Bonne Année à tout-e-s !

J'ai laissé passé les fêtes, mais le rythme de publication toutes les deux semaines reprend à partir d'aujourd'hui !

A la review de Guest : Je comprends que les scènes avec Gabrielle aient pu te mettre en colère, et mal à l'aise. Malheureusement, les viols de guerre sont une réalité, et la question de la morale quant à ce qu'il advient des enfants, très complexe. Le problème qui se posait était qu'avec un accouchement, le bébé était viable, car à plus de sept mois de grossesse. Pénélope et Harry ont fait le choix d'attendre qu'elle accouche. D'autres auraient forcé le début du travail. Je crains qu'il n'existe pas de bonnes réponses.

En revanche, je veux revenir sur un point important : « En temps de guerre, ils devraient tous prendre des précautions pour ne pas avoir d'enfants. » Ce n'est pas possible. L'accès aux soins, aux médicaments et à la contraception en temps de guerre est très limitée. Gabrielle était sans baguette, sans potions, sans protections, et les violeurs ne se soucient pas de ce genre de choses. Qu'un enfant naisse... ce n'est pas leur problème. Quant à ceux qui font le choix d'avoir un enfant en temps de guerre, c'est un autre débat, que je ne peux pas avoir. Je n'ai jamais vécu cela, je ne me permettrai pas de juger.

Nous retrouvons donc 1996, avec un Chapitre Lien. Cette fois, je n'ai pas coupé le chapitre en deux, ce qui fait qu'il est très long. Si vous pensez qu'il devrait, à l'instar des Années 1995, être publié en deux fois, faites le moi savoir.

Dans deux semaines, nous retournerons en 2003 !


« Choisis tes combats »

Années 1996-1997

Des cris s'élevaient de toutes parts dans Poudlard. Les élèves qui avaient eu la mauvaise idée de sortir de leurs dortoirs tremblaient en attendant les instructions, les doigts serrés sur leur baguette quand ils avaient eu la présence d'esprit de s'en saisir. Severus déambulait dans les couloirs en compagnie du corps professoral en tentant de maintenir l'ordre et d'obtenir des informations, le visage neutre et le corps crispé. Il n'avait pas été mis au courant d'un quelconque mouvement de la part des Mangemorts, et sa marque était demeurée relativement indolore -ce qui signifiait qu'aucun appel n'avait eu lieu.

-Où est Dumbledore ? lança une élève en passant devant lui, baguette brandie.

-De sortie, haleta son ami. Il n'était pas au dîner et…

Il reconnut sans peine Hermione Granger et Harry Potter et inspira profondément.

-La question ne devrait pas vous en incomber, Granger, Potter, siffla-t-il. Rejoignez immédiatement votre salle commune avant que je n'enlève des points à Gryffondor. Potter, si vous n'obéissez pas, vous passerez les matchs de Quidditch suivants en retenue.

La seule menace possible pour que cet adolescent effronté daigne accorder de l'attention à ses ordres. Il allait devoir défendre l'école, il n'avait certainement pas besoin d'avoir à protéger le Survivant en plus. Severus continua son chemin sans prêter attention aux regards furieux qui le poursuivaient ni aux insultes qui ne manqueraient pas de pleuvoir sur lui dès qu'il serait hors de portée d'oreille. Des années à être la cible des Maraudeurs et d'autres à la solde des Mangemorts l'avaient immunisé contre ce genre d'attaques. Il y avait plus urgent. Car malgré la tendance des Gryffondors à se mêler des combats alors qu'ils n'étaient que des élèves, Granger avait posé une question intéressante : où était Dumbledore ?


Le directeur avait averti le corps enseignant qu'il devait s'absenter cette nuit là, et l'avait prié de faire des rondes et de renforcer la sécurité à l'intérieur de Poudlard –des membres de l'Ordre étaient discrètement venus en renforts-, mais en cet instant, Severus s'en moquait entièrement. Poudlard était sous la responsabilité du directeur et s'il constituait encore un havre de paix, c'était parce que l'homme était à sa tête.

-Perkins, remontez dans la Tour des Serdaigles, aboya-t-il à la gamine de deuxième année qui venait de croiser timidement sa route. Et dites à vos camarades de vous imiter !

Elle rougit et s'en retourna aussitôt d'où elle venait. Au détour d'un couloir, l'espion se retrouva face à Minerva et laissa filtrer son agacement pour dissimuler son inquiétude.

-Avez-vous une idée pour renvoyer les élèves d'où ils n'auraient jamais dû sortir ? Hagrid a été formel : des créatures magiques déferlent de la forêt interdite, et au cas où cela vous aurait échappé, nous pouvons pas nous permettre de les laisser entourer Poudlard.

-Les fantômes et les autres professeurs s'en chargent, nous avons fait l'appel dans les salles communes, répondit la sous-directrice d'un ton sec. Il est temps d'aller sur le terrain.

-Où se trouve Albus ?

-Je ne le sais pas plus que vous, rétorqua-t-elle. Je lui aie envoyé un Patronus et Fumseck est sans doute parti l'avertir mais nous ne pouvons pas l'attendre.

Severus s'irrita d'être traité comme s'il était encore un élève. Minerva voyait la sécurité de l'école avant tout et il ne pouvait l'en blâmer, mais il devait parler avec le directeur. Si ce n'était pas une attaque de Mangemorts…

-Rejoignons les autres, lança-t-il sèchement avant de faire volte face et de courir jusqu'au Hall.

Les couloirs, grâce à Merlin, étaient de nouveau déserts.


Membres de l'Ordre et professeurs se tenaient debout dans le Hall, déterminés mais les sourcils froncés.

-Nous ne pouvons pas ouvrir les portes du château Minerva, la raisonna Tonks. Ce serait affaiblir les protections et créer une potentielle brèche.

-Je crains que nous n'ayons guère le choix, soupira la femme.

-A vrai dire, remarqua soudain une voix douce, il existe une autre solution, mais elle prendra du temps.

-Quelle surprise Lupin, nous n'en avons justement pas perdu assez à renvoyer des élèves terrifiés dans leurs dortoirs, lança sarcastiquement Severus.

Il perçut la lassitude de ses collègues, contint tout juste d'autres répliques mordantes.

-Nous avons du temps. Ils n'entreront pas dans Poudlard avant un bon moment.

Severus se pinça l'arrête du nez. Arcturus, ou plutôt Regulus, était toujours froid et se fichait de contredire le monde.

-Il faut passer par Pré Au Lard et les prendre à revers.

-Ils ne s'attendront pas à nous voir surgir de l'autre côté, approuva Filius.

Bien sûr. Seul Lupin, dernier des Maraudeurs en vie, pouvait penser aux passages secrets du château.

-Tout cela est très intéressant, remarqua l'espion avec un sourcil levé, mais nous sommes une vingtaine et nous ignorons au juste ce qui est au dehors.

Une voix qu'il ne s'attendait certainement pas à entendre lui répondit. Une voix qui le fit intérieurement sursauter et l'amena à baisser ses barrières d'occlumencie aussitôt. Une voix enfantine et monocorde, qui n'avait rien à faire là.

-Des loups-garous non transformés. Un géant. Graup. Des vampires. Des centaures. Des sombrals. Des loups. Des araignées. Des détraqueurs.

-Il semble que la forêt interdite entière soit en train de batailler contre des créatures voulant les déloger, commenta Bill Weasley.

Au même moment, Severus s'approcha dangereusement d'Arcturus.

-Tu as emmené ton fils ici alors que…

-Il était hors de question que je le laisse seul, répliqua Arcturus, et il dormait dans le bureau de Minerva lorsque Hagrid a donné l'alerte.

Excédé, l'espion écouta la directrice des Gryffondors répartir les équipes entre passages secrets, demandant au passage à Lupin de ramener l'enfant dans la salle commune des Gryffondors.


James Potter et ses amis avaient dû cambrioler Honeydukes une bonne centaine de fois, songea Severus en époussetant sa cape avant de jeter un discret Assurdiato sur l'étage du dessus afin que les propriétaires ne s'éveillent pas pour les surprendre. Ils passèrent par la porte ouverte par les soins de l'aîné des Weasleys et détalèrent en direction du château.

Ils étaient tous des combattants, rompus à l'entraînement et aux techniques de duels, possédant l'endurance nécessaire. Les cris de rage et de désespoir enflaient à une lieue à la ronde, et le parc de Poudlard était un véritable chaos lorsque l'Ordre déboula pour venir prêter main forte aux créatures qui se faisaient déloger.

Des araignées affrontaient des vampires, des centaures se cabraient devant des loups garous. Le demi-frère d'Hagrid bataillait contre un reptile géant, les arbres tombaient et les flèches pleuvaient.

-Les humains d'abord, siffla Arcturus à l'oreille de Severus. Mets ça !

Il lui fourra quelque chose dans les mains qui apparut être un masque destiné à dissimuler son visage et à garder sa couverture. L'homme obéit et se jeta dans la mêlée, priant pour que Dumbledore ne tarde pas. Même s'ils emportaient le combat, seul le directeur de Poudlard parviendrait à ramener l'ordre.

Il ligota deux loups garous et évita de justesse les crocs d'un vampire qui auraient voulu se refermer sur le bras qui tenait sa baguette. Les détraqueurs rendaient le combat ardu. Les brumes s'agençaient dans l'esprit des humains et des créatures vulnérables à leur magie, et maintenir un patronus exigeait de se trouver hors de la bataille. Severus ne pouvait se permettre de se trahir : les Mangemorts n'avaient pas besoin de patronus et se trouvaient incapables d'en produire. L'occlumancie lui était d'une grande aide. Lupin ne se risquerait pas à un animal corporel. Le lynx de Kingsley éclairait la voie mais il devait sans cesse le rappeler car les créatures passaient au travers sans y prêter attention.

-Mais à quoi pensait Voldemort ? jura Arthur en se retournant pour surprendre un adversaire derrière lui.

Severus se le demandait également. Cette attaque était une mission suicidaire… Mais peut-être le Seigneur des Ténèbres avait-il sous estimé le nombre de créatures logeant dans la forêt interdite.

Ils l'emportaient. Avec le renfort des sorciers et de leurs sorts, les habitants des bois reprirent le dessus de façon importante, et de plus en plus de membres de l'Ordre pouvaient se permettre de se mettre à l'écart pour renforcer les rangs des patronus. Les détraqueurs furent mis en fuite les premiers, puis l'unique vampire restant disparut, ainsi que d'autres loups-garous toujours humains. L'arrivée de Dumbledore marqua définitivement la fin de la bataille en faveur de ceux qui se trouvaient à Poudlard.

L'homme était en piteux état, et ce fut ce qui frappa Severus. Il peinait à marcher et la sueur perlait à son front. Une odeur pestilentielle l'entourait. L'espion reconnut aussitôt la marque de la magie noire. Le directeur ne paraissait pas pouvoir arranger les choses… Et pourtant lui seul pouvait dialoguer avec les centaures.

-Dumbledore ! lança l'un d'entre eux en s'avançant. Nous n'avions pas besoin de l'aide d'humains.

Aucun de ceux présents ne broncha. Ils savaient qu'il valait mieux ne pas les blesser dans leur fierté.

-Nous avons été attaqués dans notre foyer, que vous étiez sensé protéger, pendant que vous vaquiez à des occupations…

-J'ai toujours accordé une extrême importance à vos intérêts, le coupa Albus avec une vigueur surprenante.

Son bras droit pendant mollement et seul le bout de ses doigts dépassait d'une manche calcinée.

