Bonjour à tous !

J'ai laissé passer la date pour Sombres Rêves, en raison du travail, et j'en suis désolé-e. Vous aurez le chapitre deux dimanche prochain !

Ce chapitre-ci fait partie de ceux que je nomme les Chapitres Liens, qui explorent ce qui s'est produit de 1955 aux événements du premier chapitre.

Si vous jugez qu'il serait mieux d'inverser les deux, n'hésitez pas à me le signaler !

Merci à Totallynotbribed pour sa review et... chhhhut ! N'essaie pas de spoiler !

J'espère que vous apprécierez... et que les nouveaux venus vous donneront un peu de fil à retordre !


Année 1995 – Première Partie

Il ne restait rien de la fête improvisée pour célébrer l'acquittement d'Harry lorsque lui, Ron et Hermione descendirent pour le petit déjeuner le lendemain matin. Ils s'attablèrent à la table en ébène de la salle à manger, et Harry remarqua avec inquiétude que son parrain arborait un air morne et des cernes plus conséquents qu'à l'accoutumée. Il se sentit légèrement coupable mais Hermione secoua la tête pour lui indiquer de ne pas s'en faire. Sirius haïssait cette maison et la perspective de s'y trouver avec son filleul avait dû rendre les derniers jours plus faciles à supporter.

La matinée fut ordinaire, entre discussions et nettoyage du Square Grimmaud, mais Harry se fichait bien désormais de devoir porter des gants pour se protéger des Doxys ou des grommellements insultants de Kreattur. Il retournait à Poudlard alors qu'encore la veille, il croyait ne jamais revoir le château merveilleux, l'atmosphère chaleureuse de la Tour des Gryffondors ni même sa baguette magique.

La routine installée depuis que le Quartier Général de l'Ordre du Phénix occupait la maison des Blacks fut brisée en fin d'après-midi par l'arrivée du professeur Dumbledore. Aucune réunion n'était sensée se tenir ce jour-là, et en entendant Molly Weasley le saluer devant une Walburga Black mystérieusement silencieuse, le cœur d'Harry fit un bond dans sa poitrine. Le directeur de Poudlard allait peut-être enfin réclamer à le voir, lui parler, ou même croiser son regard. Même la veille, lors de l'audience disciplinaire, Dumbledore l'avait évité et lorsqu'il était sorti, les traits crispés par des préoccupations évidentes, le Survivant s'était senti trahi.

Les trois futurs étudiants de cinquième année faisaient leurs devoirs de vacances dans la salle à manger, qui se trouvait également être la salle de réunion de l'Ordre, sous l'injonction d'Hermione. Fred et Georges discutaient avec Sirius, évoquant quelques farces que les Maraudeurs avaient jadis joué aux Serpentards sous l'œil nostalgique de Remus. Tonks et Bill évoquaient des problèmes politiques. Ce fut avec une stupéfaction générale que tous virent Dumbledore entrer dans la pièce suivi de deux silhouettes inconnues.

-Bonjour à tous, déclara le directeur.

Ses yeux perçants passèrent sur Harry sans le regarder. Il dégagea le pas de la porte et les deux inconnus s'avancèrent dans la pièce.

-Je vous présence Arcturus Blanc, et son fils Artemis. Arcturus a décidé de se joindre à l'Ordre dans son combat contre Voldemort. Sirius, leur maison a été détruite par les Mangemorts, as-tu une chambre de libre où ils pourraient dormir ?

Sirius les dévisagea un instant, perdu dans ses pensées avant de hocher la tête. Artemis se tenait à côté de son père sans le toucher, et Harry remarqua avec consternation qu'il ne devait pas avoir plus de dix ans.

Aucun parent avec enfants ne faisait partie de l'Ordre. Tous étaient au minimum des adolescents, et Ginny, du haut de ses quatorze ans, demeurait jusqu'alors la plus jeune. Ron, Hermione et lui échangèrent un regard étonné.

-Artemis peut dormir avec Ron et Harry, suggéra Molly. Il reste de la place dans la chambre pour un enfant supplémentaire. J'ai bien peur que les autres chambres ne soient pas encore en état, vous devrez sans doute la partager avec Remus, Arcturus.

-Je peux dormir avec Sirius, intervint le loup-garou.

Harry et Ron grimacèrent discrètement : avec un enfant dans leur chambre, leurs discussions ne pourraient plus êtres confidentielles. Arcturus secoua aussitôt la tête.

-Je suis navré, mais il vaudrait mieux qu'Artemis dorme seul ou avec moi, répondit-il d'un ton doux mais ferme.

Il avait un léger accent sur lequel Harry ne pouvait mettre de nationalité.

-La chambre de mon frère doit être disponible pour vous deux, dit Sirius, mais j'ignore s'il ne l'a pas ensorcelé. Je demanderai à Maugrey de vérifier.

-Je vous en remercie, répondit l'adulte.

Il avait des traits doux et fins et ses longs cheveux noirs descendaient jusqu'au creux de ses reins, noués en catogans. Il semblait vaguement familier à Harry, qui se demanda s'il ne l'avait pas vu sur les portraits et photos qui ornaient Poudlard.

Molly arriva derrière eux, et incita Artemis à avancer un peu plus avec un sourire. Elle voulut poser une main sur son épaule, mais au moment où l'enfant croisa le regard d'Harry, il se mit à hurler à pleins poumons.

C'était un cri déchirant et terrifiant. Ses yeux bleus se révulsèrent. Les hurlements de la mère de Sirius ne tardèrent pas à se faire entendre également, mais Artemis semblait n'en avoir cure, et Harry était décontenancé. Qu'avait-il pu faire pour l'effrayer ainsi ? Le garçon hurlait un peu plus de secondes en secondes et il finit par tomber au sol, pris de convulsion, sans cesser un instant de martyriser sa gorge. Molly voulut lui porter assistance, de même que Remus, mais Arcturus les repoussa du geste :

-Non ! Artemis, regarde moi. Artemis. Artemis. Artemis.

L'homme s'agenouilla auprès de l'étrange enfant et se mit à murmurer des paroles –des dates, semblait-il ?- dans un flot continu, avant de passer à une mélodie saccadée dans une langue inconnue d'Harry. Il attrapa les petits doigts du garçon et les frôla un à un de son index avant de le placer dans une position étrange. Puis il le releva, enserrant son poignet dans deux doigts et le mena hors de la pièce dans cet étrange mélange de douceur mêlé de fermeté.

Le professeur Dumbledore était sorti et s'entretenait avec Molly, mais Kingsley et Ginny, alertés par les cris, étaient venus voir ce qui se passait. La confusion régnait, et Harry se sentait étrange. Hermione posa une main sur son épaule.

-Est-ce que ça va ?

