Bonjour à tout-e-s.

Ce chapitre est tout aussi, voir plus, sombre et violent que le premier et comprend des mentions de torture.

Vous pourrez également noter qu'à présent que l'identité d'Arcturus est dévoilée, Regulus Black est cité dans la liste des personnages.

Merci à tous ceux qui ont laissé des commentaires !


« Il n'y a pas d'après guerre »

2003

Les jeunes de la Lumières adressèrent un sourire à Lucius lorsqu'ils l'aperçurent en se rendant aux cuisines. Il les appréciait pour leur noblesse d'esprit et l'absence de pitié dans leurs yeux, envers qui que ce soit. Ils ne plaignaient pas plus qu'ils ne gémissaient sur leur sort, et se soutenaient avec une loyauté semblable à une ancienne famille. Une loyauté qui oeuvrait également au sein des Maisons de Poudlard autrefois, et qu'il n'avait jamais admis avant que la guerre ne détruise le pays qu'il avait jadis tant aimé.

L'homme lissa les pans de sa robe élimée et s'appuya contre un mur, observant le ciel de la fenêtre adjacente. Si la plupart des membres de l'Ordre portaient des vêtements moldus lorsqu'ils partaient en mission, plus pratiques sur le terrain, et ce qui leur tombait sous la main le reste du temps, Lucius n'avait jamais accepté de se vêtir autrement qu'en robes de sorcier et Harry le lui avait accordé. Nombreux étaient ceux parmi les Alliés qui le dévisageaient d'un œil mauvais et vindicatif mais il n'en avait cure, et l'Ordre avait appris à le connaître et à l'accepter. Harry l'avait interrogé à ce sujet une fois et il lui avait sincèrement répondu qu'il ne méprisait pas –plus- les moldus mais qu'il n'en était pas un. Il était fier d'être un sorcier et de son héritage, c'était l'une des seules choses qui lui restait, et bien que les noms ne veuillent plus rien dire à présent, il désirait l'honorer. Le Survivant l'avait longuement regardé en méditant sur ses paroles avant d'acquiescer. L'homme savait qu'il avait compris et encaissé son point de vue de manière à pouvoir le faire valoir après la guerre, à éventuellement changer la société et la méfiance entre les divergences d'opinions contre les moldus qui s'instaureraient de nouveau. Après la Guerre. Lucius lâcha une exclamation méprisante puis revint sur le ciel indigo qui s'assombrissait peu à peu.

Les dernières heures avant que la lune se lève étaient toujours les plus dures. Il ne pouvait se concentrer sur rien, pas même une discussion banale. Il s'agissait d'une attente, longue, insupportable, et d'une expectative insoutenable.

Son estomac gronda mais il n'y prêta aucune attention et redressa dignement les épaules. D'ordinaire, il se rendait aux cuisine en compagnie d'autres membres de la Lumière et mangeait la portion à laquelle il avait droit –elles étaient réduites de moitié les soirs de pleine lune, gardant l'autre partie pour redonner des forces à l'humain lorsqu'il s'éveillait- en tentant de discuter pour défier la migraine lancinante à ses tempes. Ce soir là, en revanche, Harry torturerait un Mangemort, et le loup devrait être furieux et enragé. Il ne songerait pas même à se mutiler, la seule chose qu'il désirerait serait de déchiqueter les humains qu'il avait en face, en particulier celui qu'on lui mettrait sous le museau. Lucius soupira, se pinça l'arrête du nez puis se détourna de la fenêtre.


Il avait accepté de mettre sa condition de lycanthrope au service de la torture de l'Ordre. Harry ne forçait jamais personne à torturer, à tuer, ni même à s'engager de façon active ou inactive dans le combat contre l'Ombre. Les trois autres loups-garous qui étaient encore vivants dans leur camp ne pouvaient s'en charger : l'un était un enfant de huit ans, le plus vieux refusait catégoriquement de laisser l'animal trouver un exutoire pour ses pulsions de cette façon, et la troisième avait été interdite de cette tâche par Harry. Il s'agissait d'une adolescente de quinze ans qui avait été violée et mordue par Greyback et risquait de sombrer dans une envie de vengeance meurtrière si les adultes la laissaient faire. Elle avait supplié Lucius d'intercéder en sa faveur auprès de leur leader, mais il l'avait accueillie avec une froideur extrême et quelques phrases glaciales et violentes qui l'avaient frappée de plein fouet. Il estimait avoir agi en bien et regrettait pourtant la haine qui froissait toujours le visage d'Emilie Perfield lorsque leurs regards se croisaient. Il partageait l'avis de ses comparses : ils ne pouvaient en faire une machine à tuer et la laisser s'enfoncer dans sa haine. Se faire cajoler par ce sentiment envoûtant et amer venait trop facilement.

Lucius avait accepté par rédemption et fatalisme et parce qu'il se savait capable de supporter la douleur qu'engendraient toujours ces séances de torture, autant chez l'humain que chez l'animal. Il croisa Amelia Bones dans le couloir. Elle lui adressa un regard de reproche par-dessus ses lunettes, sans animosité toutefois. Elle faisait partie des rares qui s'aveuglaient encore quant à une éventuelle justice, mais ne tenait pas rigueur des actes de tortures, se contentant de manifester sa désapprobation. Au tournant suivant, il rencontra Harry.

-C'est l'heure, Lucius, lança le Survivant sans manifester d'émotion.

Son visage était devenu de marbre des années avant que l'homme ne retourne sa cape et ne le rejoigne. Il reconnaissait l'enseignement de Regulus Black et Severus Rogue dans les traits neutres et figés.

-As-tu mangé ? demanda-t-il, non sans ironie. Ce n'est pas parce que j'en suis privé que tu dois t'appliquer le même régime.

-Je n'ai pas faim.

La tonalité monocorde n'était pas sans évoquer Artemis, à la différence que le garçon se trouvait incapable de moduler sa voix. Lucius ne répondit pas. Il savait que les actes qu'ils perpétueraient dans la nuit révulsaient le jeune homme se tenant devant lui, en conséquence de quoi, il préférait avoir l'estomac vide.

Ils prirent la direction des toilettes de Mimi Geignarde. Le fantôme n'avait jamais quitté l'endroit et demeurait égale à elle-même, mais elle avait gagné le respect des enfants réfugiés à Poudlard qui savaient désormais comment la traiter. Lorsque l'atmosphère se faisait pesante ou qu'ils s'ennuyaient, ils allaient quémander des histoires morbides ou larmoyantes auprès de l'adolescente décédée qui les leur livrait avec joie.

-Après la Guerre, marmonna Lucius. Un tissu de connerie.

Son corps courbaturé commençait à le faire souffrir plus que de raison et il avait la tête et les pupilles en feu. Harry ne s'étonna pas de ce lancement de conversation brutal ce n'était qu'un rituel parmi un autre tandis qu'ils descendaient à la Chambre des Secrets ou aux abris aménagés pour les lycanthropes.

-Votre vocabulaire se dégrade, Mr Malefoy, répliqua-t-il avec une point de sarcasme qui aurait autrefois été de l'amusement, comme Lucius ne semblait pas vouloir continuer.

-Il n'y a pas d'après guerre, rétorqua l'homme. Nous nous trouvons dans un mécanisme de destruction mutuelle assurée où le but est de tuer le plus d'ennemi possible pour affaiblir le Leader d'en face, de façon à ce que quand les deux plus grands se retrouveront l'un face à l'autre, celui pour lequel on œuvre l'emporte.

-Une guerre pour ses idéaux, répondit Harry avec une légère émotion que le loup-garou ne put discerner. Une guerre pour que lorsque la paix viendra, on ne puisse pas la considérer comme catastrophique ou ignoble.

-Et lorsque la paix viendra, Potter, tu crois vraiment qu'il restera des survivants ? Presque tous ceux à qui tu tenais sont morts, ce à qui je tenais sont morts ou veulent ma peau. Seras-tu heureux lorsque le Seigneur des Ténèbres sera vaincu ?

-De la même façon que toi, Lucius, je me bats pour les autres et non pour moi désormais. Et sache que je ferais en sorte que tu sortes vivant de cette guerre.