-Celui qui vous a attaqués, et vous le savez Bane, est un sorcier du nom de Lord Voldemort que nous combattons également. Il voulait probablement vous rallier à sa cause et décimer ceux qu'il estimait dangereux. Hagrid, s'il vous plaît, ramenez les Acromentulas dans leur foyer, et prenez soin des loups blessés. Le professeur Gobe-Planche viendra vous aider dans la matinée. Vérifiez également les Sombrals. Pomona, pourriez-vous l'y aider ?

La directrice des Poufsouffles ne faisait pas partie de l'Ordre mais elle aurait donné sa vie pour défendre Poudlard et ses élèves. Elle hocha la tête et se précipita vers les loups, se tenant à bonne distance des araignées.

-Les titres n'ont aucune importance, Dumbledore, tonna Bane. Et vous devriez savoir que nous ne nous intéressons pas aux guerres des humains.

-Bien sûr, bien sûr, dit tranquillement Albus, mais sa voix faiblissait. En revanche, il n'est pas impossible que Voldemort s'intéresse à vous.

Avec un cri indigné, le dénommé Bane ordonna le repli.

Les professeurs transmirent les blessés à Sainte Mangouste et au Ministère, et Dumbledore annula les cours de la journée. La plupart des élèves étaient en état de choc, et de nombreuses questions tournaient dans les esprits des professeurs.


Le professeur Dumbledore avait fait appeler Severus dès qu'ils avaient été certains qu'aucun étudiant n'avait été blessé par l'attaque. Le Mangemort se tenait devant le vieil homme, ses iris flamboyants de colère alors qu'il se tenait devant lui, tentant d'endiguer la malédiction qui rongeait le sorcier de secondes en secondes.

-Quelle était la nature du sortilège ? s'enquit-il.

-Noir, répondit Albus, d'une nature plus noire que vous ne pouvez imaginer.

-J'en doute, rétorqua-t-il, les lèvres pincées. Il s'agit du Seigneur des Ténèbres n'est-ce pas ?

Il observa le poignet noircir dangereusement, comme en putréfaction alors que les doigts se raidissaient, paraissant calcinée.

-On dirait une forme de gangrène. J'ignore ce que vous avez fabriqué Albus, mais cet enchantement est destiné à ronger vos os, votre peau et votre magie petit à petit et dans de longues souffrances. Remontez votre manche.

Il se sentait démuni et furieux. Qu'avait pu faire le directeur qui soit si important au point de délaisser Poudlard et de se sacrifier ?

Il était un expert en magie noire et en potions, et il enferma le sortilège dans la main, et de façon à ce qu'il consume uniquement la main, laborieusement et méthodiquement.

-Que vous est-il passé par la tête ? Votre main suinte la magie noire et vous avec. Quoi que ce soit qui ait provoqué cet état, vous avez du le sentir avant…

-Oh pour le sentir je l'ai senti, marmonna Dumbledore. J'aurais dû me montrer plus prudent, Severus, je le reconnais mais il fallait que je découvre quelque chose. Et l'objet responsable… possédait un pouvoir d'attraction particulièrement fort, je dois l'admettre.

-Montrez-le moi, lança-t-il abruptement. Je devrais pouvoir découvrir...

Le regard perçant d'Albus se posa sur lui par-dessus ses lunettes en demi-lune.

-C'est inutile, Severus. Je dois l'étudier…

-L'étudier ? Albus, êtes vous devenu complètement fou ? Le sort est enfermé dans votre main pour le moment, mais il vous rongera quoi qu'il arrive ! Si j'avais agi aussitôt, j'aurais peut-être pu endiguer entièrement la malédiction, vous auriez dû m'appeler !

L'expression de Dumbledore était aimable mais ferme.

-Vous ne pouvez en savoir plus pour le moment, Severus. Il est des choses plus importantes dont nous devons discuter.

Severus avait une excellente maîtrise de lui-même et de ses émotions. Pourtant, il avait voué ses dernières années à protéger Harry Potter, et respectait profondément l'homme qui lui avait offert une rédemption. Or cet homme s'était condamné lui-même par un excès de stupidité et un manque de résistance à la magie noire.

-Plus importantes ? explosa-t-il. Le monde des sorciers est fichu sans vous, or cela ne devrait plus tarder ! Comprenez-vous ? Je ne peux vous libérer de cette malédiction !

-J'ai un grand âge mais je ne suis ni sourd ni sénile, Severus, déclara Dumbledore sur un ton un peu trop léger. Ecoutez-moi, à présent. Asseyez-vous.

Les deux sorciers se jaugèrent une longue minute avant que le plus jeune n'obtempère, vaincu et excédé.

-Les raisons qui ont poussé Voldemort à attaquer la forêt interdite ne sont pas difficiles à deviner, bien que je n'aie pu toutes les nommer devant les centaures. En tuant et dévastant la forêt interdite, il supprime un rempart de Poudlard et l'une de ses protections importantes. Les Sombrals, les loups, les centaures qui y vivent sont particulièrement dissuasifs, sans parler des Acromentula qui, malheureusement, ne sont plus un secret depuis hier soir. Il a sous estimé, néanmoins, le nombre et la variété de créature qui peuplaient cette forêt. Il craint les Sombrals, et ignorait que la colonie d'Aragog avait pris cette ampleur. Sans compter les loups qui n'étaient sensés être que des rumeurs. Nous l'avons repoussé, mais je crains qu'il n'y ait plus derrière cette attaque. Je vais devoir te demander de tenter de le découvrir, mais pas avant la prochaine réunion.

Severus hocha sèchement la tête.

-Les Mangemorts n'en étaient pas informés. Il n'y avait aucun d'entre eux. J'ai mentionné, bien sûr, que vous vous absentiez, mais il ignorait que ce soir…

-Je crains, Severus, que tu n'aies pas saisi un détail : les créatures étaient visées, et non les sorciers. L'Ordre n'était pas sensé intervenir, et ma présence ou non n'était pas quelque chose dont Voldemort se souciait car il ne viendrait pas.

L'espion sursauta.

-Mais ce n'est pas sa stratégie habituelle.

-C'est précisément ce qui m'inquiète. Ce qui s'est passé cette nuit informe le monde magique que les dangers sont bien réels, et d'une ampleur dont ils n'avaient pas idée. Il peut vouloir pousser les plus influençables à se rallier à lui par la terreur.

Severus s'affaissa sur sa chaise, atterré.

Lorsqu'il fut en mesure de se reprendre, il avança les détails des derniers plans avec le Seigneur des Ténèbres, puis lui redemanda ce qu'il fabriquait avec Potter lors de ses leçons. Essuyant une énième dérobade, il se leva pour prendre congé. Il n'avait pas dormi depuis plus de trente six heures et la tête commençait à lui tourner.

-Vous devriez me faire plus confiance, Dumbledore. Je suis celui qui se trouve des deux côtés de la barrière, qui possède une vue d'ensemble. Vous ne serez pas toujours là, et nous aurons besoin de toutes les informations possibles pour l'emporter et protéger Harry.

-Combien de temps me reste-t-il, d'après vous ? commenta tranquillement l'homme.

Severus le savait : il l'avait aussitôt et aisément calculé. L'énoncer à voix haute, pourtant…

-Un an, un an et demi tout au plus.

-Et bien voilà qui résout le problème du serment inviolable, n'est ce pas ?

L'espion fit volte face, et la colère qui s'était évanouit alors qu'ils discutaient revint comme si elle ne l'avait jamais réellement quitté.

-Je n'ai pas eu le choix et vous le savez. Ma couverture était en danger, vous aviez toujours besoin de moi. Si Drago échoue, ce qu'il fera assurément, c'est à moi que le Seigneur des Ténèbres demandera par la suite.

-Je me souviens parfaitement de notre conversation, Severus. Nous aurions trouvé une solution, mais à présent je préférerais que vous me tuiez et m'épargniez la déchéance qui suivrait si je laissais le sortilège s'emparer de moi.

Les nerfs de Severus avaient été mis à rude épreuve, et il eut le choix entre se retourner pour accéder directement à la volonté du directeur, ou inspirer profondément et le saluer.

-Bonsoir, Albus.

-Bonsoir, mon ami.

La gargouille le déposa à l'entrée du bureau et il demeura un instant immobile, hagard des derniers évènements et terrifié par l'avenir.

o°o°O°o°o

Les premiers jours d'été s'écoulaient douloureusement. L'enterrement de Dumbledore aurait bientôt lieu, puis les élèves rentreraient chez eux en attendant le début de l'année prochaine… Harry savait qu'il vivait ses dernières journées à Poudlard. Il devait continuer seul la tâche transmise par le vieux sorcier, trouver les Horcruxes et les détruire jusqu'au dernier avant de pouvoir enfin vaincre Voldemort. Dans sa poche, le médaillon factice pesait lourd. Le directeur, qu'il avait profondément apprécié et admiré, avait trouvé la mort pour rien. Parce qu'il avait fait confiance à la mauvaise personne, parce qu'il avait été affaibli par le poison, et sans doute parce que les gens ne faisaient que tomber autour de Harry.

Regulus avait promis d'être présent pour l'enterrement de Dumbledore. La nuit de l'attaque, il avait aidé l'Ordre à repousser la totalité des Mangemorts qui s'étaient introduits dans l'école, puis il n'avait pas quitté le chevet d'Harry. L'homme avait pris soin de lui depuis la mort de Sirius. Son parrain avait légué la maison à son frère et, dans le cas où il mourrait, à son filleul. Ses autres biens avaient été légués à Harry (et, dans une part moindre car ce n'était encore qu'un enfant avec un parent pour le protéger, à Artemis). Regulus avait accueilli Harry l'année précédente, à peine deux semaines après qu'il soit retourné chez les Dursleys, sans pour autant prendre la place d'un parent qu'il n'était pas, le laissant se rendre au Terrier et y dormir à condition d'être prévenu. L'adolescent avait trouvé en lui une personne capable de lui parler de Sirius alors qu'il n'était encore qu'un enfant, et d'avoir un regard extérieur sur ses propres parents. Il avait été un soutien tout au long de l'année, un allié précieux lorsque le sort du Sectumsempra avait atteint Drago Malefoy. Il avait aussitôt pris sur lui de lui enseigner le contre sort, rappelant brutalement à Harry qu'il s'y connaissait en magie noire.

Harry aimait beaucoup l'homme et lui était reconnaissant de se soucier de lui comme que Sirius l'avait fait. Savoir qu'il serait là le lendemain rendait l'épreuve plus aisée. Il devrait rompre avec Ginny pour la protéger, quant à Ron et Hermione… ils avaient juré de le suivre n'importe où et de se joindre à lui dans la recherche des Horcruxes, mais il désirait être seul pour cette tâche. Ce serait loin d'être agréable. Ses meilleurs amis seraient en danger. Ces derniers temps, la solitude pesait sur le Survivant jusqu'à en être si douloureuse qu'elle en devenait physique et insoutenable. Il chercherait les Horcruxes parce que nul autre ne pouvait le faire à sa place, parce qu'il était l'Elu, et que le monde des sorciers glissait peu à peu dans le chaos et la mort.

-Tu as trouvé quelque chose ? la voix d'Hermione le sortit de ses pensées sombres.

-Sur R.A.B ? Non. Pas encore. Je cherche, mais il n'y a rien… Dans la réserve peut-être ?

Il avait un ton morne et une posture apathique. Son amie posa les mains sur ses épaules.

-Harry… Dumbledore n'aurait pas voulu que tu te laisses aller ainsi. Et il n'aurait pas voulu que tu sois seul. De toutes manières, quoi que tu dises, ni Ron ni moi ne te laisserons partir seul dans cette mission suicide.

Il se retourna vers elle, sentant le sel des larmes lui piquer les yeux et la colère du deuil et de la souffrance l'envahir.

-Tu aimes Poudlard, Hermione. Ne t'en prive pas pour moi.

-Oh, Harry !

