltafiir crut reconnaître cette femme, mais son hôte ne s'était pas attardé assez longtemps sur son visage.

"Par Auri-El ! Voilà pourquoi j'ai un seul enfant ! s'exclama-t-elle en levant bras et yeux au ciel. Roderic, va attendre dans ta chambre, je dois parler à ton cousin."

Roderic jeta un dernier regard à sa mère et à Moranil, assez longtemps pour identifier les deux Altmers. Sous l'effet de la surprise, Siltafiir manqua de quitter le souvenir. Cette femme n'était autre que Saursha Riscel, sa grand-mère. Ce menton fier, ces sourcils épais et les yeux qu'elle avait légués à ses descendants ne laissaient aucun doute sur son identité. Ce qui signifiait qu'elle espionnait l'esprit de son propre père. Pour ne rien arranger, Moranil ressemblait à s'y méprendre à Morsara. Un tel nez ne s'oubliait pas, seuls manquaient un peu de poitrine, un sourire et quelques muscles pour retrouver l'elfe qui avait sauvé la vie de Siltafiir.

Roderic obéit à sa mère, empêchant sa fille de mieux détailler la scène. Cependant, il prit soin d'avancer le plus lentement possible et, ayant à peine quitté le vestibule, se plaqua contre un mur. Siltafiir, distraite par la vue du salon où elle avait grandi, n'écouta qu'à moitié le début de la conversation. Saursha arguait qu'à plus de trente ans Moranil aurait dû se trouver d'autres défouloirs, et ne surtout pas entraîner son cousin avec lui.

"Et maintenant, tu peux être sûr que tes parents ne te laisseront plus venir ici sans eux, continua-t-elle d'un ton moins sévère.

- Quoi ? Mais !… voulut-il protester.

- C'est le troisième été d'affilée que tu m'attires des problèmes, expliqua-t-elle, et là vous ne vous êtes pas contentés de chiper une ou deux bourses ou de faire peur à des nobles. Voler des teintures pour vandaliser quinze maisons…

- Seize.

- N'aggrave pas ton cas !"

Roderic pensa à leur méfait, soudainement moins fier de ses prouesses télékinésiques. Il s'en voulait un peu de n'avoir défendu Moranil, après tout l'idée de tester son nouveau sort ne venait pas de son cousin. Roderic avait proposé de viser un œil-de-bœuf avec une pierre, Moranil s'était contenté de… développer ce plan.

Si l'envie d'admirer leur œuvre de symboles péniens et autres obscénités ne les avait retenus, ils auraient échappé aux gardes. Leur trop plein de confiance venait peut-être de coûter à Moranil ses seuls moments loin de sa famille. Roderic craignait qu'il ne commette une grave erreur en voulant les fuir à tout prix.

Des pas provenant du vestibule le sortirent de ses inquiétudes pour l'y replonger immédiatement. Sa mère allait le voir ! Il lança un sortilège d'invisibilité, priant Julianos de lui donner l'énergie nécessaire pour complètement disparaître cette fois. Moranil traversa l'arche en premier, les traits tirés et les pupilles rivées au sol. Ses boucles blondes tombaient piteusement sur son visage et ses épaules. Ce spectacle désola Roderic, mais une autre douleur accapara brusquement son attention.

"Tu as encore oublié tes oreilles," le réprimanda sa mère, l'une desdites oreilles entre les doigts.

Le garçon réapparut dans un éclat violet. Tous les geignements qu'il poussa ne surent attendrir Saursha, qui le tira jusqu'à l'étage sans pitié pour son cartilage. Il parvint malgré tout à échanger un sourire compatissant avec Moranil avant que celui-ci ne soit enfermé dans la chambre d'ami. Sa mère le mena ensuite jusqu'à sa propre chambre et l'y poussa.

"Reste ici jusqu'à ce que j'aie décidé comment te punir," ordonna-t-elle avant de claquer la porte.

Siltafiir aurait adoré détailler la pièce, qu'elle reconnaissait sans mal pour y avoir passé les vingt-et-une premières années de sa vie. Elle se demanda si sa cachette à friandises se trouvait toujours - ou plutôt déjà - dans le mur. Roderic n'attendit pas qu'elle puisse le vérifier pour se ruer sur la fenêtre. Il l'ouvrit, en escalada le rebord et posa délicatement ses semelles sur la poutre apparente qui ceignait la bâtisse.

