Alzit Du'ul ! Couronne d'Os
Cynric ne se montra pas plus coopératif durant les leçons suivantes et, cinq jours après son retour à Faillaise, Siltafiir n'avait toujours pas osé informer Ralof de la résurrection de ses plans de carrière. Il avait pris la nouvelle de sa démission avec tant de joie qu'elle se sentait presque coupable de le décevoir. Cette nervosité latente n'améliorait guère sa relation houleuse avec son insupportable professeur.
Brynjolf lui accorda une pause quand, en moins d'une heure, son exaspération détruisit trois coffres. Ainsi se vida-t-elle l'esprit en se promenant entre les arbres, alentours de la ville, loin de toute victime potentielle. Le vent tiède du matin de Vifazur sifflait entre les branches, les oiseaux chantaient, les abeilles pollinisaient des fleurs odorantes, les nuages éparses flottaient lascivement. Le paysage s'acharnait à la relaxer.
Comme si cela n'avait suffi, Nahlaas la força à décrire tous les parfums qu'exhalait la nature, les changements de température lorsqu'elle sortait d'un bosquet pour traverser une clairière ensoleillée, le goût de l'air aux abords d'un ruisseau. Tous ces plaisirs simples qu'elle n'avait pu apprécier pleinement durant ces derniers mois. Ces douze derniers mois. À quelques jours près, elle fêtait sa première année en Bordeciel. Si elle avait su…
Ravivée par cette promenade, elle se décida à retourner sous terre. C'était sans compter sur sa célébrité. Elle sentit sa présence avant de l'entendre et se trouvait déjà en position de combat quand il l'appela.
« Dovahkiin ! »
Enfin une âme à dévorer ! Sans même penser à rougir de son excitation enfantine, elle sauta sur place en attendant son adversaire. Le dragon de glace adopta un vol stationnaire au-dessus d'elle. Elle l'aurait attaqué sans autre politesse, mais apparemment les rumeurs circulaient chez les dovahhe aussi rapidement que parmi les mortels.
« Zu'u laan hiim, med Jurzinmid ! »
Les épaules tombantes, elle se résigna. Au pire, Bordeciel ne comptait pas tant de villes que ça, elle finirait bien par rencontrer un dragon dont elle pourrait dévorer l'âme sans avoir l'impression de gaspiller des ressources. Ce défi remporté, elle ordonna à Kredrelfax, car c'était son nom, de la ramener à Faillaise. Comme tout fils d'Akatosh qui se respecte, il rechigna à lui servir de monture. Devoir choisir entre un court moment d'humiliation et une mort permanente suffit à taire ses plaintes.
Si la rencontre l'intimida, Maven Roncenoir n'en montra rien. Heureusement qu'elle ne maîtrisait pas le Thu'um, songea Siltafiir en la voyant parler à Kredrelfax comme à un serviteur impertinent, ou elle aurait asservi tout Bordeciel en une matinée. De peur de voir le dragon perdre patience, elle assista aux négociations jusqu'à leur conclusion, cependant il semblait apprécier le répondant de Maven.
À son retour à dans les égouts, elle s'avéra beaucoup plus patiente avec Cynric. Il ne montra pas la même courtoisie. Ce jour-là, ainsi que le suivant, il interrompit leur leçon pour disparaître en jurant, et l'aurait fait une troisième fois si elle n'avait empoigné sa ceinture alors qu'il se levait. Il retomba sur ses fesses, dos à elle, et courba l'échine en râlant bruyamment. Siltafiir se repencha sur le coffre et soupira :
« J'en ai marre de ta mauvaise volonté, on en aurait peut-être déjà terminé si tu y mettais du tien.
- Tu as de l'espoir, siffla-t-il en pivotant sur lui-même, tu sais combien de temps il m'a fallu pour y arriver ?
- Non, parce que tout ce que tu fais depuis qu'on a commencé, c'est te plaindre. »
Il râla de plus belle et s'affala sur le coffre, la joue appuyée sur ses bras croisés. La lassitude ternissait son regard, une mèche brune barrait son nez busqué et ses lèvres charnues se courbaient dans une moue boudeuse.
« Je devrais être à Markarth avec Garthar. On préparait ce coup depuis des semaines.
- Pas mon problème, adresse tes réclamations à Brynjolf.
