Bonsoir !
Avant toute chose, je tiens à m'excuser du délai occasionné depuis la dernière mise à jour. On pourrait croire que le confinement aurait aidé à l'écriture, mais personnellement... eh bien pas du tout.
Je me dois d'annoncer ici que Sombre Rêves, pour ceux qui la suivent, est en suspend. J'en suis vraiment désolée. La vérité, c'est que je subis une nouvelle forme de dépression, et que je ne peux pas écrire sur un personnage qui la subit également. Ce serait trop éprouvant, et la santé mentale est la priorité. Les conseils que j'ai donné juste avant le premier chapitre s'appliquent aussi à moi. Jusqu'à ce que je me sente mieux et que l'écriture puisse de nouveau être cathartique, je mets Une Lueur dans l'Ombre en pause. Cela veut aussi dire que j'aurais de nouvelles pistes de réflexion à mon retour !
Quoi qu'il en soit, Le Chagrin et la Pitié n'est pas concernée, puisque les thématiques sont bien différentes et les points de vue, nombreux ! Le prochain chapitre verra soit le retour de 1997 et des indications sur la déchéance du monde sorcier, soit la continuité de l'année scolaire 1976-1977. Il faut que je vérifie ma chronologie. Quoi qu'il en soit, ne vous inquiétez pas, tout est bien calibré !
Nous retrouvons donc Harry (désormais Lydell) et Artemis (Asellus) pour leur rentrée à Poudlard. Ce chapitre est centré uniquement sur eux, sur leur adaptation et leurs traumatismes.
Considérez si c'est un homme que celui qui traîne dans la boue, qui ne connaît pas de raison,
qui se bat pour un quignon de pain, qui meurt pour un oui pour un non.
Primo Levi
Premier Semestre 1976
La perspective de retourner à Poudlard était terrifiante aussi bien pour Lydell que pour Asellus. Ils avaient quitté un château en ruine, rempli de membres de l'Ordre et d'Alliés dans un état aussi pitoyable que le leur, ils retrouveraient une école splendide et des adolescents emplis d'une joie de vivre qu'ils ne connaissaient plus.
Ils devraient retrouver un rythme de vie, se reconstruire en tant qu'humains et se construire en tant qu'individus. Ils devraient supporter les regards, les frustrations, les rumeurs qui ne manqueraient pas de fleurir.
Et surtout ils devraient passer les prochaines années à veiller sur leurs faits et gestes, à calculer ce qu'ils changeaient et à vivre avec cette terreur bouillonnante de ne servir à rien ou d'empirer la situation.
L'un comme l'autre furent particulièrement irritable en cette veille de rentrée, à tel point que Lydell se réfugia dans sa chambre entre les repas afin de ne pas froisser ceux qui l'accueillaient. Asellus frappa prudemment à sa porte peu avant le déjeuner et s'assit nerveusement sur la chaise de bureau. Ses plans et organigrammes y étaient toujours étalés.
-Je ne peux les emporter, déclara-t-il.
Le regret et l'appréhension luisirent dans ses yeux bleus. Il se tordait les mains et le balancement qui ne s'était pas arrêté depuis le résultat de ses BUSEs s'amplifia.
-Nous devrions faire le point une fois par semaine, Lydell. Toujours.
Son nouvel oncle comprit aussitôt ce qu'il redoutait. Qu'entre les vingt sept années qui les séparaient du 16 juillet 2001, ils ne se laissent aller, n'oublient leur but et ne se perdent. Il nourrissait les mêmes craintes. L'homme se plaça devant son ami.
-Asellus. Nous ne sommes que deux. Nous y parviendrons. Tous les Samedis à quatorze heures nous nous retrouverons dans mes appartements et nous consacrerons deux heures à la vérification de ce que nous savons. Tu es bien sûr libre de venir n'importe quand.
Leurs regards s'ancrèrent pour ne plus se lâcher, et le plus jeune saisit les doigts de son aîné en un geste d'affection codé. Ils les serrèrent, soutiens mutuels muets et indéfectibles.
La dernière réunion de l'Ordre avait eu lieu la veille, et Dumbledore avait prévenu que les prochaines se feraient le soir ou sur les week-ends, de façon hebdomadaire. Ils changeaient de jour et d'horaires afin de ne pas attirer la suspicion des familles ou des collègues et amis des membres, et Lydell appréciait ces précautions et cette organisation. Il avait été question de ce que pouvaient faire les professeurs de Poudlard pour essayer de prévenir les élèves et les autres pour avertir leur entourage.
« Nous ne pouvons imposer un mode de pensée. Nous devons les laisser choisir. » L'interruption de l'ancien meneur avait une nouvelle fois provoqué soupirs agacés et las et regards de reproche et de mépris chez certains, mais il n'en avait cure. Il se construisait ainsi et ceux qui l'apprécieraient le feraient sincèrement. Il savait par expérience que forcer les humains à choisir un camp avec des paroles enjôleuses était une méthode annihilée par la réflexion personnelle et les convictions intimes. Il préférait la vraie loyauté à un suivi aveugle.
Le jeune homme ne parvint pas à s'endormir. Quelques heures plus tard commencerait le remodelage du temps, leur tentative pour instaurer un meilleur avenir et préserver la vie et le bonheur. Les visages de son père, de Sirius et de Pettigrow revinrent le hanter, leurs apparences adolescentes se mêlant à celles d'adultes qu'il connaissait. Son ventre se tordit lorsqu'il réalisa qu'il devrait également enseigner à sa mère, à Severus Rogue, Regulus Black, Emmeline Vance, Dirk Creswell… Il inspira profondément, se positionna sur le côté droit, et ferma les yeux. D'autres images apparurent dans son esprit. Hermione, allongée sur son lit d'hôpital, plongée dans un coma salvateur, le corps méconnaissable de son mentor, auquel il s'efforçait de ne jamais penser ainsi, l'accouchement déchirant de Gabrielle… Il repoussa furieusement les couvertures et se retourna, mais d'autres questions survinrent. Qu'advenait-il en 2001, à présent qu'Harry Potter et Artemis Black avaient quitté l'enfer ? Asellus avait affirmé qu'ils ne le sauraient jamais. Ils devaient réussir et ils réussiraient, mais la conscience du jeune homme refusait de le laisser en paix. Les événements ne se produiraient pas, mais quelque part, d'autres connaissaient une souffrance intense, liée à un désespoir, croyant certainement qu'ils avaient abandonné. Le paradoxe temporel le torturait et lui donnait la migraine. Il se tortilla une nouvelle fois dans l'espoir de trouver une position confortable et de pouvoir enfin dormir, en vain. Il finit par se lever, ne pouvant plus supporter ses pensées sombres, et enfila une robe par-dessus son pyjama. Il devait prendre l'air.
Il ne fut pas surpris de trouver Asellus dans le couloir. Le garçon était appuyé contre la fenêtre et fixait les étoiles. Lydell se glissa près de lui et observa le ciel noir. Son nommé neveu avait ouvert la fenêtre et il accueillit avec reconnaissance le vent sur son visage émacié.
-C'est Sirius. L'étoile la plus brillante. Le premier soir, Papa me l'a montrée.
La voix atone de l'adolescent était hachée et sa respiration, trop sifflante. Lydell réalisa soudainement que son neveu souffrirait certainement de sa rencontre avec le jeune Regulus Black.
-Nous les sauverons, Asellus. Je te protégerai des autres, et nous paverons de nouvelles voies.
-Paver des chemins ?
La voix du garçon était incrédule, cependant, il se redressa et se retourna pour fixer son oncle.
-Je dois naître, Lydell, et pour cela, Regulus doit suivre la voie qui a été tracée pour lui. Je sais ce à quoi il ressemblait. Je peux faire la différence.
Il était si déterminé, et pourtant, Lydell discernait sa fragilité.
-Asellus…
Les yeux bleus déjà voilés du garçon se brouillèrent de larmes.
-J'ignore si je survivrais, admit-il. Le bruit, les sentiments…
Ils avaient remis en place une partie des protections mais tous deux restaient fragiles.
Fragiles et hantés. Déterminés et forts. Ensemble et loyaux. Détruits et épuisés.
Le départ pour Poudlard les terrifiait. Il s'agissait également d'un départ vers l'avenir.
Ils ne pouvaient pas échouer.
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King's Cross constituait une première épreuve. Moldus et sorciers se mêlaient, se touchaient, se bousculaient, et leurs pensées agitées tourbillonnaient dans leurs esprits. Asellus crut déclencher une crise tout le long que leur périple jusqu'à la voix 9 ¾ dura. Lydell suivait Hope et Remus, la main de son neveu dans la sienne, le traînant de force et le laissant se concentrer sur son esprit familier et hanté.
Les souvenirs du King's Cross de 1999 étaient éprouvants. Ils n'étaient plus retournés à la gare depuis l'évacuation des derniers réfugiés et l'attaque des loups-garous. A l'agitation urbaine de 1976 se mêlaient les cris d'horreurs des moldus et les hurlements des victimes, le sang et les membres arrachés qui volaient dans tous les sens.
L'estomac d'Asellus se retourna et Lydell et lui durent demander à Hope de s'arrêter un instant. Main dans la main, ils s'appuyèrent contre un pilier et luttèrent dix minutes contre la nausée et les larmes qui les envahissaient.
Le corps d'un enfant de quatre ans mutilé, ses intestins qui ressortaient.
Les loups-garous, monstrueux, assoiffés de sang, dans une meute brutale.
Les cris, les hurlements, les suppliques.
Un loup plus petit que les autres, en très mauvais état. Eclair rouge.
Emily. Ses yeux brûlants de haine, de destruction et d'auto destruction.
Noir. Barrière.
-Asellus… Asellus. Asellus, il faut que nous avancions.