L'espionne rirait aux éclats si elle l'avait pu. Elle connaissait cette poutre comme une vieille amie, tant elle l'avait foulée pour grimper sur le toit ou s'abandonner dans des escapades nocturnes. Son père ne choisit aucune des deux options ; il longea le mur, le dos plat, évitant soigneusement de regarder en bas.

Quelques minutes plus tard, il tapotait une fenêtre. Moranil y apparut presque instantanément et le hissa à l'intérieur. Ils s'assirent sur le lit à deux places, l'un essoufflé par son équilibrisme, le second plus morne que jamais. La pièce richement décorée contrastait avec l'humeur terne des cousins. Siltafiir reconnut même une commode qui ornait à présent la salle-à-manger.

"Tu penses que ma mère était sérieuse ? demanda finalement le clandestin, la tête enfoncée entre les épaules.

- Ce sera un miracle si je peux revenir, siffla l'aîné, jamais mes parents ne m'accompagneront ici. Et Saursha a raison, si ça leur coûte trop cher, ils préféreront me garder enfermé dans une pièce tous les étés plutôt que de risquer leur fortune.

- C'est vrai qu'ils n'aiment pas nous rendre visite, confirma Roderic en s'ébouriffant les cheveux.

- Bonjour l'euphémisme, ricana Moranil sans la moindre joie, ils m'envoient ici parce qu'ils se moquent de leurs relations avec ta mère. Autant mettre tous les moutons noirs dans le même enclos.

- Tout ça parce que tu as raté quelques examens de magie, ça me dépasse.

- Tu sais comment c'est sur l'Archipel de l'Automne, ils préfèrent s'occuper de mes sœurs plutôt que de gaspiller leur énergie avec moi. Sans talent spécial, je n'ai aucune utilité pour eux à moins de me marier à une riche héritière… et de lui faire des gosses."

Roderic baissa la tête, soudainement conscient de sa chance. Saursha se plaignait sans fin du manque de respect que les Brétons accordaient aux femmes, mais les Altmers traitaient les hommes de la même manière. Vivre à Refuge accordait à Roderic un avantage indéniable. Fixant le plancher, il cherchait les mots pour réconforter son cousin, mais celui-ci l'interrompit d'un rire las.

"En tout cas, tu as fait beaucoup de progrès depuis l'an passé. Parti comme ça, tu vas devenir archimage avant tes cent ans.

- Pour battre le record, il faudrait que j'y arrive avant septante ans, renchérit le plus jeune.

- Ah oui, j'oubliais. Exceller ne suffit pas, tu dois toujours être le meilleur."

Roderic emmêla encore ses mèches ondulées, les joues chauffées par cette remarque.

"Je… je fais juste de mon mieux, c'est tout."

Un rire fatigué, mais sincère cette fois, roula sur la langue de Moranil.

"Allez, retourne dans ta chambre avant que Saursha revienne," conseilla-t-il en lui tapant le dos.

Roderic acquiesça. Alors qu'il grimpait sur le bord de la fenêtre, sa vision devint floue, puis Siltafiir tomba hors du souvenir, sur le sentier de Quagmire. Elle regarda la mare qui essayait toujours de lui attraper les chevilles et pouffa, amusée par ses efforts. Même le subconscient de son père refusait de la laisser voler de ses propres ailes.

Ses traits se durcirent. Au moins, il ne l'avait jamais rejetée, contrairement aux parents de Moranil. Ou Morsara. Siltafiir voulut s'ébouriffer les cheveux, mais se figea en reconnaissant le tic de son père. Un soubresaut naquit dans sa poitrine, parcourut ses membres et se mua en un gloussement peiné lorsqu'il traversa sa gorge. Voilà qu'un élan de nostalgie la prenait. Ridicule, pensa-t-elle en essuyant une larme.

Des rires entrecoupaient ses sanglots alors qu'elle se remémorait son adolescence. Seulement quelques années auparavant, elle ne craignait rien plus que se faire attraper par ses parents durant ses sorties clandestines. Maintenant, la présence étouffante de son père lui manquait, tout comme les rares moments que sa mère lui accordait lorsqu'elle ne travaillait pas. Une époque insouciante qui lui paraissait si lointaine, comme appartenant à la vie d'une autre fille. Elle se frotta vigoureusement le visage, renifla et avala quelques bouffées d'air. Ses cheveux proprement ébouriffés, elle sauta sur ses pieds.