- C'est ce que j'ai fait, mais apparemment maaâdemoiselle passe avant tout le reste. »
Elle lâcha le crochet et la sonde. S'il continuait, elle casserait plus que du mobilier.
« Brynjolf te fait perdre du temps alors tu te venges en en perdant encore plus ? »
Il se redressa, la pointa du doigt, ouvrit la bouche, puis retrouva sa position, tourné dans l'autre sens. Quelques minutes d'insistance le firent céder. Son attitude demeura pitoyable, mais au moins Siltafiir déverrouilla une serrure peu avant la fin de la journée.
« Tu vois, si tu t'y étais mis sérieusement depuis le début, tu aurais pu partir à Markarth, ricana-t-elle en s'époussetant les mains.
- Parce que tu crois qu'on a terminé ? siffla-t-il, déjà sur ses pieds. Demain on commence les serrures courbées, ensuite celles qui ont plusieurs types de ressorts, ensuite les mécanismes dwemers… Si tu veux ouvrir la moitié des verrous que tu trouveras sur ton chemin, on en a encore pour un moment. »
Elle lui tira la langue alors qu'il sortait de la salle, mais s'abstint de répondre. Il avait raison. Malgré tout, la satisfaction d'avoir franchi une étape importante l'accompagna jusqu'à la Cruche Percée. Elle sourit chaleureusement à Funeste, Vex et d'autres dont elle ne connaissait pas encore le nom, puis s'accouda au bar. L'annonce de sa petite victoire fit glousser Vekel.
« Pour fêter ça, je te prépare ton plat préféré. Ils avaient de belles pièces de venaison au marché. »
L'eau à la bouche, elle ignora le sifflement exaspéré qui s'éleva d'une table peu éloignée. Cynric ne voyait peut-être pas matière à s'extasier, mais elle ne l'autoriserait pas à la spolier de sa bonne humeur. Si elle supportait ce rabat-joie juste un peu plus longtemps, sa vie retrouverait un cours normal, ça en valait bien la peine.
« Et voilà, chantonna Vekel en déposant une assiette fumante sur le comptoir, c'est cinq septims. »
Les pièces cliquetèrent d'une main à l'autre, puis Siltafiir se pencha sur le plat en se léchant les babines. C'était sans compter la capacité de Vekel à rater un filet sur deux – le précédent avait dû être délicieux. En place d'un appétissant fumet, des émanations étouffantes s'en élevaient.
Agrippée au comptoir, Siltafiir se détourna de la viande noircie, planta ses yeux dans le sol de pierre et inspira profondément. Trop tard, le tourbillon de flamme s'était éveillé et la peau de son bras partait en fumée, ne laissant derrière elle qu'une chair carbonisée. La voix lointaine de Vekel l'atteignait à peine alors qu'elle bredouillait une explication.
« Je vais… éviter… la viande grillée… pendant un moment, »
De l'air. Elle avait besoin d'air. Sans prêter attention aux questions et regards inquiets des spectateurs, elle s'engouffra dans le couloir à tâtons et atteignit la sortie du cimetière en ignorant tous ses collègues. Ses jambes flanchèrent dès qu'elle sentit le vent nocturne contre son visage.
La trappe se referma, jetant des vibrations dans le mur de l'alcôve contre lequel Siltafiir s'était adossée, grondant comme l'ultime rugissement d'Alduin. Le menton contre le torse, les bras autour du crâne, elle lutta pour s'accrocher à la réalité, mais le fracas la poursuivait sans relâche, résonnait dans son corps, encore, et encore, et les flammes se rapprochaient.
« Vex m'envoie prendre de tes nouvelles, vu qu'apparemment je suis ta nourrice attitrée maintenant. »
Elle ignora Cynric. Tout en l'appelant de temps en temps, il s'accroupit devant elle et lui poussa l'épaule du bout du doigt. Elle se ratatina encore plus.
« Si tu veux un moment pour toi, il suffit de le dire, mais si je descends en n'ayant rien à lui raconter elle va me forcer à remonter. »
Oui. Non. Elle ne voulait pas de témoin. La solitude la terrifiait. Pourquoi avait-elle posé Nahlaas sur son lit ? L'énergie lui manquait pour aller le chercher. Cynric se laissa tomber à côté d'elle en marmonnant :
« Des fois je me demande si c'était une bonne idée de m'associer à la Guilde. C'est pratique pendant les missions difficiles, je peux toujours compter sur un coup de main, mais après il faut faire preuve d'écoute et de soutien moral. »
Son timbre lent, rauque d'exaspération, parasita les beuglements d'Alduin. Siltafiir pouffa faiblement et releva la tête. La voix tressautante, elle coassa :
« Oh non, des contacts humains. Tu crois que tu vas t'en remettre ?