-Je… bredouilla-t-il. Je fais si peur que ça ?

-Je pense que cela n'a pas grand-chose à voir avec toi, déclara-t-elle d'un ton sérieux. Il s'agitait déjà lorsqu'il est entré dans la pièce. Il y aura eu un élément déclencheur.

Harry n'était pas entièrement convaincu. Hermione se mordit la lèvre. Sirius et Remus, qui avaient longuement fixé les deux nouveaux venus, discutaient à présent à voix basse.

-Félicitations Harry, plaisanta Fred en lui assénant une tape dans le dos.

-C'est un enfant, dit enfin Ron, sortant de son mutisme.

-Bien observé, rétorqua Hermione en levant les yeux au ciel. Je me demande s'il a l'âge d'aller à Poudlard. Mais onze ans paraît vieux pour avoir ce genre de crises de nerfs.

-Non, je veux dire… Comment est-ce qu'ils vont faire avec un enfant ici ? demanda Ron. Et surtout, pourquoi quelqu'un avec un enfant s'engagerait-il dans l'Ordre ? Il faut mettre sa vie en danger, et visiblement, il n'a pas de mère.

Harry se taisait, mais son esprit tourbillonnait. Hermione avait raison, Artemis paraissait trop vieux pour se mettre dans un tel état. Et pourtant… Ils étaient en pleine guerre. Lui-même souffrait toujours des cauchemars du cimetière, et les Blancs semblaient avoir été victime des Mangemorts.

-Il est peut-être traumatisé, constata-t-il.

Tous les regards se tournèrent vers lui, puis se mirent à fixer le vide, en pleine réflexion.

o°o°O°o°o

L'homme avait porté Artemis jusqu'en haut des escaliers. Il pouvait revoir les expressions consternées ou décontenancées des membres de l'Ordre et des adolescents, et appuya une main sur son front avec un soupir. Il avait prévenu son fils et l'avait autant préparé que possible, mais cela n'avait pas été suffisant, et même des semaines de plus ne l'auraient pas été. Un an et demi s'était écoulé depuis qu'il avait récupéré son enfant mais les traumatismes engendrés revenaient de temps à autre, sans compter l'état naturel de son garçon.

Artemis avait repris Le Chant des Partisans qu'il murmurait tout en se balançant, les yeux fermés et luttant toujours contre les esprits des autres qui envahissaient le sien. Son père regarda l'écriteau de la chambre.

« Interdiction d'entrer sans l'autorisation expresse de Regulus Arcturus Black. »

Ses commissures de lèvres se retroussèrent en un léger sourire devant tant de prétention. Il se souvint des paroles de Sirius et dégaina sa baguette, vérifiant la sécurité de la chambre à l'aide de sorts principalement connus des Aurors, et constata avec soulagement qu'elle était dépourvue de tout sort de protection ou de magie noire. Il poussa la porte puis observa les lieux poussiéreux et inchangés depuis le départ de son propriétaire. Le lit était fait, le papier peint et les affiches soulignaient son appartenance à la maison Serpentard, et les portes des placards en ébène avaient été soigneusement refermées. Arcturus jeta un rapide sort de nettoyage et vérifia qu'aucune bestiole ne s'était incrustée dans les draps. Une odeur de moisi émanait d'eux et ils étaient humides au toucher, il ne pouvait décemment pas y coucher son fils. Il revint sur le pas de la porte. Artemis n'avait pas bougé, se balançant toujours en observant ses mains onduler devant lui. Il se mit à sa hauteur.

-Je vais demander des draps à Sirius, Artemis. Je te promets de revenir.

Il vit son enfant tressaillir et aperçut un éclat de terreur dans ses yeux clairs. Se jurant de faire aussi vite que possible, il descendit dans le salon, où il croisa celle qui s'était présentée comme Molly Wealsey.

-Je venais vérifier que vous vous en sortiez, déclara la sorcière replète avec une moue inquiète.

-Je vais coucher Artemis, répondit Arcturus sans s'étaler en explications. Sauriez-vous ou je peux trouver des draps propres ?

Molly l'entraîna aussitôt vers la buanderie et lui fournit ce dont il avait besoin. L'homme l'observa un instant. Elle se montrait serviable et anxieuse envers lui, comme si elle était la maîtresse de maison... Elle était visiblement en charge des travaux ménagers et de l'hospitalité durant cet été, et il la remercia.

Après avoir fait le lit, il prit doucement son fils par le poignet, et le jeune garçon se remit aussitôt à hurler.

-Artemis, murmura-t-il.

-Voldemort, haleta l'enfant. Détraqueurs, Azkaban, pleine lune, ministère, douleur, cimetière, balai, globe, blanc, Voldemort, souffrance, peur, moribond…

Il se recroquevillait un peu plus à chaque mot, sa tête projetée en arrière alors que son esprit luttait contre ce qui l'envahissait.

-Nous allons continuer à mettre en place des barrières occlumentiques, promit Arcturus.

Son fils était par terre et se tenait les tempes, pris de convulsions familières qu'il détestait voir. Il se maudit intérieurement. Il aurait dû demander à Dumbledore d'emmener son fils dans une chambre en premier lieu, avant de lui faire rencontrer tous ces individus, et notamment Harry Potter ! Il devait émaner du Survivant des images atroces de souffrance, surtout en ce qui concernait le retour de Voldemort, mais également toutes les péripéties qu'il avait du affronter jusqu'ici. Et Harry venait d'affronter des Détraqueurs, bon sang. Arcturus ressentit une profonde honte, mêlée au dégoût du père qu'il était. Il n'avait pas suffi qu'il laisse Artemis entre des mains de scientifiques fous, il ne parvenait pas à amoindrir les souffrances de son fils.

Il se mit au sol et approcha sa main de l'enfant, sentant les effluves de magie chauffer ses mains. Il se mordit la lèvre avant de le toucher, provoquant un nouveau spasme douloureux et une brûlure vive pour lui-même. Artemis l'avait reconnu néanmoins, et les souvenirs familiers de son père le calmèrent. Arcturus lui releva le menton pour ancrer ses prunelles dans les siennes.

-Artemis, regarde-moi. Je t'ai expliqué en Juin dernier ce qui allait se passer. Nous nous trouvons au Quartier Général de l'Ordre du Phénix, à Londres. Je t'ai dit que tu allais rencontrer des personnes, et que leurs souvenirs seraient lourds. Je suis désolé que tu aies à endurer tout cela d'un coup.

-Le garçon est mort, tué par le rat, déclara Artemis. Il a enchaîné Harry Potter à une tombe, puis il lui a tranché le bras et a mis son sang dans le Chaudron. Il s'est coupé la main. Harry voulait que la chose dans le Chaudron se noie. Il a vu Voldemort revenir à la vie. Il a souffert. Doloris. Imperium.