Sans autre but que fuir son trop-plein d'émotions, elle trotta dans une direction aléatoire. La flaque de son père tenta bien de la retenir, mais Siltafiir brisa le contact d'un geste sec. Les textures indécises du sentier sous la plante de ses pieds parvinrent à la distraire durant un court moment, mais de vieilles senteurs assaillirent ses sens. Les odeurs poussiéreuses de sa cave, les épices du marché de Refuge, le parfum fleuri de sa grand-mère la harcelaient sans merci.

Elle se tapota les joues, secoua la tête et chantonna un couplet de Ragnar le Rouge pour se distraire. Sans succès. Ces rares moments de plaisir pâlissaient face aux raisons qui l'avaient forcée à quitter Haute-Roche, et pourtant ils lui manquaient tant. Au milieu de ses pathétiques tentatives, une poigne visqueuse captura sa cheville, lui arrachant un cri aigu.

Elle baissa les yeux sur la flaque de Roderic, un soupir entre les lèvres. La fin de sa nuit commençait bien mal.

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Les paupières collées, la langue sèche, Siltafiir grogna. Elle voulut chasser la main qui secouait son épaule droite, mais ne parvint qu'à se gifler elle-même.

"Draaf !" cracha-t-elle en se massant la joue.

Un rire familier lui répondit. Ses yeux embrumés reconnurent les larges épaules de Ralof et le halo blond qui encadrait son visage. Elle se redressa, bâilla bruyamment et le salua d'une voix pâteuse. Il s'excusa de l'avoir réveillée, puis mentionna la présence d'un messager à la porte.

Siltafiir se leva péniblement et avala un élixir fort amer concocté par Danica. Ce fut une jeune fille échevelée et nauséeuse qui se présenta devant Brill, le chambellan du jarl.

"Le piège sera prêt demain matin, expliqua-t-il, mais après l'attaque d'hier, le jarl pensait que vous voudriez prendre plus de temps pour vous reposer."

Elle fixa silencieusement la calvitie avancée du Nordique, pesant le pour et le contre. Bien entendu, elle ne vaincrait pas Alduin avec du poison dans les veines, mais s'il dévorait trop d'âmes en Sovngarde elle n'y gagnerait rien. Le chambellan toussa dans le but de la ramener sur terre. Elle cligna des yeux, jeta un regard au ciel de fin d'après-midi, puis acquiesça.

"Je serai là. Bonne nuit."

Elle claqua la porte sans plus de cérémonie et, bâillant à s'en décrocher la mâchoire, se dirigea vers les escaliers.

"Tu retournes déjà te coucher ? demanda Ralof alors qu'elle posait un pied sur la première marche.

- Tu l'as entendu, je reprends ma quête demain, il faut que je me repose.

- Sans manger ?"

L'estomac encore agacé par toutes les potions et autres antidotes ingurgités depuis la veille, elle répliqua d'une grimace. Ralof lui décocha un sourire désolé et embrassa son front. Entraînée par un élan d'affection, elle écrasa sa bouche contre la sienne, les bras enroulés autour de sa nuque. Elle l'entendit soupirer lourdement, puis ses pieds se soulevèrent de terre, lui arrachant un couinement surpris.

"Allons te mettre au lit," déclara-t-il en embrassant délicatement le bout de son nez.

Il lui déroba un second cri en la balançant sur son épaule et la porta ainsi jusqu'à la chambre. Elle essaya de toutes ses forces de paraître vexée quand il l'allongea sur le matelas, mais les gloussements qui agitaient sa poitrine ruinèrent ses efforts. L'ombre du Nordique coupa court à son hilarité en couvrant la moitié de son corps. Siltafiir fronça les sourcils, interloquée par le visage terne qui la surplombait.

"Ça va ? s'inquiéta-t-elle en plongeant ses doigts dans la barbe de Ralof.

- Moi, oui, souffla-t-il en s'appuyant contre la paume de Siltafiir, mais toi, tu vas partir combattre Alduin demain matin. Tu n'as pas peur ?"

Elle cligna des yeux, puis hocha la tête de gauche à droite. Certes, son estomac se crispait quand elle y songeait, mais nul besoin d'inquiéter son homme alors qu'il ne pouvait rien y faire.

"J'ai déjà gagné une fois contre lui, il me suffit de recommencer," se vanta-t-elle.

Apparemment rassuré, Ralof caressa sa joue d'un baiser, puis s'attaqua à sa bouche. Il descendit ensuite sur son cou, puis jusqu'à sa clavicule, glissant subrepticement une main sous les habits de Siltafiir. Ses doigts parcoururent les rondeurs de sa hanche, rebondirent sur ses côtes et hésitèrent devant son sein. Il s'écarta juste assez pour que leurs regards se croisent.