- Je demanderai un bonus sur mon prochain salaire pour compenser le stress émotionnel. »
Leurs sarcasmes suffirent à la distraire le temps qu'elle retrouve son calme. Du cimetière s'élevaient des parfums d'obscurine et de terre humide, les lunes tout juste levées projetaient un rectangle blanchâtre devant leurs pieds, et s'ils avaient tendu l'oreille le frémissement du canal les aurait tout juste atteints. Dans ce cadre paisible naquit même une conversation, pour leur plus grande surprise.
« Je ne devrais pas m'étonner que tu tiennes tes crochets comme ça, si c'est Brynjolf qui t'a inculqué les bases. En fait, tu mériterais presque des félicitations, partir avec un handicap pareil…
- T'es salaud, ricana-t-elle, sa technique fonctionne très bien à deux mains.
- À condition de gaspiller vingt crochets par serrure. Tu verras, quand on atteindra le niveau supérieur, tu seras plus rapide que lui même avec les yeux fermés. Enfin, l'œil dans ton cas. »
Un sifflement lui répondit, qui se voulait désapprobateur, pourtant la nonchalance avec laquelle il mentionnait son défigurement ne l'énervait pas. Peut-être aurait-elle dû, tout le monde savait qu'il était impoli d'exprimer autre chose que de la pitié, de l'empathie, du soutien moral devant une personne blessée ou convalescente, mais étrangement elle préférait son absence de tact. De plus, il venait d'admettre qu'elle pouvait progresser, ce dont il s'était bien gardé jusqu'alors.
« Qui t'a enseigné le crochetage à une main ? enquêta-t-elle, profitant de ne sentir aucune animosité dans le ton de l'autre Bréton pour en apprendre un peu plus sur lui – puisqu'ils passeraient les prochains jours, voire semaines ensemble, autant lui montrer comment sociabiliser.
- Personne, répliqua-t-il en haussant les épaules.
- Tu t'es réveillé un matin et tu as décidé de t'entraîner ? Comme ça ? »
S'il avait répondu que, oui, tout simplement, un jour particulièrement ennuyeux l'avait poussé à affiner son doigté, elle n'aurait rien suspecté. Mais il maugréa dans sa barbe mal entretenue, les yeux plissés et rivés contre le mur d'en face. L'insistance de Siltafiir eut raison de son silence.
« Avant de rejoindre la Guilde, je travaillais à mon compte. L'évasion était ma spécialité.
- L'évasion ?
- En gros, je me faisais arrêter, tuais, libérais ou interrogeais quelqu'un, et ressortais le plus vite possible, soupira-t-il, paupières closes. Mon dernier contrat ne s'est pas déroulé comme prévu. Les gardes ont eu envie de se défouler avant de me jeter en cellule, un d'entre eux a piétiné mes doigts. »
Il présenta sa main droite à Siltafiir, qui frissonna en imaginant la scène.
« C'est aussi pour ça que je me suis enrôlé dans la Guilde. »
Son histoire se termina dans un murmure. Dès lors, le mutisme régna, jusqu'à ce qu'il lui suggère de redescendre – il supportait mal la fraîcheur nocturne. Les jours suivants ne révélèrent rien de plus sur son passé, mais il contint son mépris et elle progressa à un rythme décent.
Malgré tous les efforts qu'elle mettait à ignorer la confrontation à venir, Ralof lui revenait sans cesse à l'esprit. Et puis, son étreinte et sa gentillesse lui manquaient de plus en plus. Au bout de longues délibérations internes, elle se rendit un soir à Vendeaume sur le dos d'Odahviing – celui-ci ne se lassait pas de lui rappeler que, malgré l'insistance qu'elle mettait à le traiter ainsi, il ne s'était toujours pas transformé en cheval.