L'homme déglutit en entendant le récit teinté de magie noire et de sang. Il savait que Lord Voldemort allait revenir à la vie depuis que la Marque sur son avant-bras gauche commençait à redevenir visible.

-24 Juin 1994, ajouta le garçon. Troisième tâche du Tournoi des Trois Sorciers.

-Oui. Artemis, tu vas devoir dormir à présent, pendant que les autres sont réveillés. Il vaut mieux que tu ne captes aucun rêve. Si jamais tu te réveilles, tu peux descendre en bas. Tu n'es pas obligé de venir dans la salle à manger, tu peux simplement m'appeler. Compris ?

-Oui, répondit l'enfant sans aucune intonation.

Il se leva, et Arcturus lui tendit son pyjama. Artemis enfila le bas, hésita, toucha les draps propres puis enfila le haut avant de se glisser sous les couvertures.

-Je veux lire, déclara-t-il.

Son père l'observa un instant. S'il l'autorisait à se plonger dans un ouvrage, les chances qu'il se repose avant que les autres ne montent se coucher seraient réduites de moitié, et il ne pouvait laisser Artemis capter leurs rêves. La crise de ce soir l'avait suffisamment ébranlé et tous ces changements le bouleversaient.

-Tu liras au réveil, décréta-t-il, doucement mais sans appel.

L'enfant cligna des yeux pour montrer qu'il avait compris et s'allongea. Arcturus lui donna sa peluche loup. Elle avait son odeur et il s'agissait d'un élément immuable dans la vie de son fils qui le rassurerait. Il posa également son livre sur la table de chevet.

-Je vais descendre dans la salle à manger, l'informa-t-il. Je te dis bonne nuit, Artemis.

Il s'agenouilla près de son garçon, dont les cheveux se fondaient dans la taie d'oreiller immaculée.

-Je t'aime, Artemis.

Sans un mot, l'enfant lui tendit un index replié, et l'homme y entrelaça le sien avec force avant de repartir en veillant à laisser la porte ouverte.

Un jeune homme aux longs cheveux roux mettait la table lorsqu'il pénétra dans la salle à manger. Tous les regards se tournèrent vers lui et il garda son masque d'impassibilité.

-Je suis navré. Artemis dort, je l'ai couché dans la chambre de votre frère comme prévu, Sirius, après avoir vérifié qu'elle était saine.

Son ton distant et son visage de marbre les dissuadèrent de poser plus de question. Il se refusait à attirer plus l'attention sur son enfant que nécessaire.

-Le repas est prêt ! annonça Molly Weasley. Nous ignorions si vous aviez mangé, Arcturus, mais nous vous avons mis un couvert.

-Je vous remercie, répondit-il en inclinant la tête. Nous nous sommes restaurés à Poudlard ce midi mais le déjeuner me paraît loin.

Il remarqua que les adolescents sursautèrent lorsqu'ils entendirent le nom de leur école et retint un soupir. Il lui faudrait du temps pour de nouveau s'accorder à la vie civile et sédentaire. Il avait longuement voyagé avant d'apprendre qu'il avait un fils, deux ans auparavant, et d'entreprendre les démarches nécessaires pour le retrouver, puis ils avaient dû travailler dur pour restaurer son mental détruit par la DDASS et son système.

-Vous étiez à Poudlard ? s'enquit une jeune fille aux cheveux broussailleux.

-J'y ai eu un entretien avec le professeur Dumbledore afin de vérifier que j'étais fiable, répondit-il un peu plus fort qu'il n'en avait besoin.

Il tenait à ce que tous sachent qu'ils pourraient lui faire confiance en dépit de ce qu'ils découvriraient par la suite.

-D'où viens-tu Arcturus ? s'enquit aimablement Remus.

L'homme vérifia que ses barrières d'occlumens étaient parfaitement en place et esquissa un sourire.

-Je suis né en France, répondit-il, mais j'ai longuement voyagé. Lorsque j'ai récupéré Artemis il y a deux ans, nous nous sommes installés en Angleterre, avant que Voldemort ne nous attaques, et je que contacte Dumbledore afin d'intégrer l'Ordre.

Il lut les nombreuses questions dans leurs regards et fut heureux que son fils se trouve à l'étage, à l'abri des interrogations florissantes.

A son bras gauche, la Marque brûlait.

o°o°O°o°o

L'arrivée des deux français eut l'avantage de faire sortir Sirius de son humeur sombre. Il les observait avec inquisition, apprenait à les connaître comme il l'avait fait avec Kinsgley et Tonks, et converser avec Arcturus dissipait quelque peu ses idées noires. Il ne parvenait pas à se faire au nom de l'homme. Il lui rappelait la famille dont il était issu, et particulièrement son crétin de frère qui avait cru pouvoir rejoindre Voldemort puis se rétracter. Les manières d'Arcturus indiquaient qu'il venait également d'une famille aristocratique, et Sirius se demanda si les Blacks n'étaient pas reliés à certaines familles françaises, sans pouvoir se remémorer de noms. Il n'avait jamais prêté à la généalogie dont était si fière sa famille.

Arcturus participait aux réunions de l'Ordre, se contentant principalement d'observer, d'écouter et d'apprendre pour le moment. De temps à autres, il glissait une suggestion de sa voix froide ou commentait un évènement d'un œil neuf. Lorsque était venue la question du combat et des duels, de la part de Rogue, l'homme avait répliqué sans se départir de son impassibilité qu'il prendrait part aux actions de l'Ordre de cette manière également et qu'il connaissait de nombreux sorts.


Deux journées s'écoulèrent avant qu'Artemis ne se joigne au dîner. Arcturus le plaça à sa gauche, et Remus s'installa à côté de lui, appréciant sa compagnie. Sirius devait reconnaître à l'homme des qualités oratoires et une conversation intéressante lorsqu'il acceptait de baisser une garde qui en rendait certains soupçonneux. Il observa le garçon qu'il n'avait fait qu'entre apercevoir alors qu'il lui demandait, en évitant soigneusement son regard, s'il pouvait emprunter des livres dans la bibliothèque familiale. L'homme avait hésité, puis avait donné son accord à condition que son père soit présent lorsqu'il choisissait les ouvrages. Trop nombreux étaient ceux qui portaient sur la magie noire, avait-il expliqué au père sans s'étendre.

Artemis avait les traits aussi fins que son père, et des joues creuses malgré son jeune âge. Deux yeux bleus perçants venaient se poser sur le monde qui l'entourait avec une légère vitrosité. Avaient légèrement choqué son entourage ses cheveux entièrement blancs qui retombaient sur sa nuque et près de son menton, mais nul ne s'était risqué à poser des questions.