Lucius s'arrêta net dans le couloir de l'ancienne infirmerie. La voix du Survivant vibrait de détermination, avec une absence d'espoir ou de fierté que l'ancien Mangemort retrouvait chez lui-même et qui le révulsait. Il était soulageant que le bras droit de leur Meneur possède toujours cet espoir et cette force fraîche qui venait pallier à celle d'Harry.

-Ne le fais pas Harry, ordonna-t-il sèchement. Je n'ai pas l'intention de m'en sortir vivant et je ne le veux pas. J'ai trop perdu.

Il aurait pu supporter d'être un lycanthrope pour le restant de ses jours, là n'était pas la question. Le jeune homme lui lança un regard étrange.

-C'est parce que tu ne crois pas en l'après guerre que tu m'as demandé de tuer ta Marque.

Il avait refusé de le faire quand la couverture de Lucius avait volé en éclat et qu'il ne servait plus à rien en tant qu'espion, arguant qu'ils avaient besoin du lien au Seigneur des Ténèbres. Il avait cédé à ses suppliques après la mort de Draco.

-Précisément. Je devais le faire pour mon fils. L'erreur de me joindre au Leader de l'Ombre nous a détruits et j'en porte la responsabilité.

En reniant la Marque, il prouvait à Draco qu'il n'avait plus rien d'un Mangemort. Lorsqu'il avait eu devant les yeux le corps couturé de cicatrice de l'enfant qu'il avait élevé et aimé, il n'avait plus pu supporter le serpent grouillant sur son avant-bras.

-C'est précisément parce qu'il n'y a pas d'après guerre, Harry. Il faut prendre les bulles d'air et le soulagement lorsqu'ils sont possibles et qu'ils ont une signification.

Ses poumons prirent feu alors qu'ils entraient dans les toilettes du deuxième étage. Le Survivant posa sur lui deux émeraudes concernées, puis ouvrit la Chambre des Secrets.

-Duro, prononça-t-il en agitant négligemment sa main en direction du toboggan.

Des marches inégales se formèrent et toute la frustration possible émana de lui avant qu'il ne la contienne. Il avait encore des progrès à faire en ce qui concernait la magie sans baguette.


Lucius descendit sans broncher, les mâchoires crispées et le corps à l'agonie. Il se dirigea d'instinct vers la salle d'interrogatoire sans un regard pour l'immense visage du fondateur qui avait été l'emblème de sa maison. Elle était particulière : un effondrement dans le château permettait à la lune de l'éclairer et donc à la transformation d'opérer efficacement. La cage se trouvait juste dans l'alignement direct avec l'axe. Elle faisait deux mètres sur trois et ses barreaux étaient justes assez espacés pour que les loups puissent y glisser une patte et la moitié de leur museau, en un puissant alliage de métal dérobé aux gobelins qui la rendaient indestructible. Le couloir qui menait aux cellules était obstrué d'une porte dans ce même alliage et elle ne s'ouvrait que par un mot de passe connu de l'Ordre uniquement et changeant toutes les huit heures.

La salle en elle-même était sobre : du feu vert inoffensif, une couchette de métal agrémentée de quelques instruments, d'une plume à papote et d'un parchemin. Elle servait aux pires Mangemorts et aux espions détenant des informations vitales. D'autres salles à la connotation moins terribles étaient disponibles. Harry referma la porte, se tenant en t-shirt et en un short déchiré près de la cage. Il avait le teint pâle et quelques gouttes de sueur perlaient déjà sur son front : il détestait ces séances qui tenaient autant de la torture pour les prisonniers que pour lui.

Les deux gardes entrèrent et scellèrent la porte d'un mot de passe. « Potiron». Un Flamme de l'Ordre avait insisté pour ce que soit toujours des mots banals car ils seraient ainsi plus difficiles à deviner. Les gardes portaient un capuchon de façon à ce que le prisonnier ne puisse les reconnaître, par mesure de sécurité. Lucius le déduisit : Terry Boot et Astoria Greengrass. Harry avait tenu tous ceux pouvant avoir un grief particulièrement vivace envers Avery à l'écart, de façon à ce qu'aucun ne puisse jouir de la torture. Le respect que le jeune homme avait gagné se consolidait chaque instant un peu plus en Lucius.

Il entra dans la cage après s'être dévêtu et la lune entra dans l'axe quelques secondes plus tard.

La douleur fut aussi terrible qu'à l'accoutumée mais jamais il n'en devenait familier. Son dos se courba brutalement sous l'astre alors que sa peau s'enflammait sous sa brûlure vicieuse et maléfique. Son épine dorsale rallongea alors que ses pupilles s'embrasaient et devenaient d'ambres. Ses poils s'intensifièrent et poussèrent dans une évolution accélérée qui piquait atrocement et les ongles qui se transformaient en griffe éraflèrent le sol dans un crissement douloureux. Son sang bouillonnait dans ses veines sous l'effet de la lune et l'esprit du loup-garou scindé en deux se déchira pour laisser sortir le loup alors que l'homme tombait dans l'inconscient.

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Assister à la transformation des loups-garous dans cette salle tourmentait toujours Harry. Les animaux sentaient instinctivement lorsqu'ils étaient enfermés et en devenaient plus agressifs et haineux, allant jusqu'à s'infliger des blessures. Il serra néanmoins les dents, s'interdisant de détourner le regard.

-Allez chercher Avery, ordonna-t-il alors que l'épaule droite de Lucius se couvrait de poils clairs.

L'homme ne hurlait jamais et gardait cette dignité et cette élégance qui lui étaient si particulières lors de ses transformations. La porte du fond s'ouvrit, et Avery pénétra dans la salle, encadré par Terry et Astoria qui durent presque le forcer à franchir le pas de la porte. L'homme avait le teint cireux, d'importantes cernes et les joues creuses, la nourriture n'étant plus accessible depuis déjà des années. Son coude avait mal cicatrisé -Tonks s'était contentée de lui lancer un sort anti-infection-, mais ses vêtements sentaient simplement l'humidité des cachots, n'étant pas plus déchirés qu'à l'origine. Contrairement à l'autre camp, les geôliers accordaient un point d'honneur à l'entretien de ses prisonniers. Ils n'interféraient pas dans la torture et ne sanctionnaient par des privations que s'ils étaient attaqués. Harry et la Lumière n'avaient trouvé que cela pour garder un semblant d'humanité alors qu'ils torturaient sans relâche et que la valeur de la vie n'était plus la même.

Lucius était entièrement transformé désormais et lorsque l'odeur du sang lui parvint aux narines, le loup grogna et fonça sur les barreaux de la cage. Avery y jeta un coup d'œil et blêmit un instant avant de se redresser.

-Est-ce cela la grandeur de la Lumière ? cracha-t-il. Me jeter dans la cage d'un monstre et se repaître du spectacle ?

Astoria laissa échapper un grondement et Harry s'efforça de ne pas regarder vers la cage, où le loup s'excitait douloureusement.

-Te tuer serait bien trop magnanime, répliqua-t-il de cette voix sans émotion qu'il utilisait pour s'éloigner le plus possible de la scène.

Elle fonctionnait aussi sur les prisonniers, les faisait frissonner. Ils gardaient farouchement la vérité jusqu'à la fin : chaque prisonnier avait droit à une dernière volonté raisonnable, des derniers mots à remettre à quelqu'un, et au sortilège de mort sans douleur. De l'humanité dans l'inhumanité.

-Je suppose que coopérer n'est pas une option, siffla le Mangemort.

Astoria émit un nouveau grondement méprisant et Harry la rappela à l'ordre d'une œillade sévère. Elle méprisait la traîtrise après tout ce qu'ils avaient commis au nom de leur camp et il ne pouvait l'en blâmer mais elle devait se contenir. Lui-même aurait dû calmement demander à Avery les informations en échange du retour rapide dans sa cellule. Néanmoins, Harry restait un homme et l'ordure qui se trouvait en face de lui avait massacré et torturé nombre de ses amis.

-Tu peux, rétorqua-t-il, glacial. Mais sache que tu paieras tout de même tes crimes.

Avery éclata d'un rire dément, ses yeux roulants dans leurs orbites creuses.