Quand elle trouva Ralof dans sa chambre, prêt à se mettre au lit, il l'embrassa avec une affection sincère. Pourtant, ses gestes paraissaient un peu plus lents, sa mâchoire un peu plus tendue, son regard un peu plus lointain qu'à l'accoutumée. Avant de lui faire ses aveux, elle opta pour la prudence. Elle le tira au lit, puis enquêta à coups de bises et de cajoleries. D'abord réticent, il satisfit sa curiosité en insistant bien qu'elle ne devait en parler à personne, absolument personne.
« Les impériaux nous ont devancés à Korvanjund. Ces rats se sont emparés de la Couronne d'Os sous notre nez. »
À chaque mot, ses doigts se crispaient contre la peau de Siltafiir. Elle faillit lui suggérer, sur le ton de la plaisanterie, d'engager la Guilde pour récupérer l'artefact, puis se ravisa. Il n'apprécierait probablement pas ce trait d'humour. Elle ravala sa blague, se colla à lui et, bégayant quelque peu, proposa de le distraire.
Leurs souffles devinrent plus lourds, leurs baisers plus longs. Siltafiir prit son courage à une main et lui caressa les hanches et le ventre. L'entrainement de Cynric lui permettait d'ouvrir plus que des serrures, réalisa-t-elle en délaçant les pantalons qui lui bloquaient le passage, de plus les conseils de Brynjolf lui serviraient enfin.
Ou peut-être pas. Elle ne se rappelait plus vraiment du fourreau de dague qu'il avait employé lors de leur leçon au coin du feu, alors qu'ils poursuivaient Mercer, et de toute manière ce qu'elle trouva dans les pantalons n'y ressemblait pas du tout. Les cours de biologie et de guérison de l'école de Refuge couvraient le sujet de la reproduction, elle savait donc, en théorie, comment fonctionnaient les pénis. La différence de taille entre cette petite chose molle qui tenait dans sa main et les érections passées l'étonna malgré tout.
L'hésitation la gagna ; malaxer ce bout de chair aussi tendre qu'une éponge ne sembla au début pas avoir beaucoup d'effet. Heureusement, il gagna peu à peu en volume et devint assez rigide pour le parcourir de bas en haut presque sans le plier. Des grognements approbateurs vibrèrent dans le torse de Ralof, confirmant qu'elle ne s'y prenait pas si mal que ça.
Le nez caché dans le creux de son cou, il l'imita bientôt, fourrant ses propres doigts dans les culottes de Siltafiir. La leçon de Brynjolf fut définitivement oubliée. Impossible de se concentrer sur l'exacte pression qu'elle mettait dans sa poigne quand ses muscles se contractaient d'eux-mêmes. Le Thu'um s'éveilla. À chaque gémissement qu'elle poussait, la verge pulsait. Elle força même sa Voix à résonner un peu plus que nécessaire, juste pour sentir son effet.
Ralof perdit patience, roula au-dessus d'elle et arracha leurs pantalons. Il la serra contre lui, embrassa sa gorge, inhala son parfum, se frotta contre son entrejambes et la pénétra d'un coup de reins, puis un autre, et un autre, de plus en plus vite, pour finalement pousser un râle étranglé, couvert par la Voix. Repus, ils s'effondrèrent côte à côte, s'essuyèrent et se câlinèrent jusqu'à tomber de sommeil.
Le lendemain pourtant, l'idée de dérober la Couronne n'avait toujours pas quitté Siltafiir. Elle la rumina en s'extirpant des couvertures, en s'habillant et en embrassant Ralof pour lui souhaiter au-revoir. Dès qu'elle atterrit à Faillaise, elle se précipita dans les égouts et quémanda l'attention de Brynjolf.
Elle s'attendait à l'intéresser, mais pas sans les dix arguments qu'elle avait développés pendant le trajet. Avant qu'elle n'en liste le quart, il avait déjà commencé à rédiger leur plan d'action et offert ses propres suggestions. En fin d'après-midi, ils avaient composé le discours commercial parfait afin de convaincre Ulfric.
Pendant que Brynjolf trottait vers le Palais d'Embruine, elle localisa Cynric. Yeux clos, une main dans le dos, le bout de la langue dépassant d'entre ses lèvres, il se tenait penché sur un coffre de la salle d'entraînement. Hypnotisée par la finesse de ses gestes, elle l'observa manipuler le complexe mécanisme, millimètre par millimètre, jusqu'à ce que la serrure cliquète.
