Bo ahrk mah ! Vol et tombe

Tous les hommes, elfes et bêtes que Siltafiir repérait depuis le dos d'Odahviing ressemblaient à des insectes, minuscules et indifférenciables. Ils se cachaient dans les touffes vertes des forêts ou longeaient les rivières qui traçaient des cicatrices luisantes sur les plaines. Le dragon s'amusait des cris de joie et d'effarement de sa passagère. Elle n'en pouvait plus de pointer tous les lieux qu'elle reconnaissait pour s'étonner de leur taille. Même les plus grandes villes semblaient assez frêles pour s'écraser sous ses semelles.

« Aam koraav miin ? ricana Odahviing.

- Zu'u haalvut hotus ! » s'excita-t-elle, la voix perdue dans les aigus.

Ignorant l'éclat de rire de son guide, elle se perdit dans la contemplation de l'horizon. Tout Bordeciel se trouvait à portée de regard et, plissant les yeux, elle crut même discerner les silhouettes de Haute-Roche et Cyrodiil.

Dire que sa venue lui avait demandé deux semaines de marche juste pour atteindre la frontière. Là, deux heures tout au plus auraient suffi à la ramener chez elle, à Refuge. Un frisson sur la nuque, elle poussa un demi-rire. En arrivant dans ce pays, si elle avait su…

"Us mu bo ko Skuldafn, dit alors Odahviing, la sortant de sa contemplation, mindoraan, pah middovahhe do Alduin lahvraan til.

- Zu'u mindok," répliqua-t-elle, presque rassurée.

Elle se doutait depuis le début que des ennemis l'attendaient sur le trajet. Des draugrs postés sur des remparts perçaient la brume de leurs casques cornus. Ils ne l'intéressèrent qu'un court instant, car une colonne de lumière démesurée coiffait Skuldafn. D'instinct, elle reconnut sa destination.

Le temple se précisait peu à peu. Odahviing n'avait pas menti : sans ailes, personne ne pouvait y accéder. Une couronne rocheuse emprisonnait le bâtiment, trop haute pour que quiconque autre qu'une chèvre ne parvienne à l'escalader. Au-delà de cette barrière naturelle, pas même l'ombre d'un escalier n'apparaissait aux yeux de Siltafiir.

"Il n'y a vraiment aucun chemin praticable, remarqua-t-elle en inspectant les fondations, j'ai de la peine à croire que tous les disciples de ce temple y soient montés sur le dos d'un dragon.

- Vahzah, acquiesça Odahviing en découvrant son sourire acéré, rares sont les mortels à avoir eu cet honneur. Des souterrains mènent au pied de la montagne. Ou y menaient, tiid du pah, le temps les aura certainement détruits."

Sur ces mots, il contourna l'édifice et se posa sur une zone plane du flanc montagneux. Siltafiir sauta immédiatement de son dos pour frotter ses fesses engourdies, puis observa les environs. Un pont usé, mais stable, reliait la plateforme d'atterrissage au bâtiment principal. Deux arches de pierre marquaient ses extrémités. Le comité d'accueil se percha sur la plus éloignée.

"Tahrodiis Odahviing, siffla un dragon aux écailles vertes, aam hokoron do Alduin.

- Vahzah dovahhe krif erei oblaan, répliqua calmement l'accusé, Alduin bovul."

Il se détourna de cet échange futile pour s'adresser à Siltafiir :

"Ma route s'arrête ici. Krif voth ahkrin. j'attendrai ton retour."

Elle le salua d'un geste de la tête et s'éloigna d'un pas.

"Ou celui d'Alduin," ajouta-t-il en décollant.

Siltafiir se retourna immédiatement, mais ne concocta aucune réplique assez cinglante avant qu'il ne contourne les montagnes. Alduin ne reviendrait jamais, songea-t-elle en poussant un reniflement agacé, elle s'en assurerait.

"Dir, Dovahkiin !" s'exclama alors le dragon qui avait insulté Odahviing.

Siltafiir oublia sa monture et dégaina Mort-Dragon. Elle attendit un instant que l'imprudent vole dans sa direction. Au début, elle s'étonna qu'il ait laissé Odahviing partir sans l'attaquer, puis elle se concentra sur son âme. Il ne valait rien, pensa-t-elle en reniflant dédaigneusement, elle sentait à peine sa présence alors qu'il piquait droit sur elle. Quelle blague ! Odahviing l'aurait dévoré d'un seul coup de dents.

Le nez retroussé, elle lui cracha le fendragon dessus. Il s'écrasa sur la zone d'atterrissage et, avant même d'avoir rouvert les yeux, poussa un hurlement horrifié. Mort-Dragon plantée dans sa gorge, il s'effondra.

Distraite par l'âme délicieuse qui s'élevait dans les airs, Siltafiir en oublia le temple et ses occupants. Une flèche lui frôla l'épaule, lui rappelant la présence des draugrs. Elle courut jusqu'au pont et s'abrita derrière la première arche, attendant que son âme et celle de sa victime se mêlent totalement l'une à l'autre.

Dès que la lumière aveuglante se dissipa, elle banda son arc et visa le draugr le plus proche. L'épée brandie, il tentait de traverser le pont. Siltafiir l'en empêcha d'un trait. Soulevant un nuage de poussière, le cadavre s'étala sur la pierre. Quand il toucha terre, Siltafiir ne pensait déjà plus à lui, concentrée sur l'archer décharné qui avait bien failli l'abattre quelques secondes plus tôt.

Il rencontra le même destin que son confrère. Attirés par le bruit, deux autres zombies apparurent au détour d'un mur. Siltafiir ne s'en inquiéta guère. Elle s'enveloppa de son pouvoir d'invisibilité et traversa silencieusement le pont.