-Alors autant que je parle d'autre chose, n'est ce pas, Harry Potter ?

Sa voix dégoulinait de mépris et de haine, mais le Survivant y était accoutumé et ne broncha pas.

-Si tu désires souffrir plus que nécessaire, fit il en haussant les épaules.

-Tu aimerais en avoir l'opportunité, n'est-ce pas ? Me faire souffrir au paroxysme. Après ce que j'ai fait à ton cher petit bâtard ? Après que j'aie souillé chaque centimètre du corps de cette petite catin. Après que ce sang mêlé ait préféré mourir que revenir vers vous ? Admets le, tu en jouirais.

Harry se haït pour ce qu'il allait faire, mais il ne pouvait laisser passer une telle injure si tôt dans le procédé de torture. Sous un signe de l'index, Terry et Astoria, firent tomber le Mangemort à genoux et il l'attrapa violemment par le coup pour l'approcher de la cage du loup-garou qui hurlait à la mort. En sentant une proie fraîche, il tourna leur gueule vers eux et sa mâchoire claqua à quelques centimètres du nez d'Avery.

-La prochaine fois, je t'avances encore un peu, menaça-t-il. Alors, maintenant, j'aimerais que tu me dises où se trouve ton Maître.

L'étincelle de moquerie qui brilla dans les prunelles destructrices convainquit Harry qu'il mettrait longtemps à obtenir une information.

Une heure trois quarts plus tard, tous ressortaient de la salle exténués et hantés par les hurlements joints du loup et du prisonnier. Avery avait tenu deux pauses de dix minutes avant d'enfin se décider à divulguer ses connaissances, et le parchemin était jonché d'insultes et de phrases destinés à faire souffrir ses bourreaux qu'Harry n'était pas sûr d'avoir envie de lire de nouveau. Le Mangemort plantait ses piques dans les points sensibles. De par leurs actes, ils étaient tout aussi inhumains et il haïssait ce qu'il avait du apprendre durant la guerre. Ce qu'il devenait jour après jour. Les paroles de Lucius lui revinrent en mémoire. « Il n'y a pas d'après-guerre ».


Jamais Harry ne parvenait à dormir après de telles séances. La sensation d'immondice et de souillure lui collait à la peau et il revoyait les pires moments sans relâche à travers ses yeux ouverts et fermés. Il ressentait un besoin vital de les faire disparaître. Ses pas le menèrent jusqu'au Hall et il sortit la Cape d'Invisibilité de sa poche avant de s'en couvrir et de sortir dans le parc. L'air était frais et les étoiles brillaient au dessus de l'Ecosse. Il reconnut Orion dans le ciel et sourit en se souvenant des leçons d'Astronomie de Regulus. Une légère brise faisait bouger les pans de sa cape et passait à travers, lui nouant la gorge. La nature se fichait de leurs guerres intestines et destructrices. Elle continuait de leur offrir des cadeaux qu'ils détruisaient et piétinaient.

Lorsqu'il sentit l'herbe devenir vaseuse sous ses pieds, le jeune homme se défit de la cape, puis de ses vêtements et plongea dans le lac glacé. La sensation de froid le frappa et engourdit ses membres. Un instant, il se revit durant le Tournoi des Trois Sorciers, ignorant où se trouvaient Ron et Hermione et inquiet de paraître ridicule parce que la branchiflore ne faisait pas encore effet. Beauxbâtons, Poudlard et Durmstrang cohabitaient alors joyeusement et Voldemort n'était plus.

L'illusion ne dura pas et il revint à la réalité, son corps nu se délassant dans l'eau glaciale et la séance de torture disparaissant dans les tourbillons des strangulots. Il sentit une présence derrière lui et la baguette qu'il avait en main pivota instinctivement avant même qu'il se retourne, puis il aperçut une silhouette venir à lui. Il crut un instant qu'il s'agissait de son bras droit, mais ce fut finalement Artemis qui le rejoignit.

-Tu ne devrais pas sortir ! s'exclama Harry un peu trop fort.

Les yeux du garçon s'écarquillèrent avec inquiétude.

-Imagine que les ennemis nous guettent !

-Il y a bien longtemps que les ennemis ont quitté le siège de Poudlard, rétorqua son ami.

Il enleva son t-shirt, hésita un instant puis se dénuda et rejoignit Harry.

-Ils ont trop perdu dernièrement.

-Artemis, tu devrais dormir depuis deux heures. Le soleil se lève dans trois, et nous partons au Manoir Malefoy dans deux jours.

-Tu ne peux pas dormir après des séances de torture, répliqua le garçon.

Il s'agissait d'une telle évidence pour lui qu'Harry en fut une nouvelle fois touché.

-J'ai récupéré la baguette d'Avery.

-Bois de Châtaigner et Ventricule de Dragon, 21 centimètres, cassante, récita Artemis. Peut correspondre à Raj Toony. A essayer sur Juliet Picquery.

La mémoire phénoménale d'Artemis était aussi bien exploitée en Histoire qu'en renseignements, et elle s'avérait une aide précieuse. En cette pénurie de baguettes, bien que quelques stocks demeurent dans des bastions, avoir pu récupérer l'artefact d'un ennemi était une aubaine.

-Juliet aura onze ans la semaine prochaine selon son père, acquiesça Harry. Je la lui ferais essayer mais Raj aurait besoin d'une baguette.

Artemis frissonna et à la lueur de la pleine lune, Harry vit ses lèvres devenues violettes. Il décida d'avancer un peu plus dans l'eau et de bouger pour les réchauffer. Malgré la brûlure froide de l'eau, les paroles de Lucius continuaient de le hanter, surpassant même les dernières heures.

o°o°O°o°o

Bill s'éveilla à l'aube et son regard caressa le corps dénudé de sa femme encore endormie. Ses longs cheveux d'un blond argenté s'étendaient de part et d'autre de l'oreiller et son flanc se soulevait à intervalles réguliers mais pas suffisamment espacés pour être serein. Il posa une main sur sa peau douce et lisse en savourant sa présence. De tous ceux qui faisaient partie de l'Ordre, il estimait être celui qui avait le moins perdu. La femme qu'il aimait était en vie et à ses côtés, et leur fille Hope gazouillait dans son petit lit de fortune, inconsciente des drames qui se jouaient pour lui assurer le meilleur des avenirs. L'homme se leva et s'habilla, prenant soin de coiffer ses longs cheveux en catogan. Il les avait coupés à la mort de sa mère mais ils avaient eu le temps de repousser. Hope tendit les bras en voyant son père debout et il porta l'enfant sur sa hanche.

-Comment vas-tu ma jolie ? murmura-t-il en l'embrassant et en s'enivrant de son odeur.

-Z'ai pu sommeil ! répliqua-t-elle. Maman est levée ?

Elle avait un cheveu sur la langue qu'ils essayaient de lui enlever, mais après tout, il était de moindre importance face à sa vie et sa santé.

-Maman dort encore ma puce. Mais quand il sera l'heure, tu pourras aller la réveiller en lui faisant un bisou.

Elle ouvrit de grands yeux brillants de bonheur et son cœur se gonfla. Son monde protégé à l'intérieur de ces rideaux, ces quelques instants privilégiés du matin suffisaient à le faire tenir et à garder en lui la certitude brûlante que l'avenir ne pouvait qu'être meilleur. Bill jeta un coup d'œil à l'Horloge de leur famille. Sept des aiguilles étaient éjà tombées, endeuillées de leurs propriétaires, et celle de Charlie pointait « En danger de mort », comme toujours depuis cinq ans. Mais il gardait l'Horloge car elle lui certifiait que son seul frère restant était en vie, qu'ils pouvaient le retrouver. Et les nouvelles apportées par Artemis et Harry le troublaient tant qu'il ne cessait d'y penser. Charlie serait peut-être bientôt avec lui et pourrait rencontrer sa nièce.

Il joua avec Hope un bon moment, invoquant des tourbillons colorés pour faire résonner son rire si précieux, appelant des oiseaux d'un simple « Avis », se souvenant avec mélancolie du temps incroyable qu'il lui avait fallu en sixième année pour maîtriser ce sort. Tout semblait alors si simple. Et pour Hope, il devait continuer à se lever le matin et à poursuivre l'Ombre, parce que sa fille connaîtrait une vie meilleure que la leur, peu importe le prix.


