Bonjour à tout-e-s !

Je vous conseille, comme musique accompagnant le chapitre, la chanson "Demain", de Ridan.

Dès la semaine prochaine, nous retournerons en 1996. Je sais que certains préfèrent les chapitres du présent, néanmoins, ces chapitres-liens sont essentiels pour comprendre ce qui est devenu.


"J'aurais aimé te raconter que tout serait rose dans ce petit monde

Que si demain, tu serais mon fils, j'aurai fait de toi le plus grand homme"

Juillet 2003

Sanders's Cave était surnommée la Rivière en référence au nom de celle qui s'occupait des convalescents. Les lieux avaient appartenu à une nouvelle famille de Sang-Pur dont les membres s'étaient divisés au début de la guerre en raison de leurs idéologies divergentes. La moitié d'entre eux néanmoins, n'avaient pas été prêts à s'engager et étaient devenus des Opportunistes neutres, et les autres avaient été décimés par l'Ombre et la Lumière.

Altaïr Sanders, unique héritier de la famille principale, avait été l'un des plus éminent membres de l'Ordre, et avait proposé sa demeure en quartier général alors qu'il n'existait plus aucun havre imaginable. Une fois qu'ils eurent récupéré Poudlard, Sanders's Cave était devenu la Rivière, l'endroit étant idéal grâce aux protections mises en place et à l'important espace que fournissaient les lieux.

Pénélope Deauclaire n'avait jamais réellement imaginé qu'elle ferait partie intégrante de la guerre, encore moins en tant que médicomage. Les choses s'étaient faites seules sans qu'elle ne cherche pour autant à les freiner, consciente qu'elle n'était pas une guerrière et que soigner les blessés serait la meilleure contribution qu'elle puisse apporter.

Œuvrer à la Rivière était harassant, aussi bien physiquement que mentalement. Les blessés étaient nombreux, les guérisseurs, en sous nombre, et l'état des patients risquait de déprimer n'importe lequel des volontaires. Néanmoins, chacun se pliait à ses tâches sans protester, faisant de son mieux pour que Sanders's Cave reste le refuge dont la Lumière avait besoin pour soigner ses blessés. Les lieux immenses et lumineux, les draps frais et les plantes que les convalescents entretenaient venaient pallier à l'horreur qui régnait dans la plupart des chambres.

Pénélope nourrissait une inquiétude énorme vis-à-vis de la dernière patiente qu'ils avaient reçu. Elle était enceinte mais refusait d'avaler ne serait-ce que la moitié de sa portion, crachait aussi bien littéralement que verbalement sur les guérisseurs, et il émanait d'elle une telle haine qu'ils l'avaient placée dans une chambre individuelle. Elle était frêle, tenait à peine sur ses jambes, refusait que quiconque l'approche y compris sa sœur, et tenait plus d'un animal sauvage que d'une humaine.

Au cours des huit années de guerre écoulées, les guérisseurs avaient vu nombre d'horreurs. Parmi leurs patients, certains étaient si irrémédiablement blessés ou traumatisés qu'ils ne reprendraient jamais une vie normale, même après que la guerre se soit terminée. Les plus grands cas d'inquiétude de Pénélope se situaient au niveau de Susan Bones, Abelforth Dumbledore, Euan Abercrombie et, depuis deux semaines, Gabrielle Delacour. Elle plaçait un espoir immense en Neil Cloudstorm et savait qu'elle ne pouvait rien faire pour Alice Londubat ou Hermione Granger. Tant de noms de blessés qu'elle connaissait personnellement, tant de dossiers dont elle avait retenu chaque ligne…


Tous les guérisseurs inspectaient les chambres du quartier qui leur était dédié le matin et posaient un bilan rapide sur les convalescents. Ils les bordaient le soir et dans l'idéal, vérifiaient qu'ils étaient toujours présents et en vie le midi, ce qui ne pouvait pas toujours se faire. Lorsque plus d'un mois auparavant, les couloirs de la Rivière avaient été envahis par les blessés enflammés en état critique de la bataille du Manoir Malefoy, les lieux avaient été en ébullition, et les soins prodigués, plus rares.

Pénélope restait d'ordinaire dans son bureau le matin, attendant d'être appelée dans telle ou telle chambre. Cependant, ces dernières semaines, elle s'occupait personnellement de Gabrielle Delacour. Ce fut avec une inspiration et un appel à Merlin pour de la volonté qu'elle pénétra dans la chambre de l'adolescente enceinte. Celle-ci était toujours réveillée lorsqu'ils entraient, mais restait prostrée alors qu'ils tentaient de la faire réagir. Les premiers jours, ils l'avaient laissée en paix, mais ils devaient désormais exiger d'elle qu'elle se reprenne, sans quoi elle ne se remettrait jamais. La Médicomage se figea en voyant les draps blancs tâchés de sang et Gabrielle fixer le vide d'un air satisfait. Elle se précipita vers la jeune fille et tira les draps pour constater avec soulagement que le sang ne provenait pas de son entrejambe et qu'il ne coulait pas en intense quantité. Il tâchait simplement la tenue de malade au niveau de son ventre bombé.

-Ne me touche pas ! aboya l'adolescente.

Pénélope n'y prêta pas attention et vérifia qu'elle pouvait aisément atteindre sa baguette, avant de soulever la tenue. Son ventre était strié de griffures écarlates et ensanglantées. Elle ferma un instant les yeux avant de regarder Gabrielle qui lui offrit un sourire.

-Je suis un monstre n'est-ce pas ?

-Nous ne te rejetterons pas ni n'arrêtons de te soigner, déclara-t-elle fermement, donc tu devrais arrêter de te blesser. Tu es têtue mais nous le sommes plus que toi.

-Je tuerai…

La jeune femme savait ce qui allait suivre et appuya discrètement sur la sonnette pour amener un guérisseur dans la chambre. Elle ne pourrait pas faire face seule. Sans un mot, elle désinfecta les griffures et palpa le ventre. Elle sentit l'enfant bouger et retint un soupir. Lee Jordan survint dans la chambre et salua sa supérieure d'un signe de tête. Il avait autrefois combattu aux côtés des frères Weasley mais un mauvais sort lui avait fait perdre l'usage de sa jambe gauche, et il s'était alors voué à la Rivière.

-Il faudra désormais s'assurer que les ongles de Gabrielle sont coupés, et qu'aucun objet pouvant être dangereux n'est laissé dans sa chambre, l'informa-t-elle. Réduire au strict minimal.

L'adolescente la fusilla du regard, et son autrefois si joli visage devint un instant laid, preuve de son héritage vélane. Elle était effrayante. Ils en avaient vu d'autres.

-Nous avons le pouvoir ici, Gabrielle, énonça-t-elle fermement. Tu ne peux rien faire sinon commencer à te remettre. Pour cela, il faut que tu acceptes que tu as un enfant dans le ventre, un enfant dont tu es la mère, et qui est vivant, et qui sera parmi nous d'ici quelques semaines.

L'adolescente bondit soudain et repoussa la jeune femme avec une force inouïe. Pénélope tomba sur le sol avec stupeur, mais fit signe à Lee de ne pas intervenir tant que Gabrielle ne menaçait pas de s'enfuir.

-Vous êtes des monstres ! cracha-t-elle. Vous maintenez en vie l'essence d'un Mangemort, peut être du pire de tous. Chaque jour ils me foutaient leur bite dans le corps et je souffrais le martyr, à tout de rôle et en riant, voulant m'obliger à faire d'autres choses. Et vous laissez vivre un truc pareil ? Plutôt que de penser à mon bien être ! Menteurs. MONSTRES !

-C'est un enfant, Gabrielle. Même si nous provoquions un accouchement, il serait en vie car passé six mois de grossesse, un enfant est viable. Nous sommes des guérisseurs, nous ne tuons pas. Un enfant n'est pas responsable de son héritage.

-Je ne veux pas de cette chose ! hurla l'adolescente. Ni de votre putain de soutien. Je veux qu'on m'en débarrasse et qu'il crève, et que vous alliez vous faire foutre !

Pénélope la considéra tristement. Ils n'avaient pas de psychologues, ils ne pouvaient que réparer les corps. Les esprits devaient trouver la force ailleurs, malgré le fait qu'ils fassent, tous, tout leur possible pour les aider à se remettre.

Elle ressortit après avoir obligé l'adolescente à avaler au moins une partie de sa nourriture, épuisée et vidée d'espoir.