En quelques minutes à peine, elle eut gravi l'escalier si grand qu'usé qui menait à la porte principale. Là, elle apprécia plus que jamais la bénédiction de Nocturne. Partout où elle posait son regard, un draugr montait la garde : quatre autour de l'entrée, un sur une tour à moitié effondrée, quelques-uns dans les ruelles, et tout un bataillon réparti sur les remparts. Ce combat lui aurait coûté un temps et une énergie précieux.

Sans plus se préoccuper des gardiens, elle poussa l'énorme battant de fer. Il glissa aisément au contact de sa paume et n'attira aucune réaction des zombies, pour sa plus grande réjouissance. Après trois pas dans le bâtiment, elle étouffa pourtant un couinement paniqué. La porte avait claqué.

Une main sur le cœur, elle avança sur la pointe des pieds jusqu'au brasier qui ornait le centre du hall, posé sur un socle plus finement taillé que toutes les sculptures nordiques qu'elle avait vues jusqu'alors. Tournant les yeux de gauche et de droite, elle s'étonna du silence ambiant. Les ruines atmoréennes ressemblaient rarement au festival de Refuge, mais un calme particulièrement dense imprégnait l'air poussiéreux de Skuldafn.

Soudainement, elle réalisa : à l'exception des draugrs, personne n'avait posé le pied dans ce temple depuis plus de quatre millénaires. Le silence régnait depuis trop longtemps, toutes les troupes de saltimbanques de Haute-Roche n'auraient pas suffi à ramener de la vie entre ces murs.

Elle dérangea la poussière de ses semelles. Au bout de la salle, une silhouette se découpait dans l'embouchure d'un couloir, droit sur le chemin de Siltafiir. Heureusement, presque aussi épaisses que le silence, les ombres engloutissaient la pièce, à peine éraflées par le brasier. Depuis l'obscurité, l'archère se débarrassa sans effort du zombie.

L'avancée se corsa quelque-peu quand elle dut contourner des draugrs, limitée par l'étroitesse des tunnels. De plus, des trésors intouchés parsemaient sa route, série de viles tentations trop distrayantes devant l'importance de sa mission. Dès qu'elle passait devant un coffre, l'envie d'en soulever le couvercle ou d'en crocheter la serrure lui démangeaient les doigts, mais elle se répétait le nom d'Alduin. S'il gagnait, toutes les richesses de Nirn ne vaudraient plus rien. Et puis, elle n'était pas exactement pauvre. Une réserve raisonnable de pierres précieuses et autres bijoux l'attendait chez elle, prête à être revendue. Les trois pièces et demie qui devaient traîner au fond de ce coffre ne pouvaient décemment pas la détourner de son but.

Elle pensait à tout cela en déverrouillant ledit coffre, les oreilles bourdonnant d'impatience. Un petit cri de joie lui échappa lorsqu'elle en sortit un saphir sans défaut, une bonne quantité d'or et une dague d'ébonite à l'aura verdoyante. Siltafiir ne regretta pas sa pulsion, même alors qu'un draugr se ruait sur elle appâté par son exclamation.

Yol l'en débarrassa rapidement, et elle retourna sous le couvert de son invisibilité avant que d'autres cadavres ne rappliquent. Au bout du premier tunnel, elle découvrit une salle dont elle ne voyait pas le plafond gardée par cinq draugrs. Ce détail l'inquiéta moins que les trois pylônes ornés de figures animales érigés en son centre.

Siltafiir grommela. Une énigme, génial.

Les zombies éliminés, elle se concentra sur les gravures d'aigles, de baleines et de serpents éparpillées dans la salle. Ses pas résonnaient à peine. Le silence épais avalait immédiatement tout bruit qui osait y naître, comme le raclement des pylônes contre la pierre ou les jurons de Siltafiir qui se râpait les doigts en les pivotant.

Enveloppée dans ce cocon de calme, elle ouvrit sans peine la grille qui bloquait sa route, mais, alors qu'elle s'en approchait, entendit une respiration tressautante. Elle s'immobilisa. C'était en fait une voix. Son timbre sifflant soufflait des murmures trop succincts pour que Siltafiir les saisisse, et pourtant…

Yeux clos, elle oublia tout ce qui l'entourait. La voix venait d'au-dessus, Siltafiir la percevait clairement à présent, et elle ne chuchotait pas. Elle criait.

Ses exclamations erratiques ne prononçaient en fait qu'un seul mot. Avant que la jeune fille ne puisse le décrypter, son âme lui souffla la réponse. Ou plutôt, elle la lui jeta à la figure avec toute la subtilité d'un troupeau bovin.

Strun et bah, ses deux rotmulagge les plus puissants, grondèrent d'excitation à l'écoute de celui qui devait être la pièce manquante de leur trio. Son cœur accéléra, son sang s'échauffa et, les oreilles bourdonnantes, elle avança d'un pas claquant.

Le nouveau mot fouettait ses tympans pour la presser de venir le quérir, agitant plus encore les deux autres. Les poings serrés, elle atteignit la pièce suivante sans même s'en rendre compte. Arrivant au bord d'un-balcon qui donnait sur une salle d'embaumement, elle ne se rappela de ce qui l'entourait que lorsqu'un draugr la héla :

"Dir volaan !"

YOL TOOR SHUL

Les flammes attaquèrent de leur propre chef, mais Siltafiir ne s'en formalisa pas. Elle ne désirait qu'une seule et unique chose : avancer. Strun et bah gonflaient d'impatience. D'instinct, elle savait qu'ils n'échapperaient pas à son contrôle tant qu'un toit la couvrait – rien de moins que les cieux ne conviendraient à ce cri tempêtueux – mais ils la harcelaient de vagues furieuses. Les insultes rauques des draugrs remuaient plus encore cet ouragan naissant.