Le soleil se leva enfin et il posa l'enfant sur leurs lits simples rapprochés. Sa petite main caressa la joue de sa mère puis l'embrassa et les longs cils de Fleur papillonnèrent en un sourire désabusé. Ses yeux luisaient d'une tristesse si immense que Bill faillit s'y engloutir. Il ne détourna pas le regard et leurs lèvres s'effleurèrent.

-Je dois aller m'occuper de Lucius, expliqua-t-il.

La souffrance fit place à la résignation puis ses traits se durcirent avec la détermination qu'elle affichait désormais chaque jour.

-Nous t'attendrons pour aller déjeuner, répliqua-t-elle. Je vais l'emmener voir les autres enfants.

Elle accomplirait en même temps les tâches qui lui étaient dues au sein de l'Ordre. Fleur était forte, intelligente et exceptionnelle. Lui seul avait le privilège de partager ses doutes et de la voir si démunie lorsqu'un jour nouveau couvert d'ombre naissait, et il en était heureux.

Bill marcha d'un pas rapide jusqu'à la chambre des secrets et déverrouilla la porte grâce au nouveau mot de passe établi par Harry après qu'il ait laissé Avery retourner dans sa cellule. Leur leader ne devait pas avoir dormi beaucoup cette nuit là et pourtant il se trouvait aux côtés de l'aîné des Weasleys, prêt à soigner Lucius et faire face aux conséquences d'une nuit de pleine lune dans une cage près de sang humain. Ce n'allait pas être beau à voir, ça ne l'était jamais.

L'homme était nu et sa bouche entourée de sang séchée était violacée par les marques des barreaux. Les griffes du loup frustré avaient entaillé sa propre chaire et le bras gauche de l'homme était en charpie. Des bleus virant au noir parsemaient son corps maigre et l'odeur du sang était si forte que même Harry et lui, pourtant rompus aux scènes d'horreurs, eurent un haut le cœur.

-Lucius ? lança fermement Harry. Lucius tu m'entends ? Debout !

L'homme tressaillit et Bill fit le tour de la cage alors que le Survivant la déverrouillait. Les cheveux blonds de l'homme étaient collés par le liquide poisseux et il leva deux prunelles fiévreuses vers le rouquin qui s'accroupit.

-De l'eau ne serait pas de refus, marmonna le loup-garou.

Bill attrapa un récipient propre, le remplit et le lui tendit. Au prix d'un effort important, Lucius le porta à ses lèvres et la moitié dégoulina sur son menton. Faisant le tour, il entra à son tour dans la cage et commença à nettoyer les plaies.

-Je vais devoir bander ton bras entier, annonça Harry, mais je crois que ce sera tout. Est-ce que tu as besoin d'un baume ?

-Ca ira, grommela Lucius.

La fierté du Malefoy ne supportait pas d'être ainsi vu en état de faiblesse, et Bill pouvait le comprendre. Il s'estimait heureux que sa propre cicatrice lui ait été faite une nuit où la lune n'était pas pleine.

-Comment te sens-tu ? demanda le Survivant plus doucement alors que les deux hommes valides s'occupaient à guérir les blessures les plus graves.

-Eh bien je vois difficilement comment une pleine lune pourrait être pire, répliqua l'homme avec son ironie coutumière, signe qu'il commençait à reprendre ses esprits. Cela mis à part, je ne vais pas moins bien qu'hier.

-Tu es désigné pour la mission Retrouvés, rappela Harry. Crois tu pouvoir nous suivre dans deux jours ?

-Je connais le Manoir Malefoy mieux que vous tous, me semble-t-il, répliqua Lucius, et c'était là sa réponse.

Quoi qu'il en coûte, il viendrait. Bill acheva de nettoyer les dernières égratignures et hocha la tête. Leur père et le patriache Malefoy s'étaient un jour cordialement haïs, mais l'ancien Mangemort avait gagné son respect après qu'il les ait rejoint, et il songea avec ironie combien la guerre changeait les vies et les relations.


Il eut un mouvement de surprise devant la portion de soupe qui lui était servi avant de se rappeler qu'Harry avait exigé que les participants à Retrouvés soient nourris de façon raisonnable.

-Tu as interdiction de verser une partie de ta portion à Hope, lui assena Jane Thomas, la cuisinière.

Elle avait été la mère d'un des camarades de Harry, et était une moldue. Ils l'avaient protégée et elle participait à la Lumière en effectuant des tâches qui pouvaient paraître triviales en temps de paix mais qu'aujourd'hui tous savaient primordiale : la cuisine et la distribution de la nourriture. Bill esquissa un sourire contrit et tendit le bol de sa fille. Les enfants avaient droit à une portion à peine plus petite que les adultes et n'étaient jamais touchés lorsqu'il fallait demander à certains de sauter leurs repas. La Lumière mettait un point d'honneur à donner à leurs jeunes les meilleures chances de survie. Fleur, lui et leur fille s'installèrent dans un endroit calme. Hope était patiente. Quelque chose disait à Bill que ce n'était pas normal que la première chose que fasse une enfant le matin ne soit pas de réclamer à manger et qu'elle soit capable de tenir à deux repas par jours ou ne proteste pas lorsque la soupe était si claire qu'elle avait à peine le goût d'autre chose que d'orties bouillies et de menthe, comme ce matin là.

-Bill, je t'en prie, ramène ma sœur. Même si… Ramène là, même si ce n'est que son corps.

La voix ferme de Fleur le sortit de ses pensées. Tous deux savaient très bien pourquoi Harry ne l'avait pas autorisée à participer à cette mission : l'un d'entre eux devait rester pour Hope… Et la disparition de Gabrielle avait bouleversé la jeune française.

Gabrielle avait à peine quinze ans lors de sa disparition et cela s'était produit après une violente dispute avec son aînée. Ayant un tempérament de feu et une détermination équivalente à celle de sa sœur, elle avait exigé de participer aux combats et d'entrer dans l'Ordre ou même chez les Alliés avant d'être majeure, ce qu'Harry aussi bien que Fleur avaient refusé. Après avoir crié de nombreuses choses entre un mélange étrange de français et d'anglais en direction de sa sœur, la jeune fille, devenue une véritable vivante, était sortie du château avec perte et fracas et n'était jamais revenue. Suite à l'événement, Harry avait organisé une battue de la forêt interdite et ils en avaient délogé de nombreux ennemis, mais Fleur ne s'était jamais remise de ce qui aurait pu être les derniers mots jamais adressé à sa cadette.


Les réunions de la mission Retrouvés se tinrent deux jours durant. Lucius, un œil au beurre noire et la mâchoire en piètre état, avait dressé plusieurs plans de ce qu'avait été le Manoir Malefoy la dernière fois qu'il s'y était trouvé, ainsi que sa forme originelle, et Artemis avait décrit autant que possible les flashs qui avaient envahis, son esprit, les transmettant à Harry avec une respiration beaucoup trop rapide et inquiétante.

-Je ne vois pas… remarqua celui-ci avec un froncement de sourcils. Crois-tu que tu pourrais tenter avec Lucius ?

-Oui.

La voix du garçon était déterminée mais ses traits devinrent livides alors que ses paupières se fermaient et qu'il s'enfermait dans un balancement inquiétant. Lucius resta de marbre mais tressaillit lorsque les deux esprits se rencontrèrent.

-C'est au premier étage, annonça-t-il, non loin des suites des invités. Je crains qu'ils n'y aient laissé quelques pièges néanmoins, et que le Seigneur des Ténèbres ne risque d'attendre que nous nous invitions.

-Avery a été capturé, et les autres sont morts alors qu'ils étaient en fuite, remarqua Dirk Cresswell. Il y a peu de chance qu'il sache quel est notre plan.

-Lestrange et Avery ont eu le temps de le prévenir que j'étais sur place, soupira Harry avec une ombre dans le regard. Il ignore combien de temps il faudra à son Mangemort pour craquer et il ne connaît pas l'étendue des pouvoirs d'Artemis, mais il est fort possible que son apparition soit un danger.

