Bonjour à tout-e-s !

Cela fait pas mal de temps depuis le dernier chapitre, mais j'ai enfin pu retrouver le temps de corriger la suite !

Alors, je voulais faire un petit point sur James, principalement pour les lectaires qui suivent plusieurs de mes histoires.

Dans Une Lueur dans l'Ombre, James est... un peu OOC, peut-être, pour beaucoup d'entre vous. Il est surtout blessé, en deuil, et complètement déconnecté de la réalité. De fait, il se comporte de façon déplorable avec Lucifer.

Avec Le Chagrin et la Pitié, j'explore ma vision de l'époque des Maraudeurs, bien que je prenne quelques libertés avec les livres (il paraît improbable que les Lupin aient abrité le Quartier Général de l'Ordre, par exemple). Néanmoins, j'explore tous les personnages. Et James, dont vous allez avoir le point de vue dans ce chapitre... Eh bien James a seize ans. Il est en sixième année et d'après les informations que nous avons, c'est un ado imbu de lui-même, qui se pense invincible et indétrônable. C'est également, à mes yeux, un harceleur. Ce qu'il fait subir à Severus Rogue est impardonnable. Je me suis donc basée sur ces informations pour construire le personnage... et son évolution. Car James va évoluer, comme tous les autres.

Sur ce, je vous rappelle qu'Harry et Artemis, transportés de 2003 à 1976, se sont désormais adaptés aux identités respectives de Lydell Moulin et Asellus Nere, oncle et neveux. Harry est professeur de Défense contre les Forces du Mal.

A Katymynyn, qui a découvert et dévoré cette fanfiction : Merci énormément de ton intérêt pour cette histoire ! Je suis heureuse que les retours dans le passé te plaisent. On voit trois époques, mais on vivra principalement sur deux. Les chapitres-liens, et les chapitres suivant Harry et Artémis, désormais en 1976. Je te remercie pour ta patience, et j'espère réellement que ce chapitre te plaira.

Sur ce, je vais vous laisser découvrir ce chapitre !


Ah les cons ! S'ils savaient !

Edouard Daladier


Décembre 1976

La frustration bouillonnait dans le ventre de James. Il avait connu quelques altercations avec Lydell Moulin lorsqu'il était venu chez Remus durant les vacances, mais depuis la rentrée, il parvenait de moins en moins à supporter l'homme.

Son regard hanté et sa posture alerte le mettaient profondément mal à l'aise, de même que ses joues creuses, ses yeux cerclés de noir et son visage balafré. Il lui rappelait que par-delà le Royaume Uni, d'autres souffraient, et qu'il avait eu de la chance dans sa naissance et dans son confort.

Le pire, néanmoins, demeurait son discours. Moulin était obsédé par l'idée de la défense, et ne cessait de leur parler d'une guerre qui viendrait. Selon James, il n'avait aucun droit de prendre cette position en tant que professeur, ni d'effrayer les élèves de la sorte. Poudlard avait toujours été l'endroit le plus sûr d'Angleterre, avec Dumbledore à sa tête, à l'exception de Gringott's.

Les Maraudeurs savaient par Sirius que les vieilles familles caressaient l'idée de s'intéresser à Voldemort, alléchés par ses discours en faveurs des privilèges et ses idées contre ceux qu'elles méprisaient, mais le point n'en était pas à la guerre. Voldemort était une menace à ne pas négliger, certes, James en avait subi le douloureux rappel en apprenant l'existence de l'Ordre du Phénix, mais il demeurait une menace que les autorités endigueraient, lorsque le réseau secret et le Ministère collaboreraient et agiraient en conséquence. Le jeune homme désirait la justice, et était prêt à combattre plus tard, lorsque ses études et sa formation d'Auror seraient fini mais il se complaisait dans l'insouciance et la chaleur familière de Poudlard.

James repoussa avec agacement le parchemin sur lequel à peine dix centimètres avaient été remplis par sa plume. Moulin avait exigé cinquante centimètres sur les avantages et inconvénients des duels en partenariat, sujet qui, l'adolescent l'admettait de mauvaise grâce, aurait été intéressant s'il n'avait décelé derrière l'ajout « en temps de guerre ». L'homme, après plus de quatre mois en sécurité au Royaume Uni, demeurait traumatisé par ce qu'il avait vécu en Martinique.

-Je ne suis pas sûr que tu aies le temps de le faire dans la semaine, commenta Remus sans lever les yeux du paragraphe sur les sortilèges de métamorphose humaine que McGonagall leur avait donné pour le lendemain.

Malgré les heures libérées par les matières qu'ils n'avaient pas choisi de poursuivre, les sixièmes années ne disposaient pas de plus de temps personnel, car la préparation aux ASPIC commençait et leur demandait de nombreuses heures d'études.

-Nous sommes des pros dans ce qu'on étudie en métamorphose en ce moment, lui rappela James avec humeur.

Remus se contenta d'un léger sourire en coin.

-J'aime me remettre la leçon en tête, répondit-il avec la douceur qui le caractérisait.