Il cligna des yeux, relâcha l'air de ses poumons, puis sursauta en voyant Siltafiir à côté de lui. Avec une parfaite expression de bourgeois vexé, les bras croisés et le nez levé bien haut, il lui reprocha de l'avoir fait poiroter comme un vulgaire servant. Son indignation s'évapora dès qu'elle lui proposa de voler la Couronne en sa compagnie. La soirée leur servit à peaufiner l'opération.
Au matin, Siltafiir retourna à Vendeaume. Les servants terminaient de débarrasser les restes du petit-déjeuner quand elle traversa le hall du palais. Ignorant le chambellan, elle suivit la voix du jarl jusque dans la pièce où il élaborait ses stratégies de guerre. Une légère appréhension la saisit en y voyant la porte entrouverte qui donnait sur les quartiers des officiers – elle se voyait mal expliquer sa présence à Ralof sans un mensonge de plus.
« Jarl Ulfric, appela-t-elle avec une politesse qui n'était presque pas forcée.
- Enfant de Dragon, répliqua-t-il en posant des yeux fatigués sur elle, imité par Galmar, je suppose que vous cherchez Ralof.
- En fait, chantonna-t-elle tout en grimaçant derrière Krosis, c'est à vous que je veux parler. J'ai entendu dire qu'il vous manquait une couronne. »
Ils la fixèrent avec une soudaine intensité. Elle avança, se pencha au-dessus de la table, et continua sur le ton de la confidence :
« Hypothétiquement, que seriez-vous prêt à donner pour la récupérer ? »
Les deux hommes échangèrent un regard suspicieux.
« Qu'est-ce qui vous pousse à vous allier à la rébellion maintenant ? s'enquit Ulfric, bras croisés.
- Je n'ai pas parlé d'alliance, corrigea-t-elle en se remémorant les arguments préparés avec Brynjolf, cela dit l'exclusivité de nos services est négociable.
- Les services de qui, exactement ? gronda Galmar, qui plissait les yeux et serrait les poings.
- De la Guilde des Voleurs. »
Comme elle s'y attendait, ils ne débordèrent pas d'enthousiasme. Galmar cracha que de vrais Nordiques ne s'abaisseraient jamais à collaborer avec des brigands, cependant Ulfric conserva un calme sévère. Il leva lentement une main pour faire taire son huscarl.
« Pourquoi négocierions-nous avec des criminels ? »
Une oreille peu optimiste aurait pris cela pour une question rhétorique. Galmar semblait de cet avis, à acquiescer avec tant de conviction que la tête d'ours qui le coiffait sautillait de bas en haut. Cela ne découragea pas Siltafiir.
« Par où commencer ? commença-t-elle en saisissant le menton de Krosis d'un geste faussement pensif. Je suis en charge de l'opération. Avec l'Enfant de Dragon aux commandes, le résultat est assuré. Et puis, c'est soit ça, soit laisser la Couronne entre les mains des impériaux. Vous ne croulez pas exactement sous les options. »
Galmar leva les yeux au ciel. Il aurait grogné quelque chose de probablement désobligeant si son jarl n'était intervenu :
« Si cette conversation s'ébruitait, la réputation de la rébellion serait menacée.
- Nous garantissons une discrétion absolue et l'anonymat complet de nos clients, chantonna-t-elle en bombant le torse.
- C'est tout de même un risque. L'avantage que nous conférerait la Couronne pourrait ne pas en valoir la peine.
- Ulfric, s'impatienta Galmar, vous n'êtes pas sérieusement en train de négocier avec elle ?
- Et pourquoi pas ? s'offusqua-t-elle d'un ton à peine trop dramatique. Ce n'est pas plus déplacé qu'engager des mercenaires – ce dont l'Empire ne se prive pas – le travail est juste un peu différent. Sans compter que vous ne pouvez pas dire non au soutien d'un jarl supplémentaire. »
Ils se redressèrent d'un même mouvement, tels deux chiens en alerte.
« Vous parlez de Maven Roncenoir, affirma Ulfric.
- Si vous promettez de lui laisser le trône de Faillaise en cas de victoire sombrage, elle s'engage en retour à vous soutenir lors de la prochaine assemblée des jarls.
- Cette vipère ne mérite pas le titre de jarl, cracha Galmar en oscillant légèrement sur ses pieds, une pointe d'hésitation dans la voix.