"Tu… Tu as envie de continuer ? Je ne veux pas te faire de mal."

Siltafiir s'étonna de le voir à ce point craintif. Si l'un d'entre eux devait s'inquiéter de blesser l'autre, c'était elle. Pour l'encourager, elle le tira par le col et l'embrassa fougueusement. La paume calleuse reprit sa besogne, couvrant le sein gauche de la jeune fille. Un sursaut agita le souffle de Siltafiir quand il pinça son téton.

Elle sentit un infime tremblement parcourir les muscles du sombrage qui, un instant plus tard, disparut de son champ de vision. Il remonta la tunique de Siltafiir au-dessus de son nombril pour y déposer un baiser. Chatouillée par sa barbe, la jeune fille gloussa bruyamment. Encouragé par cette réaction, il frotta son nez et son menton sur le ventre dénudé, forçant sa victime à se tortiller dans tous les sens.

Un genou mit rapidement fin à cette douce torture en heurtant les côtes du malfaiteur. Siltafiir se confondit en excuses, mais Ralof rigolait malgré son souffle court.

"Je l'ai un peu cherché," articula-t-il derrière son sourire crispé.

Il remonta jusqu'au visage de Siltafiir et l'embrassa, y mettant assez de poids pour la plaquer sur le lit. La jeune fille, ses mains naturellement posées entre les omoplates du sombrage, ne remarqua pas tout de suite qu'il défaisait son pantalon. Les doigts qui s'enfoncèrent dans ses poils pubiens parvinrent, eux, à capturer son attention.

Elle gémit plusieurs fois contre les lèvres de Ralof, qui jubilait en la sentant vibrer sous son toucher. Une chaleur presque étouffante se répandait dans le ventre de Siltafiir, grimpait lentement jusqu'à ses joues. Son cœur accélérait. Sa voix gagnait en intensité.

Ralof libéra sa bouche pour dévorer son cou. Elle haletait, poussait de petits cris qui arrachaient tous un grognement content au Nordique, se cambrait contre sa main. Ses moments de plaisir solitaires ne valaient rien comparés au doigté de Ralof. Elle planta ses ongles dans le dos du soldat, qui recula pour détailler le visage de sa compagne.

Il se mordit la lèvre à la vue des joues rouges et de la bouche entrouverte, se pencha pour les embrasser, mais Siltafiir hurla brusquement. Les cheveux jetés en arrière, les oreilles sifflantes, il fixa le mur quelques secondes sans entendre les appels de la jeune fille, puis il éclata de rire et la plaqua sur l'oreiller à coups de baisers.

"Tu vas bien ? paniqua-t-elle dès qu'il lui laissa une seconde pour parler.

- Bien ? pouffa-t-il. Je pourrais t'écouter crier toute la nuit."

Siltafiir se couvrit le visage d'un bras, les joues brûlantes d'embarras. Cela amusa fortement Ralof qui, toujours agité de petits rires, saisit les hanches de la jeune fille et la tira vers lui. Malgré leurs vêtements, elle sentit clairement une bosse rigide frotter son entrejambe, assez fort pour lui dérober non seulement un gémissement, mais aussi le peu d'assurance qu'il lui restait.

Sans voir le trouble de Siltafiir, Ralof lui ôta sa tunique et, prenant bien garde de ne pas la chatouiller cette fois, traça un sentier de bises de son ventre jusqu'à sa poitrine. Ce n'est qu'à la hauteur de son visage qu'il remarqua son menton tremblant. Son front se plissa.

"Je vais trop vite, c'est ça ? marmonna-t-il piteusement. Pardon, je-

- Ce n'est pas toi, coupa-t-elle en lui décochant un sourire crispé, je suis juste nerveuse."

Bonjour l'euphémisme, comme aurait dit Moranil - ou Morsara. Siltafiir ne sentait plus le bout de ses doigts tant ils la picotaient, n'entendait plus sa propre respiration tant son cœur s'emballait, et que personne ne lui parle de former une pensée cohérente ! Ralof lui accorda un instant de répit en se déshabillant, lui offrant également une vue imprenable sur ses abdominaux, ses pectoraux, ses biceps et tous les muscles qui couvraient le haut de son corps.

Elle ne savait où regarder, ne savait si elle pouvait regarder - bien sûr que oui, tenta-t-elle de se convaincre, il ne se dévêtait pas pour qu'elle détourne les yeux. Ses doigts la démangeaient, impatients de parcourir les reliefs de ce torse et se mêler au duvet blond qui le couvrait. Elle voulait le toucher, par les Neufs ! Alors, bien entendu, elle demeurait figée comme une gamine effrayée.