-Peut être ira-t-elle mieux une fois que l'enfant sera né, proposa Lee avec optimiste.

Elle appréciait énormément cette luminosité chez son collègue. Il rendait les journées plus paisibles, plus faciles à appréhender.

-Peut être. Je vais contacter Poudlard pour leur demander s'ils peuvent trouver une nourrice pour l'enfant.

-Tu sais, fit pensivement Lee, je ne sais pas si lui montrer à quel point elle est impuissante est utile. Elle a passé des années dans des geôles, on lui a inculqué la même chose, et elle en est sortie avec une fougue impressionnante.

Pénélope médita un instant. La situation était si compliquée… l'enfant ou la mère ? Gabrielle risquait de se blesser sérieusement s'ils n'agissaient pas bientôt.

-Nous ne pouvons pas provoquer un accouchement, cela pourrait les tuer tous les deux. Il faut qu'on parvienne à la faire tenir jusqu'à la naissance. Après… Après nous verrons. Nous pourrons changer de méthode, lui laisser plus de liberté.

Au fond d'elle, la jeune femme ignorait quel serait le futur possible pour Gabrielle Delacour. Elle n'avait que peu d'espoir pour cette adolescente brisée qui risquait de devenir une machine à haïr et à tuer n'importe qui dans n'importe quel camp.

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Lorsque Harry pénétra dans la salle d'entraînement, tous les jeunes gens s'immobilisèrent pour se tourner vers lui et l'accueillir avec une joie mêlée d'inquiétude. Depuis le sauvetage de Charlie et Gabrielle, le jeune homme était à peine reparut à Poudlard, ayant préféré repartir en mission. Les paroles de Lucius et ses propres questionnement sur ce qui se passerait après la guerre avaient pris tellement d'ampleur qu'il en avait éprouvé un besoin vital d'agir. S'il ne parvenait pas bientôt à mettre un terme à cet enfer… Il n'avait pas emmené Artemis cette fois-ci, le garçon ayant été fragilisé ces derniers temps. Il lui avait sommé de se reposer malgré la peur qui transparaissait de son ami alors qu'il s'éloignait dans la nature en compagnie de son bras droit.

-Harry ! la voix d'Isobel le sortit de ses pensées.

Elle était souriante et belle malgré le décharnement commun à tous les survivants. Elle tenait dans sa main une baguette, héritée de sa mère. Elle avait confiée celle de son père à Duncan.

-Pause de dix minutes ! annonça Amélia Bones, sachant qu'elle ne pourrait tenir les adolescents.

Ils se regroupèrent tous autour de l'Elu.

-As-tu des nouvelles ? s'enquit Juliet, qu'il voyait pour la première fois dans la salle.

On lui avait visiblement prêté une baguette, peut-être celle de son père, et elle devait être heureuse de pouvoir enfin se joindre aux autres et commencer à apprendre.

-Rien qui ne soit conséquent, admit Harry. Quelques Opportunistes neutres terrifiés et un sentier jonché de cadavre qui ne mène à aucune piste.

Il ne servait à rien de les épargner. Il avait appris longtemps auparavant que prendre les enfants pour des idiots était une erreur énorme qui pouvait avoir des conséquences importantes. Certains adolescents avaient une vue plus claire que les adultes, des idées plus fraîches pouvant être exploitées.

-Pas de serpents ? demanda une jeune adolescente d'un air déçu.

Il s'agissait d'une née-moldue qui devait avoir du sang de Serpentard en elle, car elle parlait fourchelangue.

-Pas un seul, répondit-il à regret.

Les reptiles étaient traqués. Ils pouvaient être une source d'information importante. Les jeunes soupirèrent en cœur et Amélia leur demanda de se remettre au travail.

Harry prenait toujours un plaisir serein à observer l'entraînement de ces enfants. Ils réussissaient chaque fois à l'impressionner et leur enthousiasme était revigorant. Contrairement aux adultes, ils n'étaient pas épuisés par les centaines de champs de batailles foulés ni hantés par leurs camarades tombés au combat. Ils avaient hâte de pouvoir apporter leur contribution à la guerre, en tant qu'Alliés ou en entrant dans l'Ordre. Sous l'invitation d'Amelia Bones, il désigna aléatoirement les binômes et le premier se mit au centre de la salle alors que les autres s'asseyaient pour les observer.

-Emily contre Duncan… commenta à mi-voix leur entraîneuse. Voilà qui promet d'être intéressant. Bien ! Ceci est un duel d'apprentissage, ce qui signifie que vous devez atteindre votre niveau maximum et que nous commenterons les actions ensemble par la suite. Maintenant !

Duncan fut pris au dépourvu par l'enchaînement immédiat, ce qui conféra aussitôt l'avantage à son adversaire. Elle l'envoya valser contre le mur avec une force extraordinaire et quelques spectateurs grimacèrent. Sans broncher, le garçon se releva, mais elle contre attaqua sans lui laisser le temps de reprendre sa respiration et il n'évita le Stupefix que de justesse.

Emily était de feu, rapide, enragée, d'une puissance brute incontrôlée. D'un mouvement haché du bras, elle réitéra aussitôt son attaque, mais Duncan fit simplement un pas de côté. Les joues de la jeune fille s'échauffèrent et elle lança un sort de chatouille, pivota sur elle-même et reprit aussitôt avec un sortilège d'entrave qui coincèrent son adversaire entre deux jets. Il se fracassa une deuxième fois contre le mur, mais à la stupéfaction de tous, un éclair rouge sortit de sa baguette alors qui gémissait sous l'impact. Emily fit un bond en hauteur pour l'éviter aussi juste qu'impressionnant mais sa rage se décupla.

Duncan était sonné et venait d'ériger un bouclier pour se permettre de reprendre ses esprits. Avec une lenteur qui paraissait extrême en comparaison de son adversaire, il déplaça le bouclier de sa baguette à sa main, puis, vif comme l'éclair, décocha un sortilège de stupéfixion. L'adolescente plongea sur le sol, renvoya un maléfice du saucisson, un sortilège de désarmement et un maléfice d'entrave dans une durée limitée impressionnante. Son endurance était exceptionnelle. Le garçon tenait toujours son bouclier de sa main gauche, qui encaissa les trois sorts et commença à faiblir alors qu'il invoquait des oiseaux pour troubler la vue de son adversaire, puis un informulé. En quelques secondes, Emily se retrouva pendue par une cheville.

-Sectumsempra !

Si tous les jeunes haletèrent, Duncan ne se laissa pas déstabiliser et son « Expelliarmus » fendit l'air pour venir se heurter au sortilège noir. D'instinct, tous se baissèrent et Amélia invoqua un bouclier autour d'eux. Les sortilèges ricochèrent, puis le garçon rompit le contact en plongeant au sol. Les joues pâles d'Emily se coloraient dangereusement, et ses yeux brûlaient d'une flamme de haine. Elle fit pleuvoir des maléfices sur le garçon jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus et il fut finalement trop faible pour maintenir à la fois son bouclier et son binôme en l'air. Dès qu'elle fut sur pied, elle le toucha d'un nouvel éclair rouge et le garçon tomba au sol, pétrifié.

Les spectateurs applaudirent tandis que les deux adolescents reprenaient haleine.

-Emily… siffla dangereusement Harry.

-Quoi ? Il l'a évité non ?

-Là n'est pas la question, intervint calmement Amélia. La prochaine fois que tu renvois un sort de cette catégorie alors que nous ne sommes pas en entraînement spécial, je t'interdis d'assister à mes cours durant deux semaines. Est-ce clair ?

-Non ! Tu crois que nos ennemis feront attention à notre âge ? Ils…

-Emily. Il suffit.

La voix du Survivant était basse et implacable.

-C'était un beau duel et tu te débrouilles d'une façon admirable. Mais tu dois respecter les limites. Suivre les règles peut sauver des vies.

Elle tremblait de tous ses membres, prête à répliquer, et vacillant dangereusement, épuisée.

-Certaines choses ne valent pas la peine de s'épuiser ainsi. Choisis tes combats, lui assena-t-il.

Il avait entendu ce mantra nombre de fois et ce conseil demeurait aussi précieux qu'au premier jour.

