Daal Vus ! Retour Sur Nirn
La lumière trop chaude, la musique bourdonnante et le parfum douceâtre de l'hydromel assaillaient ses sens. Elle fixait sans la voir l'armure légère qui reposait sur ses genoux. Des motifs géométriques ornaient son cuir pâle, répondant à ceux qui parcouraient sa tunique neuve. Selon les dires de Tsun, Shor lui même lui avait fait don de cette tenue, un honneur dont aucun mortel vivant ne pouvait se vanter.
Pourtant la richesse des dessins dorés n'attirait pas son œil de voleuse. Au contraire, elle lui rappelait la destruction de son armure de Rossignol dont les restes gisaient au fond de l'abîme qui bordait le Hall de Shor. Tout accusait Tsun de les y avoir jetés. La voix rocailleuse de ce dernier interrompit le cours de ses pensées :
« Les vivants ne peuvent festoyer à la table de Shor.
- Elle a combattu à nos côtés, argua Gormlaith, ça ne mérite pas ?…
- Non. »
Le nez de Siltafiir se retroussa, propageant des picotements dans la moitié de son visage. Elle aurait refusé l'invitation de toute manière, ne souhaitant rien de plus que rentrer chez elle, mais le ton catégorique de Tsun éveillait son indignation. Si elle ne méritait pas une place aux côtés de Shor, les fêtards ivres alignés dans le Hall n'avaient rien à y faire non plus.
N'en revêtant que les bottes, elle jeta l'armure divine par terre avant de sauter du rebord de pierre sur lequel on l'avait installée. Ce geste interrompit les discussions alentours, lui attirant les regards confus et réprobateurs des héros de Sovngarde. Elle s'empara de Krosis, posé entre son sac et sa couche improvisée, puis l'enfila sans intérêt pour la vague de murmures naissante. Tsun approcha en grommelant pour ramasser les pièces délaissées de l'armure et les aligner soigneusement sur le rebord de pierre. Dès que Siltafiir acheva de rassembler ses affaires, il l'adressa d'un ton sévère :
« Ton séjour en ces lieux n'a que trop duré, le monde des morts n'est pas fait pour accueillir l'errance des vivants. »
Malgré la réplique venimeuse qui lui brûlait la langue, elle se contenta d'un grommellement et le suivit en direction de la sortie. Elle voulait rentrer chez elle avant toute chose, autant éviter de générer davantage de conflit. Alors qu'ils longeaient la table la plus garnie de toutes, une voix hésitante leur coupa la route :
« Enfant de Dragon ? »
Torygg baissa les yeux sur un bout de papier serré entre ses doigts. Siltafiir l'encouragea en avançant d'un pas dans sa direction. Aucun autre mort n'avait daigné lui révéler le sort véritable de son armure, et même si Torygg avait omis le nom de Tsun, le coup d'œil qu'il lui avait décoché en relatant les faits ne laissait aucun doute quant à l'identité du coupable.
« Pourriez-vous remettre ce message à Elisif ? Je ne suis pas en position de vous demander une faveur de plus, mais…
- Je m'en occupe, » dit-elle en s'emparant du billet.
S'intéressant à une table chargée de bouteilles, elle y posa son sac et fourra le message dans une de ses poches. Ses doigts profitèrent de cette distraction pour glisser jusqu'à un flacon d'hydromel. Son larcin empaqueté, elle retourna près de Tsun, arborant un rictus derrière son masque. Ils traversèrent les grandes portes sans autre interruption que les adieux d'Ysgramor, Felldir et Gormlaith. Les épaules affaissées, elle se plaça dos au pont en os de baleine et attendit les instructions de Tsun.