Lydell venait de fermer son esprit. Les vertiges, les sons trop forts et les pensées des autres empêchaient le garçon de se concentrer, son corps se détendit et il consentit à se laisser de nouveau mener. Sa gorge nouée était douloureuse, et il sentait les larmes couler le long de son cou. Ses vêtements trempés de sueur collaient à sa peau et il désirait plus que tout les enlever mais savait que son mentor et oncle ne le laisserait pas faire.
Chaque respiration constituait une épreuve. Chaque pas le menait vers le destin qu'ils étaient décidés à reforger. Chaque bruit lui rappelait que son cerveau malade lui rendrait la tâche encore plus ardue.
-Asellus ? Il faut que nous traversions ce poteau.
La voix gênée de Remus le ramena auprès des autres. Le loup-garou se sentait mal à l'aise en sa présence, ne savait pas comment réagir. Ils avaient cohabité ces dernières semaines sans trop de mal, grâce à la gentillesse des Lupins et de leur fils, mais l'adolescent qu'était Remus aspirait à trouver sa place et à se fondre dans la masse, ce qui paraissait impossible avec Asellus.
-Très bien.
Il détestait accomplir ce geste. La magie transperçait douloureusement les pores de sa peau. Néanmoins, il prit sur lui, attrapa la barre de métal froide de son chariot, et avança. Lydell le rejoignit quinze secondes plus tard.
Jamais encore Asellus n'avait vu le Poudlard Express. Eclatant, d'un rouge à faire mal aux yeux, il se dressait fièrement devant eux, noble et prêt à accomplir sa tâche. Un sourire se dessina sur ses lèvres et il accueillit la chaleur heureuse qui se déversait en lui sans difficulté. Son père avait toujours regretté qu'il ne puisse connaître la joie d'étudier à Poudlard. Il réalisait leur rêve muet. Ses poings se serrèrent et de nouvelles larmes coulèrent sur son visage, des larmes aussi chaudes que la boule qui brûlait son ventre et son cœur. Il souriait toujours. Lydell vint se poser face à lui.
-Je vais à Poudlard, murmura-t-il. Papa…
-Ton père serait aussi fier de toi que je le suis, murmura Lydell. Nous nous reverrons d'ici huit heures, Asellus. Ne te mets pas la pression, et profite.
Leur vie commençait. Il leva des yeux vers son oncle, vers ses yeux verts embués également et le sourire éclatant qui creusait ses joues blessées. Le garçon tendit sa main et entrelaça leurs doigts, et l'homme les serra.
-Il vaudrait mieux y aller, avança Remus en se mordant la lèvre, faisant sursauter Asellus. Tous les wagons vont être pleins, et j'ai promis à James, Sirius et Peter de les rejoindre avant de faire mon travail de préfet.
Asellus le suivit aussitôt, sans se retourner.
Il se retrouva debout dans les couloirs du train sans savoir que faire. Les élèves étaient heureux de se revoir, s'embrassaient, s'enlaçaient, partageaient leurs souvenirs, mais une atmosphère anxieuse émanait de certains. Il s'enfonçait dans la panique et dans les esprits, et son corps se mit à trembler.
-Asellus ! Asellus, tu m'entends ?
Une voix chaude et enjouée le sortit de ses entraves. Il revint à la réalité pour rencontrer deux yeux argentés si familier qu'il dut s'accrocher pour ne pas laisser ses souvenirs le submerger. Le visage illuminé, portant un pantalon de cuir et une chemise blanche dont les deux premiers boutons avaient été laissés ouverts sur un torse musclé et imberbe, ses longs cheveux noirs plus soyeux que jamais, Sirius le regardait, les yeux brillants.
Excitation.
Poudlard. Un loup, un chien, un rat et un cerf.
La salle commune des Gryffondors.
-Eh, Asellus !
La voix enjouée le ressortit de cet esprit si joyeux, si atteignable. Le sourire de Sirius s'était légèrement fané, comme incertain.
-Sirius, murmura-t-il.
Comme il était étrange de revoir son oncle, de le découvrir adolescent, aussi narquois et ouvert que le laissaient présager les souvenirs que Regulus, lui et Remus avaient autrefois partagé au 12 Square Grimmaud.
-Tu pleures ? demanda l'adolescent. Asellus, ne t'inquiètes pas, tout va bien se passer ! Nous allons à Poudlard !
Il souriait mais le garçon ressentit son hésitation et sa fragilité. Il inspira profondément et réajusta ses barrières.
-C'est beaucoup. Les souvenirs. Voir des gens…
-Oh, répondit Sirius, et sa joie s'évanouit. Désolé, je n'avais pas pensé… Euh… Viens. Nous sommes dans un wagon vers le fond du train. On pourra essayer de te changer les idées. Je voulais te parler de Poudlard, et…
Il lui tendit la main avant de se rétracter et son hésitation se fit plus intense encore. Asellus sourit, puis, prenant garde à ne pas le toucher, vint à ses côtés. Il le remercia, et le visage du jeune Black s'éclaira de nouveau alors qu'il bondissait vers l'autre bout du Poudlard Express.
Les autres ne s'attendaient certainement pas à passer le voyage en compagnie de l'étrange adolescent rencontré chez Remus, et les débuts furent quelque peu silencieux. Sirius entreprit néanmoins de lui parler des maisons de Poudlard, dénigrant Serpentard.
-La ruse et l'ambition… en quoi est-ce mauvais ? s'enquit Asellus de sa voix monocorde.
Il se devait de comprendre cette séparation entre les maisons. Dans la guerre, elles n'avaient plus eu d'importance, et il s'était trouvé des personnes ayant appartenu aux quatre maisons ou à aucune dans les deux camps.
-Ils sont machiavéliques, répliqua James. Leur idéologie est ignoble, et ils désirent être les plus puissants.
-Tu es manichéen, observa-t-il. Il s'agit de plusieurs individus. Nous sommes en guerre et il est dangereux de se laisser aveugler par des préjugés.
-Nous ne sommes plus en guerre ici, répliqua sèchement le jeune Potter.
Ses yeux brillaient de fureur d'être contredit. Remus se tendit aux côtés de Sirius, et Asellus encaissa sans broncher.
-La guerre est imminente, répliqua-t-il.
-Qu'en sais-tu ? Pourquoi être venu vous réfugier ici si c'est pour retrouver la guerre que vous avez fuit ? cracha l'adolescent.
Le mépris qu'il dégageait transperça Asellus, et son corps se tendit, hésitant entre la fureur et l'horreur. Sa respiration se fit légèrement plus forte mais il s'efforça de se calmer. Le chemin serait long, ils le savaient. Vingt-sept ans.
-Nous voulons empêcher qu'une telle horreur se perpétue, répondit-il.
Sa voix tremblait mais elle restait atone, et James ne put savoir s'il était furieux ou triste.
-A vous deux ? répliqua le garçon, incrédule.
Asellus ne répondit pas, et James ouvrit la bouche pour insister, mais Peter le prit de court.
-C'est logique, exposa-t-il. Et ils ont certainement des liens avec l'Angleterre, ce qui explique qu'ils ne veulent pas voir notre pays sombrer de la même manière.
-James, tu ne peux pas nier qu'une guerre approche, commenta sombrement Remus. J'ai vécu deux mois auprès de… des réunions. La situation est plus que préoccupante.
Asellus se tourna naturellement vers Sirius, mais l'adolescent avait pris un visage impassible qui le faisait ressembler à Regulus, et fixait les paysages à travers la fenêtre avec détermination.
-Nous allons à Poudlard, répliqua James. Nous sommes en sécurité. Je ne veux pas que mon adolescence soit entachée par des pensées morbides.
Neil, à la Rivière, les yeux fous, riant devant les blessés à la Magie Noire.
Emily, éveillée en plein milieu de la nuit, plus de cicatrices couturant son corps que n'importe quel Phénix, un sourire sardonique venant s'ajouter à ses yeux traumatisés.
Draco, du sang sur les mains, vomissant près d'un passage secret, traînant le cadavre d'une Serdaigle vers ses parents.
Harry, à peine majeur et déjà Leader de la Lumière, malingre et déchiré, apprenant la vérité sur son lien avec Voldemort.
Les souvenirs engloutirent Asellus et il s'étrangla, empli d'une fureur nouvelle. Ils ne comprenaient rien, et comment le pourraient-ils ? Ils étaient protégés, leurs proches vivaient heureux, et surtout, ils étaient inconscients.
-Voldemort se fichera bien de ton opinion, dit-il, et il sentit l'air vibrer autour de lui. Ses victimes seront des adultes, des enfants, des adolescents. Et tous devront commettre des crimes pour survivre et tenter de gagner sans même savoir si cela servira. Ils auront du sang sur les mains, tous. Ils souffriront tant que certains deviendront fous. S'aveugler et refuser d'agir ne fait que l'aider. Plus que d'être réparti à Serpentard.
-Tu ne sais rien du fonctionnement du Royaume Uni ! s'emporta l'autre adolescent. Nous avons des Aurors pour protéger le peuple, et je serais l'un d'entre eux alors ne viens pas me dire que je n'agis pas ! On vient de changer de Ministre afin qu'il soit plus apte à régler la situation ! Et personne n'est obligé de commettre un crime, personne.
-Ce n'est plus un crime en tant de guerre, répondit-il, atone.
-Je ne suis pas sûr, intervint Peter. Torturer, tuer… cela reste un crime quelle que soit la raison pour laquelle on le fait.
La frustration bouillonnait en Asellus et l'air devenait trop chaud. Ils le jugeaient, il le sentait et ne le supportait pas.
-Asellus, murmura Sirius, nous allons à Poudlard. Essaie de te détendre, nous ne sommes plus en Martinique. Vis tant que tu le peux.
Le garçon se tourna vers son oncle, dont le visage de marbre se fendait d'un sourire encourageant.
-Incompréhensifs, déclara-t-il.
Il ferma les yeux et commença à se balancer, chantant tout bas pour se calmer. Il restait du temps.