Elle oublia tout désir de discrétion. Son Thu'um s'éleva le long des boyaux de Skuldafn, abandonnant sur son passage des tas de cendre et des corps désarticulés. Elle déclencha tous les pièges du temple et manqua de se brûler plusieurs fois quand ses propres flammes embrasaient les flaques d'huile qui tapissaient les couloirs.

Une ultime porte se dressa devant elle, une de ces portes qui requéraient l'usage d'une griffe sculptée pour les ouvrir. À côté d'un draugr fraîchement carbonisé, elle ramassa la griffe en question sans admirer ses serres taillées dans le diamant.

La présence du nouveau rotmulaag l'assourdissait complètement alors qu'elle observait les dessins gravés dans la paume de l'artefact. Quand elle releva la tête pour activer le mécanisme de la porte, le tumulte des mots avait effacé sa mémoire. Elle fixa longuement les animaux contre la paroi, les sourcils froncés par l'effort.

Rebaissant les yeux sur la griffe, elle tenta de comprendre le sens des dessins, mais sa main tremblait, et sa vision se troublait, et son Thu'um ne voulait pas perdre de temps avec ces enfantillages.

Siltafiir secoua la tête, inspira profondément et se focalisa sur les gravures.

"Renard, insecte, dragon, renard, insecte, dragon," énuméra-t-elle quelques fois avant de tendre sa main libre vers la porte.

Mais elle ne voyait plus rien. L'appel strident obnubilait ses sens. Ses doigts voulurent s'en emparer, mais ils s'écrasèrent contre la pierre. Une frustration sans nom répondit à cet obstacle. Elle serra le poing et frappa de toutes ses forces.

Le craquement résonna un long moment avant qu'elle ne réalise les conséquences de son acte. Un frisson naquit dans ses phalanges pour remonter jusqu'à son épaule. Elle ramena ses jointures sanglantes contre son torse et, le dos plié, poussa un gémissement cassant. Aveuglée par ses larmes, elle ne voyait que la tache rouge sur sa peau et ne sentait que les éclairs lancinants qui s'en échappaient.

Loin de se calmer, elle respirait de plus en plus vite. Non-contente de lui bloquer l'accès à sa mission et à un rotmulaag, cette porte osait en plus la blesser. Son cœur accélérait. Elle fixait sans la voir la traînée écarlate qui gouttait maintenant de son poignet. Ses babines se retroussèrent. Toute pensée cohérente l'abandonna.

Elle ne perçut qu'un fracas lointain.

Quand le monde retrouva ses formes, elle haletait, toussait à cause de la poussière, tremblait de la tête aux pieds. Au fond de sa gorge éreintée, fus dansait, fier de sa puissance dévastatrice. Elle cligna des yeux et sursauta.

Un trou avait remplacé la porte. Ses jambes s'élancèrent d'elles-mêmes vers cette ouverture sans lui laisser le temps de comprendre ce qui venait de se produire. Elle trébucha sur les débris, puis courut le long d'un couloir bordé de sièges.

Droit devant, il l'attendait, le rotmulaag, et il s'excitait plus que jamais, poussant ses cris grésillants sans interruption. Elle se jeta sur lui. Le nez contre la pierre, elle respirait à peine. Les hurlements du mot l'enveloppèrent.

"Qo", prononça-t-elle du bout des lèvres.

Strun et bah explosèrent de joie à l'arrivée du dernier membre de leur trio. Paupières closes, Siltafiir appuya son front contre le mur et poussa un râle épuisé. Ses oreilles engourdies, son crâne lourd, ses membres meurtris et, surtout, sa main droite la lançaient terriblement. Accroupie, elle se laissa bercer un long moment par les grondements heureux de son Thu'um.

Une plénitude étrange l'habitait, à croire que strun, bah et le nouvel arrivant essayaient de compenser les tourments qu'ils lui avaient causés. Balançant de droite à gauche, elle joignit la valse des mots qui roulaient dans sa gorge comme un tonnerre lointain.

Enfin calmée, elle avala une potion de soin et massa ses doigts. Elle reprit son chemin sans se presser, jusqu'à atteindre une ultime porte. Le vent du nord s'engouffra dans son masque, tout comme les rayons de Magnus. Elle leva un bras devant ses yeux et grimaça.

Un grognement l'interpella. Paupières plissées, elle se tourna vers une paire de draugrs qui chargeaient en l'insultant. La danse du cri tempêtueux s'endiabla, nourrie par la vue du ciel et l'imminence du combat. Un sourire étira les lèvres de Siltafiir alors qu'elle gonflait sa poitrine. Aucun innocent ne risquait de mourir par sa Voix, elle pouvait la libérer sans crainte, sans retenue.

Les draugrs abattirent leurs armes d'un même mouvement, mais elle les repoussa d'un cri.

FUS RO DAH

La bouche béante, elle observa les deux zombies qui s'envolèrent pour s'écraser quelque-part au pied du temple. Strun et ses frères n'apprécièrent guère l'interruption. L'impatience bouillonnante de fus avait évincé leur bonne humeur. Avant que Siltafiir ne puisse réprimander le coupable, strun s'en chargea, enterrant son frère insolent dans l'estomac de leur maîtresse.

Elle ne s'en plaignit guère, car d'autres draugrs approchaient, attirés par son cri. Quelques flèches l'en débarrassèrent. Intriguée par la colonne lumineuse qui se dressait toujours au sommet du bâtiment, elle opta pour un contournement plutôt qu'un combat frontal et usa donc de son pouvoir d'invisibilité.

Un énorme escalier plus tard, elle découvrait une immense cour et, en son centre, l'origine de la lumière. Un portail assez large pour qu'un dragon s'y engouffre perçait la pierre. Quelques pas devant le portail, une silhouette squelettique lévitait, sa face masquée dirigée droit sur Siltafiir. Celle-ci continua son avancée, mais dégaina tout de même son arc, gardant à l'œil le prêtre-dragon et les draugrs postés alentours.