Heureusement, il se colla à elle, créant ce contact qu'elle désirait tant. Le visage enfoui dans le creux de son épaule, il inspira profondément et la chatouilla du bout de ses lèvres. Satisfait par le gloussement ainsi récolté, il s'écarta. Leurs yeux se croisèrent brièvement avant que Ralof ne replonge sur le ventre de Siltafiir. Malgré cette rapidité, elle remarqua ses pupilles dilatées, et surtout la manière dont il s'humecta les lèvres. Elle essaya de se redresser pour observer ce qu'il fabriquait, mais il tira sur ses pantalons, brisant son équilibre précaire.

Elle sentit le tissu glisser jusqu'à ses genoux et, prenant son courage à deux mains, remua les jambes pour aider Ralof à complètement la dévêtir. La respiration saccadée, elle releva la tête juste assez vite pour le voir caresser le haut de son genou d'une bise. Puis il plongea en avant sans lui laisser le temps de le questionner sur ses intentions. De toute manière, elle les découvrit bien assez vite.

Son crâne retomba dans le coussin pendant qu'un grondement naissait entre ses cordes vocales. Les mains de Ralof tenaient ses hanches, sa barbe grattait l'intérieur de ses cuisses, et sa langue, par Dibella ! Il savait s'en servir, de sa langue !

L'agréable chaleur envahissait encore son ventre, plus rapide, plus prenante. Des soubresauts irréguliers parcouraient ses membres, ses phalanges craquaient en arrachant à moitié les fourrures du lit, et ses cuisses finiraient par briser la nuque de Ralof si elles continuaient de s'ouvrir et se fermer ainsi.

Entre deux vagues de plaisir, elle parvint à soulever ses paupières. Les iris pâles du Nordiques la saluèrent, avalées presque entièrement par ses pupilles. Siltafiir haleta, secouée par l'intensité de ce regard, mais surtout par l'idée qu'il l'observait pendant qu'elle tirait les pires grimaces de Mundus.

Cette inquiétude s'envola dès que les doigts de Ralof se remirent au travail. Les paupières de Siltafiir retombèrent d'un coup. Un premier râle gratta son palais, puis un second, qui encouragèrent Ralof à accélérer son mouvement. Le dos de Siltafiir vibra. Elle crut d'abord à un frisson, mais une deuxième secousse traversa tout son corps. Leur origine se révéla quand elle poussa un cri moins contenu que les autres.

Le matelas tremblait au rythme de sa voix, et celle-ci gagnait en puissance à chaque geste de Ralof. Siltafiir voulait s'en inquiéter - à trop s'abandonner elle casserait quelque-chose - mais à cet instant, rien ne lui importait moins que l'état de son mobilier. Les contractions de son bas-ventre se rapprochaient, s'allongeaient, s'intensifiaient, la tension s'accumulait. La terreur se mêla à l'euphorie. Siltafiir sentait la déferlante débouler, mais l'habileté de son amant évinça toute tentative d'alerte.

Sa Voix explosa.

De sa main libre, Ralof agrippa sa hanche, les pieds enfoncés dans les fourrures. Le lit craqua dangereusement, mais tint le choc. Siltafiir retomba lourdement sur la couche, peinant à reprendre son souffle. Elle ouvrit un œil lorsque le Nordique s'écarta, puis gloussa mollement alors qu'il déposait un baiser mouillé sur son front.

"Ça t'a plu ? ricana-t-il en lui caressant la joue.

- Tu as vraiment besoin de demander ? répliqua-t-elle sur le même ton.

- Et bien… hésita-t-il, les traits soudainement tendus. Oui. Une fois, je… je n'ai pas fait assez attention. Elle a regretté et… Je ne veux pas que ça recommence. Vraiment pas."

Un froncement dégoûté retroussa son nez alors qu'il jouait avec une mèche des cheveux de Siltafiir. Elle le fixa un moment, comprenant de mieux en mieux son comportement. La même situation, quoiqu'inversée, l'avait guettée plus d'une fois lors de son adolescence.

"Ça m'a vraiment plu," murmura-t-elle.

Elle passa ses bras derrière la nuque de Ralof, qui se désintéressa de ses cheveux pour répondre à son embrassade. Un parfum acide titilla les narines de Siltafiir. Un instant de réflexion lui suffit pour reconnaître sa propre odeur, coincée dans la barbe du Nordique, ainsi que son goût sur ses lèvres encore humides. Sans qu'elle sache exactement pourquoi, cela raviva son excitation.