Nul ne broncha ni ne se retira de la mission. Tous connaissaient les risques et les acceptaient depuis longtemps. Pas une personne présente dans la pièce n'avait échappé à une rencontre avec le Leader de l'Ombre.

-Ce ne sera pas beau à voir, prévint à nouveau Harry. Parvati, c'est ta première mission de sauvetage. Sache que l'odeur dépasse tout ce que tu peux imaginer, que les prisonniers seront dans un état inimaginable, et qu'ils ne seront pas forcément heureux que tu viennes les sauver. Certains préfèrent mourir que de survivre à de telles horreurs, d'autres ont été si durement blessés qu'ils balancent des ignominies aux premiers qu'ils croisent. Souvenez vous en tous, gardez votre calme, mettez votre fierté de côté, et ramenez les coûte que coûte. S'ils sont morts, laissez les corps.

Bill se racla la gorge et le Survivant plongea ses prunelles dans les siennes.

-Je sais qu'il s'agit de ton frère et que Fleur veut revoir sa sœur, morte ou vive, mais ce ne sont plus que des cadavres. Je veux bien que nous ramenions les corps si cela ne met pas notre vie en danger, mais entre les morts et les vivants, je choisis les vivants. Compris ?

Tous acquiescèrent sombrement. Bill n'avait qu'une envie : que cette réunion morbide s'achève afin de retrouver sa famille et son coin d'intimité.

D'entendre les rires de Hope et de sentir les lèvres de sa femme sur son corps.

o°o°O°o°o

Les missions étaient toujours planifiées de façon à ne pouvoir être prévues ni qualifiées par le camp ennemi, et le nombre de personnes informées étaient si restreint que démasquer les traîtres devenait aisé. L'opération Retrouvés avait été placée à quatre heure trente du matin. Comme à chaque fois -et même à chaque instant-, Harry ne parvenait pas à dormir. Des centaines de questions tournoyaient dans son esprit et il préférait errer dans les décombres du château en attendant le rendez-vous, prévu une demi-heure avant le départ. Le Survivant se dirigea naturellement vers la salle commune des Serpentards où se trouvait le Salon de Détente, sachant qu'il n'était jamais désert.

-Neville et Hannah.

Les enfants de la Lumière partageaient quatre des dortoirs de l'ancienne salle commune, et les mots de passe rendaient toujours hommage aux morts. Ils avaient remplacé Altaïr Sanders par Neville et Hannah quelques heures plus tôt à peine. La mort de la jeune femme avait chamboulé les plus jeunes la douceur et la gentillesse d'Hannah avait été un soulagement pour ces enfants dont les familles avaient été décimées et qui n'avaient rien connu d'autre que le deuil et la souffrance. Les pierres pivotèrent, et Harry entra. Une jeune femme allaitait son fils, des traces de larmes sur les joues. Elle avait perdu son mari quelques semaines plus tôt lors d'une embuscade, ayant fait partie des opportunistes neutres jusqu'à ce qu'elle apprenne que son défunt époux avait rejoint le camp des Alliés en tant qu'espion. Sur un fauteuil, fixant le feu qui chauffait la pièce, Emily Pernfield bravait le couvre feu. Elle se tourna vers l'intrus et soupira lorsqu'il haussa un sourcil.

-Je sais, le rabroua-t-elle froidement. Sauf que je n'ai aucune envie de voir Greyback me violer ce soir.

La jeune femme sursauta et fixa l'adolescente, choquée. Celle-ci lui envoya un regard meurtrier.

-Vous croyiez que les ennemis nous capturaient pour jouer aux cartes ? ironisa-t-elle. Oh, attendez, je suis sûre que vous pensiez que les cicatrices que vous observiez étaient dues à une randonnée avec un ours !

La lèvre de l'inconnue se mit à trembler de façon incontrôlable.

-Emily ! s'interposa fermement Harry.

La jeune fille possédait une telle violence qu'il était difficile de l'approcher. Son passé, insoutenable, même au vue des critères de ce monde à feu et à sang, expliquait ce fait mais Harry considérait qu'elle devait avoir des limites.

-Tu sais que le couvre feu est fait pour que vous gardiez un rythme de vie convenable. Tu es libre de ne pas dormir, mais j'ai ordonné que vous soyez dans votre lit à minuit au plus tard, et même si tu restes éveillée, je voudrais que tu respectes ça.

-Tu veux vraiment un dessin ? le rembarra-t-elle. J'en peux plus de revoir ça, et si je m'allonge, je finirais par dormir.

-Ton corps a besoin de sommeil. Nous parlerons de cela mardi à neuf heures trente, mais je veux que tu regagnes ton dortoir.

Elle grogna, telle une louve et Harry crut un instant qu'elle allait lui sauter à la gorge, mais elle se contenta de balancer violemment un coussin sur le sol avec un hurlement de rage avant de regagner son dortoir.


L'altercation l'avait ébranlé. Il ne parvenait pas à comprendre comme ils pouvaient supporter que de telles abominations aient eu lieu, comment ils pouvaient continuer à vivre et à porter l'espoir en eux. Il échangea quelques mots avec la jeune femme puis se retira vers le Hall, vêtu d'un pantalon de toile déchiré et d'une chemise reprisée plusieurs fois. Des vêtements souples, facilement retirables et qui le protégeraient du froid de la nuit. Artemis s'y trouvait déjà, torse nu avec une marinière chiffonnée à ses pieds, fixant la lune décroissante par la lucarne brisée au dessus de la porte. Harry vint s'asseoir à ses côtés.

-Tu devais dormir jusqu'à trois heures quarante cinq, fit-il remarquer.

-Amélia a revu la fuite des Inferis.

Harry eut une grimace intérieure que son visage ne laissa pas paraître. L'ancienne employée du ministère et sa nièce gardaient toutes deux des séquelles de ce moment, mais Susan ne s'en était jamais remise, pas même partiellement et se trouvait toujours en convalescence auprès de Pénélope Deauclaire. Le cauchemar devait avoir réveillé son ami. Il fixa Artemis, sondant son visage et son corps, alerte au moindre signe d'un mal-être puissant ou d'une crise latente, mais le garçon se contentait de fixer paisiblement le ciel étoilé et de savourer le vent sur sa peau nue. Il n'aimait pas toujours le contact du tissu contre son torse, tous les membres de l'Ordre le savaient depuis les premiers mois où ils l'avaient rencontré.

-Que s'est-il passé lorsque la Seconde Guerre Mondiale a pris fin ? murmura Harry.

Ils avaient souvent parlé des horreurs historiques, que ce soit en Algérie, au Vietnam, en Chine ou dans la terreur qui avait ravagé l'Europe dans les années 1940, les avaient comparées à leur situation, rapprochées, trouvé des explications et des idées de planifications, de torture et de rationnement. Artemis connaissait l'histoire de l'Europe par cœur et particulièrement le siècle des guerres, et il avait été un atout. Les Pastilles d'Artemis portaient son nom en guise de code parce que c'était lui qui les avait suggérées, écho des pilules de cyanures utilisées par nombre de résistants. Mais jusqu'à maintenant, tous deux n'avaient jamais évoqué la fin de la guerre ni ce qui pouvait advenir. Harry avait pensé à une reconstruction et à des procès, avait rêvé à de meilleurs jours comme tous les autres mais les paroles de Lucius refusaient de le quitter. Et pour la première fois il redoutait ce qui arriverait lorsque la guerre prendrait fin.

-En France, il y a eu un importante période de reconstruction, menée par le Général de Gaulle. Après une épuration sauvage puis officielle, de Gaulle, à la tête du pays, a instauré un régime résistancialiste où l'on prétendait que tous les français hormis les collaborateurs déjà condamnés avaient été résistants. Il a fallu attendre la révolution paxtonnienne dans les années soixante-dix avant que la vérité ne soit rétablie. Partout, il y a eu une volonté d'oublier la guerre, sauf dans le domaine de l'art, où le théâtre de l'absurde et les mouvements de peinture ont exprimé l'incompréhension face aux horreurs commises. Ceux qui sont revenus des camps de concentration ont du se fondre dans la masse. Simone Veil a déclaré « Ce que nous avions vécu, personne ne voulait le savoir ».