L'adolescent admirait profondément la capacité de son ami à toujours garder son calme. Sirius ébouriffa les cheveux du préfet, qui protesta pour la forme, et lui lança un regard affectueux, tandis que Peter remplissait consciencieusement son propre parchemin. James relut ses quelques lignes puis reposa sa plume avec un soupir et balaya la salle commune des Gryffondors du regard. A la table voisine, Londubat étudiait, profitant du calme relatif qui régnait en cette fin de matinée. Lily franchit le portrait de la Grosse Dame, et les yeux de James se braquèrent aussitôt sur elle. Elle tenait plusieurs ouvrages serrés contre sa poitrine, position qui lui donnait momentanément l'air vulnérable, mais sa posture droite et son large sourire alors qu'elle débattait avec animation avec Dorcas et Mary contrecarrait cette hypothèse. Il sentit une vague de désir monter alors qu'elle rejetait ses longs cheveux flamboyant en arrière, et se demanda si elle avait conscience de sa magnificence. Leurs regards se croisèrent. Se sentant idiot, il passa une main dans ses cheveux et lui adressa un sourire auquel elle ne répondit pas. Un peu plus frustré encore, James abdiqua face à ses devoirs et se leva.

-Je vais faire un tour aux dehors, annonça-t-il. Vous venez ?

-James, Remus a raison, mieux vaut prendre ce temps pour finir tout ce qui nous a été donné pour avant les vacances, répondit Peter, inhabituellement sérieux.

Le préfet sourit, et tourna la page. Sirius lorgna sur ses feuilles puis poussa un soupir.

-Je ne suis pas vraiment d'humeur. On se rejoint dans la Grande Salle ?

Les deux autres, déjà absorbés, hochèrent la tête de concert, et James sentit l'impatience le gagner. Leur jeunesse lui paraissait suffisamment entravée par les sombres discours de Moulin, il aurait aimé profiter de son temps libre pour autre chose que d'ennuyeux devoirs à rendre, en compagnie de tous les Maraudeurs. Ils formaient presque une meute, ne laissaient personne derrière.

-Il neige, vous devriez passer au dortoir et vous couvrir avant tout.

La douce voix un peu rauque de Remus les surpris, et le jeune Potter sentit un sourire s'étaler sur son visage devant la prévenance de leur ami. Sirius éclata de rire et, toujours plein d'énergie, monta les marches quatre à quatre.


Quelques centimètres de poudreuse recouvraient effectivement le parc de Poudlard lorsque les deux garçons y parvinrent. Sirius partit aussitôt dans un sprint que l'entraînement de Quidditch de James lui permit de suivre, et ne s'arrêta qu'une fois sur les rives du lac, essoufflé, se laissant tomber sur le sol et se moquant du froid qui ne manquerait pas de s'infiltrer en dessous de ses vêtements. Son meilleur ami s'appuya contre un arbre avec un sourire en coin.

-Parfois je regrette que nous ne puissions pas nous transformer dans le parc, lança le jeune Black en secouant la tête pour chasser les flocons qui s'étaient déposés sur ses cheveux.

James le suivait parfaitement sur ce point. Sentir la poudreuse sous ses sabots et le vent glacial ébouriffer ses poils qui protégeaient sa peau aurait été bénéfique, surtout en cet instant où il ne désirait que se changer les idées.

-Ça ne s'arrange pas avec Evans, hein ? demanda Sirius, et il se rembrunit.

-Je ne comprends pas comment elle peut traîner avec Servilus après ce qu'il lui a balancé l'année précédente. Il est raciste, en plus d'être un immonde bâtard graisseux.

Sirius se rassit, observant sérieusement son meilleur ami.

-Servilo adhère aux idées lancées par Voldemort, James. Il n'est pas le seul, mais Evans devra faire un choix un jour où l'autre.

La frustration qui habitait l'adolescent depuis le début du trimestre afflua aussitôt et il poussa un grognement.

-Ce n'est pas parce que tous ces stupides Serpentards sont arrogants et pensent qu'ils valent mieux que les autres qu'ils donnent du pouvoir à Voldemort.

-Je ne sais pas, répondit Sirius, beaucoup trop sérieux.

-Moulin a réussi à te convaincre ? s'exclama-t-il d'une voix forte.

L'autre adolescent hésita, et une fureur nouvelle naquit chez lui.

-Pourquoi être aussi inquiets ? Les Aurors vont faire leur boulot, Moulin ne fait que nous terroriser ! Tu crois que nous allons tous sombrer dans les ténèbres et le chaos désormais, alors que tu voulais te rebeller il n'y a pas trois mois ?

-J'ai entendu les effets sur ma famille, répliqua calmement Sirius.

-Les Blacks ont toujours été extrémistes !

James donna un coup de pied dans le vide.

-On parlait d'Evans, et nous voici à délibérer sur l'avenir ô combien sanglant du Royaume Uni ! J'en ai assez de tout rapporter à une guerre qui n'aura pas lieu ! Dumbledore et le Ministère savent ce qu'ils font !

-Tu es vraiment amoureux d'elle ? enchaîna Sirius, sautant sur l'occasion de changement de sujet, à la grande satisfaction de son ami.

Un sourire s'étira sur ses lèvres malgré lui et il passa la main dans ses cheveux par réflexe.

-Je crois. Elle me plaisait simplement au départ, mais... elle est magnifique, intelligente, et forte. Quand elle est dans la pièce, je sens mon cœur se réchauffer...

Son meilleur ami éclata de rire.

-Arrête ! s'exclama James. Je t'accorde que ça à l'air de sortir d'un mauvais roman à l'eau de rose, mais je suppose qu'il y a une part de vrai dans toute cette guimauve. J'ai parfois envie de la prendre dans mes bras, et chaque fois qu'elle passe près de moi, je sens son odeur et j'ai l'impression que ma tête tourne.

Sirius ne se départit pas de son regard malicieux un brin moqueur.

-Il va falloir que nous demandions une potion de désenvoûtement à Slughorn.

-Oh, tais toi donc, siffla James en lui lançant une poignée de neige.