Il intercepta le regard d'Harry à quelques sièges et lui sourit. Son filleul retournait à Poudlard et il l'enviait profondément. L'école de sorcellerie lui avait conféré sept années de joie pure et d'insouciance et il avait pu s'éloigner des idéaux méprisables de sa famille en toute sécurité.

Molly leur servait une soupe de poisson qui sentait délicieusement bon, et il la remercia chaleureusement. Il avait beau se trouver en désaccord avec la sorcière sur de nombreux points, notamment l'éducation de son filleul, elle était une cuisinière merveilleuse et prenait soin du bien être des membres de l'Ordre. Ils commencèrent à manger et à discuter, Tonks amusant la galerie en changeant son visage à volonté. Remus voulut l'indiquer à Artemis, mais dès qu'il approcha sa main de lui, l'enfant fit un écart manifeste et Sirius put voir la lueur blessée dans les yeux de son meilleur ami.

-Je suis sûr que James aurait adoré savoir faire ça à Poudlard, murmura-t-il à l'adresse du loup-garou.

-Il aurait rendu Lily folle, sourit Remus, et nous avec. Si James avait eu un tel don, il aurait tenté d'attirer nombre d'ennui à ses ennemis. Mais je suis certain qu'il aurait apprécié Tonks.

Un silence chargé d'émotion naquit entre eux, et Sirius regretta la présence des autres. Il aurait aimé demander à Remus s'il songeait parfois à ce qu'aurait pu être leur vie sans la prophétie et Voldemort, aurait aimé lui prendre la main et la presser, mais il dut se contenter d'effleurer ses doigts. Il remarqua qu'Artemis ne s'intéressait pas à la jeune femme alors que n'importe quel enfant aurait trouvé l'attraction follement amusante, et pour la énième fois depuis l'arrivée d'Arcturus, se demanda ce que les deux individus avaient bien pu vivre avant leur arrivée au Quartier Général.

-Quel âge as-tu Artemis ? s'enquit soudain Molly avec un sourire maternel envers le garçon.

Il regardait ses mains, qu'il faisait onduler devant son visage selon un schéma bien précis, et ne sembla pas l'avoir entendu. Il était le seul à ne pas avoir touché à sa soupe.

-Neuf ans, bientôt dix, répondit son père à sa place.

-Il n'ira pas à Poudlard cette année dans ce cas, n'est-ce pas ? remarqua Hermione.

Arcturus la regarda un instant, semblant hésiter, puis le masque se craquela sur son visage.

-Artemis n'ira pas à Poudlard, dit-il sans brusquerie.

Elle sembla confuse et les adultes froncèrent les sourcils.

-Tu n'aimes pas la soupe, mon chéri ? s'inquiéta Molly.

Arcturus reporta aussitôt son attention sur elle, puis sur son fils.

-Artemis, appela-t-il.

L'enfant continuait son étrange jeu, fasciné par ses mains. Il soupira et attrapa la cuillère pour tenter de la placer dans les mains du garçon avec une patience infinie.

-Tu sais Arcturus, lança Arthur, Poudlard est une excellente école, tout autant que Beauxbâtons. Ces temps-ci, c'est probablement l'endroit le plus sûr de Grande Bretagne. Sans compter que nul ne pourra veiller sur lui lorsque tu seras en mission.

L'homme plongea la cuillère dans la soupe avant de nourrir l'enfant comme un tout petit, ce qui sembla le réveiller. Il cessa de battre des mains, attendit que son père ait reposé la cuillère, puis s'en saisit en commença enfin à manger. Sirius avait suivi toutes les actions, et il commençait à envisager les choses sous un angle nouveau, mais il ne lui appartenait pas de répondre à Arthur. Le regard qu'il échangea avec Remus, en revanche, était lourd de sens.

-Je n'ai aucun doute sur la capacité de Dumbledore à protéger ses étudiants, encore moins avec l'aide de Harry, répondit Arcturus avec un hochement de tête en sa direction.

Le respect qu'éprouvait Sirius pour lui se mua en une autre émotion. Il estimait profondément le directeur jusqu'à ce qu'il ne le force à rester caché dans la maudite maison de son enfance, mais qu'un inconnu reconnaisse les exploits d'Harry gagnait son approbation.

-Néanmoins je ne mettrais pas Artemis à Poudlard, ni dans une aucune autre école. Il ne supporterait pas un endroit avec autant de magie, d'humains et de créatures.

Molly sembla sur le point de dire quelque chose, mais Remus lança un nouveau sujet qui coupa court à tout débat, et Sirius le remercia d'un effleurement sur sa cuisse.

Au fil des jours, le mystère que représentait ce petit garçon semblait s'épaissir mais Sirius était désormais convaincu d'une chose : ce n'était pas un enfant typique, que ces symptômes viennent de son traumatisme ou de tout autre chose.

o°o°O°o°o

La bibliothèque du Square Grimmaud comportait plus de livres qu'Artemis en avait jamais vu. Dans l'ancienne maison où il avait vécu en compagnie de son père jusqu'à présent, quelques étagères ornaient la petite salle de séjour, mais les nombreux voyages effectués par Arcturus avaient exigé un nombre réduit de souvenirs et bagages. Le garçon passait ses matinées dans la bibliothèque sombre et poussiéreuse où nul ne venait jamais et s'entraînait avec son père entre les réunions de l'Ordre. Il prenait ses repas en compagnie des autres membres plus ou moins aléatoires. Et jamais il ne pouvait prévoir de quoi serait fait le lendemain.

Il détestait cela. Les un an, six mois et cinq jours passés en compagnie de son père avant qu'ils ne viennent s'installer dans cette lugubre demeure qui suintaient la Magie noire n'avaient pas été de tout repos mais ils avaient constitué un bol d'air. Il avait eu l'impression que sa vie avait finalement une valeur, qu'il avait eu raison de lutter pour vivre, que son esprit pouvait accueillir le calme. Or, depuis le onze août, tout n'était plus que chamboulement, flashs, douleurs et peine. Il avait retenu les enjeux et la nécessité qui les avaient menés dans la maison des Blacks et il ne pouvait le reprocher à son père, mais il la tristesse et la mélancolie ne le quittaient pas.

Il finissait un livre passionnant sur les Fondateurs lorsque Ginny Weasley vint l'avertir que le repas était prêt. Artemis la trouvait reposante. Elle exprimait toujours ses pensées et malgré un tempérament de feu, n'avait pas vécu de traumatismes suffisamment importants pour qu'il les captes, ou bien ne parvenait pas à s'en souvenir. Il se sentait relativement bien en cette dernière semaine d'août. La maison redeviendrait bientôt plus calme mais surtout, les esprits des autres n'envahissaient plus le sien car il les avait découverts, appréhendés et que son père avait fait une priorité de renforcer ses barrières mentales, sans pour autant abandonner les autres exercices. Il donna immédiatement son attention à Ginny.