-Le déni, donc. Face aux horreurs… De Gaulle était le héros de la France ?

-De Gaulle en France, Churchill au Royaume-Uni, Roosevelt aux Etats-Unis… De Gaulle, officiellement, mais il orchestrait sans risquer sa vie. Tu n'es pas Charles de Gaulle et Voldemort n'est pas Hitler. Tu serais plutôt Jean Moulin. L'unificateur qui n'a pas hésité à risquer sa vie à chaque instant et mourut après une trahison de ses proches. Mais l'histoire ne se répète jamais deux fois de la même façon lorsque les personnes changent.

Harry maudit intérieurement ses pensées trop fortes et la clairvoyance du garçon avant de soupirer. Artemis arguait qu'il n'était pas de Gaulle, mais même à la fin de la guerre, tout le monde attendrait qu'il relève le Royaume Uni. Et pourtant, l'Europe, dépossédée de millions de personnes par les camps et les bombardements, n'avait pas, en proportion, subi autant de pertes que le monde sorcier des années 2000. Il ne pouvait pas comparer, mais il savait qu'il ne pourrait jamais instaurer une telle reconstruction… Et pourrait-il jamais en instaurer une ? Il entrevit un futur dans les ruines fumantes, et l'évidence des paroles de Lucius explosa en lui, brisant au passage son âme et son cœur déjà abîmés.

-Crois-tu qu'il y ait un après-guerre Artemis ?

-Il y a toujours un après guerre. Le troisième Reich conçu pour durer mille ans en a mis douze à tomber.

La voix était monocorde et comme souvent, se limitait aux faits. Le Survivant eut un pâle sourire en comprenant qu'il avait oublié de formuler sa question correctement.

-A quoi ressemblera l'après guerre lorsque cette boucherie finira ?

Artemis fixait toujours les étoiles. Il ne regardait jamais les autres dans les yeux. Pourtant, il tressaillit et mit un long moment avant de répondre.

-Je l'ignore. La fin est encore loin, Nagini encore vivante, et les morts ne sont pas achevés. Il ne reste plus beaucoup de sorciers, et encore moins dans notre camp.

Ce qui restait d'optimisme dans le Leader de la Lumière menaça de s'écrouler et il repoussa ses questions au loin, mettant explicitement fin à la conversation. Il savait que ses questions reviendraient le hanter, mais il venait d'apercevoir Dirk et Bill discuter en approchant, le visage cerné mais déterminé et il devait rassembler de la force pour mener à bien leur mission.

Les barrières anti-transplanage de Poudlard n'avaient jamais été levées, autant par mesure de sécurité que parce qu'il s'agissait d'une ancienne magie instaurée par les fondateurs eux-mêmes. Harry et les autres participants quittèrent le château désillusionnés et se tenant la main en binômes pour plus de sûreté. La paume fraîche d'Artemis dans la sienne, leurs boucliers d'Occlumencie levés, ils marchèrent sur de longs mètres avant de s'arrêter dans un cabanon érigé pour l'unique but du départ et retour de missions en sécurité. Ceux qui possédaient la Marque ne pouvaient pas entrer à moins d'avoir mêlé leur sang aux protections, comme ç'avait été le cas de Lucius. Discernant à peine les silhouettes de ses Phoenix, Flammes et Alliés, Harry les fit se mettre en rond.

-Souvenez-vous, on ne rélusionne pas son partenaire avant d'être entré dans le Manoir Malefoy. Parvati et Raj, vous vérifiez qu'il est vide. Artemis, Lucius et moi nous trouverons au premier pour tenter de trouver l'entrer des geôles. Bill, Dirk, la sécurité passe avant tout par vous. Nous vous signalerons lorsque l'entrée sera trouvée. Le code est toujours ancré en vous ?

Ils acquiescèrent tous par un murmure.

-Bill et Dirk s'avancent les premiers, compris Parvati ? Raj ? En tant que briseurs de sort, ils sont plus à mêmes de repérer les dangers. Dirk, les pastilles.

L'homme était responsable de la réserve de ce qu'ils nommaient les PA autant que de leur fabrication, avec quelques autres. Ils tendirent la paume de leur main et sept pilules blanches parurent flotter dans l'air avant de disparaître. Dès que le signal fut donné, ils transplannèrent.

o°o°O°o°o

L'odeur de cendre et de mort prenait toujours autant à la gorge. Quelques braises noircies continuaient de s'envoler dans le vent alors que la grille tordue et piétinée gisait tristement sur le sol. L'herbe jadis verte et chatoyante n'apparaissait plus que par touffes à certains endroits, engloutie par la gadoue, les traces de pas et le sang séché. Les fleurs chéries par Narcissa avaient depuis bien longtemps fané, délaissées par les Mangemorts, tandis que le potager qui aurait pourtant pu nourrir les squatteurs avait été méprisé.

Devant eux se tenait les ruines du Manoir Malefoy, jadis splendide demeure construite plusieurs siècles plutôt et du style renaissant français auquel s'ajoutait quelques ajustements victoriens et modernes. Les fenêtres avaient volé en éclat et le verre pilé crépitait sous les pas des entrants et fuyants. Les fondations et poutres de la maison étaient tombées, à moitié calcinées par les flammes qui avaient détruit aussi bien vies que baguettes. Quant aux marches de marbre qui menaient à l'entrée, elles étaient fissurées et n'évoquaient plus l'envie ni la beauté travaillée de la pierre.

Lucius se souvenait de la bataille, et il avait perdu le Manoir en rejoignant l'Ordre mais il ne put empêcher la réaction de son corps. Son cœur manqua plusieurs battements avant de se serrer si douloureusement qu'il crut avoir un malaise, et le sel des larmes lui brûla les yeux alors qu'il luttait pour garder un visage impassible. Les souvenirs défilèrent dans son esprit. Il était né dans cette demeure, y avait grandi. Lors de certaines fêtes aristocratiques, il y avait vagabondé avec malice, déterminé à ennuyer les invités en compagnie de Bellatrix, Narcissa, Sirius, et même Regulus qui les suivait à leur plus grand agacement mais que Sirius avait toujours protégé. Plus tard, il s'y était marié et son fils y était né, avait lui aussi importuné les invités sous l'œil sévère de son père et aimant de sa mère, en compagnie de seulement deux autres enfants car la pureté du sang et la grandeur des familles avait disparu en même temps que le Seigneur des Ténèbres. Une main sur son épaule l'arracha au passé.

-Nous devons y aller, Lucius, déclara Harry avec fermeté, mais une pointe de compassion venait adoucir sa voix et ses paroles.

-Nous les trouverons, répliqua-t-il.

Il aurait voulu ajouter tant d'autres choses, mais il savait au fond de lui qu'il ne pourrait jamais redonner à sa maison sa grandeur passée ni faire payer ceux qui la lui avaient arrachée et souillée. Ils étaient morts dans la bataille ou en fuite, et l'un d'entre eux lui avait même fait face alors qu'il était sous forme de lycanthrope. Les courbatures et la frustration de cette nuit là ne l'avaient pas quitté, mais il en retirait sa seule et unique satisfaction.


Il s'écoula une vingtaine de minutes avant que Bill et Dirk estiment qu'ils avaient brisé tous les sortilèges ayant subsisté après la dernière attaque et que les dangers n'étaient plus. Lucius se souvenait amèrement des brûlures qui l'avaient pris en entrant dans son propre Manoir, désormais protégé contre le sang des Malefoy, de l'humiliation qui en avait résulté, ainsi que des sortilèges empêchant de soigner les blessés que les deux camps avaient tour à tour jeté... sans compter les noirceurs dans lesquelles ils avaient été embarqués. Les échos de ces sortilèges avaient dû demeurer, songea le lycanthrope en voyant les traits affaissés des deux hommes.

Harry émit un sifflement reconnaissable –du Fourchelangue, aux sonorités suffisamment explicites pour qu'ils comprennent qu'il s'agissait du signal du début de mission. Lorsqu'il retentirait à nouveau, ce serait l'heure du repli-, et tous pénétrèrent enfin dans les ruines désolées du Manoir.