Sirius protesta par principe et riposta aussitôt, engageant une réelle bataille entre eux. James dépensa son énergie et sentit une pointe de sérénité l'envahir. L'une des raisons pour laquelle sa relation avec son meilleur ami fonctionnait aussi bien était la franchise et l'absence de rancoeur entre eux.


L'Etude des Moldus rassemblait toutes les maisons, au vu du peu d'élèves ayant choisi de continuer cette option après les BUSEs. Sirius l'avait toujours choisie par défi envers sa famille et James considérait qu'en tant que sang-pur, plus il en saurait sur cet autre monde, mieux il pourrait comprendre les enjeux de ce qui l'entourait. La matière était dispensée par un homme filiforme aux longs cheveux blonds répondant au nom de Thandruil Hurlenuit, dont la fermeté et les exigences n'étaient plus à prouver mais qui récompensait ceux qui travaillaient dur. Ils étudiaient en cette fin de trimestre la notion particulièrement complexe d'électricité. James peinait à comprendre comment elle fonctionnait, en revanche, l'utilité lui était rapidement apparue. Sirius griffonnait les schéma avec un talent surprenant, et le silence de coutume régnant dans la classe était à peine troublé par la craie de Hurlenuit contre le tableau noir.

-Une fois que vous aurez terminé, je vous demande de ranger vos affaires. Je vous ai apporté des piles et des pinces crocodiles afin que vous puissiez expérimenter le phénomène vous même. Vous vous mettrez par deux.

Les élèves hochèrent la tête et un murmure excité parcourut les deux rangs de tables. James contempla les notions de circuit en dérivation et circuit en série avec perplexité puis annota les schéma en suivant la légende copiée sur le premier parchemin de ce cours. Il fourra ensuite plumes et parchemins dans son sac et se tourna vers Sirius avec excitation, heureux d'avoir enfin un peu de pratique dans ce cours. Il aperçut Nere du coin de l'oeil, qui fixait le tableau avec sa concentration habituelle. Il ignorait pourquoi Sirius l'encourageait à venir s'asseoir près d'eux, et surtout, pourquoi son ami appréciait cet adolescent suffisant et qui ne faisait pas vraiment d'efforts d'intégration. Hurlenuit déposait sur son bureau les accessoires nécessaires à l'expérience.

-Bien. Qui peut me rappeler ce qui correspond à quoi sur cette table ? Mr Nere ?

Le garçon récita avec exactitude chaque détail du cours.

-Je n'aurais pas mieux formulé, commenta Hurlenuit avec une légère ironie. Dix points pour Serdaigle.

-Avec l'apparition des nouvelles technologies, il a été observé que les appareils électriques ne fonctionnaient pas dans Poudlard, car ondes magiques et ondes moldues ne peuvent se mêler sans d'importantes interférences, et les ondes magiques l'emportent, annihilant les efforts moldus, ajouta l'adolescent de son insupportable voix monocorde.

A sa gauche, une Serdaigle soupira, et James ne put lui reprocher. Si tous les cours se déroulaient ainsi, il savait qu'il aurait du mal à le supporter également.

-C'est exact, répondit le professeur, néanmoins j'ai enchanté cette salle pour qu'elle soit à l'abri de la magie durant une heure. Je vais vous demander de mettre vos baguettes dans cette boîte.

Les élèves frémirent. Aucun d'entre eux n'aimait vraiment se séparer de sa baguette, encore moins la mélanger avec celle des autres. Nere fut le seul qui se leva sans protester et déposa son précieux artefact dans la boîte.

-Il ne réfléchit jamais par lui même ? souffla James, atterré.

Entre les lignes récitées au détail près et l'obéissance immédiate, il s'étonnait presque de la répartition du garçon, et encore plus que Lydell Moulin, avec toutes ses croyances et tous ses discours, ne lui ait pas enseigné ainsi.

-Nous ne risquons rien dans l'enceinte de Poudlard. Nous avons tous une baguette et nul n'a intérêt à nous la voler.

La voix sans émotions du garçon retentit dans la petite salle, comme en réponse aux murmures de James, qui sentit pointer l'agacement.

-Si tu sais toujours tout, pourquoi est-ce que tu étudies encore ici ? siffla-t-il.

-Albus Dumbledore pense que je dois vivre une scolarité normale et apprendre à vivre comme un adolescent, répondit-il avec ce calme insupportable qui était sien.

-Et toi bien sûr tu es trop bien pour cette école ? rétorqua-t-il.

-Arrêtes ça James, intervint Sirius.

-Non, répondit Nere.

Poussé à bout, le jeune homme se leva, alla poser sa baguette dans la boîte et fit face au Serdaigle.

-Bon sang, mes questions étaient rhétoriques !

Nere cligna des yeux.

-Pourquoi poser des questions si tu penses déjà avoir la réponse ? Une réponse erronée néanmoins.

Son besoin d'avoir toujours le dernier mot irrita encore un peu plus le jeune Potter. Nere tressaillit et ses yeux partirent dans le vague alors qu'il commençait à avoir un léger balancement.

-Oh, ne nous fais pas le coup de la crise. Nous savons que tu es un pauvre petit orphelin de guerre, pas besoin d'en rajouter !

Les autres les regardaient, médusés, et Hurlenuit parut sur le point d'intervenir, mais James était lancé.

-Tu n'es plus en Martinique, tu peux te remettre maintenant, faire des efforts plutôt que de t'apitoyer sur ton sort. La guerre n'est plus là, il faudrait peut-être arrêter d'être obnubilé par elle et par toutes ces choses affreuses que tu as vécues ! Tu n'es pas le seul à avoir eu des temps difficiles, ni moi ni les autres n'avons forcément envie de t'entendre tout le temps parler des horreurs que tu as vues, ça ne va pas t'attirer de popularité. Et si tu tentais de t'intéresser aux autres et de réfléchir par toi même plutôt que de balancer des extraits de bouquins, ça nous soulagerai également. Il est temps d'avancer un peu.