Pourtant, le problème n'était pas là. Ils ne comprenaient pas. Ils n'avaient pas vécu l'horreur. Ils ne venaient pas du même monde, et pour cette raison, il serait toujours différent d'eux.
Le train s'arrêta en gare de Pré Au Lard et le pouls d'Asellus s'accéléra brusquement. Il faisait nuit. Les Maraudeurs s'étaient changés et s'ébattaient joyeusement, parlant du banquet, de leurs camarades et des cours. Asellus ne parvenait pas à bouger. Les visages des morts tournoyaient devant ses yeux et les ruines fumantes de Poudlard s'imposaient à son esprit sans qu'il puisse les chasser. Le wagon se vida mais ses muscles refusèrent de fonctionner. Un visage surgit devant lui, réel et vivant.
-Asellus… Viens. Le train va repartir pour Londres.
Sirius se releva et passa une main embarrassée derrière sa nuque.
-Tu n'es pas habitué mais… Poudlard est vraiment un endroit génial, et tu seras en sécurité. Les combats n'auront pas lieu avant longtemps…
-Quelques jours. Dehors.
Le silence s'installa quelques instants, puis l'adolescent reprit.
-Certes. Mais ici… Il faut que tu découvres tout cela. Viens.
Il eut de nouveau le réflexe de lui tendre la main, et Asellus fut tenté de la prendre afin qu'il l'aide à se lever, mais il imaginait sans peine le flot d'informations qui se déverserait dans sa tête au moindre contact. Il poussa sur ses mains et s'obligea à se tenir debout. La tête lui tournait. Sirius reprit son visage de marbre, mais le garçon sentit qu'il l'avait blessé. Ils sortirent ensemble. James, Remus et Peter attendaient leur ami près d'une calèche tirée par un Sombral. Asellus s'approcha de l'animal et lui flatta l'encolure. Son contact familier le détendit et il sentit les larmes couler de nouveau.
-Aller, monte, lui enjoignit Sirius, et il se détacha du Sombral.
-Il aurait dû rejoindre les premières années sur le lac, commenta Remus. La vue du château qui nous est offerte la première fois… Nul ne l'oublie jamais.
Les quelques minutes suivantes se firent dans le silence. Asellus peinait à respirer et il récita bientôt les dates historiques de la Première Guerre Mondiale dans un balancier familier.
Poudlard. Devant lui, majestueux comme au premier jour. Entier. Presque vivant. Et havre de paix et de sécurité. L'émotion qui le submergea lorsqu'il franchit les portes fut aussi intense que douloureuse. Remus s'immobilisa.
-Tu vas devoir attendre les premières années ici, lui intima-t-il. Vous serez répartis dans les maisons de Poudlard.
-D'accord.
Du répit. Sans se retourner, les quatre garçons rejoignirent leurs camarades dans la Grande Salle. Asellus inspira, expira, longtemps, profondément, vérifia ses protections mentales et essuya les larmes qui roulaient toujours sur ses joues. Bientôt, il serait assailli par plus d'esprits qu'il n'avait pu en capter depuis longtemps.
Il capta l'excitation et l'anxiété des premières années avant leurs bruits de pas.
Des frères assis au coin de la cheminée qui racontaient leur vie à Poufsouffle.
Des parents sans pouvoirs qui s'inquiétaient de savoir où irait leur fille.
Angoisse. Joie. Prière pour aller à Serpentard. Pression pour Serdaigle. Tristesse. Manque. Excitation. Appréhension. Bonheur. Fierté.
Asellus emboîta le pas au groupe, se tenant en retrait afin d'être sûr de ne toucher personne. Il se concentra sur l'ordre des guerres du Péloponèse, puis lorsque ses barrières menacèrent d'exploser sous la pression que tous les étudiants lui faisaient endurer, commença à chanter à voix basse. Il sentait une crise imminente et priait pour qu'elle ne se déclenche pas, pour ne pas se faire remarquer. Il n'entendit pas le discours du professeur McGonagall, mais retrouver cette femme morte depuis quelques années que son père respectait profondément le perturba autant que le soulagea. Il se souvint de sa prévention à son égard et se détendit.
Et puis ils pénétrèrent dans la Grande Salle. Le plafond magique tenait toujours, et elle était méconnaissable, avec ses cinq tables et ses bougies suspendues au plafond qui les éclairaient. Aussi, elle était simplement magnifique. Asellus se laissa enchanter par les étoiles qui s'offraient à lui et par la joie qui régnait. Il bloqua avec plus ou moins de succès les émotions et les esprits rassemblés avec l'impression d'exploser sous peu. Il peinait à faire la différence entre ses émotions et celles des autres, et ils étaient trop à être rassemblés. Sa respiration se fit rapide et il commença à trembler alors que l'air s'accrochait à sa gorge. Le Choixpeau chantait et la migraine battait à ses tempes.
-Ackerley Anton !
-SERDAIGLE
Ses barrières mentales faiblissaient, glissaient, et il ne parvenait pas à les remettre en place. Une douleur lancinante torturait son esprit.
-Carrow Alecto !
-SERPENTARD
Il se sentait partir. La brûlure devenait insoutenable. Les premières années le regardaient étrangement, quelques autres regards se fixaient sur lui.
-Jones Gwenhog !
-POUFSOUFFLE
Deux prunelles émeraudes le rattachèrent à la réalité. Il se laissa guider par l'esprit d'Harry. De Lydell. Il était si familier, si hanté, si compréhensible et compréhensif.
-Nere Asellus !
Son nom retentit enfin, et il s'avança en prenant garde à n'effleurer personne, sachant qu'il ne pourrait le supporter. Alors qu'il se fraya un chemin jusqu'au Choixpeau, des murmures retentirent et il sentit une interrogation générale. Il s'assit sur le tabouret, et le professeur McGonagall posa le Choixpeau sur sa tête.
L'effet fut immédiat et terrifiant. Une migraine comme il n'en avait jamais eu explosa à l'intérieur de son esprit et de son crâne.
Godric le portait sur sa tête. Il venait de lui donner vie et désirait converser un peu avec lui. Il serait le Choixpeau Magique et servirait de relais aux Quatres Fondateurs lorsqu'ils seraient partis.
Mangue et Joseph lui présentaient un enfant, un sourire carnassier aux lèvres. Il le dévisagea avec curiosité et leurs esprits entrèrent en connexion.
Un esprit particulièrement difficile le marquait certaines années.
Intelligence.
Il lisait, assis près de son père. Il devait tout savoir, il devait les aider.
Il se trouvait dans le bureau de Dumbledore et composait la nouvelle chanson pour l'année à venir. Le vieux directeur réfléchissait à voix haute et il ne pouvait s'empêcher d'entendre. Fumseck chantait.
Ses yeux roulèrent dans ses orbites et il porta les mains à ses oreilles. C'était insoutenable. Les souvenirs du Choixpeau défilaient et il se trouvait en pleine crise. Il hurlait, il savait qu'il hurlait, et l'incrédulité et les autres émotions qui émanaient des élèves n'arrangeaient pas les choses. Le professeur McGonagall approcha sa main du Choixpeau mais ne put se résoudre à l'enlever.
Un esprit acéré, intelligent, plein d'ambitions et de ruse. Le chemin de la grandeur l'attendrait à Serpentard, mais serait-ce le bon choix ? Il n'en existait pas d'autres, et pourtant une noirceur profonde… Mais il était un Choixpeau, il ne se mêlait pas des affaires des sorciers.
Esprit acéré.
Les flammes dansaient devant leurs yeux. Altaïr avait été brûlé mais il pouvait être encore vivant il devait s'assurer qu'il vivait. Lucius passa devant lui, dévasté… Harry lui proposait de partir, il refusait, il resterait à ses côtés quoi qu'il arrive. Ils devaient trouver un plan. Son esprit se mit à bouillonner, plein de stratégies nouvelles…
Insatiable.
Un mur de flammes, et rien d'autre. Un mur de flammes qui n'appartenait à aucun de ses souvenirs. Un simple mur. Artemis chercha à s'enfuir mais il se trouvait dans le noir, avec simplement ces flammes inoffensives et impressionnantes.
STOP ARRETE
Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux rien faire. Je suis désolé. Je suis comme ça.
Les flammes, encore, se ravivent.
Et Asellus continue de hurler de douleur et de peine.
Difficile… Tu ne me facilites pas la tâche. Je ne peux qu'entrevoir… Qui es-tu ?
Il meurt d'envie d'apprendre la magie. De découvrir de nouvelle sensations.
Flammes.
Le duel fait rage, et ses sortilèges sont explosifs. Neil est à ses côtés, ensemble ils se meuvent de façon complémentaire, et se protègent les uns les autres. Leurs boucliers se fondent ensemble et ne laissent passer aucun sortilèges. Un cri retentit. Flash. Sang. Peur. Il doit y aller. Il aboie, Neil effectue une roulade, il se retire.
Flammes.
Hésitation. Rowena ou Godric ?
Flammes.
Il est assis devant ses croquis, couverts de flèches, d'idées, de calculs. C'est particulièrement intéressant, fascinant, apaisant.
Intéressant.
Flammes.
La gorge d'Asellus ressemble à du feu.
-SERDAIGLE
La voix du Choixpeau transperça l'air, forte, plus forte que ses cris, et le professeur McGonagall l'arracha de son crâne. La souffrance disparut enfin, et ses cris moururent sur ses lèvres. L'air demeurait chaud autour de lui, et un silence lourd régnait. Tous les regards s'étaient braqués sur lui. Il voyait flou et se sentait vide. Les émotions, les esprits, tout avait disparu sous les protections qui s'étaient de nouveau baissées. Asellus se leva, les jambes tremblotantes, et la table de Serdaigle applaudit avec hésitation, puis un peu plus fort. Il se posa en fin de table, s'écartant pour ne pas être touché.