Lucius tenta de ne pas regarder les vases d'argent et de porcelaine brisés sur le sol, les tableaux aux couteaux plantés dans le front, ni le sang et les relents de torture et de magie noire, pas plus que les murs noircis par les flammes et les sorts. Ses yeux s'attardaient inévitablement sur quelques détails. Les messages laissés par les uns et les autres, les vêtements et effets personnels abandonnés en piètre état et –il détourna aussitôt le regard- un moignon humain en décomposition. L'homme enjamba les décombres et parvint aux escaliers le plus rapidement possible, notant au passage le teint dangereusement verdâtre de leur plus jeune membre. Ses yeux papillonnaient, signe qu'il tentait de repousser aussi bien ses souvenirs que les leurs.

-Nom de… jura Dirk, surgissant derrière eux en appuyant son bras contre sa bouche.

Bill avait rompu le charme de délusion, et puisque aucun cri n'avait retentit, ils pouvaient en déduire que l'endroit été désert. Artemis recula en le voyant, et l'homme marmonna une excuse.

-Je crois que c'était notre pire bataille, pas vrai Lead' ?

Ils évitaient de prononcer le nom du Survivant en mission. Toujours délusionné, Harry répondit par la négative.

-Notre pire bataille, Dirk ? Je ne crois pas que l'on puisse qualifier ainsi un de nos affrontements, quel qu'il soit. Il y aura toujours pire.

Lucius nota son ton épuisé. Ainsi, Harry commençait à comprendre. Et il ignorait si c'était une mauvaise chose ou si rien ne pourrait de toutes façons s'arranger.

-Alors disons celle qui est allée le plus loin, marmonna l'Allié.

-Nous perdons du temps inutilement, remarqua Lucius d'une voix glaciale.

Le sang avait tant coulé dans cet escalier que des stalactites brunâtres s'étaient formés sur le bord des marches et qu'ils se répugnaient à marcher dessus, et Dirk lui bloquait le passage. Sa demeure était tombée en ruine soit, mais il y avait plus urgent et ils étaient là avec un but.

-Je suis déjà en haut, les informa Harry. Artemis, tu sens quelque chose ?

-Votre horreur, répondit le garçon.

Gratifiant son allié d'un regard noir, Lucius le força à s'écarter et rejoignit les deux autres dans un couloir désert et sans fenêtres. Il invoqua un Lumos et reconnut la peinture à la teinte du soleil levant.

-Les geôles du Manoir n'ont jamais été par ici, remarqua-t-il en fronçant les sourcils, leur accès du moins. Elles ont été condamnées par mon arrière grand-père mais dans mes souvenirs…

Une odeur mortuaire le prit à la gorge alors que tous les poils de son corps se hérissaient et que le loup grognait en lui. Il fit volte face et suivit l'instinct de l'animal, sentant une fissure dans le mur à l'origine de ces sensations.

-Nous pourrions être proches, néanmoins, reconnut-il. Il y a une entrée par là.

Harry ne mettait jamais en doute ses sens lupins et il l'entendit acquiescer. A leurs côtés, Artemis haleta soudain.

-Souffrance, dit-il d'une voix soudain rauque. Désespoir.

Un cri de stupeur douloureuse franchit ses lèvres, qu'il mordit aussitôt pour se faire taire. Ses yeux se révulsèrent.

-Avery est… Par ici…

Il se dirigea droit vers deux pierres fendues et le loup en Lucius se révolta violemment, faisant cogner la migraine aux tempes de l'homme.

-La Magie Noire est à l'œuvre, annonça-t-il. Le loup n'aime pas cela.

Il s'était habitué depuis longtemps à sa présence et avait appris à le considérer comme un allié mais il existait des moments où il se sentait tiraillé entre la reconnaissance et le fardeau. Heureusement, il connaissait sa demeure et il posa un doigt sur la fissure qui paraissait n'être qu'une simple gravure.

-L'entrée est ici. Je doute qu'il faille payer un prix quelconque, jamais les Mangemorts n'auraient accepté de voir leur plaisir de torturer amoindri.

Artemis hulula pour alerter les autres, qui furent à leurs côtés la deuxième fois. Lucius ferma les yeux pour se concentrer, puis découvrit son bras gauche et commença à en défaire les bandages. La Marque avait beau avoir été lacérée, la présenter à la fissure serait un bon moyen d'entrer dans les geôles.

Le mur s'ouvrit silencieusement et un peu de poussière tomba sur le sol. Bill passa le premier, puis Raj.

-Artemis, avances jusqu'au bout du couloir et reste en alerte. Ce pourrait toujours être une embuscade. Parvati, continue à nous couvrir.

La voix de leur Leader était basse mais Lucius l'entendit tout de même alors qu'il passait devant lui pour entrer dans les geôles du Manoir Malefoy.

L'escalier descendait en spirale, aux marches assez inégales traduisant l'époque ancienne à laquelle la prison avait été conçue.

Ils y étaient enfin. L'antre dans laquelle avaient été conservés les plus belles prises de l'Ombre. Un endroit dont il n'avait jusque peu pas connu l'emplacement.

L'odeur prit Lucius à la gorge, insoutenable.

La mort, la décomposition se mêlaient à l'humidité étouffante. Le sang frais excita le loup alors que le sang séché révulsait l'homme. Urine et excréments venaient s'ajouter à l'âcreté des cadavres, fluides en tous genres comprenant sans doute sperme et vomissures formaient un mélange répugnant et le silence mortuaire qui régnait devenait terrifiant. Lucius avait lui-même participé à nombre de tortures et de visites dans les prisons mais la situation surpassait tout ce qu'il avait entrepris.

-Trois personnes valent-elles le coup de… demanda Raj.

-Une vie humaine vaut toujours le coup ! répliqua violemment Harry à voix haute.

Il flamboyait de rage et Lucius ne se priva pas d'une réplique cinglante alors qu'il dépassait Bill pour se placer en tête.

-Les Opportunistes doivent se poser le même genre de questions, grinça-t-il.

Il sentit l'autre se tendre mais n'en avait cure. Sa baguette éclairant toujours brandie devant lui, l'homme inspecta les cages. Des os, un squelette… Au fond, une forme tremblant, respirant à peine mais vivante, l'animal en lui l'indiquait.

-Gabrielle Delacour, annonça-t-il. Bombarda !

Les barreaux de la cage explosèrent.

-Charlie ! Lead', il est là !

La joie du rouquin de retrouver son frère les transperça tous. Harry montait la garde en bas des marches, mais Dirk se précipita aux côtés de Bill tandis que Raj s'avançait vers Lucius qui était entré dans la cellule de la jeune fille.

Elle était une masse informe dans un tissu empestant et déchiré, et nue en dessous. Lucius la sut éveillée dès qu'il s'approcha d'elle. Elle s'était tendue en les sentant mais se refusait à se lever et il comprit que la tâche serait ardue. Sans compassion aucune, il arracha le tissu qui la recouvrait et lui attrapa le bras. Ses muscles se raidirent et il les sentit sous sa paume, frôler ses os et sa peau. Plus un seul gramme de graisse un miracle que les deux derniers prisonniers aient tenu plus de trois semaines après que ceux qui leur donnaient de quoi subsister aient fui.

-Aide moi à la relever, ordonna-t-il.

Raj ne protesta pas il avait entendu les avertissements de leur meneur sur la volonté aléatoire des prisonniers d'être libérés et était rompu à ce genre d'exercices. Lucius attrapa l'autre poignet de la jeune fille et la tira vers le haut alors que l'Allié lui soutenait le ventre et les fesses.

Alors il rencontra enfin son regard. Bleu clair, identique à celui de sa sœur et sans doute propre aux descendantes de vélanes, mais empli d'une haine farouche qui ne l'atteignit pas.

-Lead, a-t-on des vêtements ? s'enquit-il paisiblement.

Elle tentait faiblement de se libérer mais il n'y prêta pas attention.

-Non, répondit la voix plutôt lointaine d'Harry. Trouvez quelque chose pour les couvrir.

-Ne t'en fais pas pour moi, toussa une voix écorchée à l'autre bout des prisons que Lucius ne connaissait pas.