Il finit sa tirade les poings serrés et la mâchoire douloureuse. Nere se balançait un peu plus, ce qui eut le don de l'agacer.

-Personne ne va venir t'aider, pas la peine de fuir de cette...

-Mr Potter, taisez vous.

La voix de Hurlenuit était glaciale et très ferme, un peu plus forte qu'à l'accoutumée. James se tourna vers lui.

-Je...

-Maintenant, Mr Potter.

Les autres élèves les dévisageaient toujours, mais il ne lut aucun assentiment dans leurs regards. Ils attendaient peut-être la réponse de l'autre, mais sa respiration s'était faite forte et rapide, ses yeux étaient partis dans le vague, et ses mains tremblaient violemment. Il était pitoyable, incapable de se défendre. Comment avait-il survécu ?

-Asellus, murmura doucement Sirius, sans qu'il ne paraisse l'entendre.

Le balancement se fit plus prononcé et l'air parut se réchauffer autour d'eux. Le professeur vint s'interposer.

-Mr Nere, calmez vous, déclara-t-il d'une voix ferme mais relativement douce que James trouva profondément injuste. Vous m'entendez ?

Il se tenait loin de lui, prenant garde à ne pas le toucher, et n'arrangea en rien la colère du jeune Potter. Même Remus ne fuyait pas autant le contact en première année.

-Asellus... la voix de Sirius était également ferme mais plus hésitante.

Et le garçon tomba au sol dans un balancement toujours plus régulier et plus fort, et James leva les yeux au ciel.

-Tu veux de l'aide pour te relever ?

-James, ta gueule maintenant.

La froideur de Sirius lui fit l'effet d'une douche froide. Hurlenuit commença à parler au garçon dans une langue étrangère. Peu à peu, Nere commença à réponde de sa voix toujours monotone mais dans cette langue, puis parvint à se relever.

-Voulez vous aller à l'infirmerie ? s'enquit l'homme.

-Le cours n'est pas terminé.

Comme si cela répondait à la question, le professeur hocha la tête et le laissa se rasseoir avant d'offrir sèchement de distribuer les piles, menaçant de les garder sur la pause s'ils ne déposaient pas aussitôt leurs baguettes dans la boîte. Sirius se leva, puis alla s'installer auprès d'Asellus, qui parut encore plus misérable.

-Ce n'est pas ta place.

L'expression blessée sur le visage de son meilleur ami donna à James l'envie de lui mettre son poing dans la figure.

-Je sais, mais nous devons travailler en binôme. Tu veux que je partes ?

Sa voix n'était qu'un murmure. James fronça les sourcils. Sirius et lui travaillaient toujours ensemble. Ils fonctionnaient à l'unisson et savaient toujours ce qu'allait faire l'autre, se comprenant d'un regard.

-Non. Le professeur a dit que nous devions être à deux pour l'heure qui suit. D'accord.

Sirius parut décontenancé, mais ne bougea pas. Hurlenuit demanda à James de se mettre avec une Serdaigle du nom de Milicent Bagnold, une préfète avec qui il discutait de temps à autres.

-Sirius ?

-Pas maintenant, James, d'accord ? On parlera après le cours.

L'adolescent se sentit rassuré par le ton familier de son ami, ni froid ni furieux, juste comme à l'accoutumée, bien qu'un peu trop calme, comme souvent ces dernières semaines. Il s'installa près de la jeune fille, qui lui présenta une pince crocodile.

-Je ne tiens pas à me mêler à des gamineries, déclara-t-elle, mais sache que tu as été inutilement violent.

-Violent ? répéta-t-il, incrédule. Je n'ai fait que...

-Je t'ai dit ce que je pensais, point. Aide moi à démêler les fils. Je crois que le symbole moins est supposé aller là...

L'expérience se révéla amusante et éclairante, mais l'humeur s'était assombrie de par la crise du garçon.

James avait réussi à faire fonctionner son circuit en série mais peinait encore avec la dérivation lorsque leur professeur les libéra.

-Je veux soixante-dix centimètres de parchemin après les vacances sur le fonctionnement de l'électricité, l'usage que les moldus en font, et les avantages qu'elle pourrait nous apporter, annonça l'homme.

L'adolescent soupira devant le travail qui s'accumulait mais nota rapidement l'exercice et balança son sac par dessus son épaule.

-Mr Potter, l'interpella Hurlenuit, restez un instant je vous prie.

Comprenant qu'il s'agissait de son coup d'éclat, le jeune homme passa une main dans ses cheveux et regarda son meilleur ami sortir en compagnie de Nere. Sirius souriait au garçon, qui esquissait une grimace en retour, et la frustration de James n'en revint que plus forte.

-Je t'attends dehors, glissa Sirius alors que leur professeur refermait la porte.

James patienta devant l'homme qui l'observait, le visage sévère et les bras croisés. James trouva sa prise de position immédiate parfaitement injuste. Nere se victimisait, refusait de laisser son passé derrière lui.

-Mr Potter, je ne suis pas placé pour régler vos querelles, néanmoins je considère que vous êtes presque un adulte, et que vous devriez savoir gérer vos émotions et faire preuve de tolérance.

-De tolérance ? répliqua James en secouant la tête. Je l'ai fait, monsieur, cet été, je sais que Nere a vécu des atrocités et tout ce que vous voudrez, mais il est temps qu'il aille de l'avant ! Il agit comme si son passé lui donnait du pouvoir sur nous.