Des rubans d'aurores boréales éclosaient sur les rebords de la roche et les refrains incomplets de chœurs guerriers la caressaient par vagues. Ce portail menait en Sovngarde, nul doute possible. Plus qu'une dizaine de mètres et…

"Dovahkiin… susurra la silhouette squelettique. Hin laas los dii."

Elle se figea. Le prêtre-dragon flotta jusqu'en haut d'une petite volée d'escaliers et empoigna un bâton planté dans la plateforme. Le portail se ferma. Le prêtre se retourna théâtralement vers Siltafiir et déclara :

"Zu'u Nahkriin. Zu'u uth naal thuri dein daar miiraak."

Comme attirés par ce signal, tous les draugrs s'avancèrent vers leur prêtre. Siltafiir recula, tourna sur elle-même, repéra tous les ennemis qui l'encerclaient, ce qui incluait trois dragons dont la présence avait été jusqu'alors couverte par le portail, et reposa ses pupilles dilatées sur Nahkriin.

"Fent ni fiilok," menaça-t-il en brandissant le bâton.

Elle se jeta sur le côté pour esquiver la déferlante d'éclairs qui s'échappa du pommeau et perdit le contrôle de son invisibilité. Après un dernier regard à la légion de draugrs qui l'avaient maintenant repérée, elle jugea le moment opportun. Tournée vers Nahkriin, elle hurla avec plus de force que jamais auparavant :

STRUN BAH QO

Elle crut que sa tête se détachait de ses épaules. Le crâne entre les mains, elle essayait de rester debout. L'écho de sa Voix se répercutait sans fin, le temple ne cessait de trembler. Une pluie dense martelait bientôt la roche.

Malgré le voile flou devant ses yeux, elle repéra Nahkriin, tombé à côté de la plateforme de pierre. Il se releva à l'aide de son bâton. Les pans mités de ses robes dégoulinaient déjà. Il s'éleva, flottant à quelques centimètres du sol, et pointa son arme sur Siltafiir. Un mur de foudre s'en écoula.

Elle esquiva en courant dans une direction aléatoire. D'un rapide regard alentours, elle devina nombre de silhouettes, rendues incertaines par la pluie. Les draugrs se relevaient en tanguant, encore plus déstabilisés que leur prêtre, et les trois dragons repérés plus tôt volaient en cercles au-dessus de Skuldafn, luttant contre les bourrasques. La voix de Nahkriin la détourna de ses observations :

« Sosaal fah hin votha- »

Un éclair fendit le ciel et le frappa. Plié en deux, il semblait s'accroupir alors que ses robes trainaient par terre. Les jambes de Siltafiir profitèrent de ce déséquilibre pour charger. Il invoqua un atronach de foudre sur le chemin de son ennemie. Celle-ci dévia sa course pour le contourner, mais l'un des dragons atterrit en montrant les crocs.

Avant que le reptile et l'atronach ne puissent l'électrocuter ou la calciner, elle revêtit son invisibilité. Ses pas, couverts par le fracas de la tempête, la menèrent jusqu'aux arches qui encadraient le toit du temple. Nahkriin la suivit, mais ne parvint à indiquer sa position à aucun de ses laquais ; un second éclair le frappa, arrachant le bâton de sa main. Le temps qu'il se ressaisisse, Siltafiir avait bandé son arc et tiré une flèche.

Le cadavre du prêtre tomba en poussière. Presque aucun draugr ne subsistait, la tempête les éliminait rapidement. Le dragon hurla de rage quand un éclair le frappa à son tour. Il voulut déverser sa colère dans un cri, mais sa cible ne lui offrit que l'occasion d'inspirer. Un trait se ficha dans le fond de sa gorge, lui arrachant de pitoyables borborygmes. Siltafiir profita de son agitation pour l'égorger avec Mort-Dragon.

Tout en absorbant son âme, elle se tourna vers les deux dragons restant. Le premier s'enfuit loin de la tempête à grands coups d'ailes, le second ne partagea pas sa chance. Harcelé par strun, il s'écrasa sur le toit. Siltafiir attendit que le corps écailleux se désagrège complètement, puis abattit de ses tirs la poignée de draugrs qui survivaient malgré l'orage. Une minute lui suffit.

Le dernier zombie s'effondra. Elle l'imita, tombant assise par terre à quelques pas des cendres de Nahkriin. La tempête ne montrait aucun signe d'accalmie, les éclairs incrustaient des taches calcinées dans les pierres du temple.

Son adrénaline se dissipa, laissant place à la fatigue, et surtout à la douleur cinglante qui lui raclait la trachée à chaque inspiration. Même les deux âmes fraîchement dévorées atténuaient à peine l'irritation. Strun lui avait démoli la gorge avec une terrifiante férocité.

Alors qu'elle rassemblait son énergie, ses yeux parcouraient distraitement la silhouette imprécise des montagnes. La pluie battante s'infiltra dans son armure, imbiba sa tunique et rafraîchit ses membres. Le fracas de l'orage la berçait. Elle ferma les yeux. Comme pour se faire pardonner la peine qu'il lui avait causée, strun lui massa la gorge de ses ronronnements.

Remise de son combat, elle se dirigea vers les restes de Nahkriin, ramassa son bâton et escalada la petite estrade. Un sceau métallique en ornait le sommet, percé en son centre d'un trou de la largeur exacte du bâton. Au pied de la plateforme, un relief d'ébonite dessinait deux dragons qui volaient en cercle, délimitant les contours du portail.

Siltafiir activa le mécanisme. Au bas de l'estrade, le sol se craquela et des lumières vertes et roses filtrèrent d'entre les fissures. La roche implosa, libérant un tourbillon d'aurores boréales. Soufflée par le pilier aveuglant qui s'élevait maintenant jusqu'au ciel, Siltafiir observa, bouche bée, ce trop plein d'énergie qui s'échappait d'Ætherius.