« Maintenant, rentre sur Nirn et rapportes-y ce bienfait de Shor. Ce cri appellera un héros de Sovngarde au moment crucial. »
NAHL…
Avant qu'il ne termine son cri, Siltafiir brandit la bouteille dérobée en chantonnant d'une voix rauque :
« Merci pour l'hydromel. »
… DAAL VUS
L'expression effarée de Tsun lui arracha un sourire vengeur pendant que les trois mots s'ancraient dans son esprit, puis le paysage se volatilisa. Son corps ne pesait plus rien, elle ne voyait qu'une blancheur éclatante, même ses démangeaisons s'estompèrent un instant. Elle tomba presque lorsque ses semelles s'enfoncèrent dans un tapis crissant, déséquilibrée par un bourdonnement étouffant et par les violentes bourrasques qui fouettaient son dos.
« Alduin mahlaan ! »
À nouveau, elle faillit basculer, puis tourna sur elle-même, le nez en l'air. Son cœur manqua un battement. Dix, vingt, trente, et plus encore de dragons l'encerclaient, perchés sur des rocs ou planant autour de la Gorge du Monde. Voilà d'où venait le bourdonnement, de toutes ces âmes d'immortels qui pouvaient fondre sur elle d'une seconde à l'autre et venger la mort de leur maître.
« Mu los vomir ! » gronda l'un des dovahhe avant de s'envoler, suivi par certains de ses frères.
La main droite de Siltafiir sauta vers sa ceinture, mais n'y rencontra que le vide laissé par Mort-Dragon. Heureusement, ils ne l'attaquèrent pas, préférant s'éparpiller aux quatre vents. Elle se détendit un peu, pour mieux sursauter quand le chœur vrombissant répéta :
« Alduin mahlaan ! »
Tout Bordeciel devait les entendre, d'ailleurs c'était probablement leur intention. Un tel événement méritait pareil hommage. Dommage que seule une poignée de mortels comprennent encore ce langage. Ils continuèrent ainsi durant près d'une minute l'un d'entre eux prononçait quelques mots avant de prendre son envol, puis ils tonnaient tous « Alduin mahlaan ! » si fort que le ciel tremblait. Au final, ne demeura que Paarthurnax, perché sur le mur qu'il avait employé pour lui enseigner shul.
« Vous avez réussi, déclara-t-il, son ton trop sombre pour des félicitations. Alduin dilon, l'Aîné n'est plus, celui qui est né avant tous les autres et a toujours existé. »
La note cassante de ses mots agaça l'Enfant de Dragon. Allait-il lui avouer qu'il regrettait de l'avoir pointée dans la direction du fendragon ? Elle serra le poing.
« Il l'a bien cherché, grogna-t-elle en croisant les bras.
- Bien sûr. Alduin wahlaan daanii. Je ne vous serais pas venu en aide si je pensais le contraire.
- Vous n'avez pas l'air content.
- Aveuglé par son arrogance, il s'était éloigné du droit chemin, mais je ne peux me réjouir de sa chute. Zu'u tiiraaz ahst ok mah. Il était tout de même mon frère. Ce monde ne sera plus jamais le même. »
Son regard se perdit dans le vide un instant, puis il secoua lentement sa lourde tête.
« Je m'égare. Krosis. So los mid fahdon. La mélancolie est un piège dans lequel les dragons tombent facilement. Vous avez remporté une victoire remarquable. Sahrot krongrah. Elle résonnera aux oreilles de tous à travers les âges. »
Elle se demandait bien ce que ces oreilles entendraient. Probablement un récit héroïque, embelli par les rumeurs qui parcouraient Bordeciel en ce moment même. Elle grimaça à cette pensée, puis reposa les yeux sur Paarthurnax. Ailes déployées, il préparait son envol.
« Goraan ! Je ne m'étais pas senti aussi jeune depuis bien longtemps, rit-il en décollant, avant de s'arrêter au-dessus de Siltafiir, nombre des dovahhe sont maintenant dispersés aux quatre coins de Keizaal. Libérés du joug d'Alduin, ils se soumettront peut-être au vahzen… et reconnaîtront mon Thu'um. »
Elle leva le sourcil à l'entente de ce projet. Après des millénaires à méditer loin de ses frères, il osait enfin ouvrir le dialogue. Tout en l'observant s'éloigner, elle se demanda si cette décision se révélerait sage. Elle ne s'en préoccupa qu'un court moment, car un autre dragon atterrit juste derrière elle.