La Grande Salle au complet fut soulagée lorsque la sous directrice embraya sur le nom suivant, qui fut envoyé à Gryffondor.
Asellus fut abordé par une fillette de treize ans aux longs cheveux ondulés.
-Le Choixpeau t'a blessé ? s'enquit-elle d'une voix cristalline, ses grands yeux écarquillés d'inquiétude.
-Non. Oui. Je ne sais pas. Je ne réagis pas bien à toutes les magies.
-C'était de la légilimencie, commenta-t-elle doucement. Je suis sûre que les Serdaigles seront fascinés par toi. Tu sais, tu n'es pas fou. Il n'y a pas de nargoles ni de joncheruines qui gravitent autour de toi.
Les mots lui rappelèrent aussitôt Luna, et il dévisagea la petite fille. Son air rêveur et ses grands yeux, ses boucles, elle possédait indéniablement un lien avec son amie. Luna avait toujours été compréhensive envers lui, naturelle, et un support agréable.
-Merci.
Elle balaya ses paroles d'un geste innocent de la main.
-Toi tu es Asellus, et tu as vécu bien plus que tu n'aurais du. Je suis Pandora, et je serais une inventrice en tout genre plus tard !
Elle lui offrit un sourire sincère. Autour d'eux, les gens se regardaient avec gêne, mais peu leur importait. Elle était rafraîchissante.
Il rejoignit Lydell dans ses appartements. Les traits de son oncle et ami étaient tirés, et le visage de marbre qu'il opposait indiquait qu'il allait mal. Les lieux étaient pour le moment impersonnels.
-Tu devrais être dans ton dortoir, soupira Lydell.
-Je ne veux pas, dit-il, aussi atone qu'à l'accoutumée mais la voix brisée par sa gorge abîmée. Pas ce soir.
Lydell l'invita à s'asseoir dans un fauteuil et se mit en face de lui.
-J'ignorais que tu réagirais ainsi au Choixpeau… J'aurais dû y penser. Je suis vraiment désolé, Ar… Asellus.
Sa voix hachée trahissait son épuisement.
-Je devais être réparti, répondit-il. Lyd', il y avait tant de bruits, tant d'esprits…
-Nous renforcerons tes protections, promit le jeune homme.
-Est-ce que tu tiendras ? s'enquit-il.
Revoir tous ceux qui étaient morts était une épreuve, et ils en souffraient tous les deux. Leurs sommeils seraient agités et le lendemain ne serait pas plus doux ni moins amer. Il entrelaça leurs doigts, et ils restèrent ainsi jusqu'à ce que leurs paupières se ferment.
Unis. Ensemble.
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Sans l'épuisement, Harry n'aurait jamais pu trouver le sommeil ces dernières années, et il en fut de même pour cette première nuit à Poudlard. Ses yeux se fermèrent et ses doigts se délièrent de ceux d'Asellus sans qu'il y prête attention. Il s'éveilla quelques heures plus tard en sursaut, transpirant de sueur et brandissant sa baguette. Ses rêves avaient été peuplés de flammes et de cadavres, de morceaux de chairs arrachés par les loups-garous et du regard de Ron avant que son cœur ne cesse de battre.
Se sachant incapable de se rendormir, Lydell vérifia qu'Asellus dormait dans une position relativement confortable et alla ouvrir la fenêtre. Ses yeux verts se posèrent sur le parc de Poudlard et son passé se superposa à la réalité. Il se retourna pour profiter de la fraîcheur tout en observant son ami et protégé, celui qui était devenu officiellement son neveu le mois précédent. Il avait protégé Artemis depuis la mort de Regulus et, ainsi que Fleur le lui avait si bien asséné, leurs liens s'étaient construits de façon fraternelle. Cette nouvelle vie lui apportait un lien avec ce garçon qu'il aimait tant et c'était peut-être l'une des meilleures choses qui lui soit arrivées.
Asellus bougeait, gigotait et gémissait. Son sommeil n'avait jamais été paisible, son esprit, même endormi, captait les rêves des autres, et avec tant de personnes dans les environs, il n'aurait sans doute pas un instant de calme avant l'aube. Lydell le laissait dormir, songeur, craignant pour le lendemain. Les hurlements qui avaient vrillé son cœur lorsque le Choixpeau et l'esprit de l'adolescent étaient entrés en contact résonnaient encore à ses oreilles, et les élèves de Poudlard n'étaient pas prêts de l'oublier. Un cri long, d'une seule note, témoignant d'une souffrance intense. Lydell s'était fustigé et haï de ne pas avoir pensé que cela se produirait. Le blason apparu sur la robe d'Asellus brillait à la lueur de la lune décroissante. Une partie du jeune homme se sentait déçu qu'il ne puisse pas approcher les Maraudeurs, Lily et tous ceux qui rejoindraient bientôt l'Ordre du Phénix si facilement, mais une chaleur fière était née dans sa poitrine à l'annonce de Serdaigle. Devant la soif d'informations dont Asellus faisait preuve depuis l'enfance et son intelligence malmenée, il n'était pas surpris, et heureux. Il pourrait trouver sa place dans la maison de Rowena.
L'aube rougeoyait et Lydell alluma une bougie afin de trier ses notes pour ses cours. Il commençait dans quelques heures. Il apprendrait à cette génération à se battre et à se méfier, à aimer malgré tout, à vaincre et à perdre, à apprendre ses leçons du passé et de l'histoire, à profiter de ses capacités. Il n'était plus Harry Potter, le leader de la lumière, mais il resterait Lyd. Il resterait un leader pour eux. Il le devait car nul autre ne pouvait le faire, quitte à sacrifier son bonheur et sa vie. Quitte à y perdre son âme mutilée et jointe à celle de Voldemort.
Comme la veille, sitôt qu'il se fut assis à la table des professeurs, il se focalisa plus sur les élèves que sur le contenu des plats à sa disposition. Ils étaient si nombreux et leurs identités et visages encore si inconnus qu'il ne pouvait réellement les discerner individuellement. Les yeux bleus d'Asellus, au bout de la table des Serdaigle, croisèrent les siens et il l'observa avec inquiétude. Une fillette discutait joyeusement avec lui, sans jamais tenter de le toucher, et ne semblant pas prendre ombrage du manque de compétences sociales de son interlocuteur. Les autres élèves de sa maison le dévisageaient, interrogateurs. A son instar, il mangeait à peine, son estomac restant trop accoutumé à la famine et au manque.
-Il s'agit de votre neveu, n'est-ce pas ?
L'homme qui était assis à la droite de Lydell lui était inconnu, lui aussi. Il paraissait jeune mais le côté droit de son visage avait été brûlé et il lui manquait deux doigts à la main gauche. Lydell devina sans mal que l'enseignant avait pris sa retraite avant qu'il ne puisse avoir cours en sa compagnie.
-Asellus Nere, acquiesça-t-il.
-Il paraît aussi sauvage que les jeunes Sombrals que je tente de dompter pour renforcer le troupeau de Poudlard, observa l'homme.
Lydell se tourna vers lui, interrogateur, mais son interlocuteur ne sembla pas en prendre ombrage.
-Je suis professeur de Soin aux Créatures Magiques, et Hagrid et moi collaborons souvent. C'est le garde chasse, vous le croiserez sans doute rapidement. Silvanus Brûlopot, pardonnez moi.
Il tendit une main calleuse que le jeune homme serra sans broncher. Le nom faisait écho quelque part dans sa mémoire sans qu'il puisse se rappeler d'où il le tenait. Hermione aurait probablement su, mais désormais et sans doute pour toujours, il devrait se débrouiller sans sa meilleure amie, comme il le faisait déjà depuis des années. Les directeurs des quatre maisons se levèrent pour distribuer les emplois du temps et Dumbledore se chargea de faire passer les leurs à ses professeurs. Lydell parcourut rapidement le sien, curieux d'être passé de l'autre côté de la barrière, et brutalement renvoyé à ses propres rentrées, lorsque le professeur McGonagall passait entre eux, réglait les modalités, discutait des résultats aux BUSES de ses élèves… Il réalisa qu'il n'aurait pas les sixièmes années, là où se trouvaient la plupart des éléments clefs de la première guerre, avant mercredi et jeudi. Il inspira profondément et s'efforça de se calmer.
-Je vais à mon bureau, annonça-t-il.
Ses voisins étaient également plongés dans l'examen de leurs emplois du temps, mais le professeur Brôlopot leva ses yeux perçants sur lui.
-Vous devriez l'aménager avant que les élèves y pénètrent, acquiesça-t-il, de même que votre salle de classe.
Lydell réalisa son erreur mais elle passait inaperçue dans le vocabulaire scolaire. Il hocha la tête et fuit la Grande Salle, avec un regard en direction de la place vide d'Asellus. Le garçon s'était éclipsé, probablement à bout de nerfs.
La salle de classe était la même que celle où il avait lui-même appris tant de choses inutiles comme futiles. Son cœur se serra lorsqu'il réalisa que c'était désormais son tour de la décorer. Il y avait pensé ces derniers jours, alors qu'il prenait à toute vitesse des notes pour ses premiers cours, mais la réalité paraissait étrangement différente. Il agença manuellement les tables par îlots, libérant une place importante pour la pratique, et disposa des coussins en arc de cercle sur le sol, en face d'un mur. Il se promit d'acheter des affiches lorsqu'il aurait accès à Pré-Au-Lard, épousseta sa robe de sorcier noire, et s'assit en attendant que ses élèves arrivent.
Il commençait avec les premières années de Serpentard, et les dix minutes restantes lui parurent une éternité. La porte était restée ouverte, et il entendait les murmures timides et les bruits de pas hésitants. Les souvenirs de son premier jour à Poudlard remontèrent et une grimace se peignit sur son visage couturé de cicatrices. Quelques secondes plus tard, il se tenait dans l'encadrement de la porte.
-Entrez, indiqua-t-il aux jeunes étudiants.