- Mais elle a beaucoup d'influence, dit Ulfric en se massant l'arête du nez, d'autres pourraient la suivre si elle s'allie ouvertement à la rébellion. »
Siltafiir ravala un ricanement triomphant, attendit en se léchant les lèvres qu'ils réfléchissent à cette offre, puis renchérit d'un ton plus bas, plus vibrant :
« Un simple contrat avec la Guilde n'ôtera rien à la valeur de vos victoires passées et futures. Si l'Empire gagne, en revanche, Tamriel se rappellera des sombrages comme d'une bande de traitres ou, au mieux, de paysans désespérés. »
Ce dernier clou planté dans le cercueil de leur réticence, ils convinrent d'une somme, d'un délai, puis Siltafiir trotta victorieusement vers la sortie. À mi-chemin de la grande porte, sa conscience la rappela pourtant à l'ordre. Cette conscience se nommait Nahlaas.
Tu ne vas pas voir Ralof ?
Figée au milieu d'un pas, elle chercha désespérément une excuse pour ne surtout pas rebrousser chemin.
« Je ne peux pas repasser devant Ulfric, ça manquerait de sérieux, » souffla-t-elle une fois certaine que personne ne l'entendrait parler dans le vide.
Rends-toi invisible, suggéra-t-il avec une implacable simplicité.
Dans un grognement, elle fit demi-tour et disparut sous la cape de Nocturne. Le jarl et son huscarl entretenaient une conversation animée sur les possibilités nées de ce contact inattendu alors qu'elle passait devant eux et se glissait dans les quartiers des officiers. Le couloir lui parut à la fois terriblement long et beaucoup trop court. Elle atteignit la chambre de Ralof, mais avant qu'elle ne se défasse de son invisibilité, la porte s'ouvrit sur lui, ainsi que deux autres rebelles.
Un noiraud aux traits pointus se plaignait de leur nouvelle assignation, et Ralof lui rappelait que leur cause valait bien quelques efforts de sa part, soutenu par une femme aux cheveux bouclés et au nez arrondi comme une baie de genièvre. Plaquée contre le mur, Siltafiir retint son souffle et attendit qu'ils soient hors de vue pour se mouvoir.
« Je pense qu'il le prendra mieux si j'attends d'avoir ramené la Couronne d'Os avant de lui annoncer que je n'ai pas quitté la Guilde. »
Tu fais ce que tu veux, répondit Nahlaas sans même l'ombre d'un reproche.
Emmurée dans son excuse, elle quitta le palais et entama les derniers préparatifs de l'opération. Ses anxiétés disparurent lorsque Brynjolf la souleva de terre en la serrant dans ses bras avant de tourner comme une toupie. Quinze mille septims, répétait-il avec des étoiles dans les yeux. Il l'envoya vers Delvin, arguant qu'elle devait reprendre son rythme avec un boulot simple.
« Et va voir Tonilia, elle a une armure neuve pour toi. »
Frétillante d'impatience, Siltafiir partit en direction du bar, mais un bruissement d'ailes lui caressa l'oreille avant qu'elle ne fasse trois pas. Elle s'arrêta, chercha alentours le volatile qui s'était égaré dans les souterrains, puis reprit son chemin en haussant les épaules. Un croassement la fit sursauter.
Sa tête tourna vers un coin sombre du Réservoir qu'elle n'avait encore jamais remarqué. Une gracieuse silhouette se dressait sur un socle de pierre, un corbeau sur son épaule gauche, un autre sur son poignet droit, les bras ouverts, accueillants, réconfortants. Une statue de Nocturne, réalisa-t-elle en approchant, et très ressemblante, jusqu'à la profondeur de son décolleté. Deux autres socles encadraient le premier, coiffés de bougies dont la lueur survivait à peine dans l'obscurité qui émanait de la statue.
« Maintenant que la Guilde connaît l'existence des Rossignols, nous pouvons ouvertement montrer notre respect à Dame Nocturne. »
À nouveau, Siltafiir sursauta. Elle dut cligner des yeux pour voir Karliah, sur sa droite, dont l'armure de Rossignol se mêlait aux ombres comme si elle était l'une d'entre elles – ce qui n'était pas si loin de la réalité. Une pensée pour sa propre armure lui pinça le cœur, mais elle acquiesça sans rien en montrer.