-Où est Papa ? demanda-t-il sans quitter son livre des yeux.

-Arcturus est en mission, mais il devrait être rentré ce soir.

Sous la surprise, Artemis lâcha son livre qui tomba sur le sol dans un douloureux bruit sourd. Son cœur commença à s'accélérer dangereusement. Son père ne l'avait pas informé de son départ il le faisait toujours. Il n'avait pas d'horaires, et il se trouvait seul. L'enfant ferma les yeux et se concentra sur sa respiration. Il ne savait pas ce qui se passait et cela l'affolait.

-Artemis, tu viens manger ? s'impatienta Ginny.

Sa voix lui parvenait de loin, étrangère et sans importance. Il ne savait pas. Et si Arcturus l'abandonnait, le laissait ? Et si Voldemort le retrouvait ? Un gémissement inconscient sortit de ses lèvres et il ramena ses pieds sur le fauteuil qu'il occupait avant de se balancer.

Son esprit était empli de diverses pensées, il percevait le moindre bruit extérieur sans pouvoir le contrôler, la chaleur de la maison lui était tout à coup insupportable. Il ne supportait plus le tissu contre sa peau. Les émotions des autres le frappaient, et ses sens se déployèrent jusqu'à ce qu'il soit frappé par d'importants flashs désorganisés. …TEMIS ! D'autres bruits, plus proches vinrent s'ajouter à son univers embrouillé et déstabilisé. Il gémit et posa les mains sur ses oreilles. ARTEMIS ! Tu m'écoutes ? Il se sentait partir et comme trop souvent depuis son arrivée, ne parvenait pas à se maîtriser. Il est l'heure de manger, viens. Ton papa sera de retour ce soir, ne t'inquiètes pas. Il transpirait et peinait à respirer. Artemis, viens, tu dois manger. Manger. Son ventre lui faisait sentir la faim, et il tenta maladroitement de se raccrocher aux paroles de l'homme qui l'appelait. Arthur Weasley. Il se tenait proche de lui, trop proche de lui. Il cria pour lui indiquer de se reculer : il ne se lèverait pas avant de pouvoir respirer convenablement.

Arthur se releva avec un soupir et se recula. Artemis sauta aussitôt à bas du fauteuil, et courut dans la salle de bains, assoiffé. Ses mains formèrent une coupe sous le jet du robinet et l'eau dégoulina sur son menton et ses vêtements lorsqu'il les porta à sa bouche jusqu'à ce que les sensations d'oppressions et les bruits aient disparus. Il appliqua la méthode mise au point avec son père.

-1496, révolte gobeline visant à faire reconnaître leurs droits en tant que créature magique avec intelligence. 1497, constitution de Flaemich, signée en l'absence du leader gobelin Fenrir le Crasseux.

Son esprit se clarifiait peu à peu, mais le tissu contre sa peau le gênait toujours et il enleva son t-shirt humide.

Tous les regards se tournèrent vers lui lorsqu'il parvint à la salle à manger mais il s'efforça de n'y prêter aucune attention et se plaça sur la chaise habituelle.

-Fred et Georges s'étaient installés ici, l'informa Ron.

-C'est la place à Papa et à moi, répondit-il, surpris.

-Arcturus ne mange pas ici à midi, mon chéri, lui rappela Molly. Tu peux venir à côté de moi.

Artemis se sentit vaciller. L'absence de son père lui revenait brutalement, et il se refusait à changer de place. Il fit glisser ses yeux sur tous ceux présents, qui s'étaient interrompus dans leur déjeuner.

-C'est la place à Papa et à moi, répéta-t-il.

Il s'agissait d'une évidence, mais les autres ne parvenaient pas à le comprendre. Les midis étaient les plus chaotiques, tous se dispersaient sans habitude ni rituel et il en était perturbé.

-Aller Artemis, lança Bill avec un sourire, ce n'est pas très grave, il y a d'autres places. Viens.

L'esprit de l'enfant n'était pas complètement apaisé et il demeurait debout, perdu, ne sachant que faire, et une sourde angoisse grandissant dans sa poitrine.

-Tu devrais aller t'habiller, intervint Arthur, tu vas attraper froid.

Cette nouvelle incitation le perturba encore plus.

Seras-tu capable de résister au froid mordant ? Invoqueras-tu un feu ? Où préféreras-tu enfiler ce pull que tu abhorres ?

L'enfant cilla, s'efforçant de repousser les souvenirs et les ombres qui menaçaient d'envahir son esprit si fragile. Les lèvres de Molly remuaient, ajoutées à celles de Bill, puis la voix d'Hermione survint, et Artemis sentait la boule dans sa gorge enfler douloureusement. Les interrogations le terrifiaient soudainement et il se mit à chercher Arcturus des yeux, paniquant lorsqu'il réalisa que son père l'avait laissé seul avec ces gens inconnus, et en proie au changement. Il était assailli de toute part, on réclamait une attention qu'il ne parvenait pas à donner et ses souvenirs se mêlaient avec ceux de Harry et tout ce qui avait submergé son cerveau depuis qu'il avait mis les pieds au Quartier Général.

La peau blanche de son bras coupée par la baguette de José tandis que Mangue prenait des notes dans un calepin rose.

Un éclair de lumière verte qui heurtait Cédric Diggory de plein fouet.

Un long couloir nocturne, une fatigue intense.

La lune blanche et envoûtante qui montait dans le ciel alors que la douleur partant de sa colonne vertébrale s'accroissait.

Une cave noire, terrifiante.

Sans qu'il l'eut senti venir, une main vint se poser sur son épaule nue.

L'effet fut immédiat : Artemis perçut le contact comme une attaque.

La rage amère de la trahison et la souffrance du deuil.

Une cellule horriblement petite.

Des détraqueurs, faisant remonter de mauvais souvenirs…

Une violente vague de magie le secoua et il s'arqua alors que sa gorge laissait sortir un hurlement. Il se cogna contre la chaise et se recroquevilla sur le sol dans un balancier rassurant.

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Arcturus suivit Kingsley dans le labyrinthe que formait le ministère de la Magie. Lorsqu'ils parvinrent au Département des Mystères, l'auror lui fit un discret signe de tête pour lui indiquer le couloir qu'il aurait à protéger lors de ses rondes. La rentrée scolaire approchant, certains membres de l'Ordre ne seraient plus en mesure de garder le couloir et le renfort fourni par l'homme était le bienvenu. Un sentiment de satisfaction dominait dans sa poitrine, il apporterait son aide à tout ce qui pourrait contrer le Seigneur des Ténèbres.