Ils s'installèrent par quatre, hésitant légèrement, et Lydell en profita pour les observer. Certains arboraient l'air arrogant qu'il avait si souvent vu sur le visage de Draco, d'autres paraissaient aussi timides que Ginny dans ses souvenirs, d'autres encore tentaient vainement de paraître indifférents.
-Bienvenue. Je suis Lydell Moulin, et je suis votre professeur de Défense Contre les Forces du Mal pour cette année uniquement. Nous avons dix mois devant nous, dix mois pour poser les bases de ce que nous nommons Forces du Mal et la raison pour laquelle il faut s'en défendre, dix mois pour réfléchir ensemble à la notion et pour que je réponde à vos questions, dix mois également pour que vous commenciez à apprendre une défense qui s'avérera primordiale plus tard.
Il s'interrompit. Les enfants avaient les yeux écarquillés et paraissaient surpris de son discours. Même ceux qui étaient rentrés le menton levé en signe de défi arboraient un air stupéfait, dans le silence le plus complet. Lydell se rendit compte de sa position trop tendue. Son jean le serrait trop sous sa robe, ses manches étaient remontées comme en position de combat et il se tenait sur ses gardes. Amelia avait coutume de dire qu'il enseignait comme s'il se trouvait face à de futurs Aurors. Le jeune homme s'obligea à détendre ses muscles et à sourire à ces jeunes encore si innocents.
-Je veux que vous me posiez toutes les questions qui vous passent par la tête, à tout moment. Il n'y a pas de questions stupides, pas de question sans importance. Si vous ne comprenez pas quelque chose, levez la main. Je ne vous ferais jamais de reproche pour des demandes d'explications supplémentaires.
Ses lèvres lui faisait mal. Il n'éprouvait aucune envie de sourire, et il savait que son regard sombre devait les effrayer. Il posa son regard sur chacun d'entre eux. Une fillette se tortillait sur sa chaise, hésitant à poser une question. Un garçon au visage pointu qui devait avoir un lien de parenté avec les Malefoy le scrutait. Les autres le jaugeaient du regard.
-J'attend de vous le plus grand sérieux dans ce cours. Le danger monte, au dehors, certains de vous en ont sans doute entendu parler. Des gens disparaissent, d'autres sombrent. Vous êtes en sécurité, à l'intérieur de Poudlard, mais je veux que vous sachiez vous défendre si jamais vous aviez à le faire.
Le silence était retombé, lourd, tendu. Lydell nota que trois des enfants assis à la première table s'était crispé et se souvint que les Serpentards avaient presque tous été aux côtés de Voldemort durant la Première Guerre, mais peu lui importait. Nul ne devait forcer les enfants à suivre certaines traces, ils devaient se forger leur avis seuls. Ils étaient des individus à part entière. Il s'obligea à laisser ses lèvres s'élargir de nouveau.
-Ceci ne veut pas dire que vous n'avez pas le droit de rire, au dehors et ici. De vous amuser lors de la pratique, car certains sorts que vous apprendrez prêtent à rire. De vous renseigner avec curiosité sur les créatures magiques que vous rencontrerez dans cette salle. Le danger règne dehors, mais ne laissez pas mes avertissements vous empêcher de vivre et de vous amuser.
Il les sentit se détendre un peu. Enfin, la fillette rousse qu'il avait repérée leva la main.
-Cela veut-il dire qu'une guerre se prépare ? demanda-t-elle, et il y avait tant de maturité dans sa voix que Lydell eut l'impression de se trouver face à Isadora.
-Nul ne peut répondre à cette question pour le moment, miss…
-Greengrass. Enola Greengrass.
Elle avait le même menton qu'Astoria, et la même clairvoyance que les deux sœurs, mais la ressemblance physique ne frappait pas. Le jeune homme tenta de ne pas se laisser déconcentrer par les fantômes.
-Enola. Les risques sont grands.
Un autre enfant leva la main, demandant ce qui lui permettait de dire ça. Un autre se montra intéressé par ses cicatrices. Et enfin, on lui demanda son sang.
-Je suis un mélange des deux cultures, sorcière et moldue, répliqua froidement Lydell. J'ai en moi la richesse des deux peuples, et j'ai appris des deux.
Des adolescents plus âgés auraient argumenté, mais ils n'avaient que onze ans, et le ton de leur professeur les dissuada de répondre.
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Lydell et Asellus avaient travaillé chaque soir pour renforcer ses barrières mentales mais leurs efforts ne suffisaient pas. L'esprit du garçon était constamment envahi par d'autres, ses rêves se suivaient comprenant différents protagonistes, angoissants et sans queue ni tête, et surtout, il ne parvenait plus à différencier ses propres émotions des autres. Une profonde angoisse naissait en lui de ce fait.
Il n'avait jamais su gérer ses émotions, comme de nombreux autistes. Ses pouvoirs étranges lui conféraient un avantage par rapport à ceux comme lui, il savait ce que les autres ressentaient sans tenter maladroitement d'interpréter, mais ce fait ne suffisait pas à s'intégrer dans une société d'adolescents juges et ne désirant pas s'encombrer de problèmes trop importants.
Son premier jour de cours s'était révélé particulièrement épuisant ses classes, peu nombreuses, s'étalaient sur le lundi, le mercredi et le vendredi, et il avait du supporter quatre heures d'enfermement avec d'autres étudiants à l'esprit en ébullition, les risques de contact dans les couloirs, et les regards étranges sur sa personne. Si l'Histoire de la Magie l'avait entièrement apaisé, il regrettait de ne pas pouvoir se concentrer sur l'esprit du professeur Binns, car il ne captait que les humains. Ils n'étaient pas nombreux en Etude des Moldus, mais toutes les maisons avaient été mélangés, et Sirius lui avait fait signe de venir s'asseoir derrière lui et James, ce qui s'était avéré d'un étrange réconfort. Le catastrophique cours de potions, en revanche, le hantait toujours lorsqu'il monta les marches menant à la Salle commune de Serdaigle.
Les potions nécessitaient une attention particulière qu'il était entièrement disposé à donner, et ses mouvements devenaient minutieux lorsqu'il découpait, mais sa maladresse maladive avait failli provoquer quelques incidents alors que le professeur Slugornh les rassemblait devant divers chaudrons pour leur demander s'ils reconnaissaient les mixtures, et surtout, de douloureux souvenirs étaient revenus hanter son esprit.
Les après-midis passés avec Neil, à le regarder manier les ingrédients avec minutie, réfléchir, prendre des notes, tenter de trouver des substituts à ce qu'il leur manquait.
Le corps de Neil, convulsant si fort qu'il s'en élevait presque dans les airs, ses yeux fous, et surtout, son rire, dément et perdu.
Son absence était revenue le heurter de plein fouet, et il avait senti ses yeux se remplir de larmes alors qu'il gémissait malgré lui aux images qui s'imposaient à son esprit. Les cheveux bruns du jeune homme étaient emmêlés, brûlés à certains endroits, encadrant un visage émacié où commençaient à se former des cloques, et il riait et hurlait de souffrance. Les élèves autour s'étaient écartés, à son plus grand soulagement, mais il ressentait leur malaise, leur incompréhension et même parfois leur mépris de façon si décuplé que c'en était plus insupportable encore.
Il s'arrêta devant l'aigle de bronze et s'efforça de revenir à la réalité devant la splendide statue sculptée avec minutie.
-J'étais demain mais je serais aussi hier, annonça l'aigle.
Le garçon se figea. Il ne suffisait plus d'un mot de passe mais d'une énigme, lui imposant une logique qu'il ne connaissait pas. Son cœur se mit soudainement à accélérer, et il tenta de se calmer.
-Dix mai 1933, Goebbels lance les autodafés. Sont brûlés...
-Nere ?
Il se retourna, et reconnut l'un de ses camarades de classe. Il avait des cheveux bruns coupés courts qui retombaient sur sa nuque et de chaleureux yeux bruns où brillait une intelligence remarquable. Malgré sa petite taille et sa maigreur, il inspirait le respect. L'adolescent mit en équilibre sur l'un de ses bras la pile de livres qu'il portait et utilisa le heurtoir sur l'aigle.
-J'étais demain mais je serais aussi hier.
Quelques secondes à peine s'écoulèrent avant qu'il n'annonce « Aujourd'hui », et que l'aigle ne s'incline pour les laisser passer.
-Viens, je vais te montrer le dortoir, lança-t-il avec un sourire, mais les paroles parvinrent à peine à Asellus.
La Salle Commune des Serdaigles avait été détruite lors du siège de Poudlard, et jamais il n'avait eu l'occasion de la visiter. La splendeur lui coupa le souffle. Le plafond s'élevait en une coupole bleu profond, illuminée par des bougies flottantes. Des bibliothèques adaptées au format circulaire de la pièce trouvaient des alcôves et son regard fut happé par les titres. Tant de livres, en bon état, accessibles... Dans un coin, un préfet initiait les premières années à la lecture des lignes de la main.
-Nere ? Nous allons par là.
Il occulta tant bien que mal la joie, la curiosité intense et les interrogations de tous ceux qui l'entouraient et déglutit difficilement avant d'emboîter le pas à l'adolescent dont il ne parvenait pas à obtenir le nom.
Le dortoir ressemblait à la salle commune, avec son plafond haut, bleu et arrondi, ses lits à baldaquin très espacés les uns des autres et ses coins aménagés à des fins obscures.
-Tes affaires ont été déposées là par les elfes de maison... Les dortoirs sont plus conventionnels normalement, mais avec les autres, nous avons décidé d'aménager un peu au cas où on aurait besoin d'espace pour des expériences personnelles.
Joie.
Anxiété.
Luttant pour bloquer l'extravagance des émotions de l'autre, Asellus hocha la tête et ouvrit le lit à baldaquin. La magnificence de Poudlard le frappa une nouvelle fois.