Hurlenuit parut hésiter, mais son visage se referma soudain.

-Vous serez majeur l'an prochain, Mr Potter. D'adolescents plus jeunes que vous, j'aurais accepté ces plaintes, mais vous êtes un brillant élément, non seulement dans ma matière mais également ailleurs si j'en crois mes collègues. Vous devriez être à même d'avoir un esprit d'analyse.

L'injustice le fit sortir de ses gonds.

-Parce qu'il a vu des gens mourir et qu'il a déjà combattu en duel je suis sensé accepter qu'il est une victime que je dois admirer et plaindre ? s'exclama-t-il. Quoi, il a un statut à part qui fait qu'il faut le ménager et le protéger ? Asellus Nere étudie à Poudlard, je croyais qu'il s'agissait d'un endroit où nous étions tous égaux !

Hurlenuit pencha la tête sur le côté, et son regard se durcit.

-Mr Potter, je refuse de discuter de cela avec vous, car vous vous comportez en enfant borné, et c'est à votre directrice de maison, à défaut de vos parents qui ne peuvent juger de la situation, de le faire. Sachez néanmoins que c'est la dernière fois que je vous laisse vous en tirer avec un comportement de ce genre, et sans excuses aucune. Recommencez, et j'avertis le professeur McGonagall ?

Jamais une telle fureur envers un professeur n'avait habité le jeune homme, mais il savait que Hurlenuit possédait l'ascendant sur lui. Il se devait de s'écraser.

-Bien, monsieur, siffla-t-il entre ses dents.

L'homme hocha la tête et rouvrit la porte. James la franchit aussi dignement que possible, heureux de voir Sirius, adossé contre un pilier avec sa nonchalance habituelle. Il se redressa en apercevant son ami et les deux garçons empruntèrent les escaliers qui menaient à la salle de sortilèges, au deuxième étage.

-Nous sommes en retard à cause de lui ! s'écria le jeune Potter avec force. Je n'arrive pas à croire qu'il prenne ostensiblement parti contre Nere.

Seul le silence lui répondit, ce qui était surprenant de la part de Sirius. Il lui jeta un regard, et lorsque leurs yeux se croisèrent, le garçon aux longs cheveux noirs secoua la tête.

-James, tu ne te rends pas compte de ce que tu as fait. Tu as été injuste et violent, inutilement violent.

Les mêmes mots avaient été prononcés par Bagnold, mais James ne put digérer une telle chose de la part de son meilleur ami.

-Ah, vraiment, c'est comme ça ?

-Ecoute... Soit nous manquons le cours de sortilèges, soit tu attends ce soir, d'accord ?

-Très bien, allons écouter la théorie de Flitwick !

Il se sentait trahi et toujours aussi furieux. La frustration ne le quittait pas.


Attendre jusqu'au repas du soir fut une torture pour l'adolescent, qui désirait mettre un terme au malentendu entre son meilleur ami et lui. Sirius ne paraissait pas désireux de gâcher son repas, néanmoins, et James mâcha difficilement ses épinards et pommes de terres, ruminant sa colère et son amertume dans son coin, malgré les tentatives de Peter pour le mêler à leur amusement et les regards appuyés de Remus. Dès qu'il eut fini, il salua ses amis et monta dans le dortoir. Sirius soupira, secoua la tête puis reporta son attention sur son dîner.

Lily se trouvait dans la salle commune lorsqu'il y parvint, mais il n'était pas d'humeur à essuyer de nouveaux reproches et regards glacés. Il monta sans lui adresser un regard, et la blessure n'en fut que plus forte lorsqu'il réalisa qu'elle s'en moquait éperdument. Alors qu'il tentait, sans succès, de s'exercer sur les sortilèges animaliers, la porte s'ouvrit enfin sur les trois autres Maraudeurs qui riaient allègrement. Ils s'interrompirent devant le regard noir du quatrième. Sirius s'immobilisa pour planter son regard dans le sien.

-Ecoute, Cornedrue...

-Tu vas encore me sortir que j'ai été violent sans plus d'explications ?

-Que s'est-il passé ? demanda Remus, les sourcils froncés.

Peter s'assit sur son lit, prêt à refermer les rideaux pour pouvoir dormir. Il détestait se retrouver au milieu d'un conflit. Sirius fit un rapide résumé de la scène qui s'était déroulée en étude des moldus, et Remus se contenta de hocher la tête.

-Cornedrue, tu as été violent, tu l'as attaqué sur des choses dont il n'est pas forcément responsable, et surtout, tu as passé tes nerfs et ta frustration sur lui, et au moins pour ça, tu devrais t'excuser ?

-Je te demande pardon ? Comme si personne d'autre ne pensait ce que j'ai dit !

-Non, James, le problème est là. Asellus les agace, il a un ton monocorde, il est très maladroit, particulièrement au niveau social. Il est étrange. Mais la façon dont tu t'es attaqué à lui est non seulement injustifiée, mais surtout injustifiable.

Voyant que leur ami n'en démordait pas, Remus intervint.

-Tu as passé la frustration que tu éprouves envers Lydell Moulin sur lui, c'est ce qu'essaie de t'expliquer Sirius. Si tu t'étais exprimé de cette manière envers Moulin, il t'aurait répondu, peut-être remis à ta place, mais sans plus. Si tu l'avais fait sur Asellus, devant lui, je crois que tu aurais au moins pris une retenue. Ces discours sur la guerre, c'est Moulin qui les tient, pas lui. Tu ne supportes pas...