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Lorsque la fin de la semaine arriva, Pénélope ne put donner aucune nouvelle d'amélioration en ce qui concernait Gabrielle Delacour, à son plus grand désarroi. Elle savait qu'elle ne devait pas autant s'impliquer en ce qui concernait ses patients, mais elle ne pouvait s'empêcher de répéter les erreurs. Encore, et encore. La sœur de la jeune fille accordait à la Rivière une attention particulière et se montrait reconnaissante envers Pénélope. Respectueuse et amicale, Fleur avait fait en sorte qu'ils soient installés le mieux possible. La souffrance muette et destructrice que la médicomage avait perçue chez cette femme les deux uniques fois où elle avait été autorisée à voir sa cadette l'avaient touchée au plus haut point.

Pénélope était heureuse que Charlie s'en sorte, et de façon admirable. Terriblement mutilé, le dragonnier savourait chaque instant de liberté et remplaçait sa vue par ses autres sens. Il avait senti les douces fragrances du potager avec une émotion à peine contenue, souriait lorsque le vent ébouriffait ses cheveux propres et fraîchement coupés et discutait joyeusement avec les autres blessés. Il éprouvait un tel bonheur à s'être sorti des geôles qu'il désirait vivre. C'était pour ces instants que Pénélope vivait et s'occupait des autres. Pour ces éclats de bonheur dans un enfer infini, pour ces sourires et cette innocence dans la mort et la douleur.

Bill avait déjà fait plusieurs demandes de visites, qu'elle avait accepté passé la première semaine, une fois sûre que Charlie était plus ou moins remis. Il avait déjà repris quelques kilos, ce qui constituait un phénomène remarquable ces temps-ci. Ce samedi, il était sensé amener Hope dans la salle de visite prévue à cet effet –les enfants en bonne santé étaient tenus à l'écart des blessés qui n'étaient pas leur famille-. Pénélope supervisait ce jour là, un travail que tous les guérisseurs aimaient car ces heures du week end étaient sources de joies.

Quelques autres personnes s'y trouvaient lorsque Lee guida Charlie jusqu'à un fauteuil. Des frères et sœurs, des enfants réfugiés à Poudlard venant voir leurs parents… Neville accueillait sa mère ici, encore deux mois auparavant à peine… Pénélope s'efforça de le chasser de ses pensées. Les morts tombaient tous les jours et s'appesantir sur eux signifiait faire moins attention aux convalescents qui avaient besoin d'eux.

-Charlie !

Bill venait d'entrer, portant dans les bras une enfant magnifique aux yeux bleus de sa mère et à ses traits angélique mais aux longs cheveux aussi flamboyants que son père et ses oncles. L'homme se dirigea vers son frère et posa l'enfant devant lui.

-Onc' Charlie ? s'enquit la petite.

Le blessé tourna la tête vers elle mais elle ne broncha pas, prévenue par son père.

-Papa y dit souvent que t'es un pyomane, gazouilla-t-elle.

-Eh, dis donc toi ! riposta Bill en lui pinçant les côtes.

Elle se tordit de rire puis posa ses mains sur les genoux de son oncle pour tenter de s'y hisser. Charlie paraissait un peu tendu, et Pénélope hésita à intervenir. Elle se contenta de garder une oreille attentive sur ce qui restait de la famille Weasley.

-Eh ! Onc' Charlie ? Papa y dit tu peux pas voir passque les méchants y t'ont fait mal aux yeux. Tu peux pas parler ?

Charlie eut un léger sourire aussi ému qu'amusé.

-Si je peux parler… Alors… Tu es Hope, n'est ce pas ? Tu as deux ans ?

-Ben ui ! Ze suis grande !

Elle gigotait toujours et il saisit maladroitement la petite de son bras pour la poser sur lui. Elle se serra contre lui et entoura son torse de ses petits bras.

-C'est quoi un pyomane ? demanda-t-elle, ne perdant pas de vue ses objectifs.

-C'est un garçon qui met le feu à Poudlard avec ses dragons, pour faire fuir les méchants, répondit Bill.

Hope eut l'air perdue puis haussa les épaules en décidant que son oncle était son nouveau héro. Charlie commençait à se détendre et Pénélope reporta son attention ailleurs, tentant de dissimuler son sourire fleurissant.


Sa légèreté retomba lorsqu'elle pénétra dans la chambre de Susan Bones. Comme tous les patients difficiles, elle était toute seule. La jeune fille fixait le jardin par la fenêtre, les bras enroulés autour des genoux, se balançant légèrement dans un mouvement berçant fait pour la rassurer.

-Susan ? s'enquit doucement Pénélope.

Elle remplit un verre d'eau, y ajouta une feuille de thym qu'elle laissa tremper, puis d'un mouvement de baguette, renouvela le sortilège de chaleur sur la jeune fille, qui cessa peu à peu de trembler.

-Je suis allée au groupe de lecture, répondit-elle d'une voix éteinte.

Pénélope en avait été informée, mais que sa patiente le lui dise lui ramena un peu d'espoir.

-C'est super ! Qu'avez-vous lu ?

-La belle au bois dormant.

Pénélope commenta d'un ton un peu plus enjoué qu'elle ne se sentait en réalité et posa le verre sur la table devant les yeux de Susan. Ils n'avaient plus d'ingrédients pour faire les potions mais le thym relaxait toujours les patients.

-Je veux être brûlée, déclara tout à coup la jeune fille.

Pénélope tressaillit mais s'efforça de demeurer calme.

-Pourquoi ?

-Quand je serais morte. Je veux être brûlée.

Il fut aisé à la médicomage de décoder ses paroles : une fois réduite en cendre, elle ne pourrait plus devenir un Inferi.

-Tu es en sécurité ici.

Si la jeune fille avait des pulsions suicidaires, il faudrait la remettre en chambre double et accentuer sa surveillance.

-Je veux retourner dans l'Ordre.

C'était la première fois qu'elle effectuait une telle demande, et il s'agissait d'une nette évolution. Pénélope lui tendit le verre et Susan le prit en faisant attention à ne pas même effleurer ses doigts. Depuis qu'elle avait été aux prises avec les Inferi, elle ne supportait plus aucun contact ce qui avait posé des problèmes dans ses soins.

-Tu n'es pas prête, Susan, déclara-t-elle à regret. Mais si tu désire avancer nous pouvons…

-Je veux retourner dans l'Ordre, la coupa la jeune fille avec une morgue inhabituelle. Ils ont besoin d'effectifs. Je chercherais les Horcruxes et je me battrais, et je mourrais au combat, et je serais brûlée.

Elle était toujours aussi éteinte, mais une détermination étrange émanait d'elle. Une détermination mortuaire des plus inquiétantes.

o°o°O°o°o

Les membres de l'Ordre étaient silencieux. Harry n'avait programmé une réunion que pour maintenir l'illusion qu'ils pouvaient encore se retrouver au moins deux fois par mois parfois, malgré les nombreuses interruptions. L'inutile et courte mission qu'il avait effectuée avait fait l'objet d'un bref compte rendu mais il n'avait plus rien à dire. Les trivialités étaient réglées avec les Alliés et rien de suffisamment important ne s'était produit pour nécessiter des heures de bavardage.

-Voldemort va chercher à nous attaquer, lança Bill d'un air légèrement absent. Il a perdu de nombreux alliés ces derniers temps, il voudra être sûr de reprendre l'avantage.

-Eh bien, qu'il attaque, grogna Harry avec un accès de mauvais humeur. Avec un peu de chance nous pourrions au moins l'atteindre et tenter de tuer Nagini.

Tous revinrent brusquement à la réalité et dévisagèrent leur meneur avec surprise. Si ses accès de colère avaient été nombreux durant son adolescence, il était désormais calme, posé, presque inatteignable.

-N'étions nous pas sensés planifier une visite à Sainte Mangouste ? intervint Amelia Bones.

-Nous aurions besoin d'effectifs au complet pour avoir une chance de nous en approcher, répondit le Survivant avec lassitude. Mais… soit. Je passerais voir Pénélope et lui demanderai de quoi elle aurait éventuellement besoin. Elle pourrait nous déléguer quelques guérisseurs, si nous lui fournissons des renforts.

Il n'avait pas l'énergie de mener cette réunion et doutait de pouvoir maintenir l'illusion quelques minutes de plus. Il savait aux yeux clairs levés vers lui d'Artemis que le garçon avait perçu son état d'esprit et qu'il était inquiet.

-Harry, nous devrions approcher les Opportunistes qui hésitent et former de nouveaux espions, annonça Terry.

De nouveaux espions qui les renseigneraient, de nouvelles missions, de nouvelles piles de cadavres. Il croisa le regard de Lucius qui prit la parole de son habituelle voix douce et froide.