« Je doute que beaucoup seront prêts à échanger le règne d'Alduin contre la tyrannie de Paarthurnax et son… art de la Voix, grinça Odahviing avant de s'incliner devant l'Enfant de Dragon, en ce qui me concerne, tu as prouvé ta maîtrise plutôt deux fois qu'une. Thuri, Dovahkiin. Je loue volontiers la puissance de ton Thu'um. En cas de besoin, appelle-moi et si je le puis, je viendrai. »
Il ouvrit ses ailes, mais Siltafiir interrompit son envol :
« Ramène-moi à Blancherive. »
Les babines soulevées par un grognement, il protesta :
« Zu'u ni key.
- Nalkun vothaar kinbokroti ? »
Il grogna de plus belle, leva les yeux au ciel, puis se traîna jusqu'à sa nouvelle maîtresse.
« Pah Dovahkinne medaas, » maugréa-t-il en lui présentant sa nuque.
Elle ne réagit pas en l'escaladant et ne se montra pas plus loquace durant le trajet, même alors qu'une aurore boréale naissait au-dessus de leurs têtes. Sa bouche ne s'ouvrit que pour lui conseiller d'atterrir à bonne distance de la ville afin d'épargner aux gardes une frayeur inutile.
Masquée par la nuit, elle longea les écuries de Blancherive sans se faire remarquer. Ses jambes lourdes la portèrent tout juste dans l'enceinte de la ville et, heureusement pour les gardes, ceux-ci ne questionnèrent pas son approche. Dans un soupir soulagé, elle posa enfin ses doigts mous sur la poignée de la porte de Doucebrise. Celle-ci résista.
Siltafiir secoua le battant, mais la serrure cliqueta obstinément. Grommelante, elle jeta son sac sur le perron pour le fouiller avec des gestes nerveux. Sa clef demeurait introuvable, aussi exhuma-t-elle ses crochets. Elle s'accroupit, tira la langue pour mieux se concentrer, la ravala quand son visage la démangea, puis se focalisa sur la serrure.
Son pouce gauche maintenait faiblement le crochet en place. Dès qu'elle le bougea, le métal glissa sous son doigt. Le tintement du fer blessa ses tympans. Elle le ramassa en tremblant, retrouva sa position, puis tenta à nouveau. Il retomba. Elle essaya en serrant le doigts plus fort. Le crochet se cassa. Lèvres pincées, elle insista pendant quelques minutes, mais toutes ses tentatives se conclurent de pareille manière.
Sa patience se brisa en même temps que son douzième crochet. Elle qui avait poursuivi Alduin jusqu'en Sovngarde se laissait ralentir par une stupide porte ? Quelques mètres à peine la séparaient encore de son lit et trois planches clouées osaient lui barrer le chemin ? Son cœur l'assourdissait, la colère troublait sa vision, ses poumons se gonflèrent. La même transe enragée qu'à Skuldafn la posséda, ce qu'elle ne réalisa qu'au dernier instant. Sa Voix lui échappa presque complètement.
FUS RO
Un court moment après que la poussière se fut dissipée, des appels paniqués la délivrèrent de son état de choc. Lydia lui tomba dessus et l'inonda de questions. Elle n'en comprit que la moitié, qu'elle oublia immédiatement. De toute manière elle s'en moquait, plus rien ne lui bloquait la voie.
« Je vais dormir. »
Avant même de finir sa phrase, elle entra dans le salon retourné par son Thu'um. Lydia remarqua alors la porte défoncée, interrogea son thane d'une voix étranglée, mais celle-ci montait déjà vers sa chambre. Ses pas trainants la menèrent laborieusement au lit.