Elle secoua la tête et s'élança en avant. Son corps flotta un moment, noyé de filaments colorés et de voix éthérées. Après quelques secondes seulement, ses pieds trouvèrent une surface sur laquelle se poser. Ses semelles claquèrent sur des escaliers de pierre, mais leur son se répercuta lentement, comme étouffé par du coton.

L'air tiède chargé d'effluves florales lui caressait les poumons, le vent jouait dans sa cape, et un halo chaleureux enveloppait rocs, plantes et même ses propres mains. Un regard en l'air faillit dérober son équilibre. Elle pensait avoir vu les plus belles aurores boréales de Mundus en parcourant Bordeciel. Ce ciel les évinçait sans effort. Chaque centimètre de cette voûte céleste scintillait de toutes les couleurs que ses yeux mortels pouvaient percevoir.

Le brouillard estompa son extase, coupant totalement sa vue lorsqu'elle atteignit le pied des escaliers. Un froid intense la saisit et une bourrasque s'infiltra sous son masque pour la gifler. Ses vêtements trempés n'arrangeaient rien.

Elle aurait pu quitter Sovngarde sans même le remarquer tant l'atmosphère avait changé. Ses pas ne résonnaient plus, le nuage compact dévorait leur son. Tâtonnant du bout du pied, elle marchait avec lenteur, incapable de voir quoi que ce soit à plus de dix centimètres. Des lumières percèrent finalement le mur gris.

Son sourire retomba aussitôt. Elle était revenue sur ses pas. Comme pour la moquer, le rugissement d'Alduin s'éleva dans le lointain. Les dents serrées, elle fit face au brouillard. Ce pâle nuage ne lui bloquerait pas la route très longtemps.

LOK VAH KOOR

Elle s'élança sur le sentier révélé. La brume coula dans son dos, fermant le passage qu'elle venait de créer. Elle ne s'en inquiéta pas et, activant sa Voix, reprit son chemin.

Le trajet s'éternisa. À force de répéter les mêmes mouvements, ses jambes et sa bouche adoptèrent un rythme mécanique et toute notion du temps lui échappa. Son imagination prit de l'avance, peignant déjà sa victoire face au Dévoreur de Mondes, abattu par sa Voix et son épée.

Perdue dans ses pensées, elle sursauta quand un homme surgit du brouillard. Ils se dévisagèrent un moment. Ses vêtements riches, et surtout la couronne qui ornait sa chevelure brune, trahissaient des origines aisées.

« Vous n'êtes pas morte, murmura-t-il en jetant de fréquents regards au ciel, que faites-vous ici ?

- Je dois tuer Alduin. »

Il ouvrit la bouche, mais un soldat vêtu des couleurs de l'Empire apparut de derrière un rocher.

« Vous êtes l'Enfant de Dragon ! »

D'autres Nordiques, sombrages comme impériaux, s'extirpèrent de la même cachette. La peur d'Alduin supplantait toutes les rivalités. Ils se protégeaient des ailes noires en se terrant contre le flanc d'une colline, incapables de rejoindre le Panthéon des Braves à cause du brouillard maudit. Siltafiir offrit de les y mener, ce qu'ils acceptèrent avec une gratitude désespérée.

Elle ne percevait que difficilement la présence d'Alduin alors qu'ils avançaient serrés les uns contre les autres. Les claquements de dents et les murmures incessants dans son dos ne l'aidaient guère à se concentrer. Elle hésitait à les faire taire, mais un battement d'ailes massif s'en chargea en soulevant la poussière derrière eux.

Un sombrage paniqué s'élança en avant et disparut dans le brouillard. Avant que Siltafiir ne puisse l'interpeller, une ombre gigantesque couvrit le petit groupe, puis replongea dans la brume. Un cri leur parvint, aussi lointain que terrifiant. Siltafiir dompta son cœur battant, puis tourna son masque vers les survivants.

« Restez près de moi. »

Ils acquiescèrent vigoureusement à cet ordre. Le dévoreur les survolait sans relâche, mais ils obéirent à leur protectrice et survécurent jusqu'au bout du trajet. Ils débouchèrent sur de courts escaliers de pierre construits au bord d'un précipice sans fond, qui menaient à un pont. Au bout de celui-ci s'érigeait ce que Siltafiir confondit avec un palais.

Les battements d'ailes résonnaient encore, proches ou éloignés elle n'aurait su le dire. Le brouillard couvrait tout jusqu'à l'entrée de Sovngarde, à l'exception du sommet d'une colline pierreuse, celle-là même qui avait servi d'abri aux âmes égarées. Occupée à surveiller ses arrières, elle ne remarqua que tardivement l'homme qui marchait calmement dans sa direction. Hébétée par le géant qui la surplombait à présent, elle se figea.

« Qu'est-ce qui t'amène à Sovngarde, séjour des morts et récompense de Shor pour les âmes valeureuses ? demanda-t-il d'une voix lente et grondante.

- Je suis là pour tuer Alduin, dit-elle avant de désigner les quatre rescapés, et leur donner un coup de main au passage.

- Une quête fatidique, acquiesça le géant, ils sont nombreux, ceux qui piaffent de défier le Ver depuis qu'il a établi son piège à âmes au seuil de Sovngarde. Mais, avisé de ta venue, Shor a calmé notre ardeur et retardé notre assaut.

- Vous savez s'il y a un moyen de dissiper ce brouillard ? Il cache la présence d'Alduin, ça va être dur de combattre comme ça.

- Tu requerras l'aide des guerriers du Panthéon des Braves, qui ont jadis défié le Dévoreur.

- J'imagine qu'ils sont là-bas, s'excita-t-elle en pointant l'autre bout du pont.

- Oui, mais tu n'es pas une ombre comme celles qui passent d'ordinaire ici, c'est en vie que tu oses demander accès au royaume des morts. De quel droit prétends-tu entrer ?