-Le camp d'en face s'est fait bien trop discret depuis le Manoir Malefoy. Il prépare une attaque. Le Seigneur des Ténèbres enverra ses troupes remises en forme pour une bataille décisive.

Et s'ils ne parvenaient pas à tuer Nagini, Harry ne se présenterait pas à Voldemort, et de nouveau, la période de latence où ils pleureraient leurs morts et panseraient leurs blessures recommencerait.

-Voldemort est notre plus grande préoccupation, déclara-t-il à Terry. Je vais aller à la Rivière. Amelia, va annoncer à Karen qu'elle te secondera dans l'entraînement. Tu prendras les plus jeunes. Tonks, Bill, trouvez Raj et son équipe, et vérifiez la sécurité de Poudlard, renforcez la. Terry, voit si Dirk est disponible et faites le point au niveau des baguettes magiques. Fleur, tu viens avec moi à la Rivière. Si tu peux raisonner ta sœur… Artemis, avertis moi si tu trouves une stratégie. Lucius, entraîne les adultes en compagnie des autres.

Ils s'inclinèrent et Harry soupira. Autrefois l'Ordre était séparée entre Flammes et Phénix. A présent, ils étaient tout juste assez nombreux pour se séparer les tâches les plus complexes et obtenir un peu de sommeil.


Le réseau permettant d'accéder à la Rivière était des plus sécurisé : il s'agissait d'un cabanon situé près de l'endroit de transplanage de Poudlard, contenant une cheminée, et placée sous le sceau d'un secret dont Pénélope était la gardienne. Si toutes les personnes combattant pour la Lumière en avaient l'adresse, aucune ne pouvait la donner sauf Pénélope Deauclaire. Lorsque Fleur et Harry pénétrèrent dans le cabanon, leurs regards tentèrent sans succès de ne pas s'étendre sur les tâches de sang et de boue qui maculaient le sol ni sur la puanteur qui demeurait inévitablement.

-Sander's Cave.

La poudre de cheminette était une autre denrée rare vouée à disparaître mais pour le moment, des personnes dans les deux camps continuaient de savoir la fabriquer.

La vieille femme qui s'occupait de l'accueil se leva avec inquiétude en reconnaissant le Survivant.

-Simple visite Griselda, la rassura-t-il aussitôt. Pénélope est-elle disponible ?

Celle-ci consulta un appareil entre technologie moldue et magie sorcière, tapotant sa baguette dessus en annonçant le nom de la jeune femme.

-Elle se trouve en compagnie de Gabrielle Delacour, répondit sombrement Griselda. Vous savez où se trouve sa chambre ?

-Oui, répondit rapidement –trop rapidement- Fleur. Nous vous remercions.

Elle se dirigea d'un pas pressé vers les escaliers, et Harry dut courir pour la rattraper.

-Fleur…

-Harry, je verrais ma petite sœur. Je sais que ce ne sera pas mieux que la dernière fois, mais je tiendrais le coup. Je la protégerai au péril de ma vie, et je l'aimerais quoi qu'elle fasse. Elle est ma sœur.

Alors qu'ils franchissaient un palier, elle se tourna vers lui, son regard adouci.

-Ne me dis pas que tu ignores ce que c'est, Harry. Tu as été l'équivalent d'un pupille pour Regulus et tu as noué de forts liens avec Artemis.

Elle laissa un instant flotter ses paroles dans l'air, subtile et avec un demi sourire narquois, qui s'effaça alors qu'ils prenaient le couloir menant à la chambre de l'adolescente.

-Elle accouche, annonça Lee Jordan lorsqu'ils ouvrirent la porte. Je pense que son corps ne pouvait pas tenir plus longtemps, et son mental non plus.

Tous les médecins arboraient un air sombre. Fleur se rua aux côtés de sa sœur qui fixait le vide, les traits crispés et entièrement muette.

-Il faut que tu l'aides à sortir, Gabrielle. Je sais que tu n'en as pas envie, mais cela accélérera les choses. Tu en seras… débarrassée plus vite.

Fleur se crispa aux paroles de Pénélope, et les mots n'avaient pas non plus été faciles pour la médicomage. Alors que la jeune fille refusait de saisir la main que sa sœur lui offrait, celle-ci se leva avec résignation.

-Peut-on aider ?

-Massez lui le ventre, répondit Pénélope, aidez l'enfant à se trouver un chemin.

-C'est un monstre, répliqua Gabrielle entre ses dents.

Harry, ainsi que tous les guérisseurs, s'était montré doux avec l'adolescente traumatisée, prenant sur lui de laisser couler le venin qu'elle crachait. Mais il décida, comme avec Emily, qu'il ne pouvait laisser tout passer, qu'importe ce qu'en pensaient le personnel de la Rivière. Il se plaça à côté de Gabrielle de façon à être dans son champ de vision.

-Ceux qui t'ont fait ça sont des monstres, le géniteur de l'enfant est un monstre, mais je t'interdis de répéter cette phrase, compris ? Il va venir au monde sans rien avoir demandé, et il est hors de question que ce soit la première chose qu'il entende.

-Tu lui as trouvé une nourrice ? demanda Lee alors que la jeune fille avait une nouvelle contraction. Elle fatigue, il nous faudrait un philtre de force.

-Nous n'en avons presque plus, annonça une guérisseuse, l'air concerné.

-Deux vies sont en danger, c'est une circonstance suffisante ! s'exclama-t-il avec fureur.

La femme détala en direction des réserves. L'ambiance était sombre et tendue, la haine de Gabrielle imprégnait l'atmosphère.

-Parvati s'en occupera, annonça Harry.

De nombreuses femmes auraient été volontaires pour prendre soin d'un jeune orphelin, et quelques mères allaitaient leurs enfants, mais il avait besoin de quelqu'un qui sache d'où il venait et l'aime sans considération. Parvati en était capable, son propre enfant provenant d'une histoire plus ou moins semblable à celle de Gabrielle. « Ils grandiront comme des jumeaux », avait-elle promis.

-Laissez le crever, cracha la jeune fille en poussant de nouveau. Qu'est-ce que tu f'ras quand y but'ras des vies comme son enfoiré de père ?

-Gabrielle ! la rappela fermement Fleur. Plus un mot jusqu'à ce que l'enfant soit hors de cette pièce. Tu vous fait souffrir tous les deux et tu te ralentis.

Son regard noir n'acceptait aucune réplique. Des larmes de frustrations, de douleur et de peine roulèrent sur les joues creuses de l'adolescente.

Le philtre de force redonna la vigueur nécessaire à la mère et à l'enfant, et eut l'avantage d'aider également les maigres réserves de l'ancienne prisonnière à se reconstituer. Elle reprit quelques couleurs alors que Pénélope pouvait finalement couper le cordon ombilical. Le silence dans la pièce était total.

-Il est vivant, annonça la médicomage avec soulagement. Je vais aller m'occuper de lui. Gabrielle, c'est un garçon. Est-ce que tu veux le voir ?

-Ecartes cette… elle flancha sous le regard de sa sœur. Non. Ni le voir, ni le nommer.

Les médicomages prirent soin de l'adolescente alors que Fleur caressait doucement ses cheveux.

-Tu t'es bien débrouillée ma belle. Tu vas pouvoir reprendre des forces. Quand tu iras mieux, je viendrais te voir tous les jours, et peut-être que tu pourras rentrer à Poudlard.

-Je suis souillée, marmonna-t-elle, épuisée.

-Bien sûr que non. Tu as été plus courageuse que je n'aurais pu l'être à ton âge. Tu es exceptionnelle. Je t'aime, Gabrielle.

Elle détourna la tête et Harry sortit discrètement. Il étouffait dans cette atmosphère, dans cette horreur, dans ces ignominies qui n'en finissaient plus. Et il savait que l'adolescente brisée ne se remettrait jamais.

-Il doit être nourri, annonça Pénélope. Il faudrait que Fleur le mène directement à Parvati.

-Il va bien ? demanda Harry malgré lui.

-Il… Il n'a pas émis un seul son, pas ouvert la bouche. Je ne sais pas s'il va accepter de se nourrir. Tu sais, les enfants, même ceux qui ne sont pas encore nés, sentent tout. Il sait que sa mère haïssait ce qu'il représentait et qu'il n'était pas désiré. Il ne s'est accroché à la vie que parce qu'elle le faisait aussi.