Le sommier grinça sous son poids. Elle jeta son masque et son sac par terre, ne conservant que ses vêtements neufs et le bâton de Nahlaas. Allongée sur son côté droit, le visage enfoncé dans un oreiller, elle chercha le scintillement des étoiles de Quagmire. Cependant, des démangeaisons chassaient le sommeil qu'elle désirait tant. Sa peau la tirait sans merci. Elle bascula sur le dos. Son maudit bras refusait de la laisser dormir, tout comme il avait refusé de manier de bêtes crochets. Et refuserait de brandir un arc.
Ses lèvres frémirent. Les flammes avaient dévoré ses doigts sans retour possible. Elle ne pouvait plus crocheter, plus tirer… Elle ne servait plus à rien. Sa main droite se ferma et s'ouvrit quelques fois, tendue vers un miracle inexistant. Larmes et gémissements tapissèrent bientôt la pièce.
xxx
Nahlaas perdit ses mots devant la posture courbée de son amie. Il ne pensa même pas à inspecter ses souvenirs, ses yeux rouges et enflés lui en révélaient plus qu'il ne désirait savoir.
« J'y ai pensé cette fois, » croassa-t-elle en soulevant le bâton.
Les pupilles violacées de Nahlaas se ternirent devant ce triste spectacle. Du bout des phalanges, il la tira par le poignet jusqu'au portail de ses rêves, là où Ursanne les attendait. Elle faillit y entrer immédiatement, mais il l'arrêta d'une question :
« Tu sais ce que tu devras faire une fois là-dedans ? »
Un « oui » agacé faillit lui répondre, puis Siltafiir pensa vraiment à ce qui l'attendait. Pour récupérer son fragment d'âme, elle devait en détruire le contenu. Tuer Ursanne. L'image de la fillette vaporisée par un cri se grava sur sa rétine. Le bâton tomba presque de ses doigts engourdis.
« Je ne vais pas y arriver… murmura-t-elle alors que tout son corps s'affaissait.
- Je m'en chargerai, » lui assura son ami.
Il voleta derrière elle et posa une main encourageante sur son épaule. Le portail les happa goulûment pour les déposer au milieu d'une forêt. Siltafiir avait reconnu les cauchemars précédents avec aisance, mais celui-ci la laissait perplexe. De plus, Ursanne demeurait invisible. Avant qu'elle ne partage ses pensées avec Nahlaas, une voix retentit, qui venait de tous les côtés :
« La Dame m'a prévenue, je sais pourquoi vous êtes là. Partez ! »
Siltafiir identifia sa propre voix, puis serra les dents. Cette gamine lui proposait donc une partie de chasse. D'instinct, elle empoigna l'air dans son dos, puis se remémora la destruction de son arc, ainsi que son infirmité. Sa ceinture sans lame ne l'aida pas plus. Soudainement épuisée, elle se tourna vers Nahlaas, toujours honteuse de lui imposer une tâche si peu glorieuse.
« Elle m'a menti, gronda-t-il en fixant un tronc, le regard brûlant de colère.
- Qui, Ursanne ?
- Non. Je t'expliquerai quand nous serons sortis. »
La fatigue supplanta la curiosité. Suivant le conseil de Nahlaas, elle se concentra sur son âme. La traque se révéla laborieuse, non seulement parce que la forêt semblait s'épaissir à chaque pas, mais surtout à cause de l'aura imprécise dégagée par sa cible. Même si elle percevait sa direction générale, elle devait fréquemment corriger sa trajectoire.
« Je vous ai dit de partir ! »
L'urgence dans la voix d'Ursanne l'encouragea à continuer. Ils approchaient.
« Je vais retourner dans le bâton, annonça Nahlaas, au cas-où tu te réveillerais immédiatement. »
Elle crut l'entendre ajouter qu'il « ne lui donnerait pas la satisfaction de rester », mais observa la même discrétion que précédemment alors qu'il regagnait son étroite demeure. Ses questions attendraient l'aube, Ursanne se trouvait tout près.