Elle paraissait osciller entre la fureur et l'émotion. Le livre qu'elle tenait lui tomba des mains et elle se pencha pour le rattraper avant de se mettre à sa hauteur.

-Sans Dumbledore et avec les Mangemorts partout, crois tu réellement que j'aie ma place ici ? Je n'y serais pas en sécurité. Et la question n'est pas là : nous te suivons et c'est tout. Il sera toujours temps de revenir plus tard.

Elle avait une voix douce et ferme et il dut s'incliner. Il la regarda longuement, avec une immense tristesse mêlée de tendresse. S'il arrivait quoi que ce soit à elle ou Ron à cause de lui, jamais il ne se le pardonnerait. Jamais.


Regulus se présenta à lui à la sortie de la salle commune des Gryffondors. Il arborait une robe noire brodée d'argent en écho à ses yeux qui lui renforçait sa grâce naturelle.

-Artemis n'est pas là ? s'enquit Harry en cherchant l'enfant des yeux.

Ils avaient passé de nombreuses vacances ensembles et il avait noué un attachement particulier à l'enfant. Il était intelligent, vif, honnête, ne jugeait jamais au premier abord, et la fragilité en lui avait pour le moment quelque chose de touchant.

-Je l'ai laissé sous la supervision de Kreattur. Je ne pouvais pas l'emmener ici avec toutes les émotions qui règnent, sans parler des résidus de magie noire.

Harry grimaça. Il méprisait Kreattur depuis la mort de Sirius. L'elfe était sénile et vicieux.

-N'est-ce pas dangereux ?

Les yeux gris de Regulus étincelèrent d'une émotion étrange.

-Kreattur est un brave elfe lorsqu'il respecte une personne, Harry. Il ne fera aucun mal à Artemis et il m'aime beaucoup, ce qui fait toute la différence avec Sirius.

Ils avaient eu cette conversation un bon nombre de fois mais l'adolescent ne parvenait toujours pas à accepter, comme il n'avait jamais accepté que Rogue soit de leur côté. Et il avait eu raison. Rogue…

-La haine ne te servira à rien, Harry. C'est l'amour qui te protège du Seigneur des Ténèbres.

-Je laisse encore trop voir mes émotions, c'est ça ? lança-t-il, irrité.

-Tu n'es pas très bon en occlumencie, mais tu as fait des progrès. Néanmoins je suis on ne peut plus sérieux Harry.

Le Survivant hésita entre faire demi-tour et suivre Regulus dans les couloirs de Poudlard, avant d'emboîter le pas à l'homme.

-Je n'ai pas faim, annonça-t-il en remarquant qu'ils prenaient le chemin de la Grande Salle.

-Je m'en doute. Je ne vais pas te forcer mais je pense qu'il serait bon que tu aies un repas digne de ce nom.

Il était retors, manipulateur, et la patience mêlée de fermeté dans sa voix fit abdiquer Harry. L'homme était habitué à un enfant fragile et explosif, il pouvait sans trop de mal faire fléchir un adolescent en deuil.

-Si Rogue…

-Harry. Dumbledore avait confiance en lui, tout le monde s'y est prêté.

-Mais pas toi. Tu savais qu'il était un Mangemort !

L'homme le dévisagea, imperturbable et impénétrable.

-Cela n'a plus d'importance, désormais.

-J'espère que ce c… cet enfoiré va crever, lentement et douloureusement !

La bataille à la Tour d'Astronomie n'avait vu tomber qu'Albus Dumbledore, mais de nombreux adultes avaient été blessés, et Rogue avait pris plusieurs sortilèges de plein fouet avant de sombrer dans le vide. Il en avait miraculeusement réchappé, mais se trouvait en très mauvais état la dernière fois qu'il avait été vu.

-Contrôle tes émotions, assena Regulus.

-DUMBLEDORE EST MORT ! hurla Harry.

Comment pouvait-il faire pour rester aussi calme ? Il agissait comme si rien ne pouvait le toucher, et pourtant Harry savait parfaitement qu'il avait des émotions. L'homme passa une main sur son visage, puis vint poser l'autre sur l'épaule de l'adolescent.

-Je sais. Pardonne moi, Harry. Mais la vérité est que tu ne peux rien faire contre Rogue. La guerre a commencé et tu vas avoir besoin de te concentrer sur nombre d'autres choses.

Il avait raison, réalisa-t-il. Lorsqu'il serait à la chasse aux Horcruxes, quelle différence serait faite par la mort ou la survie de Rogue ? La situation pouvait lui échapper, et la mort de Sirius avait prouvé que le manque de contrôle de soi ou de ses impulsions pouvait être fatal. Le sentiment de solitude revint un peu plus fort, un peu plus pesant.


L'enterrement fut beau et émouvant. Il fut plus facile de laisser partir Dumbledore après cela, et Harry réalisa à quel point cette cérémonie avait manqué pour Sirius. Comme Regulus allait repartir, l'adolescent se souvint soudain de la question qu'il devait de lui poser. L'homme avait longuement voyagé et connaissait des branches de la magie que la plupart des sorciers n'osaient pas même imaginer. Alors qu'ils marchaient aux abords de la forêt interdite qui commençait à peine à se remettre de l'attaque subie au courant de l'année, Harry demanda :

-Aurais-tu entendu parler de quelqu'un dénommé R.A.B ?

Regulus se stoppa net et son visage devint livide.

-Où as-tu entendu cela ? murmura-t-il.

Harry avait juré à Dumbledore de ne jamais rien en dire.

-Je… Mes leçons… J'ai entendu cela de…

Regulus attrapa son épaule, cette fois non plus en guise de réconfort, mais violemment et d'une façon qui effraya l'adolescent.

-N'essaie pas de me mentir, Harry. Lorsque Dumbledore et toi vous êtes absentés cette nuit là, vous êtes vous rendus dans une caverne ?

Il en resta bouche bée et en oublia de se débattre.

-Arcturus… Tu sais qui est R.A.B, n'est ce pas ?

-Je ne te répondrai pas avant d'être sûr d'une chose : Dumbledore était il à la recherche d'un objet… spécial ?

Le cœur de l'adolescent s'arrêta un instant. Les ongles de l'homme étaient plantés dans la chair de son omoplate. Il savait, comprit-il.

-Oui. Arcturus, lâche moi. Oui. Les Horcruxes.

Prononcer ce mot à voix haute devant quelqu'un d'autre que le directeur, Ron ou Hermione était étrange. La pression sur son épaule disparut enfin et l'homme eut un brusque mouvement, se détournant d'Harry pour fixer la forêt. Il avait les poings serrés et se contenait visiblement.

-Dumbledore ! Ses plans, ses secrets ! Il aurait du faire confiance à l'Ordre plutôt que de te mettre ça sur les épaules ! C'est tellement stupide ! Tellement… tellement idiot !

Il se retourna vers Harry, la mâchoire serré et le regard bouleversé.

-As-tu repris le médaillon ?

-Je l'ai sur moi. Il dit « Au Seigneur des Ténèbres… »

-Je sais ce qu'il dit, Harry. Vois-tu, je suis Regulus Arcturus Black. Je suis l'auteur du parchemin.

La révélation fut aussi cruelle et inattendue qu'une tornade. Regulus savait depuis le début. Il connaissait l'existence des Horcruxes, la mission effectuée qui l'avait laissé pour mort aux yeux de ses semblables avait été de reprendre le médaillon de Serpentard. La solution avait été sous leurs nez…

-Tu n'as jamais rien dit à l'Ordre !

-Dumbledore non plus, rétorqua froidement l'homme. A la différence que j'attendais le bon moment. J'ai ordonné à Kreattur de détruire le médaillon et il n'est plus dans la vitrine où il se trouvait jadis. Voldemort ignore qu'il n'a plus son Horcruxe, et nous étions préoccupés par ta sécurité et celle du monde magique.

-Son Horcruxe ? Mais il y en a sept !

Ils étaient aussi pâles l'un que l'autre, bouleversé et criant à voix basse pour ne pas attirer l'attention. Regulus parut se recevoir la même gifle que le Survivant un peu plus tôt.

-Sept ? Sept… Voldemort craint réellement la mort, n'est-ce pas ? Diviser son âme autant de fois… J'ignorais que cela fut possible. Cela change tout, à présent.

Il soupira et entraîna Harry un peu plus loin, vers le lac. La nuit commençait à tomber.

-Je vais en informer l'Ordre, Harry.

-Dumbledore ne voulait pas. Il m'a confié cette mission, je ne peux en charger personne d'autre.

Les yeux argentés de Regulus s'ancrèrent dans les siens.

-Vois-tu, Harry, je respecte Dumbledore, mais je sais qu'il est capable de faire des erreurs. Et en l'occurrence, ses secrets ont été des erreurs. Trop de secrets ne sont jamais bon, et Dumbledore les gardait enfouis. Tu désires partir à leur recherche, mais sache que je ne te laisserais pas être seul.

-Ron et Hermione seront avec moi.

-Je n'en doute pas une seconde. La vérité est que Dumbledore devait craindre que le secret ne s'évente et qu'un espion raconte à Voldemort que nous savions, ce qui aurait conduit à une impossibilité de trouver les Horcruxes. Je n'en parlerai pas à tout le monde, mais certains d'entre nous doivent savoir et pouvoir les trouver. Il s'agit d'une guerre, et nous sommes dans le même camp. Et nous sommes tous à tes côtés mais tu es encore si jeune, pas même majeur. Ne te mets pas ce poids sur les épaules.

-C'est déjà fait.

-Je le sais. Laisse nous t'aider. Et ne pars pas seul, nous aurons des choses à discuter auparavant. Je pense qu'il est temps que tu rejoigne l'Ordre du Phénix.

Deux ans auparavant, cette phrase aurait réjoui Harry mais à présent, il avait presque l'impression que Regulus essayait de l'évincer. Pourtant, la tentation était forte. Ne pas être le seul à porter un fardeau, ne pas fuir à travers tout le pays… L'homme était un père, et le frère de son parrain. Il n'aspirait qu'à sa protection... Si Sirius avait été en vie, il n'aurait pas non plus laissé Harry partir seul.

-Merci, murmura-t-il d'une voix rauque, les mots éraflant sa gorge douloureuse sous l'émotion.

Regulus avança d'un pas et le prit dans ses bras, dans une étreinte brève, soudaine, réconfortante.

o°o°O°o°o

Regulus observait Harry jouer avec Artemis. La veille, le jeune homme de presque dix-sept ans qu'il était devenu avait quitté les Dursleys, mis en sécurité par l'Ordre au cas où Voldemort désirerait s'en prendre à eux pour atteindre son ennemi. Artemis et Harry, eux, profitaient d'un semblant de cocon familial derrière les murs du 12, Square Grimmaud. Dès que Dumbledore était tombé, Regulus avait rejoint la demeure de son enfance et activé les anciennes protections, supprimant le lien magique qui avait fait d'Albus Dumbledore le Gardien du Secret, et la liant à son sang par un rituel noir qu'il n'aurait pu accomplir s'il n'avait été de la famille Black. Le résultat était là : son fils et le filleul de son frère étaient dans un endroit parfaitement sûr, aux protections inébranlables tant qu'il était en vie. Le prix à payer était la mort de Regulus si jamais le Square Grimmaud venait à brûler, mais il n'était en aucun cas élevé à ses yeux.

Il n'était pas facile de distraire Artemis : il ne s'amusait pas exactement de la même façon que les enfants de son âge, et les années passées entre les crises et les tuteurs l'avaient poussé à tromper un éventuel ennui par un renfermement sur lui-même à imaginer certaines choses. Regulus s'estimait heureux de l'avoir récupéré après deux mois seulement chez les Elés, sans quoi son précieux enfant aurait sans doute sombré dans un traumatisme profond dont il aurait été incapable de le sortir.