Sa voix s'étrangla sous le regard noir de l'adolescent. Sirius se tenait toujours droit devant lui, sans flancher, n'ayant pas fini.

-Tu as failli le toucher, Cornedrue, as-tu idée de ce qui se serait passé ? Il ne contrôle pas vraiment sa magie...

-Alors il n'a rien à faire en sixième année à Poudlard.

Son meilleur ami se mordit la lèvre, puis la voix timide de Peter retentit.

-Je crois que tu oublies qu'il est toujours traumatisé par la guerre, James...

-Oh, crois moi, je le sais. Il passe son temps...

-Moulin passe son temps à le rappeler, le coupa Sirius.

-Tu lui reproches, compléta Peter, mais cela ne fait que quatre mois, Cornedrue. Tu le juges sans comprendre.

James éprouvait la désagréable impression que ses amis tentaient de l'accabler. Il prit sa serviette sans un mot de plus et se dirigea vers la salle de bains.

Il n'était ni stupide, ni entièrement obtus, et que les trois personnes qu'il estimait le plus le poussent à se remettre ainsi en question le fit s'interroger sur ses paroles. Quatre mois paraissaient énormes pour lui, et il lui semblait que Nere ne faisait aucun effort, mais il se remémora l'apparence physique des deux réfugiés, en Août, et tous les cours de Moulin. Il les préparait pour une guerre qui n'aurait sans doute pas lieu, certes, mais qu'il avait vue, et les exemples qu'il donnait parfois hérissait désagréablement les poils de son corps. Il se promit de faire plus attention au Serdaigle, et de lui parler si nécessaire.

o°o°O°o°o

Tout paraissait loin. Les émotions, les pensées, les souvenirs, tout semblait peu à peu s'effacer alors qu'il s'enfonçait dans un monde qui ne lui appartenait pas. Il tentait de demeurer lui-même, de s'accrocher à une réalité qu'il ne demandait qu'à fuir, au point de se demander s'il souffrait simplement du Syndrome d'Asperger ou d'une autre forme d'autisme que les autorités n'auraient pas décelées.

Albus Dumbledore avait imposé qu'il tente de reprendre une vie d'adolescent, mais jamais il n'en avait vécue. Il ne savait pas vivre, et ses compétences sociales étaient naturellement basses, ce que la plupart des élèves ne pouvaient pas comprendre, car il en va de la nature des adolescents de rejeter ce qu'ils ne comprennent pas et qui ne remplit pas leurs critères. La seule stabilité qu'il avait connue remontait aux quelques années passées avec son père.

Il se réfugiait chaque fin de semaine dans les appartements de Lydell, et s'enfermait dans ses calculs et organigrammes, discutait de ce qu'il faudrait faire, mais une partie de lui se le reprochait. Ils restaient en suspend plutôt que de réapprendre à vivre, demeuraient en alerte jour après jour, sans parvenir à nouer des liens qu'ils n'analysaient pas et n'envisageaient pas à long terme et dans le futur. Lydell s'en épuisait et lui ne respirait presque plus que par cette organisation cadrée et pourtant si incertaine.

Trop d'éléments s'emmêlaient dans son esprit, alors qu'il suivait dans le même temps des cours qui lui apportaient de l'air. Ils s'étendaient sur des horaires précis, avec des places précises, des professeurs précis, une donnée non-variable qui ne comportait comme source d'angoisse que ses camarades.

L'altercation avec James Potter l'avait fortement ébranlé. Quelques mois plus tôt, il l'avait à juste titre jugé incompréhensif, mais chacune de ses phrases crachées avec un mépris que son empathie lui permettait de sentir, à défaut de reconnaître les altérations de la voix, lui avaient donné envie de se rouler en boule et de se réfugier dans ses balancements et son esprit familier. Le soutien de Sirius lui avait permis de ne pas succomber. Il l'avait maladroitement remercié, mais il sentait l'affection de son oncle pour lui, une affection sincère et désintéressée qu'il reconnaissait de son enfance et qui le rassurait en même temps qu'elle le dérangeait.

Il était piégé par Artemis Black, par les liens noués, par son passé, et savait qu'Asellus ne pouvait venir de nulle part, naître à simplement dix-sept ans, qu'il devait appréhender Asellus avec Artemis. L'amour qu'il avait ressenti pour Sirius renaissait de la même manière que lorsque l'homme évadé d'Azkaban avait pris soin de lui, et ce n'était pas sain. Il devait faire la part des choses. Lydell y parvenait, et c'était un soulagement, un poids de moins à porter sur ses épaules malingres et déjà blessées.


Il descendit dîner à la même heure qu'usuellement. Pandora se joignit à lui à l'exact même moment où il franchit la statue de l'aigle. Il avait planifié son emploi du temps du lendemain, sachant que plus que jamais depuis son retour il avait besoin de stabilité.

Les mots de James résonnaient dans son esprit, la colère et la frustration jetée inconsciemment dans sa direction trouvaient encore un écho dans son corps.

La guerre n'est plus là, il faudrait peut-être arrêter d'être obnubilé par elle et par toutes ces choses affreuses que tu as vécues !

Il n'oublierait jamais. Comment oublier qu'il avait été l'initiateur de pastilles meurtrières qui empêchaient de divulguer des informations à l'ennemi ? Comment oublier les montagnes de cendres, de cadavres qui revenaient le hanter la nuit quand il ne captait pas les rêves de ses camarades ? Il était coincé dans un tourbillon, malgré ses tentatives d'intégration, Il ne s'y retrouvait pas, perdait pied, trop d'éléments hantaient son esprit.