Ce devait être Charlie Weasley, le dragonnier qui leur avait donné tant de fil à retordre lorsque les Mangemorts dont il faisait encore partie avaient perdu Poudlard. Au moins l'un des deux avait-il gardé la raison et une volonté propre.

-Ecoute moi bien jeune fille, déclara fermement Lucius d'une voix qu'il avait jadis réservé à son fils lorsqu'il devait le sermonner, nous sommes venus te chercher et tu n'es pas en état de nous résister. Ta sœur s'inquiète et il est hors de question que nous te laissions là.

-Le bébé est-il toujours vivant ? demanda Raj.

-Je n'en sais rien et je m'en fous, cracha Gabrielle.

Au moins avait-elle toujours sa langue. Raj ne s'émut pas et attrapa le tissu qui l'avait jusqu'ici recouverte, sur lequel il lança un sort de nettoyage et de chaleur avant de le poser sur l'adolescente. Lucius posa un bras sur son dos et entreprit de la faire marcher jusqu'aux marches. Elle l'insulta en français avant de se débattre.

-Laisse moi, tu comprends pas ça ? J'en ai rien à foutre de votre mission de merde et de vos putains de principes. J'veux crever dans cet enfer.

-Tu es encore vivante après trois semaines livrée à toi-même et une année de captivité, fit remarquer Parvati, descendue pour les aider, ce qui démontre une volonté de survie. Allez, viens.

-J'ai bouffé des cadavres pour survivre. Toujours humaine à vos yeux de bien pensants ?

-Ils étaient déjà morts, répliqua Dirk, venu en renfort à son tour. Lucius, Artemis te réclame.

Soudain anxieux, le loup-garou céda sa place pour remonter les marches en vitesse. Le garçon se tenait éloigné de Charlie le plus possible, la sueur perlant à son front. Le corps d'Harper fut pris en charge et incinéré, tandis qu'Harry et Bill s'occupaient de Charlie.

-Magie Noire. Trop.

Et soudain, le garçon d'à peine dix sept ans qui se tenait devant lui fut pris de spasmes et de convulsions. Gabrielle Delacour était entrée dans son champ de sensitivité.

-Transplanez immédiatement en pleine campagne, puis la Rivière, ordonna Lucius. Lead, nous devons partir.

-L'enfant pourrait en mourir, l'informa Parvati, soucieuse.

-Les vivants d'abord, répliqua Lucius.

Ils quittèrent le Manoir pour la dernière fois

o°o°O°o°o

Jamais Bill n'aurait pu imaginer que les années de tortures auxquelles son frère avait été soumis se seraient soldées ainsi. Harry les avait avertis de l'état dans lequel Charlie se trouvait et il avait cru retrouver son cadet brisé mais il s'avérait que son esprit était demeuré fort, et la fierté gonflait son cœur.

-Bill ?

Il ne lâchait pas la main de son frère, et la serra lorsqu'il l'entendit prononcer son prénom.

-Combien…

-Nous sommes les deux derniers, murmura-t-il avec horreur.

Il craignit de voir Charlie se briser mais le dragonnier se contenta d'inspirer violemment et rapidement, puis plus lentement.

-J'aurais du… Je n'ai pas pu…

Les sanglots obstruaient la voix de son cadet mais ses yeux mutilés ne pouvaient plus pleurer.

-Nous verrons cela plus tard, Charlie. L'important pour l'instant c'est que vous soyez soignés.

Il hésita un instant, puis avisa le visage ravagé de son parent.

-La mort ne survient pas sans vie. Il y a eu des naissances.

Hope. Il devait se raccrocher à sa fille. Charlie pourrait rencontrer sa nièce, connaître son existence, alors qu'il avait presque abandonné cette idée. Les lèvres gercées de son frère se tordirent en un rictus qui ne pouvait se transformer en sourire.

-Nous avons bu l'eau de pluie depuis trois semaines et... Gabrielle est brisée mais elle veut continuer à vivre. Elle se hait, mais elle les hait encore plus. Il faut que vous vous accrochiez. Elle doit se battre. Elle dira des horreurs, c'est son mécanisme de défense. Elle n'a survécu qu'ainsi.

-Pénélope prendra soin d'elle, promit Bill en caressant sa joue.

Il parvenait à peine à y croire. Il pouvait enfin le toucher, entendre sa voix.

-La fiancée de Percy ? renifla Charlie dans un sanglot rieur. Celle dont Ginny était au courant ?

-Elle-même, répondit-il, riant et pleurant à son tour.

Ils se trouvaient dans la forêt, quelque part au Pays de Galles lieu de rendez vous convenu à l'avance. L'herbe était encore verte dans cet endroit épargné par la guerre physique pour le moment. Le vent soufflait et une pluie fine tombait sur eux.

-La nature… L'air frais… Je croyais ne jamais… C'est bon.

Autour d'eux, Raj, Dirk et Parvati avaient disparu avec Gabrielle vers le refuge des blessés. Lucius se tenait dos à eux, encaissant en silence le spectacle qu'ils venaient d'endurer et Artemis occultait de sa mémoire les flashs qu'il n'avait pu s'empêcher de percevoir.

-Nous allons te transférer, Charlie, dès que j'aurais vérifié ton identité. Où avez-vous un jour récupéré un Norvégien à crête et quel était son nom ?

-En haut de la Tour d'Astronomie, et Hagrid l'avait nommé Norbert. Il avait un ours en peluche, qu'on n'a jamais pu lui retirer avant qu'il le carbonise d'ailleurs. Norberta était une femelle.

-Parfait, approuva Harry, et Bill avait envie de lui hurler dessus.

Mais il s'abstint parce qu'il savait qu'il aurait dû commencer par vérifier qu'il s'agissait bien de son cadet, et parce que leur Leader avait hérité sa méfiance de ses mentors, à raison.


Pénélope n'était pas là lorsqu'ils atterrirent dans le Hall aménagé pour les blessés, et Gabrielle non plus, ce qui signifiait qu'elle s'occupait de la jeune fille. Bill ne voulait pas laisser son frère mais il devait retourner à Poudlard et annoncer à Fleur qu'ils avaient retrouvé sa sœur. Il guida Charlie jusqu'à une auxiliaire, qui n'eut aucun signe de recul devant l'apparence mutilée du dragonnier, parce qu'elle en avait déjà trop vu.

-Attends ! le rappela son frère.

Bill se retourna, surpris et anxieux.

-Tu as parlé de naissances… quelles naissances ?

-Elle s'appelle Hope, lui apprit-il. Elle a deux ans, et c'est ta nièce.

Charlie éclata de rire. Un rire franc, libérateur et heureux.

Un rire que Bill avait cru ne jamais entendre de nouveau. Un rire qui lui réchauffa le cœur. Un rire annonciateur de jours meilleurs.

o°o°O°o°o

Jours meilleurs auxquels Lucius ne croyait plus.

Harry se laissa tomber sur le sol de son bureau, inconscient du regard de son bras droit sur lui, qui prenait sur sa propre douleur pour l'empêcher lui de sombrer.

-Je ne veux pas que tu la voies. Ni elle, ni lui. Je vais aller à la Rivière seul.

-Tu oublies que tu n'es pas seul, Harry.

-Oh, non, je ne l'oublie pas, répondit-il, écoeuré. Je ne suis jamais seul. J'ai un Horcruxe en moi, te souviens-tu ?

Il perçut sa sollicitude et son reproche, mais il avait l'impression que toutes ses barrières céderaient bientôt.

-Pardonne moi. C'est tout simplement trop.

Son bras droit, à qui il pouvait tout dire, toujours, à qui la loyauté envers lui était aussi forte que celle d'Artemis, mais avec plus de self-control et de détermination.

-Nous vaincrons, Harry.

Il se releva. Il devait dormir. Il avait un rendez-vous avec Emily le lendemain, puis devrait aller s'enquérir des blessés.

-Bien sûr que nous vaincrons. Ceux qui combattent pour être libres gagnent toujours face à ceux qui combattent pour tuer, car ils ont plus à perdre.

Une leçon qui lui avait été enseignée par La Boëtie par l'intermédiaire de Regulus, Artemis, Fleur, et par l'Histoire elle-même.

Oui, ils vaincraient. Mais désormais, il n'était plus sûr que le prix à payer en vaille le coup.