« C'est mon dernier avertissement ! prévint celle-ci, précisant sa position.
- J'essaie de te sortir d'ici, grogna Siltafiir en avançant vers la fillette.
- Vous essayez de me tuer !
- De te libérer, » la reprit-elle, concentrée sur sa voix terriblement proche.
La petite dut reconnaître cette tactique, car elle ne prononça plus un mot. Elle se trouvait à dix ou quinze mètres tout au plus, le grésillement agité de son âme ne mentait pas. Le bâton serré dans sa paume moite, la chasseuse fouilla les alentours du regard.
Trop occupée à suivre sa proie, elle n'avait envisagé de possible riposte. Son oreille perçut sans effort le sifflement de la flèche, mais son œil n'en devina que l'ombre. Le choc naquit dans son front puis vibra dans tout son crâne. Le monde bascula.
xxx
Une si belle occasion ne se représenterait pas. Il lui restait une heure tout au plus avant que la boîte ne disparaisse. Son père l'avait exceptionnellement laissée sans surveillance, elle devait en profiter. Elle trotta jusqu'à la table qui trônait au centre du salon et escalada une chaise.
Le ruban de soie se dénoua, le couvercle en bois clair glissa, et le trésor apparut à ses yeux gourmands : un mélange de chocolats, incluant ses favoris ! Elle s'empara d'une truffe qu'elle savait fourrée au miel pour l'enfourner dans sa bouche. Un sourire extatique fendit son visage alors que la friandise fondait entre ses dents.
« Ursanne ! Encore à chiper les chocolats de ta grand-mère ? »
Blême, elle avala son larcin, puis se tourna vers son père. Fouillant son esprit à la recherche d'une excuse, elle ouvrit lentement la bouche. Seul un cri s'en échappa. Elle aurait juré qu'on lui avait planté un couteau dans le ventre.
Son corps recroquevillé tomba de la chaise. Elle entendait à peine les appels de son père. Une toux incontrôlable la saisit. Entre ses larmes, elle vit des taches rouges apparaître sur le plancher, puis la douleur lui fit perdre connaissance. Elle se redressa en haletant, couverte de sueurs froides, l'estomac dévoré de crampes atroces.
Est-ce que tu vas bien ? s'affola Nahlaas.
« J'ai mal, haleta-t-elle en revêtant un sourire fatigué, mais ça va. »
Elle serra le bâton contre son torse, et serait demeurée dans cette position pendant de longues minutes si Nahlaas ne l'avait interrogée :
Qu'as-tu vu quand elle t'a tiré dessus ? J'ai senti un déplacement d'énergie, mais c'était trop rapide pour que je puisse regarder.
« Un de mes souvenirs d'enfance, je crois, hésita-t-elle en posant le bâton sur ses cuisses, mais ça ne colle pas. Mon père prétend que j'ai toujours été allergique au chocolat, pourtant il a réagi comme si j'en mangeais souvent. »
Grimaçante, elle quitta son lit, faillit se diriger vers la cuisine, puis se ravisa. Son ventre se tordait à la seule pensée d'une tranche de pain. Il lui fallait de l'air frais. Cherchant ses bottes du regard, elle s'arrêta sur une poche de son sac dont dépassait un goulot orange. Goûter à l'hydromel de Sovngarde ne la tentait guère, mais une conversation lui revint en mémoire à la vue du flacon.
Un moment plus tard, Odahviing atterrissait à une courte distance des écuries. Trop courte, pensèrent les citoyens et gardes présents, mais les jambes de Siltafiir geignaient déjà, pas question de faire un pas de plus. Le dragon se plaignit à nouveau de son statut de monture, mais obéit sans autre protestation lorsqu'elle lui ordonna de la mener à Solitude.