Pris de nausée, le jeune homme regarda l'enfant. Celui-ci regardait fixement devant lui, avec ces yeux bleus caractéristiques des nouveaux nés, voyant des contours flous. Il était parfaitement calme et immobile. Ses cheveux humides du bain étaient collés sur son front. Sans qu'il ne s'en rende compte, Harry se retrouva si proche de lui qu'il put ressentir sa chaleur.

-Je vais avertir Fleur. Peux-tu le prendre ?

-Pénélope, je…

Mais l'ancienne Serdaigle lui avait déjà posé l'enfant dans les bras, et à la lueur rusée qu'il vit dans ses yeux, Harry comprit que ç'avait à moitié été une excuse.

La sensation était étrange. L'enfant était particulièrement léger, il respirait profondément, toujours sans bruit. Harry avait un doigt sur son ventre, vérifiant que celui-ci se soulevait bien. Sa gorge se noua soudainement. Il avait porté Hope, bien entendu, et quelques orphelins, mais jamais si peu après la naissance. Et jamais il ne pourrait le faire avec son propre enfant. Ginny… Et quand bien même… Il se sacrifierait face à Voldemort. Il portait en lui un Horcruxe, une horreur qui le rapprochait du mage noir honni. Doucement, il fit passer l'enfant sur son épaule et le serra tendrement.

-Je ferais tout pour que ton avenir soit plus beau que cette horreur. Pour que jamais tu n'aies à pâtir de la manière dont tu es venu à la vie. Je te promets qu'une vie vaut le coup, qu'elle a de la valeur…

Quelle valeur avait réellement la vie, en ces temps troublés ? Les sorciers tombaient les uns après les autres sans qu'ils ne puissent rien y faire. La mort avait été intégrée au quotidien. La propre vie du Survivant qu'il était n'avait d'autre but que le sacrifice une fois que Nagini aurait été tuée.

-Je te promets que tu seras aimé.

Il le berça doucement en attendant que Fleur ne le rejoigne. Ce fut sans un mot qu'il lui déposa son neveu dans les bras. Elle le contempla avec une émotion contenue, puis hocha la tête avant de se diriger vers la cheminée pour ramener le nourrisson à Poudlard.


Harry fit le point avec Pénélope et d'autres guérisseurs sur les remèdes manquants dont ils auraient besoin s'ils parvenaient à accéder à Ste Mangouste. Si par un quelconque miracle il restait des remèdes dans les locaux plus ou moins désaffectés, et qu'ils pouvaient encore en faire quelque chose. Alors qu'il repartait dans les couloirs de Sanders's Cave, son esprit était dirigé vers de toutes autres problématiques. Vers cet enfant dont les premiers mots qui lui avaient été adressés par sa mère avaient été « monstre » « chose ignoble », et qui se considérait déjà comme indésirable dans cet enfer terrestre qu'était devenu le sol de Grande Bretagne. Vers ses combats incessants dont il ne parvenait pas à obtenir une issue satisfaisante. Vers les deux adolescentes brisées qu'étaient Emily et Gabrielle et qui se ressemblaient douloureusement. Et vers Lucius et ses mots tombant comme une sentence impitoyable : « Il n'y a pas d'après-guerre ».

Il tomba au détour d'un couloir sur une figure connue. Grand et mince, le visage cadavérique alors qu'il avait autrefois été d'une douce couleur miel, des cernes noirs creusant ses joues et ses yeux bleu et vert trop alertes, Neil Cloustrom semblait pourtant connaître une légère amélioration, au vu du sourire fantôme qu'il adressa à son ancien leader lorsqu'il le vit.

-Harry, le salua-t-il d'un ton à peu près joyeux.

Il revenait de loin. Plus d'un an auparavant, il s'amusait de la magie noire, riait de la mort de façon morbide, voire psychopathique, et était un danger autant pour les autres que pour lui-même. La dernière fois qu'Harry l'avait vu, il était apathique et aussi monocorde qu'Artémis mais comme si rien ne pouvait plus le toucher. C'était un soulagement de retrouver ne serait-ce qu l'ombre du garçon optimiste et déterminé qu'il avait été.

-Comment vas-tu, Neil ? répondit-il avec une chaleur qui le surprit lui-même.

Il s'efforçait de se détacher émotionnellement lorsqu'il venait à la Rivière.

-Mieux, confessa le garçon avec une lucidité nouvelle. Je sens toujours les effets… ici –il désigna son cœur-, mais je pense que le plus dur a été fait. J'ai continué à avancer, comme le conseille Artemis.

Il passa une main dans ses cheveux lisses, ressemblant l'espace d'un instant à un James Potter de quinze ans gêné.

-Il me manque. Harry, peux-tu lui transmettre un message ?

-Bien sûr.

Les yeux de Neil reprirent un léger éclat et il s'approcha lentement de Harry, posant une main fraîche sur sa joue. Le Survivant se tendit, anticipant une attaque ou une crise de folie.

-Je sais que tu ne peux venir ici. Bientôt peut-être je serais apte à retourner à Poudlard. Tu me manques.

L'émotion faisait trembler sa voix et il s'éloigna rapidement du leader de la Lumière.

-Merci, Harry, déclara-t-il avant de s'éclipser.

Ses yeux brillaient un peu trop et Harry le devinait trop fier pour laisser ses barrières céder devant lui. Il resta un instant statique dans le couloir. Neil avait toujours appréhendé la différence d'Artemis avec sa personnalité propre, et toujours pris en compte ses capacités. Harry devrait transmettre un message mental, et il n'était pas sûr d'apprécier cela, mais indubitablement, ce qui venait de se passer témoignait d'un rétablissement.

A l'inverse de Pénélope, il ne ressentir aucun espoir mais plutôt un profond et égoïste abattement. Il était toujours douloureusement seul, rattaché au monde par l'Horcruxe et par Voldemort, alors que ses alliés avaient une famille ou des amis qui s'en rapprochaient. Il avait perdu ses mentors les uns après les autres, et ceux qui lui étaient proches tombaient chaque jour.


Il poussa la porte de la chambre A12. Elle était fraîche et les fleurs sur lesquelles il avait posé un charme afin qu'elles ne fanent jamais embaumaient délicieusement, mais les murs oranges et le sol crème ne parvenaient pas à endiguer la blancheur des lits, des draps, des visages. Harry se dirigea vers le lit le plus proche de la fenêtre, jetant à peine un regard au potager en contrebas. Il s'assit sur le lit alors que le deuil et la tristesse l'envahissaient sans qu'il ne cherche à les contrer. Il posa une main dans les cheveux de la blessée puis descendit sur sa joue.

-Bonjour Hermione.

Elle ne réagit pas plus que les dernières fois mais il sentit tout de même son cœur se serrer devant les paupières qui demeuraient closes. Elle ressemblait à une poupée, avec son visage de porcelaine et ses doux traits pourtant neutres. Ses cheveux étaient aussi broussailleux que lorsqu'ils se trouvaient à Poudlard. Chaque fois qu'il venait dans cette pièce, Harry était renvoyé à sa deuxième année et à la pétrification de sa meilleure amie par le Basilic. Mais Hermione était une adulte désormais et il n'existait aucune potion pouvant la faire sortir du coma, aucun philtre ni sortilège. Elle devait trouver le chemin du retour seule.

-Tout va bien au château, autant que possible, lui raconta-t-il en attrapant une brosse. Nous nous entraînons en prévision d'une attaque sur les conseils de Lucius, Parvati a eu une petite fille, Padma, et va prendre soin de l'enfant de Gabrielle… Nous l'avons finalement retrouvée.

Elle respirait à l'aide de tuyaux, il rectifia ses couvertures en prenant garde à ne pas les déplacer et renouvela l'eau des fleurs.

-Nagini reste auprès de Voldemort, et je n'irais pas à sa rencontre tant qu'elle ne sera pas morte. La Lumière a besoin de moi. Nous sommes dans une impasse depuis des années et nous perdons du terrain avant d'en regagner. Je n'en vois pas la fin.

« Lucius non plus, d'ailleurs. Il pense que nous ne pourrons pas reconstruire une civilisation et je commence à croire qu'il n'a pas tort. J'aimerais que tu sois là, Hermione, pour nous dire que nous sommes stupides et nous faire partager ta vision.