Ralof ôta ses pantalons, puis revint l'enlacer si vite qu'elle put tout juste apercevoir l'objet de sa curiosité. Il se glissa entre ses jambes, empoigna ses fesses et colla leurs corps l'un à l'autre. Siltafiir poussa un grognement satisfait auquel il fit écho. Quelque-chose de dur, de chaud, de large, frottait contre l'entrejambe de la jeune fille ; elle devinait sans peine de quoi il s'agissait.

"Toujours envie ?

- Oui."

Il la souleva et se positionna. Lentement, il la pénétra, couvrant son cou de baisers. Après quelques allers-retours crispés, Siltafiir s'acclimata à cette nouvelle présence, y répondant même par des mouvements du bassin. Sa respiration s'alourdit. Leurs préliminaires l'avaient rendue fort réceptive, au point qu'elle poussa des gémissements vibrants au bout de seulement quelques secondes. Sans le réaliser, elle se cambra, sa main droite se referma sur un coussin, les doigts de l'autre s'accrochèrent à l'épaule de Ralof.

Son souffle se transforma en halètements, puis les vibrations réapparurent dans son dos. Elle planta ses incisives dans sa lèvre pour tenter de les contenir, mais Ralof intervint. Un pouce caressant le coin de sa bouche, il l'encouragea :

"Laisse-toi aller, tout va bien se passer."

De son autre pouce, il massa le clitoris de Siltafiir, qui poussa enfin l'exclamation attendue. Un frisson traversa la colonne vertébrale du Nordique. Il lui déroba une ribambelle de cris tout en semant de fines morsures sur sa gorge et sa poitrine, et se réjouit de l'entendre gémir plus fort encore lorsqu'il s'attardait sur ses tétons.

Siltafiir s'habituait tout juste à ce traitement quand Ralof décida de saisir ses cuisses, juste derrière ses genoux, et posa ses jambes contre ses épaules. Elle ne pouvait plus rien faire, et surtout, elle ne voulait plus rien faire, que profiter des coups de reins qui propageaient des éclairs de son ventre jusqu'au bout de ses membres. Accompagnée par les râles concentrés de Ralof, sa Voix se répandit dans la pièce, puis la maison, et si la Brétonne avait été capable de penser au monde extérieure, elle se serait inquiétée de l'ouïe des voisins. Mais tout son corps se tendait de bonheur, ses orteils s'enroulaient et se déroulaient, ses doigts agrippaient tout ce qui passait à leur portée.

Elle poussa bientôt son ultime cri, un instant avant que Ralof ne se retire, agité de soubresauts réguliers. Il lâcha ses genoux et retomba à moitié sur elle, appuyant son front contre le sien. Une lassitude béate possédait leurs corps. Comme après une longue journée d'efforts, songea Siltafiir, mais en mieux. En beaucoup mieux.

Elle baissa les yeux, pour découvrir une flaque visqueuse et blanchâtre, traçant un chemin de son plexus jusqu'au pénis à demi-ramolli qui reposait sur son bas-ventre.

"Ah, oui, laisse-moi nettoyer ça, dit Ralof en suivant son regard, si je trouve juste de quoi essuyer…"

Elle l'observa pendant qu'il fouillait la chambre du regard et, soudainement prise par une bouffée euphorique, lui attrapa le poignet.

"Eh, souffla-t-elle en souriant d'une oreille à l'autre, je t'aime."

Il interrompit sa recherche et, arborant une expression toute aussi heureuse, l'embrassa délicatement.

"Moi aussi, je t'aime."

À suivre…

Pardon pour l'attente, je me suis trouvé un apprentissage et travailler à 100% est fatiguant (qui l'eut cru). Pour me faire pardonner, vous avez droit à un chapitre deux fois plus long que d'habitude. Pas besoin de me remercier (En fait si ! Remerciez-moi ! J'aime les compliments !… Bon, et les critiques constructives aussi, d'accord.)

J'essaierai de faire moins long pour la suite, mais bon… voilà… vous savez ce que c'est…

En espérant que ça vous ait plu, à bientôt, lecteurs de mon cœur !

Termes draconiques
Drem - Paix
Zu'u uth. Hon. - Je commande. Écoute.
Zu'u a- - Je peu-
Fos ? - Quoi ?
Keydraaf - Merde de cheval (et un juron de plus, un !)