Interrogation.
Réflexion.
Angoisse montante.
-Je suis Benjamin Fentwick, au fait, se présenta enfin l'adolescent en venant lui tendre une main qu'il ne saisit pas. Tout le monde m'appelle Benjy, sens toi libre de faire pareil... Asellus, c'est ça ?
-Oui.
Déconcerté.
Antipathie naissance.
Tristesse.
-Si tu as le moindre problème... Milicent Bagnold est notre préfète, et Kamal Idriss son homologue. Son lit est juste là, il est très étrange pour les autres maisons, mais parfaitement adorable.
Asellus encaissa l'information sans broncher. Benjy resta devant lui en attente de quelque chose qu'il ne pouvait lui donner car il ignorait ce dont il s'agissait. Il attrapa un livre et s'allongea pour se plonger dedans. La sensation était si étrange... Un lit confortable, chaud, pas de danger pour lequel il doive resté ancré dans une réalité qui le dérangeait. Le garçon se laissa glisser dans Newt Scamander et le front de l'Est dans la Première Guerre Mondiale.
Pandora se glissa près de lui alors que les Serdaigles descendaient dans la Grande Salle.
-Tu as passé une bonne journée ?
Asellus lui lança un regard naufragé.
-Non.
Elle eut un rire cristallin.
-Je me doute.
Elle mit sa petite main dans la sienne.
Une immense chambre fournie de matériel de chimiste moldu, de posters d'animaux des deux mondes, comprenant un strangulot dans un aquarium et un serpent dans un vivarium.
Le sourire fier de son père qu'elle voyait à travers ses lunettes spéciales pour observer l'éclipse partielle.
Un garçon inculte vient l'importuner alors qu'elle étudie soigneusement l'aigle qui vient de lui proposer une énigme. Peut elle discuter avec lui ?
Asellus se dégagea aussitôt et inspira de grandes goulées d'air alors qu'il s'appuyait contre la rampe de l'escalier pour maintenir ses barrières mentales.
-Tu n'aimes pas qu'on te touche, excuse moi, dit la fillette.
Il s'efforça de revenir à elle, et descendit le reste du chemin à ses côtés, perturbé.
-Nere !
Son nom de famille résonna une nouvelle fois et il tourna vaguement deux prunelles fiévreuses vers la voix masculine rocailleuse.
Sens du devoir. Solennité. Curiosité.
Un garçon d'origine arabe lui indiqua d'un geste de venir à ses côtés durant le repas. Pandora demeura à ses côtés, et leur interlocuteur la fixa.
Curiosité. Inquiétude.
Joie. Relaxation.
Angoisse. Etouffement.
Les émotions et sentiments se mêlaient toujours un peu plus. Asellus s'installa en prenant garde de ne pas toucher l'adolescent, et Pandora s'écarta d'elle-même.
-Je suis Kamal Idriss, le préfet de Serdaigle. Les premières années profitent d'ordinaire d'une introduction, mais puisque tu es un cas différent, je te ferai visiter. N'hésite pas à venir me voir en cas de problèmes ou de questions.
Le repas durant, Kamal lui expliqua un fonctionnement qu'il connaissait déjà, et il sentait une frustration naître chez l'autre devant son manque de réaction ou de paroles appropriées.
Il se réfugia dans son lit à baldaquin dès qu'il le put, et les émotions qu'il peinait à contrôler le submergèrent. Les larmes jaillirent sur ses joues, le poids de la solitude s'abattit sur lui, et la nausée se mêla au reste.
Poudlard avait pour vocation d'accueillir tous les jeunes sorciers du Royaume Uni, mais ceux comme lui ne supportaient pas la proximité, les exigences sociales étaient placées bien trop haut, et le traumatisme ajouté à leur lourde mission pesaient trop lourd.
Il inspira en projetant mentalement ses croquis et organigrammes. La vie de milliers d'humains passait avant, et il supporterait Poudlard. Il avait supporté l'horreur, la mort, les tortures et les privations. Il n'abandonnerait pas pour des raisons futiles.
La frustration qu'il ressentait en ce moment là était néanmoins bien sienne.
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La fumée les faisait tous tousser. Nombre d'entre eux rampaient au sol, où l'air était plus près, information de Charlie et des nés-moldus.
-Merde ! Oh putain de merde !
Harry entrouvrit les yeux, aussitôt alerte, à travers la fumée, mais ne discerna rien d'autre que des silhouettes. La voix provenait indubitablement de Percy, avec ses jurons devenus si présents depuis qu'il était sorti de la bataille du ministère.
-Qu'est-ce qu'il se passe ?
Il fut obligé d'inspirer de l'air, et la brûlure de la fumée irritante sur ses poumons le lui fit aussitôt regretter. La chaleur devenait insupportable, les flammes devaient se rapprocher.
-Elle est carbonisée. Putain.
Le rire de Percy n'avait rien de joyeux ni même de cynique il s'agissait d'un rire grinçant de douleur et une réaction face à l'insanité de la situation.
-Putain. Carbonisée. Tu crois qu'on finira tous comme ça, Lydell ? Que tu pourras sauver Narcissa Black, alors qu'elle est si... grillée à point ?
-Percy ?
La douleur physique n'existait plus, il ne restait que cette souffrance profonde, dans ses entrailles et dans son âme.
-Tu crois pouvoir les sauver ? Tu crois qu'en vingt-sept ans tu survivras ?
La voix était devenue suave, amusée, celle à qui il devait la plus importante cicatrice de son dos.
-Et Artemis ? Tu crois que Regulus te pardonnera d'avoir emmené son précieux enfant dans ce Château où il souffre tant ? Où il souffre pour toi ? Ah, Harry Potter, tu as semé la mort sur ton passage et tu te sers d'un enfant innocent.
Le seuil des sensations atroces atteignit son paroxysme. La fumée détruisait sa gorge, et ses paupières étaient trop lourdes pour qu'il puisse les ouvrir. Harry s'immobilisa pour trouver un calme occlumentique.
Enfin, les yeux de Lydell s'ouvrirent sur ses appartements nus et vides. La migraine cognait à ses tempes, sa gorge lui faisait payer ses cris, et il était trempé de sueur et tremblant. Le jeune homme se releva d'un bond, décidé à sauter dans la douche, mais la pièce se mit aussitôt à tourner autour de lui, et une pointe dans son cœur le plia en deux. Il posa aussitôt une main dessus, et une autre à son front.
La lune brillait au dehors, presque pleine, entourée d'étoiles encore brillantes. Le jour ne se lèverait pas avant plusieurs heures, et pourtant Lydell ne se sentait pas la force de se rendormir, pas plus qu'il ne supportait de rester encore dans ce lit trop moelleux, trop chaleureux.
En titubant, l'ancien meneur se rendit à la salle de bain et alluma le robinet d'eau froide uniquement par automatisme. Il frissonna et mit un moment avant de la faire tiédir, et lorsqu'il ressortait, il ne se sentait pas vraiment en meilleur état, mais au moins son corps n'était plus poisseux. Il se sécha, enfila sa tenue de jour et alla ouvrir la fenêtre. Il n'aurait pas les septièmes années avant le surlendemain, mais il avait croisé Narcissa Black au détour d'un couloir, accompagnée d'une fille et d'un garçon dont il ignorait le nom. Elle était magnifique, avec ses longs cheveux platines qui tombaient en boucles souples sur ses omoplates, son visage aristocratique et ses un peu trop petits mais dont la couleur répliquait exactement celle de ses cousins. Elle n'avait pas encore cette expression au nez froncé qu'il lui avait connue, mais un petit sourire ironique au coin des lèvres. Elle incarnait, avec tant d'autres, son échec, celui, moindre, de Regulus, et le deuil qui déchirerait un jour tant de familles. La mort de Narcissa avait dévasté Draco, puis Lucius, profondément amoureux de sa femme encore tant d'années après sa mort.
Et Artemis... Asellus... Il le suivait du regard chaque fois qu'ils se trouvaient à proximité, il le voyait tous les soirs avant de l'envoyer à la Salle commune des Serdaigles, et la souffrance de son neveu le déchirait toujours. Comment pouvait-il continuer à l'autoriser à s'infliger une telle torture ? Comment pouvait-il prétendre à sauver le futur s'il commençait par sacrifier l'être qui comptait le plus à ses yeux ? Lydell envoya un livre valser sur le sol, puis le ramena à l'aide d'un simple Wingardium Leviosa.
Il se retrouverait en face des sixièmes années dans quelques heures, en face des éléments clefs, d'humains qu'il faudrait guider et protéger, et de ses parents. Serdaigles et Gryffondors partageaient le cour du jeudi, et autant Asellus que lui se réjouissaient des deux approches simultanées qu'ils pourraient opérer, mais en ces petites heures de la nuit, Lydell ne ressentait rien d'autre que de la nausée et une profonde angoisse.