Dans un soupir, elle se détourna de l'autel, mais un second croassement l'arrêta. Sans doute possible cette fois, il venait de la statue. Un examen plus poussé lui révéla que les trois socles imitaient presque exactement ceux du sanctuaire où elle avait juré de servir Nocturne. Même forme, même emblème, juste un peu plus petits.
La statue l'invitait avec une insistance grandissante. Bien sûr, l'effigie ne bougeait pas d'un pouce, mais ses bras de marbre noir semblaient s'étendre vers Siltafiir. Elle approcha de l'autel, happée par les ombres. Sans y penser, elle pressa sa paume sur le socle, son pouce frôlant le pied nu de Nocturne.
Une sensation de déjà-vu la saisit quand son ombre escalada ses jambes, enserra ses hanches, engloutit sa tête et retomba de ses épaules jusqu'à l'arrière de ses genoux en une cape aussi légère qu'un courant d'air. Elle se détacha lentement de l'autel, l'esprit embrumé, puis regarda machinalement sa main gauche. Le gant, taillé à la perfection, couvrait élégamment ses moignons.
« Merci, » souffla-t-elle, juste pour elle et la statue.
Un bruyant duo déboula dans son dos. Vipir et Niruin se bousculèrent pour lui demander comment elle venait de faire ça, et surtout s'ils pouvaient l'imiter. Ils partirent déçus quand Karliah leur expliqua, un sourire dans la voix, que ce don était réservé aux Rossignols. La Dunmer félicita sa consœur et s'en retourna à ses affaires sans autre cérémonie.
Guillerette, Siltafiir suivit enfin les instructions de Brynjolf s'en alla quérir un contrat auprès de Delvin. Celui-ci la jugea apte à accomplir un saccage – quoi de mieux pour reprendre les affaires ? – et la chargea donc de vider les demeures de Faillaise de toutes les richesses que sa sacoche voudrait bien contenir. Dans le feu de l'action, crocheter à cinq doigts se révéla laborieux, mais elle surmonta les obstacles et rapatria un butin respectable dans les souterrains.
Le lendemain, Cynric et elle partirent pour Solitude en mission de reconnaissance.
À suivre…
Termes draconiques
Alzit Du'ul – Couronne d'Os. la traduction littérale est "Dentelée Couronne", qui vient du nom anglais de l'artefact : Jagged Crown. Une traduction draconique exacte de "Couronne d'Os" serait "Du'ulseqeth" ("Du'ul do qeth" fonctionnerait également, mais "-se-" est légèrement plus formel que "do" et serait donc plus approprié dans cette situation, vu l'importance de l'artefact).
Zu'u laan hiim, med Jurzinmid ! – Je veux (une) ville, comme Jurzinmid !
Kred/rel/fax – Jeu/dominance/sournois
Moins de deux mois pour poster un chapitre ! C'est qui le boss ? C'est quiii ? Bref, comme à l'accoutumée j'espère que l'histoire vous plait.
Si vous le permettez, vénérés lecteurs, je vais vous mettre à contribution : s'il y a un moment/thème/personnage qui vous a marqué dans un chapitre passé (même si c'est dans le premier chapitre) et que vous vous attendez à le voir revenir ou influencer la suite d'un quelconque façon, je vous serais reconnaissant de le mentionner dans un commentaire, parce que j'ai tendance à oublier des parties de mon propre scénario (pour ma défense, les premiers chapitres ont fêté leurs six ans). Je ne savais pas comment l'histoire se terminerait quand j'ai commencé à l'écrire et à la poster, donc certaines choses qui me paraissaient importantes à l'époque ont peut-être perdu de leur intérêt narratif à mes yeux, mais c'est là que vos observations entrent en jeu.
Même si je n'ai pas oublié les passages/thèmes en question, il se peut que je sous-estime l'impact qu'ils ont eu, et si je ne les ai pas oubliés ET que j'ai l'intention de m'en servir plus tard votre commentaire sera un signe que je suis sur la bonne voie.
Mais si vous n'avez rien de spécial à souligner et que vous aimez bien l'histoire, sans plus, nul besoin de vous creuser la tête, j'aime aussi ce genre de review.
Sur ce, j'essaierai de sortir le prochain chapitre en moins de six mois, mais pas de promesse, comme d'habitude.
Merci pour votre patience et votre fidélité, et à bientôt !
