Un nouveau voisin

Buck se trouvait à genoux sur le sol de sa cuisine, les mains tremblantes alors qu'il essayait de resserrer un tuyau sous l'évier. Une fuite d'eau était apparue soudainement ce matin, transformant sa cuisine en véritable pataugeoire. Chris était à ses côtés, lui passant les outils tout en observant avec une curiosité mêlée de scepticisme.

– Euh… Pops, tu es sûr que tu ne préfères pas appeler Papa ? demanda Christopher en tendant une clé à molette. Il est plus doué en bricolage que toi.

Buck prit la clé avec un soupir, essayant de cacher sa frustration.

– Je peux le faire, Chris. J'ai regardé ton père faire ça des dizaines de fois. Ça ne peut pas être si compliqué.

Christopher haussa les épaules, peu convaincu, mais continua à l'aider.

Buck voulait se débrouiller tout seul, montrer qu'il pouvait gérer les problèmes de la maison sans dépendre de son presque-ex-mari. Il ne le disait pas à Chris, mais il sentait le besoin de prouver qu'il était capable de tout affronter, même les petites choses comme une fuite d'eau.

Il serra la clé à molette avec plus de force, mais le tuyau céda sous la pression, éclatant et envoyant un jet d'eau puissant à travers la cuisine. En quelques secondes, Buck se retrouva trempé, l'eau s'accumulant rapidement autour de lui.

– Merde ! s'exclama-t-il, essayant de bloquer le flux avec ses mains.

Christopher recula, les yeux écarquillés.

– Pops, ça va ? Qu'est-ce que je peux faire ?

– Il faut couper l'eau et trouver l'arrivée principale…

Buck n'eut pas le temps de finir sa phrase.

Un homme inconnu surgit par la fenêtre ouverte de la cuisine, atterrissant avec agilité sur le sol mouillé.

Buck, surpris, recula brusquement, perdant presque l'équilibre.

– J'ai ça, dit l'homme, se précipitant vers le robinet principal pour couper l'arrivée d'eau.

En quelques instants, l'eau cessa de couler et le silence revint dans la cuisine, seulement interrompu par le goutte-à-goutte résiduel. Buck, encore sous le choc, regarda l'inconnu se redresser et lui tendre une main.

– Ça va ? demanda-t-il, un sourire rassurant sur le visage.

Buck hocha la tête, acceptant l'aide pour se relever.

– Oui, merci... Vous êtes… ?

– Jonah, répondit-il en essuyant ses mains sur un chiffon. Je viens d'emménager à côté. Je venais me présenter quand j'ai vous ai entendu, juste avant de voir de l'eau jaillir par la fenêtre. J'ai pensé que vous pourriez avoir besoin d'un coup de main.

Buck le regarda avec une gratitude mêlée de surprise.

Jonah était grand, musclé, avec des yeux bleus perçants et un sourire chaleureux. Il dégageait une énergie rassurante et charismatique.

– Merci, Jonah. Je suis Buck. Ravi de vous rencontrer... même si les circonstances sont un peu particulières. Oh et voici mon fils, Christopher.

Christopher, curieux, s'approcha de Jonah.

– Vous êtes vraiment entré par la fenêtre ? demanda-t-il, impressionné. C'est haut quand même.

Jonah rit, posant une main amicale sur l'épaule de Christopher.

– Oui, je suppose que c'est un peu inhabituel. Mais j'ai vu que ton père avait besoin d'aide. Tu vas bien, champion ?

Christopher hocha la tête, les yeux brillants d'admiration.

– Oui, ce n'est que de l'eau. Vous êtes super rapide. Vous êtes pompier comme Pops ?

Jonah sourit avant de le regarder, semblant pour une raison inconnue, ravi de l'information.

– Non, je suis ambulancier, le contredit-t-il. Mais nous travaillons souvent ensemble avec les pompiers. C'est un travail passionnant.