- Parce que je suis l'Enfant de Dragon et que c'est ma destinée de tuer Alduin, hésita-t-elle en penchant la tête sur le côté, vous venez de dire que Shor m'attendait, ça ne suffit pas ?

- En effet, confirma-t-il en fronçant les sourcils, mais je suis Tsun, bouclier de Shor. Il m'a chargé de garder le Pont du Fanon et de peser les âmes des braves avant de les faire entrer dans son panthéon. Mort ou vivant, nul ne peut passer ce pont avant que j'aie jugé sa valeur en le soumettant à l'épreuve du guerrier. »

Il dégaina sans prévenir une hache presque aussi grande que lui. Siltafiir bondit en arrière et s'arma de Mort-Dragon.

« Je veux juste me battre contre Alduin, personne d'autre ! protesta-t-elle en agitant sa main libre.

- Cette règle a été édictée par Shor lui-même. Tous doivent s'y soumettre. »

Elle poussa un grognement résigné, puis se positionna. Tsun gonfla ses poumons.

FUS RO DAH

Siltafiir recula de trois pas, faillit basculer, mais se ressaisit à l'instant où il chargeait. Il abattit son arme avec une célérité qui contrastait violemment avec sa grande taille. Elle ne s'en inquiéta pas.

IIZ

Figé dans son mouvement, le corps de Tsun tomba le nez en avant. Alors que la glace se fissurait, Siltafiir posa le fil de sa lame sur la nuque du vaincu.

« Ton Thu'um est puissant, annonça-t-il une fois debout, tu peux avancer. »

Elle salua Tsun d'un geste de la main, souhaita bonne chance aux rescapés, puis trotta vers le pont. Le sang quitta ses joues. Elle ne souffrait pas de vertige, mais la cage thoracique qui surplombait le gouffre ne ressemblait à rien de stable. Sûrement des os de baleine, songea-t-elle en testant le terrain du bout du pied.

Ignorant de son mieux la chute vertigineuse qui l'attendait au moindre faux-pas, elle trouva refuge de l'autre côté sans rendre son dernier repas. Le Panthéon de Shor paraissait plus grand encore vu de près. Les portes s'ouvrirent à son approche, déversant sur elle un torrent de lumières et de chants. Un bras devant les yeux, elle entra.

À force de cligner des paupières, elle distingua nombre de fêtards, accoudés à des tables chargées de mets luxueux, dansant au rythme des flûtes, des tambours et des luths, ou engagés dans des duels amicaux. Le hall s'étirait sans fin. Aucune ombre n'y trouvait sa place, même sous les meubles, même derrière les énormes fûts d'hydromel.

« Bienvenue, Enfant de Dragon ! Je suis Ysgramor, tonna un homme qui ressemblait étrangement à Ralof, notre porte n'a vu passer personne depuis qu'Alduin a installé son piège à âmes ici.

- Justement, vous savez comment dissiper le brouillard ?

- Trois des nôtres ont élaboré un plan. Ils n'attendent que vos instructions pour faire connaître leur fureur à l'ennemi. Gormlaith la sans-peur, qui n'est heureuse qu'au combat, Hakon le vaillant, un guerrier à la main extrêmement lourde, et Felldir l'ancien, qui a un œil de lynx. »

Il désigna trois visages familiers, à moitié cachés par une broche interminable sur laquelle cuisaient deux bœufs entiers. Siltafiir trotta dans leur direction. Il s'agissait bien des guerriers qui, à leur insu, lui avaient appris le fendragon. Ils l'accueillirent en trépignant, surtout Gormlaith, et répondirent enfin à sa question : en unissant leurs Voix ils dissiperaient le brouillard.

Après un dernier cri de ralliement pour faire bouillir leur sang, ils sortirent du hall, et s'élancèrent sur le pont. Plus exactement, les trois Nordiques coururent en avant, suivis d'une Siltafiir qui essayait de son mieux de ne pas glisser vers une mort certaine. Elle croisa l'homme richement vêtu qui venait de passer l'épreuve de Tsun, le salua d'un signe de la tête qu'il lui rendit, puis se concentra sur son chemin.

Une fois dressés devant le mur de brume, les Parleurs échangèrent un dernier regard, puis crièrent d'une même Voix :

LOK VAH KOOR

À l'exception d'un ou deux nuages éparses, plus rien ne cachait les champs fleuris de Sovngarde et les deux rivières qui longeaient la falaise. L'herbe la plus verte, la terre la plus chaude, les pétales les plus chatoyants et l'eau la plus cristalline s'offrirent à leur regard. Pour mieux disparaître un instant plus tard.

VEN MUL RIIK

Le Thu'um d'Alduin semblait venir de partout, du ciel comme du sol. Une vague grise roula jusqu'aux pieds des Parleurs et s'y arrêta, formant à nouveau un mur opaque. Sans se décourager, ils répétèrent leur assaut par trois fois, épuisant la patience de leur ennemi. Son ombre s'écrasa sur la colline de pierre.

« Ful hi boaan, Dovahkiin, gronda-t-il.

- Vahzah dovahhe neh bovul, » cracha-t-elle en montrant les dents.

Il poussa un grogement vexé, puis leva sa gueule en direction du ciel.

MAH FIL KREN

L'onde de choc secoua tout Sovngarde, déséquilibrant les mortels. Siltafiir, une main à terre, surveillait les nuages sombres qui s'amassaient. Des lumières y apparurent, grossissant rapidement, puis tombèrent sur les mortels. Wuld sauva Siltafiir d'un roc embrasé.

Alduin s'envola. Elle le suivit du regard sans oublier les cieux déchaînés, le fendragon prêt dans le fond de sa gorge. Les Nordiques tentaient de l'abattre avec leur Voix, mais il esquivait tous leurs assauts pendant que ses météores les désorganisaient. Ce manège le lassa rapidement. Il adopta un vol stationnaire au-dessus de Gormlaith, qui criait autant d'insultes que de rotmulagge, et desserra les dents pour parler. Siltafiir le devança.