Ils continuèrent jusqu'au Département de la Coopération Magique Internationale, dont Croupton avait été le directeur jusqu'à l'année précédente. Le professeur Dumbledore lui avait demandé de postuler pour un emploi au ministère mais il n'en était pas réellement heureux et toutes ses pensées étaient tournées vers Artemis. Un patronus de Kingsley les avait avertis d'un poste qui avait été libéré, ou plutôt, déclaré vacant après la disparition de l'un de ses membres, et selon les ordres du directeur, Arcturus avait aussitôt dû se mettre en route. Molly et Sirius lui avaient assuré qu'ils préviendraient son fils, mais il ignorait comment l'enfant réagirait. En son fort intérieur, l'homme espérait que tout se passerait bien, et que cela témoignerait de progrès. Il savait que son garçon n'allait pas bien et se renfermait sur lui-même depuis leur arrivée au Square Grimmaud.

-Vous allez avoir un rendez-vous avec Kellan Joyce, l'avertit Kingsley de sa voix grave et profonde. Soyez concis et convainquant.

Arcturus n'appréciait pas particulièrement la façon dont les membres de l'Ordre feignaient parfois de se mépriser en dehors du Quartier Général trop de mauvais souvenirs remontaient à la surface. Il était conscient néanmoins que cela était nécessaire, comme dans tout réseau de résistance.

L'entretien se passa relativement bien : il avait obtenu dix ASPICs dont six avec la mention Optimale, et ses nombreux voyages lui avaient fait découvrir le monde sous un autre angle. Il parlait trois langues couramment en plus de l'anglais et avait de bonnes notions dans deux autres, dont une langue de créatures. Seul les blancs inévitables dans les faux papiers et dossiers pouvaient lui porter préjudice, ainsi que la Marque gravée dans son bras gauche. Il avait informé Dumbledore qu'il avait jadis été partisan de Lord Voldemort sans s'étendre sur l'importance qu'avait eu cette implication. Les secrets apportaient plus de malheur qu'autre chose, Arcturus en avait conscience, mais ils devaient venir par à-coups, et quand ils étaient prêts à être entendus. Or dans ce climat de guerre ou le Ministère refusait de voir que celui dont il prendrait certainement la place n'avait pas disparu sans raison mais avait été enlevé par le Seigneur des Ténèbres, les moments propices se faisaient rares.

-Nous vous tiendrons informés, Mr, euh, Blaenque.

L'homme lui offrit un sourire hypocrite, affligé par la mauvaise prononciation de son nom alors qu'il se trouvait dans un département qui avait normalement affaire à des pays étrangers quotidiennement.

L'inquiétude qui ne l'avait pas quitté tout au long des deux dernières heures afflua avec plus de vigueur lorsqu'il ressortit et il se résolut à rentrer aussi rapidement que possible. Une pointe de culpabilité le rongeait : il n'avait informé personne de la situation d'Artemis, mais il avait laissé son fils auprès d'eux et nul ne possédait de manuel pour pouvoir gérer la situation. Il n'avait pas pensé devoir le quitter, même brièvement, aussi rapidement il regrettait de ne pas pouvoir partir dans des missions de ralliement ou d'infiltration au même titre que Severus Rogue ou Remus Lupin. Dumbledore avait argué qu'un agent de plus au ministère ne serait pas de trop, surtout au niveau d'une coopération internationale.


Arcturus transplana sur le pas de la porte et l'ouvrit sans tarder. Les cris de Walburga Black lui vrillèrent les oreilles et il se précipita dans la salle à manger. La magie d'Artemis vibrait dans l'air et son petit garçon était en position fœtale sur le sol alors que Sirius se tenait une main fumante et brûlée. Arcturus jura mentalement et se précipita auprès de l'enfant qui se balançait les yeux fermés. Tous les regards étaient braqués sur eux, et il chercha celui de Remus, toujours calme et posé.

-Que s'est-il passé ? s'enquit-il sans montrer aucune émotion.

Il écouta le loup-garou lui résumer la situation en se fustigeant mentalement. Quand arrêterait-il de faire des erreurs ? Son fils souffrait par sa faute.

-Je suis rentré Artemis, murmura-t-il. Je m'excuse de ne pas t'avoir prévenu de mon départ. Artemis, je suis rentré. Ecoutes, tu vas te relever et t'asseoir à ta place et je vais manger à tes côtés, d'accord ? Puis nous irons étudier une heure les potions, et je te laisserai lire deux heures de plus avant de reprendre nos exercices. Artemis.

Il lui dressait un emploi du temps simple, d'une voix ferme destinée à le rassurer. Artemis se calma légèrement, et il en profita pour effleurer chacun de ses doigts avec précaution afin de le ramener à leur réalité. Puis il l'aida à se relever en guidant ses gestes et le fit asseoir sur sa chaise, lui versant un verre d'eau. Artemis but mécaniquement puis ses yeux vitreux se focalisèrent sur ses mains qui avaient repris leur rituel devant son visage. Arcturus soupira de soulagement. La crise n'avait pas été trop dure à gérer.

Il s'aperçut enfin que tous avaient regardé la scène, désemparés et médusés. Sirius jurait en se tenant la main, et il s'approcha de lui.

-Je suis désolé Sirius, j'aurais du vous prévenir. Artemis déteste le contact comme vous avez pu le remarquer et il ne faut jamais le toucher lorsqu'il entre dans une crise, il pourrait vous blesser et lui avec.

Il sortit un baume de sa poche qu'il avait pris l'habitude de garder sur lui et en enduisit la main de l'ancien prisonnier, qui lui offrit un sourire incertain. Harry et Hermione avaient les yeux rivés sur le bras et le torse d'Artemis, et Arcturus se rendit compte qu'ils ne l'avaient jamais vu ainsi auparavant. L'heure des explications semblait arrivée.

-J'aurais du vous prévenir avant : la Magie d'Artemis, comme celle de tous les enfants est instable, mais il est surtout autiste. Les médecins l'ont diagnostiqué avec un syndrome d'Asperger. Il ne voit pas le monde comme nous, et sa magie est intrinsèquement liée à son esprit.

Il lut sur les visages des adultes qu'ils s'étaient plus ou moins doutés que son fils était différent.

-Il n'a pas été correctement pris en charge. La mère d'Artemis l'a abandonné quelques mois après sa naissance car elle ne pouvait plus s'en occuper, déclara-t-il sans préambule.

Il ne parvenait pas à dissimuler son mépris face à cette femme qu'il avait tant aimée, mais qui n'avait pas pris le temps d'assurer le meilleur futur possible à leur enfant.