L'enfant ne supportait pas la texture du liquide qui sortait des Bavboules et sursautait en se bouchant les oreilles lorsque les cartes de Bataille Explosives explosaient. A presque onze ans, il devenait impossible de lui fournir uniquement des ballons increvables lumineux. Néanmoins, Harry lui avait fourni une excellente idée lorsqu'il avait offert à l'enfant la figurine de Magyar à Pointes héritées du Tournoi des Trois Sorciers, et Regulus avait déniché quelques autres figures animées, principalement historiques, dont l'enfant pouvait se servir pour recréer, éventuellement, des duels. En ce moment, Harry et lui jouaient aux cartes de chocogrenouilles : ils en tiraient une au hasard, et énonçait soit le nom du sorcier, soit certaines caractéristiques, et l'autre devait trouver les éléments manquants. Le Survivant paraissait réellement intéressé et Regulus se dit qu'il n'aurait pas à prendre la relève avant un moment. Le jeune homme et Artemis étaient plus proches que ce qu'il avait un jour pu espérer. L'honnêteté de son fils et sa loyauté infaillible paraissait avoir gagné le cœur d'Harry.

Il mettait la table, Kreattur finissant de cuisiner le repas, lorsqu'Harry vint le rejoindre dans la cuisine.

-Artemis se lave les mains, l'informa l'adolescent. J'ai perdu. C'est impossible de gagner face à lui lorsqu'on énonce les faits historiques, il a une telle mémoire…

Il passa une main dans ses cheveux ébouriffés un peu trop longs et l'amusement qui éclairait son visage disparut, laissant place au garçon maussade que Regulus connaissait depuis la mort de Dumbledore.

-Une réunion de l'Ordre se tiendra demain, l'informa-t-il, désireux de ne pas le laisser s'enfermer de nouveau dans une rancœur inutile. Arthur m'a dit qu'il amènerait Ron et Hermione. Si tu veux repartir avec eux…

-Non. Je ne sais pas. Ca dépendra.

L'homme le sentait perdu, et se retrouvait désarmé. Harry évitait ses amis, se renfermait et se morfondait sur la mort de son mentor. Alors qu'Artemis se plaçait sur sa chaise habituelle et qu'il remerciait l'elfe de maison qui leur servait un gratin dauphinois sentant délicieusement bon, il posa une main ferme sur l'épaule du Survivant, qui tressaillit mais ne fit pas mine de se dérober.

-Les Horcruxes ne signifient pas qu'il est impossible de vaincre Voldemort, Harry. Et nous devons nous battre pour que les morts ne soient pas plus nombreux.

-Tu me l'as déjà dit dans tes lettres, s'impatienta-t-il, rappelant à l'adulte qu'il était encore un adolescent sujet aux sautes d'humeur, malgré la guerre qui l'avait durement marqué.

-Et je recommencerais autant de fois que nécessaire. Harry tu es le Survivant, et ta tâche est de vaincre. Nous t'y aiderons autant que possible. Ce sont les faits, mais la réalité ne signifie pas qu'il faut que tu te retranches derrière une carapace. L'Ordre aura besoin de quelqu'un de fort, d'inébranlable, lorsque viendra le moment.

Artemis gémit et Regulus se tourna aussitôt vers lui. Il discerna distinctement la peur dans les yeux clairs de son enfant, et les légers balancements indiquant des flashs minimes mais intenses. Il retint un soupir et posa un doigt sur son index. La cohabitation entre lui et Harry Potter pouvait être compliquée.

-Je ne sais pas, Arcturus, soupira ce dernier en se laissant tomber devant son assiette. Je croyais ne pas avoir à porter seul le monde sur mes épaules et voilà que tu me demandes d'être le leader de l'Ordre.

-Jamais je ne te ferais une demande aussi lourde, et ce n'est pas ce que nous attendons de toi. J'essaie de te faire comprendre qu'il ne faut pas que tu t'enfermes dans une rancœur et un désespoir qui te placent à distance.

Il le sentit se tendre et s'efforça de garder un visage égal alors qu'il aurait voulu abandonner le combat.

-La distance… empêcherait les autres de souffrir… murmura Artemis de sa voix claire, les yeux fixes, interprétant la tornade d'émotions qui défilaient dans Harry.

Jour après jour, il tentait de maîtriser ses dons. Regulus se sentait épuisé.

-Je sais que je dois le faire, Arcturus, parce que personne d'autre ne le peut ni ne le veut. C'est mon rôle. Mais il y a tant de personnes qui meurent, comme si être près de moi était dangereux…

-Ils savent à quoi ils s'engagent, répondit Artemis, lointain et monocorde.

L'homme observa longuement l'adolescent désemparé qui se tenait devant lui, portant sur ses épaules un poids qu'aucun père n'aurait voulu que son enfant ait à porter. James Potter devait devenir fou, là où il se trouvait à présent, en suivant son enfant à travers ses malheurs.

-Tu m'auras près de toi, Harry. Jusqu'à mon dernier souffle, je jure que je ferais ce qui est en mon pouvoir pour alléger ton fardeau.

Le jeune homme sursauta et ses yeux verts brillèrent étrangement.

-Je ne peux pas…

-C'est un choix, répliqua Regulus, que j'ai fait il y a deux ans après la mort de Sirius, et que je continue de faire chaque jour.

Si ses suppositions étaient exactes, Harry aurait besoin de tout le soutien possible. Et il ne voulait pas qu'il ait à assumer le futur seul. James Potter et même Sirius, qui étaient devenus des animagis pour ne pas laisser un ami seul lors des pleines lunes, n'auraient pas toléré qu'un enfant soit livré à lui-même.

Harry ne répondit pas, au plus grand soulagement de Regulus. Depuis la mort de Dumbledore, il ne cessait de contacter les membres de l'Ordre, d'essayer de comprendre, de définir leur loyauté et le degré de confiance qui pouvait leur être accordé. Il s'était plongé dans les livres de la famille Black sur les Horcruxes et Artemis dévorait tout ce qui avait trait aux guerres et à l'espionnage, ayant absorbé les inquiétudes de son père. Les nuit de l'homme étaient écourtées par les insomnies de son fils et les exercices qu'ils faisaient dans ces moments pour qu'il puisse contrôler ses réactions et appréhender ce futur, qui ne pourrait bientôt plus être construit avec les repères dont il avait tant besoin. Il se sentait épuisé, et gérer l'adolescent qu'était le Survivant rajoutait à sa fatigue, si bien qu'il se surprenait à espérer qu'Harry rejoindrait Ron et Hermione au Terrier, où la présence constante des autres l'empêcherait de sombrer dans la mélancolie.

-Nous irons au Chemin de Traverse après-demain matin, déclara-t-il. Nous commencerons par Ollivanders, car je pense qu'il est temps que tu aies une baguette Artemis, puis chez Fleury et Bott, pour trente minutes, avant de rentrer. Je serais bien sorti plus longtemps mais je crains que les temps ne soient plus sûrs.

-Vais-je apprendre à manier une baguette ? demanda son fils.

Regulus resta un instant silencieux, mais regarda Artemis pour lui faire comprendre qu'il réfléchissait à la réponse. Il ignorait si la magie de son enfant pouvait être canalisée par une baguette, s'il pouvait même jeter des sorts. Lui-même avait du mal avec les sortilèges les plus basiques. Il ignorait s'il serait apte à les apprendre à son fils.

-Je tiens à essayer car le danger dehors augmente à chaque instant, expliqua-t-il enfin. Une baguette peut, de plus, dissuader un ennemi assez lâche si elle est pointée sur lui, même si son possesseur est en fait un cracmol. Tu serais entré à Poudlard l'année prochaine, l'âge où la magie des enfants commence à réclamer d'être maîtrisée, ce que nous allons faire. Mais sache que si cela ne fonctionne pas, je n'aurais de cesse de trouver une méthode. Tu es un sorcier, Artemis, et tu as la magie en toi.

-Intrinsèquement liée à mon autisme, fit-il remarquer.

-Ainsi est ma supposition, reconnut-il.

-Que va-t-il advenir de Poudlard ? demanda Harry.

Regulus le regarda gravement. Il était heureux de pouvoir revenir à un sujet légèrement plus léger, mais la mort de Dumbledore restait un fait grave. Poudlard ne serait plus le havre qu'il avait été ces dernières décennies.


Sans Albus Dumbledore, la salle de réunion de l'Ordre du Phénix paraissait froide et vide. Le puissant sorcier avait eu une présence incontestable et rassurante. La quinzaine de personnes regroupées autour de la table paraissait à présent sombre et perdue. Les yeux de Minerva étaient rouges et cernés comme si elle n'avait pas dormi depuis plusieurs jours, tous avaient les joues creusées et les prunelles ternes, et il ne régnait plus dans la pièce la joyeuse camaraderie d'avant réunion. Regulus referma la porte après avoir vérifié qu'Artemis travaillait, soupirant en voyant le regard noir de Ginny. La jeune fille n'avait pas été autorisée par sa mère à se joindre à l'Ordre, bien qu'elle fut un soutient indéfectible pour Harry. Selon le jeune homme, Neville et Luna brillaient également par leur absence, mais le premier attendait l'aval de sa grand-mère et la seconde était toujours mineure.

-Bien, déclara Regulus en prenant place.

Tous les regards se tournèrent vers lui, avec un léger espoir qui le mit profondément mal à l'aise. Il avait certes initié la première réunion de l'Ordre depuis la mort de leur leader, mais il n'était pas sûr d'apprécier ce qui semblait se dessiner pour lui.

-Nous ne sommes pas tous là, fit remarquer Molly.

-En fait, tous ceux que j'ai convoqués sont là, intervint-t-il rapidement. Je sais qu'il manque Fletcher, Diggle, Jones, Vance et Dodge, mais j'ai dû faire une sélection.

-Tu n'as aucun droit de faire cela, Artcurus, rétorqua doucement Remus, les sourcils froncés.

Le masque sur son visage était parfait : de marbre, inébranlable, ne laissant voir ni sa peur ni sa lassitude. Ses yeux croisèrent les prunelles émeraudes d'Harry, qui hocha la tête en guise de soutien.

-Je l'ai pourtant fait. Ce n'est pas une réunion ordinaire que nous tenons, mais une réunion où des informations sensibles doivent être révélées. Des informations qui ne peuvent pas être transmises à trop de monde.

-Tous ceux qui manquent donneraient autant leur vie que nous pour l'Ordre ! s'insurgea Molly.

Harry se leva brusquement, attirant sur lui le silence et les regards.

-Dumbledore ne voulait pas que quiconque à part moi, Ron et Hermione aient ces informations. Si Arcturus n'a convoqué qu'un nombre restreint, c'est parce qu'il vous fait une confiance aveugle.

-Merci Harry. Ce n'est pas tout à fait exact, néanmoins. C'est également parce que vous êtes les plus proches d'Harry, et les plus impliqués dans les combats contre Voldemort.

-Si Dumbledore ne voulait pas… commença Remus.

-Remus, tu sais parfaitement où je me positionne, le coupa Regulus de son habituelle voix froide et distante.

Il se leva et posa les mains sur la table, regardant tous ceux présents un à un.