JOOR ZAH FRUL

Il chercha à s'accrocher au vide, mais sa masse s'écrasa par terre, faisant trembler le sol sous les pieds des Parleurs. Sans perdre un instant, ils attaquèrent. L'épée de Gormlaith tournoyait, fendant les écailles qui couvraient la mâchoire du dévoreur. Siltafiir profita de cette distraction pour sauter sur son aile gauche et y planter Mort-Dragon.

Dans un hurlement strident, Alduin se dressa sur ses pattes et secoua tout son corps. Siltafiir s'envola comme si elle ne pesait rien, puis atterrit sans heurt grâce à feim, à seulement quelques mètres du gouffre sans fond. Elle déglutit en réalisant qu'elle venait de frôler la mort, puis se concentra sur le combat. L'épée brandie, elle chargea.

Les Nordiques tentaient de se remettre sur pieds, déséquilibrés par les météores et les mouvements erratiques d'Alduin. Celui-ci profita de ce moment de répit pour essayer de s'enfuir par les airs, mais l'entaille de Mort-Dragon jeta des éclairs dans tout son côté gauche. Vibrant de rage, il porta son attention sur l'Enfant de Dragon et montra les dents en repérant sa maudite lame.

ZUN HAAL VIIK

Son souffle arracha Mort-Dragon des mains de sa maîtresse. Elle tenta bien de la rattraper, mais l'épée rebondit sur un rocher et disparut derrière la falaise. Siltafiir poussa un juron vibrant, puis se rua sur son ennemi. À son approche, il cracha d'autres mots plus agressifs, auxquels elle répondit sur le même ton.

YOL TOOR SHUL

YOL TOOR VUL

Les flammes noires et rouges s'élevèrent dans une tornade folle. Les humains se jetèrent au sol pour esquiver la déflagration pendant qu'elle heurtait de plein fouet le corps énorme d'Alduin. Le feu s'infiltra sous ses écailles et lui arracha un beuglement sauvage. Secoués jusque dans leurs os, les mortels plaquèrent leurs mains contre leurs oreilles et attendirent qu'ils se taise.

Gormlaith se leva la première et fonça sur la gueule fumante du Dévoreur. À moitié aveuglé par les braises, il secouait la tête tout en gardant un œil brûlant sur la guerrière. Il attendit patiemment qu'elle se tienne à portée, l'autorisa même à égratigner sa mâchoire pour la mettre en confiance. Électrisée par la vue du sang, elle baissa sa garde et visa sa gorge. Il l'attendait.

WULD

Le claquement de ses crocs couvrit les plaines de Sovngarde, mais ils ne rencontrèrent que le vide. Il rugit sa frustration en voyant l'Enfant de Dragon et la Parleuse, indemnes, qui se relevaient à quelques mètres.

« Évitez de mourir deux fois de la même manière, » conseilla Siltafiir avant de se tourner vers leur ennemi.

Gormlaith siffla entre ses dents, puis leva les sourcils.

« Comment savez-vous ?… »

Un météore la coupa. La Brétonne profita de l'intervention de Felldir et Hakon pour se placer à une distance adéquate et dégainer son arc. Les flèches fusèrent, se plantèrent dans le dos et les côtes d'Alduin. Exaspéré par ces piqûres et les griffures des trois Nordiques, il tourna sur lui-même, fendit l'air de sa queue, repoussa ses assaillants et, faisant face à l'archère, gonfla ses poumons.

YOL TOOR SHUL

Siltafiir ne cligna même pas des yeux.

FUS RO DAH

Le torrent embrasé recula et engloutit son créateur. Il hurla, dissipant les flammes et offrant une ligne de mire dégagée à l'archère. Le cœur battant si fort qu'elle n'entendait rien d'autre, elle tirait ses flèches aussi vite que son bras le pouvait. Les tirs s'enfonçaient profondément dans le cuir d'Alduin. Son âme vacillait, Siltafiir le sentait. Sa victoire imminente lui fit tourner la tête, elle oublia tout ce qui les entourait.

Ses flèches n'achevèrent jamais le Dévoreur. Un roc embrasé lui coupa la vue, puis un craquement résonna dans tout son corps. Elle roula jusqu'à un rocher, éparpillant son masque et les restes de son arc dans sa chute.

Le souffle coupé, le front pressé contre la terre, elle ne pensait plus qu'à la douleur insurmontable qui lancinait son bras et son épaule gauches. Iiz la secourut en propageant un baume glacé dans son membre. Elle s'assit contre le rocher en serrant les dents, puis osa regarder son bras. L'estomac aussi retourné que son coude, elle fixa le ciel et tenta de calmer sa respiration.

Un éclat orangé perça ses larmes et attira sa pupille. Elle en oublia presque les lambeaux de peau qui manquaient sur son avant-bras.

FEIM

Un météore explosa là où elle se tenait. Délestée de toute peine, elle sauta sur ses pieds et avança d'un pas vers Alduin. Son bras inerte la rappela à l'ordre en ballotant pitoyablement contre ses côtes mieux valait se trouver un abri et avaler quelques potions avant de retourner à l'assaut. Elle se précipita derrière un pilier de pierre coiffé d'un brasier, entre un sentier et une rivière.

Accroupie, elle saisit son poignet avec une grimace dégoûtée, plaça son bras contre sa jambe et tira de toutes ses forces. Son coude ne bougea pas d'un millimètre. Elle cracha un juron et, tremblante d'anticipation, compta les secondes jusqu'à ce que feim se dissipe. Dès qu'elle sentit la vibration familière qui annonçait son retour au monde matériel, elle se positionna, planta ses dents dans sa lèvre insensible, et tira juste avant que la douleur ne revienne.