« Imaginons que je survive. Imaginons que je tues Voldemort en m'étant débarrassé de l'Horcuxe qui pourrit en moi. C'est ce que nous avions planifié, et je sais qu'Artemis et mon bras droit travaillent toujours là-dessus. Si tu avais été là, ton rationalisme les aurait aidés, mais je crois qu'ils s'en sortent admirablement, en ces conditions. Ils laissent entendre que j'ai l'espoir de voir la fin de la guerre, de voir la paix revenir.

« Si je survis, je pourrais commencer à vivre, selon la prophétie, mais je crains que le monde magique et moldu restant ne partage pas cet avis. Je suis le Leader de la Lumière, ils auront besoin de moi pour la reconstruction et… tu pourrais me traiter d'égoïste Hermione, mais je suis épuisé. Je ne veux pas de ce poids sur mes épaules, j'en ai déjà de trop. Regulus avait raison.

« En quelques sortes tu as de la chance, Hermione. Tu échappes au deuil en restant dans le coma, à l'horreur mais surtout à la souffrance. Je suis désolé qu'il soit mort, mais j'aurais eu besoin de toi.

« Si tu demeures ainsi… Qu'y a-t-il qui m'attende après la guerre ? Même si Lucius avait tort, je ne vois pas d'issue heureuse pour moi. Mais je suppose qu'après avoir été marqué par Voldemort étant enfant, le bonheur est une notion que je me dois d'ignorer. »

Harry sentit une goutte tomber sur sa main et essuya prestement ses yeux. Si un guérisseur entrait dans la pièce, il ne devait en aucun cas le voir faible et démuni. Reprenant un visage de marbre, il lissa les draps de sa meilleure amie, l'embrassa sur le front et referma la porte d'une chambre toujours aussi silencieuse.

Pénélope lui apprit que Susan avait émis le souhait de revenir dans l'Ordre et il se contenta de hausser les épaules, épuisé par les lieux, la guerre, la maladie, l'Horcruxe, la solitude et l'horreur.

-Cela lui fera peut-être du bien, marmonna-t-il. J'en parlerais avec sa tante.

La médicomage n'insista pas, ce qui lui parut surprenant, et il prit une poignée de poudre de cheminette par automatisme, ne souhaitant rien d'autre que de se retrouver seul dans son bureau.

o°o°O°o°o

L'état de Harry lorsqu'il était revenu avait profondément inquiété Artemis. Le désespoir qui émanait de lui était si douloureux qu'il avait commencé à se balancer légèrement sur place, résistant à la tentation de se replonger dans ses livres et anciennes pensées.

Le message de Neil le bouleversait. Il avait réussi à accepter le fait qu'il ne soit plus toujours auprès de lui et le vide immense qui en résultait, et s'était torturé des nuits entières avec le souvenir des potions et sortilèges frappant le garçon résultant en une folie qu'ils ne parvenaient pas à maîtriser. Ils avaient toujours entretenu une correspondance, néanmoins et leurs sentiments ne s'étaient jamais éteints, mais sentir la caresse de sa main sur sa joue par l'intermédiaire de Harry et voir ces yeux vairons le regarder si tendrement avait réveillé la douleur. Le manque le frappait de nouveau de plein fouet et le besoin de sentir son odeur et d'accepter son contact était si fort qu'il en devenait une obsession.

Artemis s'efforçait de ne pas se replier sur lui-même, mais ses émotions le torturaient sans qu'il ne puisse parvenir à les gérer et l'angoisse se faisait si forte qu'il ignorait combien de temps il résisterait.

-Désires-tu venir marcher en ma compagnie ?

La voix de Lucius Malefoy le tira à la surface, vers la réalité et il cilla à de nombreuses reprises. L'homme et lui se respectaient profondément et l'aîné l'empêchait de sombrer chaque fois qu'il pressentait que quelque chose le tourmentait.

-Ce serait un plaisir, approuva-t-il.

Ils ne pouvaient réellement aller prendre l'air dans le parc, mais l'un des cloîtres avait résisté aux assauts des résistants et des dragons, et ils s'y dirigèrent sans avoir besoin de se concerter.

-Je me souviens des années où Poudlard était encore le havre de sûreté inébranlable, commenta le loup-garou avec nostalgie. C'est ici même que Narcissa et moi nous sommes promenés, le lendemain de nos fiançailles.

Une jeune femme magnifique aux longs cheveux blonds et aux yeux aussi gris que ceux de Regulus, Sirius et Draco.

Un rire cristallin et enjoué.

Une pression sur le bras alors qu'une pluie fine résonne dans le cloître.

-Certains considéraient qu'il s'agissait d'un mariage de convenance mais nous étions tous deux heureux de la compagnie de l'autre. Elle épousait également mes idéaux, pourtant bien moins prononcés chez elle… suffisamment pour bannir Andromeda de la famille. Narcissa avait craint que je ne la repousse à cause de sa sœur.

Deux prunelles d'argent craintives.

Anxiété palpable. Surprise.

Des rires, des sorts qui fusent, des bruits de pas sur les pierres.

-J'aurais été un goujat d'agir de la sorte. J'ai enseigné mon sens de l'honneur à Draco, mais il n'en a fait usage que tardivement.

Regret. Tristesse intense.

Les émotions de Lucius disparurent brutalement, supprimées pour épargner Artemis qui inclina la tête en guise de remerciement. Les souvenirs nostalgiques de l'homme énoncés de sa voix veloutée avaient eu l'effet escompté sur le garçon, qui se sentait apaisé.

-Qu'est-ce qui te tourmente ? s'enquit l'adulte.

-Harry.

-Nous avons ce point en commun.

-Ce que tu lui as dit, également. Nous sommes épuisés par la guerre à un point où il semblerait qu'elle touche à sa fin, mais nous ne sommes pas plus avancés qu'il y a un an. De nouveaux désastres et de nouveaux combats sont à prévoir. Je vis dans cette atmosphère de guerre depuis mes neuf ans mais tout empire de jour en jour. Les blessures et les traumatismes, la famine et la malade, la mort et l'horreur… je suis épuisé, mais Harry… Harry doit supporter tout cela plus intensément encore car le monde repose sur ses épaules.

Lucius se stoppa soudainement et jaugea le garçon qui se tenait devant lui.

-Dis moi ce que tu ressens, toi, ordonna-t-il.

Artemis secoua un instant ses cheveux blancs, confus. Il refusait de se plaindre mais le ton de Lucius était sans appel. Par certains côtés, l'homme lui rappelait son père, avec ses manières aristocratiques et sa fermeté impassible derrière laquelle il percevait une compassion impressionnante.

-Je suivrais Harry jusqu'au bout, promit-il. Je ne supporte plus les jours sombres que nous vivons et je peine à entrevoir l'espoir au bout de notre chemin. Mon esprit est sans cesse occupé par les éventualités que je parviens pas à planifier jusqu'au bout, nos réunions ne semblent mener nulle part. Je serais prêt à aller tuer Nagini de mes propres mains pour permettre à cette guerre de finir mais je sais quelle formidable arme je serais pour Voldemort. Je continue à me battre pour empêcher l'Ombre de répandre l'horreur et la terreur par delà la Grande Bretagne et tenir ma position auprès de Harry.

Lucius hésita, puis posa une main ferme sur son épaule.

Deux yeux gris effrontés fixaient Lucius, si semblable à ceux de sa mère que c'en était troublant. Le menton pointu de Draco était levé en signe de défiance.

-Je me battrais à ses côtés tant que je respirerais encore, Père. La liberté est une cause bien plus digne qu'un statut du sang qui, une fois versé, est tout aussi rouge quel que soit son origine.

Artemis vacilla légèrement mais apprécia la chaleur rassurante qui lui était prodiguée.

-C'est l'unique raison pour laquelle je me bats aujourd'hui, admit-il. Je suis navré que tu ne voies plus l'espoir non plus.

-Une fois la guerre terminée le Royaume Uni ne sera plus qu'un désert que les résidus de magie rendront dangereux et inhabitables. Neil auras des séquelles que je pourrais pallier mais j'ignore si lui et moi serons toujours vivants. Je sais que tu ne comptes pas survivre et tu n'es pas le seul. Dirk, Amelia, Raj, Emily, Astoria ne pensent pas réchapper de la guerre. Ils seront heureux de donner leur vie pour que la Lumière triomphe.

Lucius raffermit sa prise et poussa gentiment Artemis à se tourner vers lui.

-Nous devons vaincre, Artemis. Le reste importe peu.

-Je ne suis pas d'accord. La vie importe. L'espoir et le bonheur sont primordiaux. C'est ce pour quoi nous nous battons.