-Voici la vérité : Dumbledore est mort en ayant dispersé ses secrets. Il était un élément essentiel de la guerre, mais il est tombé, et nous devons faire sans lui. Nous avons besoin d'un leader, nous avons besoin d'organisation, nous avons besoin de forces et surtout, nous avons besoin de nous relever au plus vite. Nous devons être unis et sans failles aucune, un espion parmi nous pourrait renverser le cours de la guerre. Ainsi je vous annonce déjà qu'une des mesures de sécurité du Square Grimmaud à présent est anti-Marque. Quiconque porte la Marque et tenterait d'entrée serait empoisonné, et je lui souhaite bonne chance pour trouver un antidote. Si l'un d'entre vous avait rejoint Voldemort de cette façon, vous seriez déjà fiévreux. Pour ceux qui s'interrogent, ma Marque est morte, et ne compte donc pas. Je nous placerais bien sous serment, mais c'est prématuré. Il y a bien plus urgent à régler, et c'est là où intervient Harry.

Il marqua une pause où nul ne broncha, tous méditant ses paroles. Finalement, Kingsleys, Arthur, Minerva, Charlie, Fred, Georges, Hermione, Ron et Harry hochèrent la tête, puis ce fut au tour de Tonks, Remus, Bill et Molly, et enfin, Maugrey et Fleur. Satisfait, Regulus se rassit, puis d'un regard perçant, offrit la parole au Survivant. Il régnait à présent un silence de mort.

Harry paraissait très mal à l'aise, et heureux d'être entouré de Ron et Hermione. Tous les yeux étaient tournés vers lui. Après ce qui sembla une éternité, il ouvrit enfin la bouche.

-Cette année… Dumbledore m'a donné des cours particuliers. Il voulait me préparer à affronter Voldemort. Il voulait que je le connaisse pour mieux l'appréhender.

-Sage décision, grogna Maugrey.

-Nous avons découvert… Il savait…

Harry hésita, et Regulus comprit qu'il s'expliquerait mieux que lui. Il avait effectué de nombreuses recherches sur les Horcruxes.

-Voldemort possède des Horcruxes.

Nul ne réagit et il n'en fut pas étonné. Les membres de l'Ordre avaient passé leur vie à œuvrer pour la lumière, et ils manquaient cruellement de connaissances sur les arts les plus sombres... qui auraient pourtant pu parfois leur sauver la vie.

-Un Horcruxe est un objet ou un être vivant dans lequel on enferme une partie de son âme après un rituel compliqué impliquant un meurtre, et que je ne décrirais pas. Le principe est qu'ainsi, votre âme reste attachée à notre monde, si bien que vous ne pouvez pas mourir. Voilà comment il est revenu. Mutiler son âme de la sorte a un prix, bien évidemment et c'est l'un des actes les plus noirs qui peuvent être commis. J'ai découvert peu après être entré chez les Mangemorts que le Seigneur des Ténèbres en avait créé un et j'ai eu pour but de le détruire, avant de stupidement tomber dans un piège.

L'horreur qu'il lisait sur chaque visage le renvoya à ses propres sentiments en découvrant que quelqu'un ait mis ce rituel moribond en application.

-Dumbledore savait… Il avait compris que Voldemort possédait des Horcruxes, reprit Harry d'une voix plus affirmée. Il a détruit le Journal que Ginny avait eu en sa possession en première année, puis est parti à la recherche de la bague des Gaunts. Et ensemble… Nous sommes allés dans une caverne, pour récupérer le médaillon de Serpentard, mais Regulus l'avait déjà pris.

Il fallut une bonne heure pour faire le compte rendu de la séance, entre questions et fureur, désespoir et certitudes.

Puis vint enfin la question du nombre, qu'ils avaient négligés jusque là.

La sentence tomba violemment, par Harry.

Sept.

La lourdeur du fardeau qui leur incombait désormais tomba sur leurs épaules humaines et le silence revint.

L'esprit de Regulus tournait à toute vitesse, lointain, durant les explications du Survivant. Dumbledore était entré en possession d'une bague…

-Harry !

Son cri soudain et inhabituel fit sursauter tous les membres présents.

-Quand Dumbledore est-il allé récupérer la Bague des Gaunts ?

-Le soir où la forêt interdite a été attaquée.

Le soir où la main du sorcier était devenue noire… Les nouvelles informations tombaient et les pièces du puzzles se complétaient peu à peu.

-Arcturus, je pense que nous devrions nous arrêter là, intervint Arthur. Nous avons tous besoin de réfléchir… et d'encaisser.

Il hocha la tête distraitement, inconscient qu'il venait d'être traité comme le nouveau meneur de l'Ordre, inconscient du poids qui pèserait bientôt sur ses épaules.


Il avait finalement convaincu Harry d'accompagner Ron et Hermione au Terrier. Le jeune homme avait besoin d'être près de ses amis. Il pourrait ainsi aider aux préparatifs du mariage de Bill et Fleur. Un mariage… cela redonnerait de l'espoir et montrerait que la vie continuait. Regulus y avait été invité, mais il hésitait encore à s'y rendre. Il doutait qu'Artemis puisse supporter un si grand nombre de personnes et leurs souvenirs terribles d'une guerre qui venait de reprendre.

Il s'assit dans le fauteuil le plus moelleux de la bibliothèque, un verre de Whisky Pur Feu à la main. Si son fils avait eu conscience de sa venue dans la pièce, il n'en avait rien laissé transparaître, plongé dans un grimoire sur l'histoire de l'alchimie et de Nicholas Flamel. L'homme laissa son esprit divaguer et ouvrit les portes aux suppositions qui s'égosillaient dans son subconscient depuis quelques heures. Ainsi, Dumbledore avait mis la main sur un troisième Horcruxe. Et, comme Ginny s'était laissée prendre par le journal de Tom Jedusor, le sorcier, aussi puissant soit-il, n'avait pas résisté à l'envoûtement dont elle avait fait preuve, l'avait passée à son doigt… Regulus en avait vu les effets lui-même cette main noircie et desséchée ironiquement semblable à la main de gloire… Il s'agissait d'un maléfice... comment Dumbledore avait-il pu le contrer aussi longtemps ? L'homme était comme tous les autres du côté de la lumière : ses lacunes en arts sombres pouvaient coûter sa vie. Seule une aide extérieure avait pu lui être fournie. Or, le seul en qui Regulus pouvait voir cette aide était Severus Rogue.

Il sursauta et se secoua mentalement. Rogue était un espion, certes, mais pour quel côté ? Quel intérêt aurait-il eu à prolonger la vie de Dumbledore au lieu de lui annoncer qu'il ne pouvait rien pour lui ? Albus Dumbledore avait été un puissant sorcier, avec de nombreux secrets, et surtout, incroyablement intelligent. S'il y avait eu des fuites dans l'Ordre, ne s'en serait-il pas aperçu ? Regulus revit Rogue se lever alors que la Marque les brûlait et le regard de connivence échangé entre les deux hommes.

-Artemis ! s'exclama-t-il.

L'enfant tressaillit à peine, et Regulus se leva pour se mettre à sa hauteur, lui enlevant le livre des mains. Son fils protesta mais il ancra leurs regards. Ils se côtoyaient depuis si longtemps qu'il n'existait pas un seul souvenir auquel son fils n'avait pas eu accès.

-Artemis, que peux-tu me dire de Severus Rogue ?

Il se faisait violence pour dissimuler ses pensées derrière des barrières d'occlumancie, déterminé à ne pas influencer son garçon ni à lui donner de trop dangereuses informations. Les yeux bleus se voilèrent.

-Severus Rogue, trente-six ans…

-Uniquement ce que tu sais de lui par lui, l'interrompit son père.

La haine de Sirius et de Harry à son sujet lui serait inutile.

-Puissant Occlumens. Barrières toujours abaissées, renforcées quand je suis là. Hais Harry pour sa ressemblance avec James. Hais Harry pour les yeux de Lily. Hais Harry pour toujours se mettre en danger.

De toute évidence, l'homme était un mystère. La déception fut amère mais Regulus s'efforça de ne pas le montrer. Les dons d'Artemis étaient précieux. Pour autant, il n'avait pas à en faire un objet ni à être frustré parce qu'ils connaissaient des limites.

-Il est reposant, ajouta son fils de sa voix monocorde. Je concentrais mon esprit sur lui parfois. Pas de flashs.

-Ses émotions ?

Il ne pouvait lire dans son esprit, mais les émotions étaient au-delà, et ne pouvaient être dissimulées à un empathe. Artemis commença à se balancer d'avant en arrière, très légèrement.

-Culpabilité. Haine. Agacement. Respect. Souffrance. Deuil. Suspicion.

-Envers Albus Dumbledore.

La respiration de l'enfant commença à s'accélérer, et Regulus se fit l'impression d'être un très mauvais père mais il devait savoir. Ce pouvait être vital pour l'issu de la guerre.

-Respect. Agacement…

-Pas de haine ?

-Non.

-De culpabilité ?

-Etrange.

-D'envies meurtrières ?

Artemis cessa de répondre et ses mains vinrent s'agiter devant ses yeux alors que ses balancements se faisaient de plus en plus violent. Regulus sut qu'il risquait de déclencher une crise et les remords le prirent si fort qu'il sentit son petit garçon s'en tendre. Il s'efforça de se calmer, ne voulant rien d'autre que le prendre dans ses bras.

Délicatement, il attrapa les mains de son fils et y entrelaça ses doigts.

-Je m'excuse, Artemis. Tu ne devrais pas être utilisé ainsi. Mais j'ai besoin de savoir…

-Rogue est-il un espion pour l'Ordre, pour Voldemort ou pour Dumbledore ?

Il avait échoué à fermer son esprit, se tança-t-il.

-Ce n'est pas grave, dit son fils. Je sais que ce pourrait être d'une importance primordiale. Je sais que je dois garder le secret.

Regulus observa les traits fins si graves de son fils, si enfantins, si précieux à ses yeux. Il se demanda si Walburga et Orion les avaient aimés, Sirius et lui, avec la même intensité, et si leur perte avait précipité leur fin.

-Je t'aime, Artemis, murmura-t-il en posant ses lèvres sur le front de son fils.

Son garçon se tendit mais n'eut aucun mouvement de recul. Il s'agita légèrement, ne sachant que faire avec les émotions qui l'envahissaient.

-Papa.

Il serra leurs doigts.


La question de Severus Rogue était à traiter avec précaution. Artemis y revint le lendemain alors qu'ils vérifiaient ensemble les protections de la maison.

-Je ne sais pas, admit son père. Etait-ce un agent double ou un agent triple ? Peut on aller jusqu'à un quadruple ou quintuple ? Voldemort lui voue une confiance inébranlable, mais Dumbledore aussi.

-Voldemort est un puissant legilimens.

-En effet. Mais aucun d'entre nous ne l'est, ce qui signifie qu'il n'avait pas d'intérêt à abaisser toujours ses barrières… sauf pour te contrer. Il semblerait qu'il ait compris…

Severus Rogue avait compris la puissance que pourrait représenter Artemis Black. Il savait aussi que Regulus Black avait survécu, emportant hors de la tombe des secrets du Seigneur des Ténèbres. Pourtant, tous les Mangemorts ignoraient qu'Arcturus équivalait à Regulus, l'Ordre respectant le vœu de changement d'identité du frère de Sirius. Et, plus important encore, il n'avait pas connaissance de l'existence d'Artemis, alors que Rogue aurait pu lui en parler. Voldemort serait assurément venu à la rencontre d'un ennemi dangereux et de son fils pouvant être utilisé comme une arme. Rogue les avait préservés. Ce ne pouvait signifier qu'une chose.

-Vite, Drago, maintenant ! dit avec colère l'homme aux traits grossiers.

La main de Malefoy tremblait tellement qu'il était incapable de viser.

-Je vais m'en occuper moi-même, gronda Greyback en s'avançant vers Dumbledore les bras tendus, les dents découvertes.

-J'ai dit non ! s'écria l'homme aux traits grossiers.

Eclair de lumière. Loup-garou projeté en arrière.