-Il a été transporté de familles d'accueil en familles d'accueil, de services en services, parfois moldus, parfois sorciers. Certains ne l'ont jamais vraiment considéré comme un enfant.

Il avait voulu tuer les Elés de ses propres mains, mais son serment fait à lui-même des années auparavant l'avait empêché de passer à l'acte. Hermione, au bord des larmes, avait plaqué une main contre sa bouche. Artemis avait tressailli entre ses ondulations, preuve qu'il l'avait entendu et n'était pas entièrement retourné dans son monde.

Les faits avaient été énoncés. Le fonctionnement de l'Ordre exigeait que les autres soient au courant. Il soupira et prit place auprès de son enfant. A présent, il pouvait espérer une plus grande tolérance de leur part, mais il craignait qu'elle ne se transforme en une distance gênée qu'Artemis ne supporterait pas.

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Le douze Square Grimmaud avait toujours été sombre, même durant les périodes de Noël, et en ces derniers jours de l'année 1994, Sirius n'avait pas éprouvé l'envie de changer son atmosphère. Il savait néanmoins que le Quartier Général serait également l'endroit où les fêtes de Noël seraient célébrées : Remus était rentré de mission peu auparavant et Arcturus et Artemis y vivaient, et une compagnie adolescente ferait peut-être du bien à l'enfant. Il en avait incombé à Sirius de veiller sur lui dans la journée, pendant que son père travaillait au Ministère. Avant de prendre son poste, l'homme et lui avaient eu de longues discussions et il lui avait noté de nombreuses instructions pour prendre soin d'Artemis. La présence continuelle de deux personnes, ainsi que la sensation d'être enfin utile, même si ce n'était que pour faire de la garde d'enfant, avaient fait le plus grand bien à Sirius, qui pourtant ne l'admettrait jamais à voix haute. Il s'était également rapproché d'Arcturus, pour qui il éprouvait un profond respect.

Quelle que soit l'heure à laquelle il rentre, l'homme prenait toujours au moins une heure pour entraîner son fils à gérer ses pouvoirs, et passait le plus de temps possible avec lui lors de ses congés. Artemis avait progressé depuis la rentrée de septembre. D'après ce que Sirius avait compris, ne plus être assailli par les souvenirs et les pensées des autres l'avait soulagé et il s'était adapté aux bouleversements. Il connaissait à présent la maison des Blacks comme s'il y était né. Comme beaucoup d'autistes, Artemis retenait très bien les dates, possédait une mémoire phénoménale en plus d'une hyperaccousie, et se passionnait pour des sujets dont il pouvait parler pendant des heures. La prédisposition de l'enfant était l'Histoire, qu'elle soit magique ou non. Il connaissait d'infimes et impressionnants détails autant que des dates plus générales, et Sirius, qui n'avait jamais suivi les cours de Binns, se sentait dépassé et parfois ennuyé.

-Bonsoir Sirius.

La voix d'Arcturus le prit par surprise et il se retourna pour voir l'homme enveloppé dans une cape où s'étaient déposés quelques flocons blancs.

-Tout va bien au ministère ? s'enquit-il.

-Deux disparitions dans deux services, la France qui proteste contre le Tournoi des Trois Sorciers qui aurait pu voir périr leurs élèves, et des problèmes un peu plus conséquents à propos de l'économie, répondit-il de sa voix distante.

Sirius connaissait ses manières. Il savait disséquer les émotions dissimulées et savait qu'Arcturus méprisait le ministère de la magie, d'autant plus durant ces temps où Voldemort était de retour sans qu'ils ne veuillent le reconnaître. L'homme prit des nouvelles de son fils, et Sirius consulta l'horloge affichée dans la cuisine.

-Il travaille encore sur les exercices de mathématiques, indiqua-t-il. Tu veux boire quelque chose ?

Son colocataire acquiesça et retira sa cape. Sa robe de sorcier était impeccable, comme chaque jour, et ses manières polies et distinguées.

-Artemis a été attiré par un volume de magie noire, l'informa-t-il.

Il préférait le mettre au courant, protéger l'enfant. Sans paraître s'émouvoir, son père en demanda le nom.

-Possession de vivants et de morts, marmonna-t-il à contrecoeur.

Il vit l'homme tressaillir et s'en trouva rassuré. Il ressentait parfois une face sombre chez lui qui l'inquiétait, bien qu'il fut toujours irréprochable à l'égard de ceux qu'il côtoyait.

-Je lui parlerai, murmura Arcturus, sans doute plus pour lui-même. Dis-moi Sirius, qui est de garde cette nuit ?

-Arthur. Tu es le prochain il me semble.

-Je ne me souvenais plus. Le ministère peut se montrer épuisant et incroyablement stupide !

Le mépris dans sa voix fit tiquer l'ancien prisonnier. Depuis quelques temps, Arcturus baissait sa garde en sa compagnie, se montrait plus avenant et plus ouvert.

-A qui le dis-tu, grinça Sirius. Ils m'ont enfermé sans procès, dédaignent Harry et Dumbledore qu'ils encensaient l'année dernière… Je ne parviens pas à me rappeler d'un temps où ils ont fait preuve de jugeote.

-C'est sans doute pour cela que les rangs des Mangemorts se sont renfloués durant la première guerre, songea Arcturus. S'ils avaient eu l'impression que la lumière avait eu quelque chose à offrir…

Sirius pencha la tête pour mieux l'observer. Il devait avoir la trentaine, mais il paraissait très bien informé pour quelqu'un qui avait été un jeune adolescent français des années 80s.

-Tu es sûr que tu viens de France, Arcturus ? demanda-t-il brusquement.

L'homme haussa un sourcil, réflexe familier à Sirius qui sentit que quelque chose lui échappait.

-J'ai vécu en France, répondit très sérieusement l'homme. La question de si j'y suis né est mystérieuse. Tu devrais savoir, Sirius, que certains secrets ne peuvent être révélés.

Ils n'avaient jamais parlé à cœur ouvert. Arcturus se fermait dès que l'on abordait son passé et évitait consciencieusement le sujet. Pour la première fois depuis qu'il était là, Sirius eut l'impression qu'il pouvait le pousser dans ses retranchements.

-Dans quelle maison étais-tu ?

Son colocataire eut un sourire narquois.

-La maison ne fait pas l'individu, Sirius.

Il jeta un œil à la pendule et se leva, laissant l'autre homme dans un silence méditatif. Remus aurait peut-être pu comprendre plus que lui de cette conversation, il avait toujours été le plus subtil d'eux quatre. Néanmoins, comme il avait été certain qu'Artemis n'était pas un enfant comme les autres, il était désormais persuadé que de nombreux secrets entouraient Arcturus, et qu'il n'avait même pas percé la première carapace.