Ils entrèrent sans aucune harmonie. Certains, ayant entendu parler de Lydell Moulin par les années inférieures, se montraient silencieux et curieux, d'autres étaient entièrement agités, à tel point qu'une personne extérieure eut pu douter qu'ils entraient en classe. Filles et garçons ne se mélangeaient pas tant que cela, Gryffondors et Serdaigles se tenaient en deux groupes bien distincts, et ils s'assirent à table en discutant. Lydell s'était retranché derrière son bureau, assis droit mais le cœur battant et éprouvant des difficultés à respirer. Il se sentait aussi perdu que la première fois qu'il avait confronté le miroir du Risèd, ému et enfantin. Il songea à Regulus, qu'il avait pu entre apercevoir aux repas, et se donna un coup de pied mental. Il était l'adulte dans cette classe de joyeux lurons, celui qui devrait leur enseigner à survivre, et plus un enfant incapable de maîtriser ses émotions. Le jeune homme releva fièrement la tête pour observer la disposition et le comportement des élèves. Tous les Gryffondors avaient pris la Défense Contre les Forces du Mal, contre trop peu de Serpentards, renforçant les a priori qui s'ancraient déjà sur les maisons de Poudlard. Malgré lui, Lydell reçut un coup au cœur en observant sa mère, assise à l'un des îlots des tables. Avec ses traits doux et ses fossettes, elle ne lui ressemblait pas du tout, et pourtant ses yeux firent frissonner le garçon et ses longs et épais cheveux flamboyants l'envoûtèrent. Il passa son regard sur les Maraudeurs, assis juste à côté, James le plus près possible de Lily, la dévorant du regard sans qu'elle ne s'en rende compte. Les Serdaigle n'avaient pas fait preuve de plus de mixité. Sur les six étudiants ayant pris la matière, la parité avait beau être instaurée, filles et garçons demeuraient à l'écart. Et tous ces adolescents bavardaient joyeusement dans un vacarme qui se faisait de plus en plus fort, bien que certains élèves commencent à lui jeter des coups d'oeils nerveux. Lydell croisa le regard d'Asellus, qui esquissa une grimace qui correspondait pour le garçon à un sourire réconfortant. L'ancien meneur se sentit agacé par le manque d'attention et comprit qu'il avait commis une erreur en n'instaurant pas d'emblée son autorité. Il se leva et sortit sa baguette. Asellus, qui ne l'avait pas lâché du regard, compris aussitôt et fut debout en un éclair, baguette brandie en position de duel. Avant que les autres élèves ne comprennent ou n'aient le temps de réagir, un sortilège fusa et des lianes s'enroulèrent autour des filles de Gryffondor, qui poussèrent un hurlement. Du coin de l'oeil, Lydell vit une Serdaigle déjà debout brandir sa baguette, et Sirius, sur le qui-vive, se lever tandis que les autres le regardaient éberlués et perdus.
-Lâchez-les ! s'exclama James, d'une intonation furieuse.
Lydell vérifia que les liens tenaient et balaya l'assemblée du regard. Asellus et une jeune fille le tenaient en joue, Sirius également, mais James, Remus, Peter et les Serdaigle demeuraient décontenancés et pour quelques un, sous le joug d'une colère naissante. Le professeur fit pivoter d'un glissement de doigt habile sa baguette.
-Stupefix, murmura-t-il, très calmement.
Sirius tira son meilleur ami vers le sol et ils chutèrent. Une vague de chuchotements se fit entendre, mais Lydell n'y réagit pas et lança le sortilège immobilisant sur Peter et Remus, relativement incrédules. Le lycan tomba douloureusement de sa chaise.
-Expelliarmus ! lança une voix féminine de l'autre côté.
Retrouvant ses habitudes de combat, le jeune homme s'écarta et glissa sur le sol, alors que James et Sirius l'attaquaient de front. Il invoqua un bouclier qu'il tint d'une main, et de l'autre il choisit le sortilège de chatouille pour mettre l'adolescente hors de nuire, avant d'enchaîner sur le maléfice du saucisson. Asellus, perdu dans ses repères, hésitait, mais dès qu'il aperçut un éclair rouge foncer sur lui, il bondit sur une table et invoqua un lumos qui éblouit son professeur et oncle. Il en profita pour enchaîner sur des flammes, que Lydell eut le réflexe d'éteindre avant qu'une catastrophe ne se produise, son neveu n'ayant pas le sens de la mesure dans de telles situations. Il percevait à peine les halètements de ses élèves, bloquait sans difficulté les maigres tentatives isolées, bien que tous les Serdaigle réunis commencent à devenir un obstacle à présent qu'Asellus l'avait déconcentré. Retournant sur son estrade, il bloqua un sortilège de répulsion et pépia. Il vit aussitôt Asellus se détendre, mais les autres s'approchaient en cercle, à l'exception de ceux qui se trouvaient hors du combat. Il s'apprêta à hurler l'arrêt du combat mais se souvint à temps que ces élèves ne connaissaient pas les codes de son Ordre.
-Stop.
Sa voix résonna et tous les élèves baissèrent aussitôt leurs baguettes. Il détacha les Gryffondors, ranima les stupefixés et parcourut sa salle du regard. Les tables étaient renversées, les élèves le fixaient, attendant ses ordres, décontenancés, James écumait de rage et il se promit de régler le problème aussitôt dès qu'il aperçut deux Serdaigle dans le même état.
-Ai-je toute votre attention à présent ?
Les élèves s'entre regardèrent, incrédules, avant d'acquiescer.
-Vous pouviez tout simplement demander le silence, suggéra l'un des Serdaigle avec fureur.
Lydell haussa un sourcil et s'adossa à son bureau, signe important qu'ils pouvaient se détendre et relâcher leur garde.
-Imaginez que j'ai été un imposteur, que les maléfices qui soient sortis de ma baguette aient été des Doloris et des Avada Kedavra.
-Nous sommes dans Poudlard, indiqua James avec virulence.
-Je vous préparerai ici pour que vous viviez à l'extérieur de Poudlard. Nul ne vous préviendra avant d'attaquer, et le temps que vous réagissiez, il sera peut-être trop tard si vous n'êtes pas sur vos gardes.
-Mais nous ne pouvons pas tout le temps être sur nos gardes ! se récria une replète jeune fille brune. Comment pourrions nous vivre dans l'angoisse de mourir à tout moment ?
-Il existe un juste milieu. Il s'agit d'être toujours prêt à la moindre éventualité, de s'entraîner à réagir aussitôt, ainsi qu'Asellus vous l'a montré.
Quelques protestations se firent entendre, et Lydell vit son neveu se tendre et il se maudit, se demandant s'il devrait prendre sa défense.
-Certains ont très bien réagi, ajouta-t-il en désignant une adolescente pulpeuse à la longue chevelure brune et lisse, qui leva sur lui deux yeux bleu profond sans aucune trace de flatterie.
-Milicent Bagnold, se présenta-t-elle d'une voix claire et froide, sans animosité.
Ministre de la Magie le jour de la chute de Voldemort, se rappela-t-il. Le souvenir de lui et Artemis sur un tapis émeraude de la maison des Blacks lui revint et des pics glacés s'enfoncèrent dans son estomac.
-Milicent, Sirius et Asellus ont très bien réagi. La colère ne sert à rien, la panique non plus, il faut simplement agir.
Il observa de nouveau ces étudiants plein de suspicion, plein d'entrain, et les invita d'un geste de la main à se rasseoir. Leurs regards demeuraient fixés sur lui, mais il y était tant accoutumé qu'il n'en fut pas déstabilisé.
-Vous avez passé vos BUSE et choisi de plein gré de poursuivre cet enseignement. Je ne vous ferai pas les discours d'entré des premières années car en vous engageant sur cette voie, vous vous y destinez dans vos croyances, votre fierté, votre métier, votre vie future, ou des raisons qui vous appartiennent entièrement.
Ce discours scolaire l'agaça lui-même. Vingt-sept ans, se rappela-t-il néanmoins, il possédait vingt-sept ans, soit un long temps, et pourtant, cet angle ne lui convenait pas.
-Vous aurez besoin de la Défense Contre les Forces du Mal très bientôt. Quel que soit le camp que vous choisissiez en cas de guerre, vous devrez savoir vous défendre. Nul ne peut affirmer qu'une guerre se prépare, mais les signes sont inquiétants, et quand bien même le danger resterait tapi dans les profondeurs, on ne pourrait assurer votre sécurité à tous.
Il se sentait défaitiste, il les sentait tendus, agités, agacés.
-Vous avez choisi cette option, et quand vous en ressortirez à la fin de l'année, je veux que vous soyez capables de me battre si je vous attaque de cette manière. Je veux que vous puissiez combattre deux contre deux, que vous dosiez vos sortilèges et les choisissiez de manière adéquate. Vous n'apprendrez pas les impardonnables, mais vous aurez l'occasion d'une plongée guidée dans la Magie Noire.
Les élèves hoquetèrent.
-Vous en pouvez pas...
-Vos adversaires se serviront de la Magie Noire, et je vous apprendrait à la reconnaître et à l'appréhender, car sans connaissance aucune, vous risquez de ne pouvoir vaincre. Vous devez pouvoir protéger les plus jeunes, et ceux qui n'ont pas de connaissance. Vous avez vu les créatures et les maléfices, mais ce n'est plus suffisant aujourd'hui.
Il inspira enfin, et James leva la main.
-Vous venez d'un pays en guerre, monsieur, mais nous ne sommes pas en guerre, et vous agissez comme si vous nous prépariez à combattre. Je ne veux pas de ça pour mon adolescence, et je veux être libre de faire mes choix, pas de me les voir imposer. Je ne veux pas entendre que la mort me guette chaque mercredi après midi.
Quelques acquiescement eurent lieu, et Lydell eut la désagréable sensation de se retrouver face à ceux qui deviendraient des Opportunistes neutres. Il s'enjoignit intérieurement au calme, s'obligeant à se rappeler que James serait un éminent Auror et un membre courageux de l'Ordre.
-Aviez-vous envie de métamorphoser un scarabée en bouton lors de votre première année de métamorphose ? s'enquit-il. Quelle est la différence ?
Asellus fut le seul à ne pas prendre la question pour rhétorique.
-On enseigne la métamorphose à des enfants de onze ans qui n'ont pas choisi leurs cours et n'ont pas acquis les capacités de réflexion actuelle, décréta-t-il de sa voix monocorde. Nous demander une réflexion puis répliquer par une phrase annihilant la réflexion personnelle est paradoxal.
Lydell vit les Gryffondor ne connaissant pas le garçon sursauter au son de sa voix et être désarçonnés par sa réponse.
-En effet. Vos questions sont toutes les bienvenues. Néanmoins, votre présence ici est due à votre choix personnel, et il implique des responsabilités. Libre à vous d'abandonner ma matière, James, si vous ne voulez pas être confronté à la réalité. Sachez qu'elle viendra à vous quoi qu'il arrive, plus tard, peut-être, mais à quel prix ?