Le vent filtra entre les mailles de sa tunique et les orifices de son masque, apaisant ses démangeaisons le temps du trajet. Distraite par ce confort éphémère, elle oublia de profiter du paysage – et d'ordonner à Odahviing de ne surtout pas atterrir juste devant l'entrée principale de la ville. D'un bras levé, elle calma les gardes qui accouraient, prêts à défendre leur cité. Elle leur ordonna de ne pas embêter son étrange destrier, et à celui-ci d'attendre son retour sagement, ce qui lui valut un grognement vibrant d'exaspération. Il s'allongea au milieu de la route, à une dizaine de mètres à peine des portes de la ville, pendant que Siltafiir fendait l'attroupement confus.
Les quelques minutes qui la séparaient du Palais Bleu s'étirèrent comme des heures, mais elle conserva la tête droite. Heureusement, son masque lui épargnait l'effort de sourire. Sa présence éveilla les suspicions, si bien que deux gardes l'escortèrent de près dès qu'elle posa un pied dans la cour du palais.
« Je viens juste délivrer un message, expliqua-t-elle quand Elisif lui accorda enfin une audience.
- De qui ? Ulfric ? crissa celle-ci, la mâchoire crispée.
- Que ?… Non ! Je ne reçois pas d'ordres d'Ulfric, s'indigna-t-elle avant qu'une vague de lassitude ne submerge sa colère et qu'elle ne soupire, vous ne me croiriez pas si je vous disais qui l'a écrit, »
Elle avança d'un pas, la lettre brandie, mais le crissement d'armes dégainées emplit la salle du trône. Après un regard circulaire à l'assemblée, elle grommela du même ton qu'avait employé Odahviing :
« Si je voulais tuer quelqu'un je le ferais discrètement, je ne demanderais pas une audience. »
Elisif hésita un instant, mais l'autorisa à approcher. Siltafiir recula d'un pas dès qu'elle se fut débarrassée de son fardeau, prête à retourner chez elle pour dormir quelques dizaines d'heures supplémentaires. À son grand dam, le jarl l'interpella d'une voix chargée d'émotions :
« Attendez ! Comment avez-vous ?… Où ?…
- J'ai suivi Alduin en Sovngarde. »
Elisif s'apprêta à répondre trois fois, mais ravala ses commentaires en saisissant la portée de cette révélation. Des murmures surpris ou incrédules bourdonnèrent parmi les spectateurs. Alors que Siltafiir pensait enfin pouvoir s'éclipser, le jarl retrouva enfin l'usage de ses mots :
« Pourquoi m'avoir apporté ce message ? Rien ne vous y obligeait. »
L'exaspérée faillit lui proposer de le ramener là où elle l'avait trouvé, mais se ravisa. Cette question méritait qu'on la pose. Elisif l'avait insultée lors du conseil de paix, elle aurait pu échanger le papier contre une bonne quantité de septims, ou au moins le déchirer, pourtant la vengeance ne l'attirait pas.
« Contentez-vous de l'accepter. Je veux rentrer chez moi. »
Le jarl apaisa ses sujets indignés par cette insolence et l'autorisa à se retirer. Siltafiir s'enfuit sans lui laisser le temps de changer d'avis, puis poussa la porte du palais sans dissimuler son râle soulagé.
Pourquoi t'es-tu chargée de délivrer ce message ? Tu ne l'as même pas lu, s'étonna Nahlaas dès qu'elle se tint hors de portée de toute oreille indiscrète.
« Torygg n'avait pas d'autre choix. »
Mais toi oui.
Elle s'immobilisa. Pas un instant n'avait-elle hésité à apporter les derniers mots du Roi à sa veuve. Après tout, l'Enfant de Dragon accomplissait ce dont nul autre n'était capable. De plus…
« Si c'était Ralof et moi, j'aimerais que quelqu'un le fasse. Sans lire ce qu'on a à se dire. »
L'image du sombrage alourdit encore ses membres engourdis. Que dirait-il en la voyant ? Elle ne voulait pas y penser. Juste dormir. Alors qu'elle quittait la ville, un brouhaha timide l'atteignit. Elle n'y aurait prêté aucune attention, mais il concernait son moyen de transport. Odahviing s'amusait à bloquer le passage aux marchands et voyageurs qui espéraient faire escale à Solitude.