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L'atmosphère était tendue au Quartier Général, en cette première réunion depuis qu'Arthur Weasley était sorti de l'hôpital. Dumbledore avait insisté pour que les tours de gardes soient toujours suivis, y compris le soir même de l'agression. Ils devaient à tout prix empêcher Voldemort de mettre la main sur la prophétie. Le directeur n'avait révélé à personne ce qu'elle contenait, mais il avait insisté sur l'importance de la garder secrète du Mage Noir afin de pouvoir permettre à Harry à la fois de vivre dans une sécurité relative, mais également d'avoir les meilleures chances de le vaincre le moment venu.

Protéger Harry était devenue la principale mission des membres de l'Ordre, mais l'adolescent se débrouillait pour ne pas leur faciliter la tâche. Il ne pouvait se contrôler, s'attirant retenues et foudres du ministère, et Arcturus l'avait remarqué intensément perturbé par l'attaque d'Arthur, se renfermant sur lui-même. Sirius évoquait toujours son filleul comme un jeune homme posé, qui avait su garder la tête froide en toutes occasions, les empêchant non seulement Remus et lui de tuer leur ancien ami, mais se sortant également avec excellence des dangers auxquels il avait été exposé. Or, l'adolescent qu'avait appris à connaître l'homme les rares fois où il s'était trouvé Square Grimmaud était renfermé, une fureur étrange semblait émaner de lui à chaque instant, et il ne se comportait pas comme un jeune homme de quinze ans, hormis émotionnellement, ce qui pouvait devenir une combinaison dangereuse.

Dumbledore les avait réunis alors que le Square Grimmaud était encore occupé par les Weasleys, Hermione et Harry afin qu'ils discutent des derniers évènements.

-Donc Potter a bel et bien vu le serpent mordre Arthur ? lança Maugrey. C'est une connexion dangereuse avec Voldemort. Comment peut-on être sûr qu'il ne nous attaquera pas ?

Molly et Sirius, s'alliant pour défendre l'enfant, lui lancèrent un regard meurtrier, mais Arcturus remarqua que la plupart des membres de l'Ordre paraissaient gênés et mal à l'aise. Ils partageaient les réflexions de l'ancien Auror.

-Harry n'est pas Voldemort, répondit Dumbledore d'une voix basse mais ferme.

-Il n'est pas très stable, fit observer Mondingus Fletcher.

-Potter s'est en effet attiré un nombre de retenue impressionnant cette année, commenta Severus de sa voix doucereuse, par un miracle encore inconnu, il a réussi à battre les années précédentes.

-Il tient de son père, siffla Sirius.

-Ce qui est d'autant plus inquiétant, rétorqua l'autre homme avec un rictus.

Sirius se leva et Severus l'imita aussitôt, alors que les autres membres commentaient ou approuvaient avec virulence. Arcturus se massa les tempes. Harry était donc relativement instable et, s'il se fiait à Severus, bien plus qu'auparavant…

-Assez, déclara Dumbledore d'une voix glaciale.

-Je n'ai pas le moindre doute sur la bonté de Harry, intervint Arthur. S'il n'avait pas eu cette connexion avec Voldemort, je ne serais pas parmi vous. Il m'a sauvé, et a toujours pris soin de ma famille.

Le silence revint, et Arcturus remarqua que la plupart des membres de l'Ordre semblaient honteux. Severus et Sirius se dévisageaient comme des loups prêts à bondir et ses yeux croisèrent ceux, las, de Remus.

Une connexion… avec le serpent de Voldemort, s'il se souvenait bien des balbutiements bouleversés de son fils tremblant. « Il a une puissance magique étrange », avait dit Artemis en l'observant, quelques jours plus tôt. Son fils avait capté les rêves de Harry, qui le faisaient s'éveiller en sueur, et Arcturus priait pour que jamais cela n'arrive lorsque l'adolescent serait en connexion…

Un sursaut d'horreur lui fit perdre son masque impassible et il vit tous les regards se tourner vers lui.

-Une idée, Arcturus ? s'enquit aimablement le directeur.

-Je suis d'avis qu'Harry doive être surveillé et entouré de protection, répondit-il. Il ne me semble pas, cependant, qu'il constitue un danger, et ce serait le mépriser que d'imaginer qu'il puisse blesser ceux en qui il a montré une telle loyauté ces dernières années.

Il s'attira des regards appréciateurs, mais n'en eut cure.

-Cependant, Dumbledore, je maintiens ce que j'ai dit : nous devons le surveiller de près, et surtout –son regard passa à la fois sur Sirius et sur Severus- avec le plus de lucidité possible.

Il ne pouvait pas insister plus, et son cœur tambourinait toujours violemment contre sa poitrine. Il venait de réaliser qu'il n'avait pas tout envisagé malgré son importante maîtrise de la Magie Noire. Et l'hypothèse nouvelle qui venait de germer dans son esprit lui déplaisait fortement.

Il fut tiré de ses sombres élucubrations par une douleur flamboyante au poignet gauche, redevenue familière depuis six mois. Il se redressa et se concentra sur la conversation concernant la préparation d'éventuelles attaques de Voldemort afin d'occulter la terrifiante démangeaison.

-Professeur, déclara tout à coup Severus en se levant.

Tous –mis à part Sirius-, lui lancèrent un regard surpris mais inquiet.

-Je dois me rendre au rendez-vous dont nous avions parlé.

-Eh bien je vous dis à la rentrée Severus, répondit gentiment Dumbledore.

Arcturus voyait le bras plié et la grimace fantôme sur les lèvres de l'homme. Une fureur nouvelle fit irruption dans son être avant qu'il ne tente de la calmer.

Il avait senti la Marque le brûler et était resté assez longtemps avec les Mangemorts pour savoir que Severus en avait fait partie, mais il imaginait qu'il avait, comme lui, quitté les ténèbres. Or, l'homme se rendait de toute évidence près du Seigneur des Ténèbres, et avec l'accord de Dumbledore. Le Maître savait-il que Rogue faisait partie de l'Ordre ? Et qui espionnait-il réellement, qui faisait-il semblant d'espionner ? A qui allait sa loyauté ?

Sitôt que la réunion fut terminée, il se rua dans la salle d'eau afin de prendre une douche et de soulager la brûlure. Il l'avait jadis manipulée avec de sombres sortilèges afin que Voldemort ne puisse plus sentir sa présence, que le lien soit occulté dans un sens, que celui qui se disait son maître ne puisse plus le retrouver et le pense mort. Les conséquences directes en étaient la brûlure intensément plus douloureuse du fait de l'enchantement qu'il avait posé dessus. Et il se demandait parfois si les pouvoirs étranges de son fils ne provenaient pas des épreuves qu'il avait traversées avant sa naissance, et du poison qui avait coulé dans son corps.