– Wow, ça doit être génial ! J'aimerais faire un stage à la caserne cet été, pour voir comment c'est sur le terrain.

Jonah hocha la tête avec approbation.

– C'est une excellente idée. Tu apprendras beaucoup et verras combien notre travail est important.

Buck, observant l'interaction entre son fils et Jonah, sentit son cœur se réchauffer.

Jonah était non seulement compétent, mais aussi incroyablement gentil avec Christopher, parlant de son métier avec enthousiasme et patience, sans faire une seule fois mention à son handicap. C'était assez rare que Christopher soit vu par des inconnus au-delà de sa paralysie cérébrale et Buck appréciait quand cela arrivait.

– Jonah, merci encore de l'intervention. Je vais nettoyer ce carnage et appeler un plombier, ça sera plus sûr, lâcha Buck, encore un peu embarrassé par l'incident.

– Pas de problème. En fait, si vous voulez, je peux m'occuper de la réparation du tuyau. Je suis assez bon en bricolage, et un plombier vous coûterait une fortune.

– Je ne voudrais pas abuser de votre temps…

– Je ne le proposerais pas si cela me dérangeait.

Buck, soulagé, accepta l'offre avec reconnaissance.

Jonah se mit immédiatement au travail, montrant une dextérité et une expertise impressionnantes. En peu de temps, il avait réparé le tuyau alors que Buck avait nettoyé la plupart de l'eau sur le sol.

– Voilà, c'est fait, dit-il en se redressant. Vous devriez être tranquille pour un moment.

– Merci, Jonah. Vous m'avez sauvé la mise. Je ne sais pas comment vous remercier.

– Pas de problème. C'est toujours un plaisir d'aider un voisin. Vous m'offrez une bière et on sera quitte.

Buck sourit et apprécia l'échange facile.

Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas eu un ami proche autre que Eddie. Bien sûr, il avait ses collègues et aussi Tommy, avec lequel il sortait parfois pour décompresser, mais ce n'était pas comme la relation qu'il avait avec Eddie. Depuis leur rupture, cette connexion lui manquait terriblement.

En quelques jours, Jonah commença à se lier d'amitié avec Buck et Christopher.

Son travail d'ambulancier fascinait Chris, et Buck appréciait d'avoir quelqu'un avec qui parler et qui l'aidait à réparer sa maison, dont l'agence avait oublié de mentionner qu'elle était en fait, une ruine.

Jonah était drôle, gentil, séduisant et tout à fait charmant. Il avait cette façon de le regarder et de lui parler qui le faisait se sentir spécial.

Ce soir-là, alors qu'ils réparaient ensemble une étagère dans le salon, Jonah remarqua un livre sur la table basse.

– Emily Dickinson ? demanda-t-il en souriant. C'est toi qui lis ça ?

Buck rougit légèrement, un peu embarrassé.

– Oui, je sais que la poésie est un peu ringarde, mais j'aime ça.

Jonah parut offusqué.

– Qui peut trouver la poésie ringarde ? La poésie est l'expression la plus pure de l'âme humaine.

Buck haussa les épaules.

– Mon ex déteste la poésie, alors...

Jonah secoua la tête, visiblement en désaccord.

– C'est qu'il ne sait pas apprécier la perfection, sinon il ne t'aurait pas laissé partir.

Buck rougit encore plus, mal à l'aise. Il fit mine de vouloir récupérer son livre pour reprendre contenance, mais Jonah le ramena contre sa poitrine.

– « Si je puis empêcher un cœur de se briser, je n'aurai pas vécu en vain. » déclama Jonah, citant les deux premiers vers d'un poème d'Emily Dickinson.

Buck, surpris, continua instinctivement.

– « Si je puis soulager une vie de la douleur, ou aider un rouge-gorge épuisé à retrouver son nid, je n'aurai pas vécu en vain. »

Buck regarda Jonah avec étonnement.

– Tu connais Emily Dickinson ?