Le cœur de Harry, prisonnier du sortilège de Dumbledore, lui martelait les côtes avec une telle force qu'il semblait impossible que personne ne l'entende… Si seulement il avait pu bouger, il aurait lancé un maléfice sous sa cape…

-Drago, vas-y ou alors écarte-toi pour que l'un de nous…, vociféra la femme d'une voix perçante.

Porte qui s'ouvre. Rogue, main crispée sur sa baguette. Yeux noirs allant de Dumbledore, affalé contre le rempart, jusqu'aux Mangemorts.

-Nous avons un problème, Rogue, dit Amycus. Ce garçon ne semble pas capable de…

Nom de Rogue, d'une voix très faible.

-Severus…

Harry terrifié : pour la première fois, Dumbledore, ton suppliant. Rogue silencieux.

Rogue observe Dumbledore un moment, Répugnance, haine creusant les traits rudes de son visage.

-Severus… S'il vous plaît… Rogue leva sa baguette et la pointa droit sur Dumbledore.

-Avada Kedavra !

Un jet de lumière verte.

Regulus émergea du souvenir où son fils l'avait plongé, et fixa le ciel gris à travers la fenêtre donnant sur la rue de Londres.

-Harry était obsédé par ce souvenir, déclara son fils en guise d'explications.

-Dumbledore se savait condamné par l'Horcruxe et aurait demandé à Severus de le tuer… alors que Draco en avait la charge ? Artemis, y aurait-il un évènement qui ne concorde pas ?

-Pas à ma connaissance, répondit la voix monocorde de son garçon derrière lui.

-Alors Severus Rogue est de notre côté, mais pas en position de faire grand-chose tant qu'il est en convalescence.

Cette information était néanmoins précieuse : ils pourraient compter Rogue dans leurs rangs. Et Harry devrait mettre sa rancœur de côté. Avec Severus Rogue dans le camp de la lumière, il sembla à Regulus que les choses s'équilibraient peu à peu.

o°o°O°o°o

Il régnait sur le Chemin de Traverse une étrange atmosphère. La mort de Dumbledore avait découragé ceux qui croyaient en la défaite de Voldemort, et amenait les Mangemorts à se montrer moins prudents, moins discrets. Regulus marchait d'un pas pressé en direction d'Ollivanders, après avoir récupéré chez Gringott's une bonne partie de son coffre. Il ne faisait qu'une confiance très limité aux Gobelins, Artemis le savait. Harry marchait à leurs côtés, dissimulé sous sa cape d'invisibilité. Il avait tenu à sortir un peu et, ayant le souvenir de Sirius errant dans la maison qu'il avait haïe, Regulus n'avait pas voulu l'en empêcher, à condition qu'il transplane Square Grimmaud au moindre signe de danger et en emportant son fils avec lui.

Il y avait trop de monde. Artemis était assailli par les flashs, les émotions, la tristesse et il ne parvenait plus à décider ce qu'il ressentait, aussi préférait-il se laisser guider par son père en se balançant légèrement et en se remémorant les étapes ayant menées à la Première Guerre Mondiale.

La France et l'Empire Germanique n'avaient plus été en bons termes depuis longtemps, et la France n'avait pas aimé qu'on lui enlève l'Alsace et la Lorraine, soit une partie de son territoire…

Emerick avait été tué devant leurs yeux, leur seul petit fils… Chagrin. Douleur. Souffrance intense. Vide.

Le Royaume Uni et la France s'étaient néanmoins plus combattues que la France et les Germains… Quel était l'évènement qui avait marqué leur alliance ?

Un loup-garou et un vampire. Lui qui avait détesté les créatures magiques voyait ses deux adolescents devenus deux ennemis mortels des sorciers. Dégoût. Fureur. Désespoir. Haine.

Il y avait eu cet espion, qui avait voulu…

-Artemis ! Artemis, nous sommes arrivés.

Il cligna des yeux, s'arrachant de force à ses contemplations pour entrer dans la boutique miteuse en espérant qu'il serait protégé du dehors et que le vendeur n'avait pas trop vécu.


Ollivanders était semblable aux souvenirs de son père. Etrange, vieux…

-Eh bien il me semble vous reconnaître… commenta l'homme, et Artemis sentit son père se tendre.

-Je viens de France, monsieur, j'y ai acheté ma baguette.

L'enfant reconnut le léger accent que son père s'efforçait de mettre dans ses phrases.

-Chez ma collègue Flora Hypnosienne, n'est-ce pas ? Puis-je la voir ?

-Non. Je suis ici pour mon fils et par les temps qui sont nôtres, je préférerais ne pas m'attarder.

La voix de Regulus était semblable à ce à quoi il était accoutumé en public : glaciale, implacable, et si familière qu'elle en était rassurante. Ollivanders sembla comprendre.

-Va-t-il entrer à Poudlard ? J'espère que ce sera un bon directeur… Tout ceci est fort regrettable.

L'homme chuchotait, et plus il s'approchait, plus les flashs envahissaient l'esprit d'Artemis qui agrippa la main de son père et se concentra sur la familiarité des souvenirs qui affluaient.

-Regulus Black n'est-ce pas ? Je suis curieux de voir de quoi sera faite votre baguette…

-Puis-je vous aider, monsieur…

-Jedusor. Je suis là pour acheter une baguette magique.

-Bien évidemment.

-J'en veux une excellente.

-Ah Sirius, vous accompagnez votre frère ? J'ai cru entendre que vous aviez été envoyé à Gryffondor.

-Trêve de bavardage.

-Vous me paraissez bien ambitieux.

Ollivanders le touchait, et les souvenirs les plus vivaces se mélangeaient à ceux de Regulus. Artemis chancelait et son père raffermit sa poigne. Son monde commençait à se troubler et il se sentait attaqué. Dehors, l'atmosphère parut devenir plus sombre encore…

-Je crois que j'ai ce qu'il vous faut… Tenez monsieur Blanc, essayez ceci : Bois de Cerisier et Ventricule de Dragon, une combinaison dangereuse mais qui vous sierra peut-être…

Soulagé de voir enfin l'homme s'éloigner de lui, Artemis attrapa la baguette en prenant garde à ne pas toucher la peau humaine. Il la tint comme il avait vu son père le faire, l'index dessus, une poigne à la fois ferme et souple. Le premier mouvement qu'il fit le projeta en arrière et la baguette lui vola des mains.

-'Temis.

Son père le releva, et il sentit sa peur et sa culpabilité.

-Etrange, commenta Ollivanders. Etrange, vraiment. Un tel rejet est particulièrement rare. Mais ce n'est pas grave, il s'agissait d'une baguette explosive… Tenez, essayez celle-ci : Pin et plume de phénix.

Artemis agita légèrement la main, et la baguette commença à tourbillonner violemment dans sa paume. La suivante pénétra brutalement dans son esprit et lui assena une douleur aiguë ainsi que les dernières émotions de ceux qui l'avaient touchés, le faisant tomber au sol dans un cri. Il sentait le regard du vendeur brûler sa peau et ses interrogations lui donnaient la migraine. Quant à la baguette suivante, elle demeura tout simplement sans réaction dans sa main.

-Pardonnez-moi de vous demander ceci, résonna la voix d'Ollivanders à travers les brumes, mais êtes vous sûr que votre fils est un sorcier ?

-J'aurais su admettre que mon enfant soit un cracmol, rétorqua Regulus avec acidité. Je puis vous assurer que c'est un sorcier.

Ollivanders répondit quelque chose qu'il n'entendit pas, puis Artemis sentit qu'on lui mettait une nouvelle baguette dans la main. Son mal être s'intensifiait. La baguette se mit à chauffer sa peau à blanc et il l'envoya voler à l'autre bout de la pièce, sentant ses propres sens s'échauffer. Dehors, l'orage grondait. Une baguette glaciale fut glissée dans sa main, et il la ramena devant ses yeux par automatisme, ondulant légèrement dans l'espoir de se calmer. Elle ne réagit pas, mais lorsqu'Ollivanders essaya de la reprendre, elle cracha une gerbe d'étincelles argentées.

-Il semblerait que nous y soyons finalement arrivés, soupira le vendeur et son soulagement s'infiltra en Artemis. Bois de tilleul argenté et crin de licorne, 30,2 centimètres, fragile. Vous serez sans doute très doué en divination ou en legilimancie, une fois à Poudlard.

-Je vous remercie, le coupa Regulus en lui tendant la somme indiquée.

Artemis s'efforçait de calmer la panique qui montait en lui. Sa vision était si trouble qu'il ne distinguait pas même la couleur de sa baguette.

Lorsqu'ils ressortirent de Fleury et Bott, l'atmosphère pesante et sombre s'était glacée et Artemis sentit son corps se geler sur place. Sa température corporelle chuta brutalement, son sang devint de la glace, son esprit fut assailli par des pics de gels d'une violence rare.

Un cimetière. Voldemort. Un voile. Sirius.

Le carnet rose de Mangue.

Une caverne. La maison des Elés. Une silhouette fine et respirant à peine. Les yeux révulsés.

Les nuits passées sous la neige.

La solitude. Le harcèlement. Les moqueries. La haine de soi.

La table des supplices.

Des crocs. Un bras déchiqueté. La douleur. L'impuissance.

Monstre.

Dumbledore chutait dans le vide… Ce ne pouvait être vrai… Un rire glacé. PAS HARRY, PAS HARRY ! Un nouveau rire et de nouveaux cris déchirants…

Le front d'Artemis heurta violemment le sol du Square Grimmaud et ses propres cris résonnèrent à ses oreilles, se mêlant aux suppliques de Harry.

Ils durent attendre près d'une heure dans la bibliothèque de la demeure des Blacks, baguettes en main, alertes, tentant dans le même temps de faire passer la crise du plus jeune. Lorsque enfin, Regulus réapparut, les deux garçons se levèrent d'un bond.

-Les Mangemorts sont arrivés peu après les Détraqueurs, leur apprit l'homme. Merci, Harry. Je sais que tu aurais voulu rester te battre mais nous avons besoin de toi sur d'autres combats. Il te faudra apprendre à les choisir. Artemis, mon ange, tu vas bien ?

-Je ne suis pas mort, commenta le garçon en clignant deux prunelles étonnées.

Regulus soupira puis lui tendit un doigt dans lequel il entrelaça son index. Son père était épuisé mais il avait pris le temps de calmer ses émotions pour ne lui transmettre que de la sécurité. Artemis le serra un peu trop fort, profondément ému.

-Papa, murmura-t-il.

-Je suis là. Harry, je crains que cela ne s'intensifie. La terreur régnera bientôt sur le Royaume-Uni entier.

-Je serais prêt, répliqua le jeune homme. Je voudrais que nous reprenions mon enseignement dès demain.

Artemis sentit les doutes et les peurs de son père se mêler la détermination du Survivant qui ne savait encore trop où se placer mais qui renaissait doucement : il avait fait le deuil de Dumbledore et l'envie de se battre lui était revenue. Il était prêt à endosser son rôle.

o°o°O°o°o

Le mariage de Bill et Fleur comprenait un nombre impressionnant d'invités, et Harry avait été mis sous polynectar par souci de sécurité. Il avait ainsi pu discuter avec nombre de personnes sans être dévisagé comme une bête curieuse ni risquer d'être dénoncé. La discussion entre Elphias Dodge et la Tante Muriel des Weasleys menaçait son moral. Rita Skeeter avait prévu de sévir, de sortir un livre sur Albus Dumbledore avec ses mots cyniques et sa plume venimeuse, ternissant la mémoire du mentor qu'il avait été pour le Survivant. Quelques jours plus tôt à peine, lui, Ron et Hermione avaient reçu le testament de Dumbledore par l'intermédiaire de Scrimgeour. Si l'entretien avec le Ministre s'était particulièrement mal passé, tous trois avaient désormais une certitude : l'Ordre ne pourrait détruire les Horcruxes sans l'épée de Gryffondor ou des crocs de basilic, mais comme ceux-ci se trouvaient à Poudlard et que le château leur était inaccessible pour le moment, ils devraient faire en sorte de récupérer l'épée, chose qui leur avait été interdite.