La prophétie doit se réaliser sans quoi Harry ne sera plus lui même.

Pourrais-je un jour parler à Regulus Black, alors que l'idée même de croiser son regard est si douloureuse ?

Flirt. Joie. Anxiété. Angoisse. Colère. Peur. Sérénité.

Ces éléments se recroisent, mais que se passerait-il si Lydell modifie juste cet événement ?

Severus Rogue. Haine. Fureur. Désir de vengeance. Amertume. Solitude. Différent.

Pourquoi Kamal n'est-il pas assis à côté d'Octave ? Sa place à changé.

Les flammes. Luna, Altaïr.

Je dois laisser mes mains le long de mon corps. Elles doivent rester le long de mon corps, surtout ne pas atteindre mon visage. Je ne dois pas me faire trop remarquer.

Douleur. Instabilité.

Les crises menaçaient chaque jour, il parvenait pour le moment à les endiguer... il savait que le jour où il exploserait, il devrait en affronter le contenu et les conséquences, et il redoutait le moment.


Un garçon était assis à la place qu'il occupait habituellement. Pandora et lui s'asseyaient généralement en bout de table, mais leurs places étaient occupées par des deuxièmes années. La fillette ne se laissa pas déstabiliser. Elle commença à se diriger d'un pas aérien vers d'autres places, mais l'esprit d'Asellus se focalisa sur cette habitude chamboulée.

-Tu désires me prendre en photo ? s'enquit le garçon qui était assis à la place qu'occupait d'ordinaire Pandora.

Il était beau, avec des traits fins, un visage encore poupin et des cheveux de miels. Son large sourire se voulait charmeur.

-Non.

-Dommage, répliqua l'enfant. Du coup, tu peux me laisser manger ?

-Oui.

Ses réponses laconiques revenaient et lui rappelaient les premiers temps passés avec son père. Pandora revint vers lui.

-Asellus, j'ai trouvé des places libres là-bas, viens.

-Nous sommes assis là.

L'adolescente leva ses grands yeux sur lui, et il sentit son sérieux et sa gravité s'infiltrer quelque part en lui, dans la partie restante qui n'était pas annihilée par les habitudes et exercices pris... autrefois.

-Nous pouvons attendre, si tu le désires.

-C'est l'heure de manger.

Il n'était pas rationnel, il le savait, toujours dans cette partie qui le lui criait, mais elle s'était retranchée durant tout le trimestre pour lui permettre de survivre dans Poudlard.

-C'est vrai. Du coup, est-ce que vous pourriez vous décaler ? demanda-t-elle de sa voix fluette mais claire aux deuxièmes années.

-Non, répliqua une fillette. Nous avons commencé, et il y a de la place ailleurs.

Pandora pencha la tête sur le côté pour mieux les observer.

-Pourtant, ça ne vous ennuiera pas plus que ça, et Asellus tiens à cette place.

-Et alors ? rétorqua un troisième enfant, jusque là demeuré silencieux. Il n'a rien à faire à Serdaigle de toutes manières, il est débile.

L'innocence et le dédain de l'enfant frappèrent Asellus au même moment que l'insulte proférée. Pandora mit les mains sur ses hanches.

-L'intelligence peut prendre diverses formes, déclara-t-elle avec un calme olympien.

-Sauf que Nere est débile, tout le monde le sait. Il devrait être dans un asile, où à Sainte Mangouste.

Asile. Débile. Hôpital.

Les accusations le submergèrent et sa respiration se fit soudain plus rapide. Ses yeux papillonnèrent. Il se balança, tentant un ancrage dans la réalité, dans la Grande Salle de Poudlard.

Une salle de médecin Un homme aux cheveux blancs, aimable, juste.

Diagnostic. Explications. Foyers. Bourses. Prise en charge. Exercices. Plaquettes d'informations.

-Asellus.

La voix fluette de Pandora était trop nouvelle pour pouvoir le ramener. Il partait.

-Tu vois ? Complètement taré.

Une nouvelle inspiration d'un air douloureux à avaler, qui érafle ses amygdales. Trop de regards braqués, trop de mondes, trop d'esprits, trop d'émotions.

-Je te demande pardon ?

La voix est grave est chaude, elle appartient à un camarade. Asellus reconnaît la sérénité dangereuse de Kamal Idriss. L'enfant s'explique.

-Ecoute, Davidson, tu passeras la soirée de demain en retenue avec Rusard, tu apprendras peut-être à manier les mots avec l'agilité d'un Serdaigle.

Le monde tremble. La chaleur corporelle du préfet est proche, trop proche, un peu plus proche encore...

-Asellus, viens t'asseoir av...

-NON !

Le cri de Pandora n'alerte pas assez tôt le garçon.

Un petit appartement, où quatre personnes s'entassent. A l'heure du repas, les matelas sur le sol sont relevés contre le mur, dissimulant ainsi les moisissures. Il s'en moque, il aime les repas de famille, être assis sur un coussin alors qu'ils dégustent la recette familiale de tajine.

La cantine est bruyante, et les élèves parlent très fort, mais il ne fait pas attention au vacarme, trop occupé à renchérir sur les blagues de son meilleur ami. Une assiette menace de tomber sur le sol, et il se crispe. S'il provoque une nouvelle fois du chaos, ses parents risquent d'être convoqués. L'assiette tournoie sur elle-même et revient devant lui, sans qu'aucun contenu ne soit déversé sur le sol. Son ami ouvre de grands yeux, puis ils éclatent de rire.