Jonah sourit, ses yeux brillant d'une lumière mystérieuse.

– J'admire sa prose.

– C'est mon poème préféré.

– Le mien également, affirma Jonah. Mais je me sens désolé qu'elle n'ait pas reçu l'amour en retour de celui qu'elle donnait.

– L'amour de sa vie en aimait une autre, lâcha Buck en haussant les épaules. Elle a préféré le voir heureux avec elle, que malheureux sans elle. C'est ça aussi l'amour, savoir reculer pour que celui qu'on aime fasse ses propres choix.

– Si j'avais été à sa place, reprit Jonah. J'aurais tout fait pour obtenir les faveurs de celui que j'aimais. Je n'aurais jamais lâché prise et je me serais battu pour lui.

Il regarda Buck droit dans les yeux, et Buck sentit son cœur battre plus fort. Il ne savait pas s'il parlait encore d'Emily Dickinson ou d'Eddie mais il détourna rapidement le regard, sentant la tension entre eux monter.

Jonah recula avec respect, laissant Buck se demander s'il avait réellement été en train de le draguer. C'était flatteur, mais Buck ne se sentait pas prêt à se relancer dans le circuit des rencontres. Pourtant, il ne pouvait pas nier que Jonah avait réveillé quelque chose en lui, quelque chose qu'il avait pensé avoir perdu pour toujours.

Les jours passèrent, et Jonah devint une présence de plus en plus constante dans la vie de Buck et Christopher. Il les aidait à réparer la maison, leur apportait des conseils pratiques et partageait des moments de complicité. Chris l'admirait pour son travail d'ambulancier et apprenait beaucoup de ses histoires de terrain.

Un après-midi, alors qu'ils travaillaient ensemble sur la clôture du jardin, Buck se rendit compte à quel point il appréciait la compagnie de Jonah.

– Jonah, je voulais encore te remercier pour tout ce que tu fais pour nous. Ça fait du bien d'avoir un ami à qui parler et qui est toujours prêt à aider.

Jonah sourit, posant une main amicale sur l'épaule de Buck.

– C'est un plaisir. Tu es quelqu'un de spécial, et Chris aussi. Je suis heureux de pouvoir être là pour vous. Et puis, tu cuisines tellement bien, que j'avoue profiter allègrement de tes prouesses culinaires.

– Tu m'aides à réparer ma maison, rit Buck. T'inviter à diner est la moindre des choses.

– C'est bien ce que je dis, je suis le gagnant dans cette histoire, je suis archi nul en cuisine. Tu me sauves réellement la vie avec tes bons petits plats.

Buck sentit une vague de chaleur envahir son cœur.

Peut-être que, malgré la douleur de la trahison d'Eddie, il y avait encore de l'espoir pour lui. Peut-être que ce nouveau départ, avec Jonah à ses côtés, était exactement ce dont il avait besoin pour guérir et retrouver le bonheur.

La connexion qu'il nouait avec Jonah était différente de celle qu'il avait avec Eddie mais elle était importante pour Buck. Jonah ne connaissait pas Eddie, il n'avait pas besoin de faire attention à ce qu'il disait et il ne le regardait pas avec pitié comme tout le monde le faisait.

Leur séparation les avait tellement tous surpris qu'il n'avait pas eu d'autre choix que d'expliquer ce qui s'était passé. Bobby l'avait officiellement soutenu mais Buck sentait bien qu'il essayait de l'amener sur le chemin du pardon et Buck n'était pas prêt à ça.

Jonah était une véritable bouffée d'air frais dans sa vie.

En se couchant ce soir-là, Buck repensa aux moments passés avec son voisin. Il savait qu'il devait prendre son temps, mais il ne pouvait pas s'empêcher de sentir un éclat d'optimisme.

Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait prêt à envisager un avenir meilleur, où la trahison serait remplacée par la confiance et l'amitié.

Et peut-être qu'un jour, il serait de nouveau prêt pour faire confiance à l'amour.