L'homme eut l'ébauche d'un sourire ironique.

Sirius Black dans les couloirs de Poudlard, portant fièrement les couleurs de Gryffondor.

Regulus Black, debout dans la salle commune des Serpentard, flamboyant.

Draco, se battant pour ses idéaux.

Il ne dit mot, néanmoins, se contentant de lâcher l'épaule du garçon pour reprendre sa marche.

L'esprit d'Artemis tournoyait violemment lorsqu'il retourna dans l'ancienne salle commune des Poufsouffle.

o°o°O°o°o

Jamais avant de tenir sa fille dans ses bras, Parvati n'avait pu imaginer la force de l'amour que sa mère avait eu pour elle et sa jumelle. Leurs parents étaient morts lors d'une attaque au ministère. Ils s'étaient sacrifiés pour qu'elles puissent fuir. Des années durant, elle n'était pas parvenue à leur pardonner, jusqu'à ces quelques semaines plus tôt où elle avait tenu Padma dans ses bras. Désormais elle avait pour certitude qu'elle construirait un monde nouveau pour sa fille, qu'elle était capable de déplacer Poudlard entier s'il le fallait pour assurer une vie heureuse à son enfant.

La grossesse avait été d'autant plus dure à accepter qu'elle avait fait un déni jusqu'à ce que Fleur reconnaisse les symptômes et la fatigue. Quatre mois lui étaient alors restés pour se préparer à l'idée qu'elle portait dans son ventre la semence de ce que le monde civilisé dans lequel elle avait vécu jusqu'à ses dix-sept ans aurait appelé son violeur. Terry, Dirk et Amelia l'avaient soutenue tout au long de sa grossesse et à la naissance de Padma, le résultat avait été là : elle aimait l'enfant, et son géniteur n'importait que peu.

Parvati, plus que les autres mères du château, avait donc été à même de comprendre la douleur de Gabrielle, et d'accepter de recueillir l'enfant. Lorsque Fleur se présenta à elle, un nourrisson d'à peine quelques minutes dans les bras, elle ne put empêcher la surprise de l'envahir, néanmoins. Elle ne s'attendait pas à ce que la grossesse arrive si rapidement à terme, ni à ce que Gabrielle refuse jusqu'à la première tétée de l'enfant, qui contenait pourtant d'importants fluides nourrissants et protecteurs.

-Je te le confie, déclara Fleur avec un épuisement palpable. Il aurait besoin d'être nourri maintenant…

-Pas de souci, répondit-elle, faisant aussitôt remonter ses vêtements jusqu'à dévoiler sa poitrine gorgée de lait.

En temps de guerre, la pudeur n'avait plus aucune importance. Alors que la jeune femme déposait l'enfant dans ses bras, Parvati fut surprise de le voir réveillé alors qu'il n'émettait aucun son. De son expérience, il n'aurait pas dû aimer être affamé, trimballé à travers les cheminées puis dans les ruines de Poudlard. Elle le déposa contre son sein et attendit que sa chaleur et l'odeur du lait se mêlent à l'instinct, mais le nourrisson ne broncha pas. L'inquiétude commença à poindre en elle, et elle insista, sans succès et surtout, sans déclencher aucune réaction, aucun cri de peur ou d'indignation. Le bébé avait les yeux ouverts et alertes mais restait apathique. Elle leva la tête vers Fleur, qui l'observait avec une angoisse mal dissimulée.

-Est-ce qu'il…

-Il n'a pas pleuré à la naissance, répondit la française. Ce n'est pas un souci de cordes vocales, il n'a tout simplement pas ouvert la bouche.

Parvati déglutit difficilement, puis ramena l'enfant sur ses genoux pour tenter tout doucement de l'examiner –mais si Pénélope n'avait rien détecté, que pouvait-elle y faire ?-. Le nourrisson était vivant, et bien éveillé, mais il ne s'agitait pas. Il demeurait immobile, respirant et observant les vagues contours que sa vision lui permettait. Se souvenant de ce qui calmait Padma lorsque son lait se faisait rare, Parvati enfouit son doigt dans sa bouche pour le stériliser, puis, avec une extrême patience mêlée de douceur, écarta de force les minuscules lèvres roses. La langue et les lèvres réagirent aussitôt au réflexe de succion, puis de déglutition. Elle échangea un nouveau et sombre regard avec Fleur.

-Je vais avoir besoin de ton aide, déclara-t-elle. Il faudrait que tu fasses la même chose que moi, puis que tu lâches de façon à ce qu'il puisse prendre mon sein.

Fleur s'agenouilla et au bout de plusieurs essais où Parvati eut envie de crier et de laisser aller sa frustration, les lèvres de l'enfant se renfermèrent enfin sur son téton et il se mit à boire. Les deux femmes respirèrent enfin correctement.

-Je ferais cela tous les jours s'il le faut, promis Parvati, mais je ne sais pas si…

-Gabrielle n'a eu de cesse de le rejeter. Elle le haïssait vraiment, et il le sait.

La voix de cette jeune et magnifique femme si forte n'était qu'un murmure sur le point de se briser. Les rumeurs disaient que les seules faiblesses de Fleur Delacour étaient sa sœur et sa fille, et Parvati venait d'en obtenir une preuve terrible. Elle se sentait mal à l'aise mais n'osait bouger de peur de faire lâcher le sein au bébé.

-Comment veux-tu l'appeler ? demanda-t-elle.

Il ne faisait aucun doute que Gabrielle ne l'avait pas nommé.

-Tu vas t'occuper de lui comme une mère, répondit fermement Fleur. C'est à toi de le nommer.

Elle n'accepterait visiblement pas l'honneur de lui choisir un nom, et pourtant elle était sa tante. Parvati réfléchit un instant… Un nom, un hommage, qui les lierait toutes les deux.

-Cedric.

Fleur eut un mouvement de surprise et de recul.

-Il sera tout aussi beau et digne que lui, ajouta-t-elle. Tu peux venir le voir, tu sais. Tu restes sa tante. Et si Gabrielle veut, un jour… Peut-être.

-Elle ne le voudra pas, répondit son alliée en se levant. Je connais ma sœur et jamais elle ne pourra. Mais… merci.

Sur ces paroles, elle se leva et laissa Parvati dans son coin de dortoir. Une larme qu'elle ne put empêcher de couler roula sur sa joue.

Fleur était digne et fière, et la voir dans cet état serra la gorge de la jeune mère. Son lait s'était déjà tari, et la succion du petit être dans ses bras cessa quelques secondes plus tard. Ses yeux papillonnèrent et il s'endormit rapidement. Elle jeta un coup d'œil à Padma dans son berceau, et se leva, serrant Cedric dans ses bras et le berçant, se promettant de tout faire pour lui démontrer qu'il était aimé.


Certains jours, Parvati pensait qu'elle aurait fait une meilleure Alliée que Flamme –ou membre de l'Ordre, les distinctions ne comptaient plus ces derniers temps-. Elle passait son temps libre en leur compagnie et les suppléait dans leurs tâches lorsqu'ils se trouvaient incapable de les effectuer. Elle disposait néanmoins des informations de l'Ordre, et savait parfaitement pourquoi les entraînements avaient repris avec plus d'assiduité que jamais. Ils craignaient une attaque de Voldemort à Poudlard car il s'était fait silencieux depuis trop de temps son absence lors de la bataille au Manoir Malefoy en avait angoissé plus d'un. Et dans l'esprit de la plupart des membres de l'Ordre, le lieux de la bataille finale serait Poudlard, or ils étaient loin de se considérer comme prêts. Nagini était vivante et l'importance de ce serpent était ce qui différenciait en partie Alliés et Ordre. Sans la mort de l'avant dernier Horcruxe, il était impossible de vaincre Voldemort. Et surtout, Harry n'était toujours pas débarrassé du bout d'âme qui le reliait au Mage Noir.

Les adultes s'entraînaient dans des salles de classes, séparés des enfants et dans plusieurs catégories. Parvati aurait voulu se spécialiser dans la guérison mais en tant que membre de l'Ordre, elle se tiendrait dans les premiers ou derniers rangs. Elle se contentait donc de s'exercer en compagnie de ceux qui avaient, pour le moment, trouvé refuge auprès de la Lumière. Sa baguette demeurait intacte et renforcée à l'aide de plusieurs sorts.

-Pourquoi se battre ? L'Ordre est là pour le faire à notre place, gémit une femme, mère de deux enfants dont un avait péri de la famine.