Son hurlement vida la rivière. Des sueurs froides sur tout le corps, ses cris hachés par des sanglots, elle lutta pour rester consciente. À nouveau, iiz la soulagea juste assez pour recouvrer ses sens et arracher les morceaux d'armure qui se collaient à ses écorchure. Sa peau enfin découverte, elle ouvrit son sac à tâtons. Elle renversa sa première potion de soins, porta la seconde à ses lèvres et répandit la troisième sur son membre boursouflé.

Son bras ne répondait qu'à moitié, mais de toute manière elle n'avait plus d'arc ni d'épée, autant ne pas s'en inquiéter immédiatement. Agrippée au pilier de sa main valide, elle se hissa sur ses pieds. Ses genoux tremblaient. Elle avança, mais le choc de son pas grimpa le long de sa jambe et secoua son estomac. Un soubresaut la plia en deux. De la bile sur les lèvres, elle reprit son chemin d'une foulée traînante.

Alduin tenait bond face aux Nordiques. Leurs coups et leurs cris s'étaient affaiblis autant que les siens. Il désarma la femme grâce à zun et se crut enfin débarrassé de son agaçante ténacité. Le plus jeune des deux hommes s'interposa, mais sa hache se leva trop lentement pour parer la morsure du Dévoreur. Son armure ne résista autant que la croûte d'un pain.

Alduin s'assura qu'il ne lui causerait plus jamais de problème avant de le cracher sur ses frère et sœur d'armes. Siltafiir accéléra ses titubements, mais jamais elle ne les atteindrait avant qu'ils se fassent dévorer. Le Dévoreur plongea sur les humains, tous crocs dehors.

FUS RO DAH

Felldir et Gormlaith s'envolèrent hors de sa portée. Il les oublia complètement et focalisa sa rage sur l'Enfant de Dragon. Elle recula alors qu'il chargeait, consciente qu'un seul coup de dents signerait son arrêt de mort. Un caillou roula sous son pied et déroba son équilibre.

Les fesses à terre, elle serra instinctivement son amulette de Talos dans sa paume. Une douce chaleur se répandit dans son cou. Sa Voix gronda en même temps que celle d'Alduin.

YOL TOOR SHUL

YOL TOOR VUL

L'explosion couvrit les cieux. Siltafiir leva son bras gauche pour se protéger. Son rugissement et celui d'Alduin résonnèrent de concert. Leurs flammes dévorèrent sa main, son coude, son épaule et même son visage.

Étouffée par la bourrasque, étalée au sol, elle griffait la terre de ses doigts valides. D'un œil, elle devina Alduin qui se tordait dans tous les sens, ses écailles sillonnées de fissures lumineuses. Il criait des paroles qu'elle n'entendait pas. D'ailleurs, elle s'en moquait, seule son âme lui importait. Si elle l'absorbait, la douleur disparaîtrait. Elle s'accrochait à un semblant de conscience, concentrée sur son ennemi dont la carcasse explosa enfin. Le souffle coincé dans sa poitrine, elle s'apprêta à savourer sa victoire.

Quelque-chose se brisa.

Les filaments dorés de l'âme d'Alduin s'enfuirent vers le ciel, abandonnant Siltafiir derrière eux. Accablée par la douleur, elle geignit pitoyablement et abandonna la lutte. Ses paupières tombèrent.

À suivre…

Tout d'abord, je sais que ça fait presque un an. Pardon pour l'attente. Un apprentissage, ça demande beaucoup d'investissement. Ensuite, et que ce soit bien clair, si quiconque ose me demander quand sort la suite de Krosis, même pour rire, je l'abandonne pour de bon. Sérieusement, j'ai eu ma dose.

Ça, c'est fait. Bref, j'espère que ce chapitre vous a plu. J'ai toujours trouvé le combat contre Alduin trop simple dans le jeu, je me suis dit que j'allais le corser un poil. Et je crois qu'une partie de moi aime faire souffrir mes personnages.

Termes draconiques

Sur le dos d'Odahviing
Aam koraav miin ? – (La) vue (le paysage) sert(-elle) (plaît-elle à…) tes yeux ?
Zu'u haalvut hotus.
– Je me sens (J'ai l'impression d'être) immense.
Us mu bo ko Skuldafn
, mindoraan, pah middovahhe do Alduin lahvraan til. - Avant (que) nous arrivions à Skuldafn, sache (que), tous (les) partisans d'Alduin (sont) réunis là-bas.
Zu'u mindok. – Je sais.
Vahzah – Vrai
Tiid du pah. – (Le) temps dévore tout.

Temple de Skuldafn
Tahrodiis Odahviing, aam hokoron do Alduin
– Traître Odahviing, (tu) sers (l')ennemie d'Alduin.
Vahzah dovahhe krif erei oblaan, Alduin bovul. – (Les) vrais dragons combattent jusqu'à (la) fin/mort, Alduin a fui.
Krif voth ahkrin. – Combats avec courage.
Dir, Dovahkiin ! – Meurs, Enfant de Dragon !

Dir volaan ! – Meurs intrus !

Dovahkiin… Hin laas los dii. – Enfant de Dragon… Ta vie est mienne.
Zu'u Nahkriin. Zu'u uth naal thuri dein daar miiraak. – Je suis Nahkriin (venger/vengeance). J'ai été chargé (commandé) par mon seigneur (de) garder ce portail.
Fent ni fiilok. – (Tu) ne t'échapperas pas.
Sosaal fah hin votha- – Saigne pour ta désobé- (vothaarn : désobéissance )

Sovngarde
Ful hi boaan, Dovahkiin. - Donc tu es venue, Enfant de Dragon.
Vahzah dovahhe neh bovul. - (Les) vrais dragons jamais (ne) fuient.
Mah Fil Kren – Tomber Étoile Briser (mahfil : météore)