Il sentit sa gorge se nouer. Le temps leur manquait, leur avait toujours manqué, et il entendait cet adolescent protester parce que son adolescence serait entachée quelques heures par semaines. Le Gryffondor plissa les yeux, ébouriffa ses cheveux, et hésita un instant avant de jauger qu'une confrontation n'en valait pas la peine. Lily leva la main, et Lydell l'interrogea, demandant son identité pourtant si évidente alors que son mental s'obligeait à faire la part des choses et que son corps se rebellait, l'emplissant d'émotions diverses au creux des tripes.
-Le danger n'est-il pas de devenir paranoïaque ?
L'ancien meneur songea à Maugrey, à Abelforth, puis à Regulus et prit une profonde inspiration.
-Il existe, une nouvelle fois, un juste milieu, un équilibre que je vous enseignerai.
-Un programme chargé, en quelque sorte, lança le Serdaigle assis aux côtés d'Asellus, un jeune homme d'origine arabe aux cheveux de jais emmêlés et un sourire ironique au coin des lèvres.
-Vous avez des heures de travail devant vous, acquiesça-t-il.
-Les élèves de Poudlard ont d'autres matières, rappela Asellus.
Lydell comprit qu'il devrait batailler auprès des plus âgés pour leur respect, et les remarques pourtant innocentes de son neveu n'aidaient pas dans ce sens, mais la voix de la raison qu'était le garçon pour lui depuis toujours vint lui rappeler qu'il s'adressait à des adolescents qui n'aspiraient qu'à vivre et rire, dont James était le parfait exemple. Il prit sur lui et afficha un sourire rassurant qu'il réservait d'ordinaire aux enfants réfugiés dans Poudlard. Ils avaient le temps. Et pourtant, tous ces visages trop familier et trop peu connus autour de lui renvoyaient comme un bouclier ce qui risquait d'advenir.
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Une routine stable et parfaitement réglée au niveau du temps avait toujours été dure à trouver en temps de guerre, mais tous se battaient alors et les besoins d'Asellus s'étaient résolus autrement, il était parvenu à trouver de la stabilité dans d'autres éléments. A présent qu'il se retrouvait à Poudlard, dans un monde où chacun paraissait connaître son lendemain et certain de vivre, dans une époque qui n'était pas encore sienne et loin de tout ce qu'il connaissait, il éprouvait un sentiment constant d'insécurité qui augmentait son angoisse.
Il se réfugia auprès de Lydell le week-end et ne ressortit de l'appartement que poussé par le jeune homme à rejoindre la Grande Salle puis son dortoir. Il désirait qu'il se comporte comme n'importe quel élève, mais leurs rêves le dérangeaient la nuit, quand ses propres cauchemars ne venaient pas le hanter. Asellus avait toujours mal dormi, entre l'exutoire obligatoire de son cerveau et l'esprit retors des autres en sommeil paradoxal, mais à présent qu'il pouvait s'autoriser à relâcher la pression car nul n'était plus en danger de mort immédiat, le manque de sommeil, de sécurité, de stabilité et l'horreur vécue lui revenaient de plein fouet.
Il passa le dimanche à étudier ses organigrammes et à les confier à Lydell, qui apposa dessus le même sortilège que sur la Carte du Maraudeur. Ils choisirent Arcturus Evans en mot de passe, symbolique que nul ne pourrait ni ne devrait découvrir. Les causes et effets n'avaient pas évolué, il calcula un début de stratégie de duel qui ne changerait sans doute pas de grands destins. Lorsque les Mangemorts désiraient la mort de quelqu'un, ils le traquaient jusqu'à le faire tomber.
Le garçon refusa de toucher au pudding ce soir là, incapable de supporter la texture sur sa langue. La joie de ses camarades pénétrait sa peau par toutes les pores, ainsi que les interrogations constantes de Pandora malgré toutes les tentatives de l'enfant.
-Tu devrais te concentrer sur les gens de ton âge, observa-t-il.
Il ignorait s'il n'était pas compromettant pour la naissance de Luna. L'enfant secoua ses longues boucles brunes.
-Tu es plus intéressant, répondit-elle rêveusement. J'ai quatre autres années pour les connaître, et deux pour toi seulement. Tu devrais aller voir l'infirmière, tu sais. Elle a des potions de sommeil sans rêve.
Il ne réagit pas, ne sachant que répondre à une telle phrase.
-Depuis quand n'as tu pas dormi correctement ? ajouta-t-elle.
La réponse s'inscrivit dans son esprit, se calculant aisément.
-Depuis huit ans et quarante jours.
-Ton esprit est si différent !
Sa présence était reposante. Elle n'exigeait pas de lui une parfaite connaissance des codes sociaux, elle ne s'apitoyait pas, ne fouillait pas dans ses secrets, et il appréciait autant sa curiosité que son altruisme. Il regrettait parfois qu'elle surgisse à l'improviste, néanmoins ses pensées dominante lui permettaient de s'accrocher à des connaissances dont il n'avait que faire mais qui demeuraient mieux que les fades rumeurs adolescentes.
Le dortoir était désert lorsqu'il pénétra dedans, et une vague de soulagement le parcourut. Il la reçut sachant qu'elle lui appartenait et qu'il s'agissait d'une émotion qu'il reconnaissait et maîtrisait. Il enleva sa robe de sorcier et ouvrit son livre, assis sur le sol, ne portant qu'un pantalon de toile. L'eau sous la douche lui indiquait la présence de l'un de ses camarades, mais les boucliers instaurés devenaient suffisamment puissants pour que les murs puissent servir de rempart d'occlumencie supplémentaires. Humant l'odeur de vieux papier de l'ouvrage emprunté à la bibliothèque, il se plongea dedans et perdit la notion du temps.
Trop tôt à son goût, son nom retentit et il fut obligé de s'extraire de son monde confortable de dates, de faits et d'histoire. L'exaspération de son camarade le heurta avant qu'il n'entende, enfin, son prénom.
-Asellus !
Il leva les yeux, indiquant qu'il avait entendu.
-Je vais éteindre, prévint Octave Turpin. Il est une heure du matin, nous sommes crevés !
Asellus hésita, et une sensation de malaise naquit dans son estomac. Il n'avait pas sommeil, ne voulait pas se frotter au tissu et aux couvertures de son lit à baldaquin. Lydell lui avait ordonné de tenter de dormir à partir de deux heures du matin, dernier délai.
-Tu pouvais le prévenir avant, répliqua Benjy avec morgue, tu es resté jouer avec nous, pas la peine de lui reprocher l'heure. Asellus, ça t'ennuierait d'aller dans ton lit ?
-Oui.
L'agacement et l'irritation des deux adolescents lui hérissa les poils de la peau.
-Tant pis, reste là si tu veux, j'éteins, siffla Octave.
Et il souffla les bougies. Le garçon se sentit piégé dans le noir, torse nu, privé de son monde et coupé brutalement de sa sécurité. Sa gorge se noua et il sentit les larmes lui monter aux yeux. Ses doigts se refermèrent sur sa baguette.
-Lumos.
La pièce fut aussitôt baignée d'une puissante lueur argentée. Octave se redressa furieusement.
-Nere, putain ! hurla-t-il.
Les doigts d'Asellus tremblaient.
Exaspération.
Lassitude.
Résignation.
Il inspira profondément alors que son corps lui ordonnait de se rouler en boule et que ses poignets ne demandaient qu'à reprendre leur trajectoire habituelle devant ses yeux.
-On se calme, intervint une voix rocailleuse. Octave, la prochaine fois, tu t'y prends plus tôt. Asellus, si tu fermes les rideaux à baldaquin, tu peux continuer à lire, ou bien tu peux descendre à la Salle Commune. Personne ne t'y ennuiera.
-Torse nu ?
La question franchit ses lèvres avant qu'il se souvienne des codes inculqués par Regulus, Lucius et Lydell. Il se fustigea.
-Exhibe toi si tu veux, mais laisse nous dormir !
-Les premières années doivent être au lit, mais je crois que les filles seront mal à l'aise, répondit tranquillement Kamal. Tu veux que je te prête un haut ?
-Non.
Il attrapa sa robe de sorcier et s'en vêtit de nouveau. Il remercia le préfet et referma la porte, se réfugiant dans une salle commune déserte. Le calme qui se dégageait de Kamal et ses réponses toujours sereines le détendaient.
Le garçon se laissa porter par les expérimentations des sang-pur sur les nés moldus dans Auschwitz quarante-sept minutes, puis il retourna à contre cœur dans le dortoir.
Ses journées manquaient de stabilité. Il avait l'impression que son autisme devenait un handicap quand autrefois, quelques semaines plus tôt, il vivait avec et parfaitement adapté.
Lucius lui manquait autant que son père, et les adolescents demeuraient hermétique à sa personnalité. Lydell peinait à s'accoutumer.
Peu importaient les défenses mentales qu'ils mettaient en place, il se sentait plus en décalage que jamais. Malade, différent, stupide parfois, et il haïssait ces sensations, parfois inconnues, parfois appartenant à un passé avec deux scientifiques et un carnet rose.
Il était épuisé et doutait d'être capable de se reconstruire, de se construire, de vivre.
Je me sacrifierais entier pour que tout ne redevienne jamais cet enfer terrestre, se souvint-il. Au fond, peu importaient ses problèmes sociaux, son mal être, sa scolarité et même la vie qu'il ne construirait pas. Sa mission était de prévenir les catastrophes.
Ils les formeraient, ils les protégeraient. Asellus ferma les yeux, mais le sommeil se refusait à lui. Il projeta les images du livre, et, par dessus, les noms, les morts, les vies de ceux qu'ils côtoyaient à présent quotidiennement. Ils devraient survivre, et construire un autre monde.