« J'ai promis au Dovahkiin de l'attendre ici-même.
- J-je sais, couina un garde qui semblait avoir été désigné par ses collègues pour tenir les négociations, mais vous pourriez vous décaler un tout petit peu et laisser les chariots passer.
- Essaierais-tu de me faire manquer à ma parole, joor ? » ricana-t-il sans même essayer de paraître sérieux.
Siltafiir sourit presque devant ce spectacle. La sentant approcher, le dragon se détourna du pauvre homme qui tremblait de la tête aux pieds. Ragaillardi par le malaise des mortels, il ne se plaignit pas durant le retour, préférant lui décrire les expressions des humains qui l'avaient abordé. Elle l'écouta d'une oreille, distraite par la mélodie du vent et impatiente d'embrasser son matelas.
Elle le remercia lorsqu'il atterrit à côté des écuries, puis affronta les derniers mètres de son trajet en réprimant ses râles. Le gonds de Doucebrise grincèrent douloureusement sur son passage, attirant Lydia hors de sa chambre. Celle-ci se décala en vitesse quand Siltafiir grimpa les escaliers, puis lui demanda où elle s'était rendue.
« Solitude, » grommela-t-elle sans la regarder.
La seconde question de la Nordique se heurta à une porte fermée. Siltafiir tomba sur son lit et faillit s'endormir immédiatement, cependant elle rouvrit l'œil et posa le bâton de Nahlaas sur sa table de chevet.
Tu ne me prends pas avec toi ? bouda-t-il.
« Pas question que tu te perdes une deuxième fois en Quagmire. Tu restes ici. »
Il tenta bien de protester, arguant qu'elle ne pourrait pas tuer Ursanne sans son aide, mais elle n'entendit rien. La fatigue assourdit les appels de l'artefact indigné et le sommeil la gagna dès qu'elle s'étala sur la couverture. Quand elle atteignit son portail, l'avertissement de Nahlaas résonna pourtant à ses oreilles. Mains moites, elle inspira profondément et partit à la poursuite d'Ursanne.
À suivre…
Comme d'habitude, pardon pour l'attente . L'année scolaire vient de se terminer et elle était particulièrement éprouvante. Mais bon, plus qu'une et j'en aurai fini avec les cours.
Bref, j'espère toujours que l'histoire vous plait, et si c'est le cas n'hésitez pas à laisser une review pour m'en informer. Et s'il y a des incohérences, des attentes insatisfaites, n'importe quoi, dites-le également. Cette histoire est longue, je l'écris depuis avril 2013, il est possible (et même probable) que j'aie oublié des éléments passés qui vous semblaient importants et que vous voudriez voir revenir.
Enfin bon, merci d'avoir lu jusqu'ici ! J'espère que vous aurez le courage de continuer. :D
Termes draconiques
NAHL DAAL VUS – Vivant Retour Nirn
Alduin mahlaan! – Alduin est tombé !
Mu los vomir ! – Nous sommes libres ! (vo-/mir : sans/allégeance)
Alduin dilon. – Alduin (est) mort.
Alduin wahlaan daanii. – Alduin a bâti son destin.
Zu'u tiiraaz ahst ok mah. – Je (suis) attristé par sa chute
Krosis. So los mid fahdon. – Désolé. (La) mélancolie est (une) amie loyale.
Sahrot krongrah – Formidable victoire
Goraan ! – Jeune !
Keizaal – Bordeciel
Vahzen – Vérité
Zu'u ni key. – Je (ne suis) pas (un) cheval.
Nalkun vothaar kinbokroti ? – Déjà (tu) désobéis (à) mon ordre ?
Pah Dovahkinne medaas – Tous (les) Enfants de Dragon (sont) pareils
Kogaan – Merci