Dumbledore avait légué à Poudlard presque toutes ses possessions, à l'exception de l'intégrale des volumes de Gilderoy Lockart dont il avait fait don à Hermione, de son déluminateur pour Ron, et de sa pensine pour Harry. La singularité du testament les avait laissés perplexes, mais ils n'avaient pas bronché devant Scrimgeour.

-M'accorderez vous une danse, cher cousin ?

La voix de Ginny sortit Harry de ses réflexions et son estomac se retourna. Elle était magnifique, flamboyante, et ses yeux chocolats luisaient autant de malice que de tristesse.

-N'est-ce pas aux hommes d'inviter à danser ? répliqua-t-il.

-Et bien vu que tu ne t'en chargeais pas, j'ai pris les devant.

Elle n'avait rien perdu de sa ténacité ni de son audace depuis qu'il avait rompu avec elle. Il se leva et accepta la main tendue. Le regard de reproche que lui lança Ron de loin le mit mal à l'aise, mais il avait déjà une main sur la taille de sa sœur et se laissait entraîner par la musique. Il avait fait quelques progrès depuis le désastreux Bal du Tournoi des Trois Sorciers. Luna et la fête de Slughorn avaient été particulièrement instructifs.

-Tu ne pars plus, si j'ai bien compris, murmura Ginny à son oreille. Tout le monde sait que nous sommes séparés à présent, mais est-ce vraiment nécessaire ? Tu seras là, désormais, nous nous verrons souvent. Et dès l'année prochaine, je rejoindrais l'Ordre.

-Ginny… souffla-t-il, mal à l'aise, essayant de se dérober.

Elle portait une robe claire absolument magnifique et être aussi près d'elle accélérait les battements de son cœur. Ils continuaient de danser, entraînés par la foule.

-Tu ne pars plus. Tu n'as plus aucune raison de me tenir éloignée.

-Tu es en danger auprès de moi… tenta-t-il.

-Je ne suis plus une enfant.

Elle évitait de prononcer son prénom et la musique couvrait leurs paroles. Bientôt la danse s'arrêterait et Harry était déchiré entre le souhait que son supplice s'abrège et la féroce envie de rester sur cette piste de danse, à valser avec Ginny pour toujours, loin des préoccupations du monde des sorciers.

-Si tu ne m'aimais pas, je n'insisterais pas. Ce pourrait être notre secret, tu sais. M'écrire serait effectivement dangereux.

Regulus avait promis de faire un saut au mariage et de confier son fils à Kreattur pour une heure. Selon lui, le mariage était une promesse de vie en ces temps obscurs. Il avait été le premier à féliciter Remus, et également l'un de ses témoins. La proposition de Ginny était alléchante... il ne parvenait plus à réfléchir dans ses bras, enivré par son parfum et sa chaleur. Mais déjà, les violons ralentissaient et les cuivres baissaient en intensité.

-Juste pour être ensemble, murmura-t-il. Parce que cela signifie qu'il n'a pas gagné et qu'il reste l'amour. Notre secret.

Elle lui adressa un regard brûlant qui réchauffa sa poitrine d'une façon qu'il n'aurait jamais plus possible. Puis la musique s'arrêta, ils se séparèrent, et Harry se sentit soudain euphorique. Un sentiment qui n'avait pas sa place en pleine guerre.


Il offrit une danse à Hermione, puis encouragea son meilleur ami à faire de même, alors qu'il tournoyait autour des invités pour trouver Luna, apercevant au passage Regulus qui s'entretenait avec Fleur. Il parvenait à peine à réaliser ce qui venait de se passer. Il était avec Ginny. Ensemble. Un précieux secret et une danse qui viendraient réchauffer ses nuits sombres. Un moment qui n'appartenait qu'à lui.

-Tu as bien fait, commenta rêveusement Luna. L'amour fait tourner le monde.

Il était inutile de lui demander comment elle savait : elle avait deviné son identité à travers le polynectar.

Un fracas retentit soudain, et des cris s'élevèrent alors qu'un lynx argenté se frayait un passage jusqu'au centre du chapiteau.

« Le Ministère est tombé. Scrimgeour est mort. Ils arrivent. Pas d'espoir de retournement. »

De nouveaux cris retentirent, puis un véritable chaos éclata. Harry se fit bousculer par une horde de sorcières françaises terrifiées et tomba sur le sol, roulant sur le côté pour éviter de se faire piétiner. Déjà, le ciel s'obscurcissait. Un bras attrapa le Survivant et deux mots résonnèrent à ses oreilles.

-Oiseau de Flamme. Maison.

Il se retourna mais déjà le long manteau d'Arcturus Blanc disparaissait dans la foule.

-Ron ! Ron où es-tu ?

Les sanglots nerveux d'Hermione le firent réagir. Il la rejoignit alors qu'elle mettait la main sur leur meilleur ami.

-Oiseau de Flamme, lui murmura Harry. Maison.

Il s'éclipsa ensuite pour tenter de trouver les autres membres de l'Ordre. Regulus avait demandé le rassemblement, comme après la mort de Dumbledore. Ils devaient se retrouver. Kinglsey parviendrait-il à les rejoindre ? Il ne pouvait lui envoyer de patronus, son cerf étant devenu bien trop célèbre. Il se heurta à Lupin et répéta les mots codés si bas que seul ses sens de loups-garous lui permirent de les entendre.

-Rentre immédiatement ! siffla une voix à ses oreilles. Choisis tes combats !

Où étaient Ron et Hermione ? Les Mangemorts avaient déjà surgi en plein milieu du chapiteau, le cherchant très certainement. Harry tergiversa un instant avant de transplaner au Square Grimmaud.


Il atterrit sur le carrelage ruisselant de sueur. Aussitôt, Hermione fondit dans ses bras et le serra à lui en faire mal, sanglotant à moitié.

-Oh, Harry ! Où étais-tu ? Nous croyions que…

-Laisse le respirer, conseilla Ron. Elle n'a pas tort mon vieux. Ne nous refais jamais un coup pareil.

-Désolé, s'excusa-t-il. Je devais prévenir les autres…

Remus, Tonks et Ginny atterrirent à leur tour violemment contre le sol de la demeure des Blacks.

-Regulus aurait du mettre un sortilège de coussinage, commenta Tonks sur le ton de la conversation. Tout le monde va bien ?

-Où sont…

-Bill et Fleur ne partiront pas avant d'avoir vérifié que tout le monde va bien, répondit Remus. Il en va de même pour Molly. Arthur, Kingsley et Regulus tentent d'assurer la sécurité avec Fol Œil. Fred et Georges devraient déjà être là…

Ron pâlit en entendant ces mots, et Hermione pressa sa main.

-Où est Artemis ? demanda-t-elle.

Harry sentit son sang se glacer dans ses veines. Regulus ne pouvait pas l'avoir emmené au mariage… Il était toujours extrêmement précautionneux lorsqu'il s'agissait de la sécurité et du bien être de son fils… Mais il l'avait emmené à Poudlard les deux soirs où il y avait assuré la sécurité, les deux soirs où le château avait été attaqué…

-Je vais voir, annonça-t-il en se dirigeant vers la bibliothèque.

Il y trouva Kréattur en train de faire le ménage.

-Où est Artemis ? demanda-t-il, le cœur battant.

-Le petit maître écrit dans sa chambre, répondit l'elfe, imperturbable. Maître Arcturus a demandé à Kreattur de veiller sur le petit maître pendant deux heures et de faire en sorte qu'il soit au calme, et le petit maître a lu une heure dans la bibliothèque avant de monter dans sa chambre.

-Il n'y a pas eu d'intrusion ?

-Kreattur veille à la sécurité de la Noble Demeure des Blacks.

-C'est vrai… Merci Kreattur.

Harry monta les escaliers aussi vite que possible, le cœur martelant toujours son poitrail et dut s'arrêter devant la porte pour réprimer ses émotions. Artemis était effectivement attablé à son bureau, en train d'écrire. Il leva la tête et se prit de plein fouet les derniers évènements vécus par Harry.

-Papa ?

-Il est resté pour aider. Je ne sais pas quand il va revenir mais il ira bien, Artemis.

Il s'approcha de l'enfant et discerna son écriture brouillonne étalée sur le parchemin. Il avait maladroitement dessiné le Journal de Jedusor, la Bague des Gaunts et le Médaillon de Serpentard, mais également inscrit « Coupe » dans un coin vierge. Il en savait bien plus que ce qu'il n'aurait du. Harry déchiffra les écritures et s'immobilisa.

-Que veux-tu dire « Emplacement Inconnu », « Situation Inconnue » ? demanda-t-il en tentant de ne pas céder à la panique alors qu'il répétait les mots inscrits sous le médaillon.

-Papa a demandé à Kreattur de détruire l'Horcruxe. Kreattur sait qu'Arcturus Blanc est Regulus Black, mais jamais ils n'en ont parlé, pas plus que de cette époque et de la nuit où Papa s'est retiré de la civilisation. Papa considère que les pouvoirs des elfes sont puissants et que Kreattur a pu détruire l'Horcruxe mais ce fait n'a jamais été vérifié.

Harry en resta coi. Le sang battait furieusement à ses tempes lorsqu'il réalisa que ni lui ni Regulus n'avaient pensé à vérifier que le Médaillon avait été détruit.

La porte de la chambre d'Artemis s'ouvrit de nouveau, sur un Regulus légèrement ensanglanté mais parfaitement calme.

-Nous t'attendons pour lancer la réunion… Tu aurais du partir dès que tu t'es retrouvé avec Ron et Hermione, Harry. Il te faudra choisir tes combats, tu ne pourras être partout.

D'ordinaire, Harry en aurait sans doute eu un mouvement agacé mais il restait sous le choc des paroles de l'enfant.

-Arcturus, commença-t-il doucement, je crois que tu devrais voir les travaux d'Artemis. Le Médaillon a été détruit, n'est-ce pas ?

Il espérait de tout cœur que l'homme lui réponde de façon glaciale et assurée mais un éclat dans son regard lui fit perdre aussitôt cet espoir. Il avait appris à interpréter les infimes changements chez le frère de son parrain.

-Nous devrons en parler à Kreattur, déclara Regulus d'une voix étranglée. Artemis, je sais que je t'avais promis une leçon à cette heure mais il y a une urgence. Peux-tu aller voir Ginny ? Je te promets d'être de retour dans une heure et demie.

Les progrès faits par l'enfant ces dernières années se manifestèrent car il hocha simplement la tête, reposa précautionneusement son stylo à bille et descendit dans la bibliothèque.


Tout l'Ordre était présent, même Kingsley. Ceux qui avaient été au mariage étaient pâles et fatigués, et, comme ceux du ministère, des traces de sang brunissant maculaient leurs habits et leur peau. Ceux qui avaient participé à la première réunion après la mort de Dumbledore tranchaient avec ceux qui venaient d'être recontactés : ils étaient plus assurés, plus déterminé, et il émanait d'eux quelque chose… l'espoir. Harry se redressa sur sa chaise. Les nouveaux venus fixaient Regulus, légèrement perdus.

-Où sont Fred, Georges et Molly ? demanda-t-il, s'apercevant de leur absence.

-Fred… a été blessé durant la bataille, déclara Arthur avec difficulté en retirant ses lunettes. Ils sont auprès de lui, mais je leur ferait un résumé de ce qui s'est dit.