Parvati grimaça lorsqu'elle vit Astoria s'approcher de l'inconnue. La jeune femme dégageait un calme glacé relativement effrayant et il était de notoriété publique que certaines choses la mettaient dans de terrifiantes colères froides.

-Pourquoi vous battre ? C'est vrai, les vies de l'Ordre valent tellement moins que les nôtres, et ils sont volontaires pour se battre à notre place… Ces pensées étaient bonnes il y a cinq ans ! Vous vous battez près de la Lumière ou vous rejoignez les Opportunistes, ils sont très bien, très pacifiques !

-Astoria ! intervint Parvati alors que son interlocutrice pâlissait.

-J'en ai assez de ces personnes qui imaginent qu'elles peuvent être à l'abri de la guerre ! Non, vous devrez vous battre pour votre enfants et les nôtres, pour protéger votre vie, et parce que sans la contribution de tout le monde, nous ne pouvons pas gagner ! Vous avez une baguette, vous vous battez, point. Si vous voulez veiller sur les plus jeunes, vous serez tout aussi honorable, mais vous transmettez votre baguette à un combattant. Telles sont les règles.

Sur ces paroles, elle sortit de la pièce, sa cape volant derrière elle. Parvati l'envia un instant. Astoria avait des idées pures et arrêtées, un courage impressionnant et une langue bien pendue. Elle pouvait se permettre de tels éclats parce qu'elle était convaincue de l'issue de la guerre, de ses idéaux et de son rôle.

Parvati faisait peut être partie de l'Ordre, mais elle savait parfaitement qu'elle aurait pu se trouver à la place de cette femme. Et elle savait également qu'elle doutait chaque jour de sa place, des idéaux, et des raisons qui la retenaient à Poudlard plutôt qu'auprès des Opportunistes.

o°o°O°o°o

Harry raya rageusement les quelques lignes qu'il venait d'écrire et serra le poing sur sa baguette. Depuis que Lucius avait suggéré que Voldemort pouvait planifier une attaque à Poudlard, près d'un mois auparavant déjà, il n'avait eu de cesse d'imaginer divers plans qui pourraient le mener à Nagini. Quadruple diversion, incursion dans l'esprit de Voldemort, utilisation des capacités d'Artemis, tout y était passé sans qu'il ne trouve d'idée qui garde la valeur de la vie en priorité ou sans conséquences dramatiques en cas d'échec.

Il travaillait sur ses plans la nuit lorsqu'il ne parvenait pas à dormir, planifiait des réunions et des entraînements le jour, discutait de ces mêmes plans avec son bras droit, prenait soin des enfants et s'inquiétait de la Lumière, tout en s'acquittant de ses autres tâches de Leader. On était le quatorze juillet 2003, et Harry Potter était dans un état d'épuisement tel qu'il était habitué à ne tenir qu'à peine sur ses jambes.

Il était déterminé à ce que la guerre ne se prolonge pas une année de plus. Sa certitude de pouvoir tenir encore quelques mois partait en lambeaux depuis bien avant l'embrasement du Manoir Malefoy. Sa volonté tenace de mettre un terme à la guerre avant le premier janvier de la prochaine année le prenait régulièrement depuis près d'une décennie, sans jamais aucun succès, mais cette fois différait. Il était à bout. Altaïr était tombé, Susan ne voulait plus vivre, il avait perdu Neville et avait assisté à la naissance d'un enfant qui refusait déjà de vivre. Artemis l'épaulait sans jamais se plaindre, mais Harry le connaissait depuis l'enfance et il savait le décrypter : le garçon était à bout. Les flashs mortuaires et les abominations vécues par les autres venaient s'ajouter à ses propres émotions déjà difficilement maîtrisées. Et Harry, bien qu'il s'interdise de flancher pour pouvoir mener la guerre à terme, savait qu'il risquait d'exploser sous peu. Il avait atteint ses limites.

Le soleil se levait sur un nouveau jour et c'était bien la seule donnée immuable de leur enfer quotidien. Il griffonna de nouvelles suggestions sur un papier et les raya avec tout autant de force que les précédentes. Ils auraient dû tuer Nagini en premier. Voldemort l'avait mise en sécurité et… et il aurait été tellement plus facile de le laisser gagner. Pourtant, il ne lâcherait pas, attendant de le vaincre ou qu'il se lasse, pour la liberté. Pour accorder un meilleur futur à leurs enfants.

-Même toi tu n'y crois plus, ricana-t-il. Aujourd'hui vous vous battez pour que les autres pays se préparent plus longuement et que ça ne dégénère pas en guerre mondiale.

Ils étaient le rempart entre l'Ombre et le reste du monde.

-C'est un but tout aussi noble, fit une voix familière.

Il leva la tête pour rencontrer deux prunelles bleues vives. Son bras droit se tenait dans l'encadrement de la porte, à le jauger du regard.

-Tu m'inquiètes, Harry. Je te connais désormais par cœur et je t'ai vu dans toutes les situations possibles, mais jamais ainsi.

-Jamais comment ? répliqua-t-il avec mauvaise humeur.

-On te croirait revenu à l'adolescence, se moqua son bras droit.

Harry haussa les épaules alors que l'autre se plaçait sur une chaise en face de lui, la même que celle sur laquelle il avait reçu Emily lors d'un entretien éprouvant et douloureux. Une main vint se poser sur la sienne, la plaquer contre le bois verni et la maintenir avec fermeté et compassion.

-Jamais sans l'espoir qui te caractérise. Jamais aussi vidé, comme si tu attendais ta mort comme une délivrance.

-Elle le serait !

-Harry…

Il se leva avec tant de fougue que sa chaise se renversa. Il savait qu'il était en proie à une fureur irraisonnée mais une part de lui souhaitait la laisser sortir. Il n'y avait pas eu de combat depuis longtemps, sa magie était restée enfermée et sa frustration devait trouver un exutoire.

-Non ! hurla-t-il. Ne viens pas me dire que tu ne comprends pas ! Tout le monde est mort, blessé ou traumatisé à jamais ! Je ne vois plus la fin, quant à l'espoir, je ne sais même plus comment j'ai été assez stupide pour le ressentir jusqu'à un moment aussi avancé !

Sa fureur enflait, et sa magie avec. Elle faisait vibrer les objets de son bureau et trembler les quelques livres et tableau.

-Harry James Potter ! tonna son bras droit.

Il se laissa tomber sur le sol et s'autorisa à pleurer, enfin. Il n'avait plus rien, il n'y avait plus rien. Deux fins bras vinrent l'entourer et une odeur sucrée l'enveloppa. Son bras droit le serra dans ses bras comme s'il était sa fille.

-Choisis tes combats, Harry. Il ne sert à rien de dépenser autant d'énergie à briser ton dernier repère.

Le mantra résonna à ses oreilles et lui tira un rictus. Il se laissa aller dans ces bras rassurants.

-Je ne suis pas certain d'avoir le courage d'aller jusqu'au bout, Fleur, avoua-t-il dans un murmure.

Son bras droit le serra un peu plus.

-Tu est l'être le plus courageux, le plus noble et le plus incroyable qu'il m'ait été donné de rencontrer, Harry. Tu parviendras à ton but.

Tous ses alliés s'accordaient à dire que Fleur palliait son sang chaud et son manque d'émotions apparent, et plus que jamais, il ne pouvait que leur donner raison. Elle le força à se retourner vers elle.

-Ecoute moi bien, Harry. Tu crois que tu n'as plus rien, et pourtant nous sommes là. C'est vexant pour moi mais je m'en remettrais, c'est blessant pour Artemis qui t'aime comme un grand frère, c'est inqualifiable pour Lucius qui te respecte profondément et te seras dévoué jusqu'à la fin. Mais surtout, c'est ce qui te fait perdre espoir.

-Je vois ce que tu veux dire, soupira-t-il, mais ça ne marche pas. J'ai tant perdu… Ginny, Ron, Molly, Arthur, une vie heureuse et le bonheur. Tout le monde à trop perdu.

-N'abandonne pas, Harry. Et surtout, ne porte pas tes fardeaux seuls.

Les premières leçons de Regulus lui revinrent en mémoire. Et Artemis. Ce temps où leur monde se délitait sans qu'ils n'aient conscience de ce que cela signifiait réellement.

Les mots de Fleur ne pansaient que sa fureur. La souffrance insoutenable était toujours ancrée en lui comme ancrée dans le monde sorcier britannique.