A l'expression du patriarche, Harry devina qu'il aurait lui aussi préféré se trouver près de son fils. Le Survivant posa une main maladroite sur l'épaule de Ron en guise de soutien. Son meilleur ami tenta d'esquisser un pâle sourire, en vain.

-Bien, déclara Regulus en se levant, et l'attention se focalisa une nouvelle fois sur lui. Le Ministère est officiellement tombé, et donc aux mains de Voldemort. Ce qui signifie qu'il a désormais la loi pour lui et que nous sommes face à un dictateur. Ce qui signifie également autre chose : la guerre est officiellement déclarée.

Un silence de mort accueillit ses propos. Tous le fixaient en silence, attendant qu'il continue.

-Je vous ai demandé de venir ici parce que nous devons aussitôt nous unir pour réussir à le vaincre. Nous ne pouvons pas nous disperser. Nous sommes plus forts ensemble. Nous nous reconnaissons, nous savons que nous sommes dans le même camp. Nous devons devenir un important réseau de résistance.

-Recruter aujourd'hui est dangereux, pointa Hestia Jones. Nous nous exposons au Ministère et à nos ennemis.

-Pas autant que vous l'imaginez. Il y aura trois camps. Celui de Voldemort, le nôtre, et en majorité des sorciers essayant uniquement de survivre.

Harry comprit aussitôt que Regulus avait pour appui l'Histoire moldue, par laquelle Artemis était fasciné.

-Brillant, murmura Hermione.

Il lui lança un regard interrogatif.

-La connaissance du passé permet une meilleure appréhension du futur, expliqua-t-elle à voix basse.

Les membres de l'Ordre continuaient de fixer Regulus, dans l'attente de ses paroles futures. L'homme, en revanche, semblait attendre que chacun prenne la parole pour suggérer certaines choses. Harry se demanda ce qu'il faisait là, à assister à une réunion inutile plutôt que d'être en train de chercher les Horcruxes… dont un se trouvait peut-être dans la maison même qu'il avait fréquentée ces trois dernières années.

Voyant que tous les regards étaient toujours braqués sur lui, Regulus soupira et posa ses paumes sur la table.

-Une grande organisation demandera différents département et une hiérarchie, ainsi qu'une confiance complète.

-Impossible, grogna Maugrey. Il y a toujours eu des espions. Un surplus de confiance est dangereux ! Vigilance Constante !

-Vigilance constante, approuva Regulus, mais ne pas dissimuler d'informations. La frontière est mince et difficile. Avant d'aller plus loin, il faut que nous décidions d'un remplaçant à Albus Dumbledore. Nous avons besoin d'un meneur à qui nous fier, qui discerne les mensonges et les vérités, les meilleures missions à confier aux uns et aux autres, qui sache s'organiser.

Il passa son regard sur chacun d'entre eux, attendant des propositions. Ce ne fut qu'à ce moment qu'Harry réalisa que Regulus n'avait eu aucune idée de ce qu'il engendrait en prenant le partie de convoquer l'Ordre pour établir une résistance non pas une, mais deux fois. Il le connaissait suffisamment bien pour savoir qu'il s'imaginait dans le rôle de conseiller de l'ombre, probablement bras droit lorsque la guerre s'achèverait. A sa droite, Hermione souriait largement.

-Arcturus, lança calmement Harry, je pense que l'Ordre te considère déjà comme son meneur. Tu es le meilleur choix pour ce rôle.

Regulus se tourna vers lui, froid et distant.

-Je ne suis… commença-t-il, mais déjà des murmures d'assentiments enflaient dans la salle. D'autres sont bien plus qualifiés que moi. Alastor…

-Je suis un guerrier, pas un gratte papier, marmonna l'Auror.

-Minerva…

-J'aurais Poudlard à gérer l'année prochaine. Vous avez été l'un de mes meilleurs élèves R… Arcturus.

Harry éprouva une légère peine pour l'homme qui était déjà épuisé par les pouvoirs de son fils et son inquiétude pour Harry, ainsi que la quête des Horcruxes.

Mais qui, en effet, mieux que lui, pouvait diriger l'Ordre ? Il avait fait partie des Mangemorts et en connaissait les mécanismes. Ses voyages, ses connaissances et sa maîtrise de l'Histoire grâce à son fils en feraient un stratège hors pair. Et –Harry songea qu'il pourrait lui balancer cet argument dans la figure s'il protestait trop-, comme il l'avait toujours déploré, les autres membres de l'Ordre ne connaissaient qu'une magie dite blanche, alors qu'en temps de guerre, un lien avec la magie noire pouvait être désirable.

Le jeune homme sentait le soulagement affluer en lui. Il n'aurait pas à être le leader de tous ces adultes. Il pourrait mener sa quête des Horcruxes et son combat contre Voldemort sans ce poids sur les épaules. Et il aurait en Regulus un mentor avisé en qui il vouerait une confiance aussi totale qu'à Ron et Hermione.

Les membres de l'Ordre attendaient les instructions de Regulus, dont le visage était toujours de marbre.

-Puisque ceci est réglé, passons à l'organisation. Nous devons séparer l'Ordre en deux –sans cesser d'avoir des réunions communes.

-Les Phénix et les Flammes ? proposa Hermione.

Malgré les derniers évènements, son visage était lumineux et elle souriait, heureuse d'être assise entre ses deux meilleurs amis.

-Cela semble adéquat, approuva Remus.

-Au centre de la guerre se trouvent Harry et Voldemort.

-Les Rois sur un échiquier, intervint Ron.

Ses oreilles rosirent lorsque tout le monde se tourna vers lui, mais Arthur lui adressa un sourire plein de fierté.

-C'est une bonne métaphore, Ron, approuva-t-il. Les Rois doivent être protégés à tous prix.

-Les Flammes seront donc les pions, et les Phénix, ceux qui sont les plus proches à protéger le Roi. Harry a une mission qu'il devra accomplir seul à la fin, mais dans laquelle les Phénix l'aideront et le soutiendront. Les Flammes se chargeront de recruter de nouveaux membres et d'assurer la sécurité des sorciers du Royaume Uni, particulièrement des nés moldus.

Regulus tut que les Flammes seraient ceux en qui ils avaient le moins confiance, et qu'ils étaient déjà désignés. Les Phénix avaient assisté à la première réunion, tout simplement.

Harry sut qu'une hiérarchie se mettait en place. Que les nouveaux venus devraient gagner la confiance et seraient immédiatement assignés en Flammes. Que cela pourrait créer des tensions. Mais il ne voyait pas d'autres moyens. Et il savait également que Regulus ne le considérait ni comme l'un ni comme l'autre. Il était un élément à part de cette guerre, un élément qu'il fallait protéger et à qui il fallait permettre d'achever ses buts. Il était le Roi Blanc.

o°o°O°o°o

Une nouvelle fois, Severus Rogue ouvrit les yeux avec l'impression d'avoir été coincé entre les sabots d'un hypogriffe furieux et le sol. L'Ordre ne l'avait pas manqué, et Potter, dans sa fureur, non plus. Le sort des traîtres et espions était loin d'être enviable.

Il aurait voulu se rendormir mais savait que la migraine ne passerait pas. Maintenir ses boucliers d'Occlumencie même dans ses moments d'inconscience requérait une force et un talent considérable et prenait sur les capacités que son corps aurait dû utiliser pour le guérir. Le potioniste se leva au prix d'un effort considérable et vérifia la potion anti-douleur qu'il était en train de brasser. Une fois débarrassé de ses migraines il pourrait pallier au plus urgent : Potter. Le gamin devait être en fuite, ou en train de poursuivre la mission donnée par Dumbledore, et il aurait besoin d'aide. A moins qu'il ne se soit confié à Arcturus. Le frère de Sirius avait l'avantage de posséder d'intéressantes connaissances sur le Seigneur des Ténèbres.

Severus dut passer une nouvelle semaine dans les brumes avant de pouvoir enfin boire un extrait de sa potion et éclaircir son esprit. Merlin, il avait oublié qu'avoir un constant mal de tête n'était pas naturel. Il sentit la Marque le brûler quelques instants plus tard et contint son exaspération avant de descendre dans la salle de réunion du Manoir Malefoy.

-Je suis heureux de te voir de retour parmi nous, Severus, lança le Seigneur des Ténèbres de sa voix sifflante et glacée. Prends place. On vient de m'annoncer une excellente nouvelle ! Rodolphus est nommé directeur de Poudlard !

Le cœur de l'espion bondit dans sa poitrine alors qu'il se concentrait sur ses barrières mentales.

-C'est une excellente nouvelle, Maître, s'inclina-t-il. Je suis heureux de pouvoir être un professeur sous ta direction.

-Tu ne retourneras pas à Poudlard avant d'être remis, répondit leur Maître.

-Maître, je vous assure que je suis parfaitement…

-Severus, Severus, me prendrais-tu pour un idiot ? Tu trembles et tes jambes ne sont pas encore stables. J'aurais aimé t'avoir comme directeur c'est évident, mais tu es convalescent.

-Je ne veux que vous servir, Maître.

Devoir s'aplatir ainsi lui avait répugné durant de longues années. Avec le temps, il s'y était habitué. Le mépris dans la voix du Seigneur des Ténèbres était dangereux. Severus avait intérêt à se rétablir vite et à avoir de l'utilité.

Car la nouvelle était catastrophique. Rodolphus avait été condamné pour avoir mené les Londubats à la folie, il était sadique et complètement fou. Les élèves de Poudlard seraient en danger et même Minerva McGonagall, qui s'était opposée avec une force impressionnante à Ombrage et au Ministère, ne ferait pas le poids pour les protéger. Par ailleurs, lui-même étant un traître, ses anciens collègues feraient de sa vie un enfer, l'empêchant sans en avoir conscience d'aider les élèves. Les mauvaises nouvelles avaient souvent plu ces derniers temps, mais aucune encore n'avait autant laissé à Severus l'impression que la situation était désespérée. Pour Harry Potter, pour Poudlard, pour l'Ordre, pour le monde des sorciers et pour l'Humanité.


Rodolphus se pavanait dans le Manoir Malefoy en compagnie de Bellatrix et Rabastan. Lucius avait été élevé dans la noblesse et la politesse et se montrait courtois mais il n'appréciait pas les trois Lestrange. Narcissa tenait plus ou moins à sa sœur, mais se montrait méprisante face aux hommes. Et pourtant, ils se trouvaient tous réunis dans le salon après le dîner, la migraine recommençant à taper les tempes de Severus.

-Drago, lança soudain Rodolphus.

Le jeune homme leva la tête. Depuis que la mission de tuer Dumbledore lui avait échu, il avait été livide et émacié, mais ces derniers mois, il était devenu cadavérique.

-En tant que ton oncle, je te somme de continuer tes études à Poudlard l'année prochaine.

Narcissa voulut s'insurger mais son mari la stoppa d'un léger signe de la main. Les Malefoys étaient tombés en disgrâce.

-Ne serait-je pas plus utile auprès du Maître ? s'enquit Drago, morne et vaincu.

-Tous les élèves devront assister aux cours. Il est hors de question que mon propre neveu n'ait pas son diplô me seras par ailleurs extrêmement utile à Poudlard…

Severus comprit aussitôt qu'il désignerait Drago comme son espion et se servirait de ses rapports pour punir les élèves.

Il se leva en marmonnant une excuse sur son mal de crâne et se réfugia dans la suite qui lui avait été prêtée. Drago n'avait jamais eu la carrure d'un Mangemort et il ignorait comment le jeune homme supporterait que des élèves se fassent torturer sous ses mots.

Rodolphus céderait sans doute à ses pulsions sadiques.

Et lui, Severus Rogue, était prisonnier du Manoir Malefoy et de Voldemort alors qu'il avait fait à Dumbledore le serment de protéger ses élèves et Harry Potter.