Son corps réagit violemment, une décharge de magie rejette et brûle Kamal. Asellus tombe sur le sol en position foetale, conscient que tous les regards sont braqués sur lui et désireux de fuir, bien qu'il s'en fustige en même temps qu'il tente de se raccrocher à la réalité. Il ne peut pas continuer ainsi.

« 20 Avril 1945 : Anniversaire d'Adolf Hitler. Dernière apparition publique d'Adolf Hitler. Récompense nazie à destination des jeunes qui continuent de défendre Berlin. »

« Mai 1968 : Mouvement étudiant... »

Il faut qu'il se reprenne. Il a tenu des années aux côtés de Harry et de la Résistance.

Asellus se releva, perdu dans son monde mais debout. Les contours tournoyaient et il savait qu'il devait sortir de la Grande Salle.

Sans trop savoir comment, mû par une intense volonté, il se retrancha dans un coin du Hall, se roula en boule et laissa la crise l'emporter.

o°o°O°o°o

Les derniers cours du trimestre approchaient, et Lydell voyait cette fin d'année 1976 comme l'une des premières étapes de son jugement. Asellus et lui feraient le point sur leur commencement, le début de leurs constructions, de leurs nouvelles identités... et il le redoutait profondément.

En son fort intérieur, les quatre mois qui venaient de s'écouler le laissaient toujours stupéfait. Il se levait chaque matin, à des heures indues car il ne parvenait pas à dormir, et les jours suivaient leurs cours. Il avait survécu à ces quatre premiers mois dans le passé, sans se dévoiler, sans se montrer trop injuste envers ses élèves, sans passer chaque seconde à se morfondre de ne pouvoir agir tout de suite.

Il s'assit dans un fauteuil de la salle des professeurs, et se servit une tasse de thé brûlant. Le liquide qui coula dans sa gorge lui parut tout aussi salvateur et délicieux que la première fois qu'il s'était livré à ce rituel. Ceux qui l'entouraient l'effectuait machinalement, sans réaliser la merveille que constituait boire pour le plaisir, savourer les divers parfums et avoir le choix.

-Tout va bien Lydell ?

Il avait senti la présence dans son dos et se retourna sans sursauter vers Melody Sleipnear, le professeur d'Etudes des Runes. Il s'agissait d'une petite femme replète qui ne devait pas avoir la quarantaine mais qui paraissait entre deux âges, dont les robes aux tons mornes tombaient mollement sur les épaules.

-Très bien, assura-t-il avec un sourire rassurant.

L'habitude de ne montrer aucune faiblesse et d'aider les civils demeurait bien ancrée en lui. La femme eut un petit sourire.

-Vous paraissez bien songeur. Des soucis personnels ?

L'esprit du jeune homme se focalisa aussitôt sur Asellus, son visage pâle et ses cernes aussi présentes qu'au premier jour.

-Je crains que Lydell n'aspire qu'a du répit au niveau personnel, Melody, commenta Minerva McGonagall depuis la table où elle corrigeait des copies.

Le professeur de Runes parut se rendre compte de son manque de tact.

-Bien sûr, répondit-elle, visiblement troublée.

Lydell se contenta d'un hochement de tête amical à son égard. Si certains ne comprenaient pas ce que la notion de réfugié engrangeait, s'il avait eu vent des reproches et des murmures des élèves envers lui et Asellus, certains adultes se montraient bien plus perspicaces, et la sous-directrice était de ceux-là. Le respect qu'il éprouvait pour elle depuis toujours lui était revenu de plein fouet durant ses premières semaines d'enseignement. Il prit sa tasse.

-Puis-je ? s'enquit-il en désignant la chaise à sa droite.

-Faites simplement attention à ne pas tâcher mes copies, répliqua-t-elle sèchement.

Avec un réel sourire intérieur, le jeune homme prit place, puis la contempla de façon assez maladroite. Les conversations badines n'étaient plus de son ressort depuis trop longtemps déjà. En guerre, tout était toujours pressé, ils se passaient les informations, planifiaient, s'entraînaient, se soutenaient, et chaque mot était sincère et rarement courtois, car la courtoisie ne sauvait pas des vies. Elle releva la tête et haussa un sourcil.

-Excusez-moi...

Professeur. Minerva. Les mots restaient en suspension dans l'air. Le regard de la femme s'adoucit légèrement.

-Vous ne parvenez pas à comprendre tous nos codes, n'est-ce pas ?

-Je les ais oubliés il y a longtemps, admit-il.

-Malheureusement, murmura-t-elle.

Un silence gênant plana entre eux, que Lydell eut du mal à supporter. Il avait découvert la pitié et la condescendance au fil des derniers mois, à un point bien au dessus de ce qu'il avait jadis pu supporter. En cet instant, la femme l'irritait profondément.

-Quelle classe est-ce ?

Il désigna le paquet de copies, demandant d'une voix phrase et distante une information polie, mais qui l'intéressait réellement. Chaque niveau le fascinait, parce qu'il retrouvait des noms qu'il connaîtrait plus tard, et les voir ainsi l'attendrissait autant qu'il sentait le poids du futur et de sa mission l'accabler.

-Les quatrièmes années.

L'estomac de Lydell se retourna sans qu'il n'en laisse rien paraître.

-Une promotion particulièrement agitée, commenta-t-il d'un ton neutre.

Il y avait rencontré le jeune Quirinus Quirell, studieux, facilement impressionnable mais vif d'esprit, ainsi que Bartemius Croupton Junior.

-Ce n'est rien à côté des Sixièmes Années, mais je suppose que vous l'aviez remarqué, répliqua-t-elle. Ah, vous n'avez aucun Serpentard, si je ne m'abuse, en dehors de Mr Snape...

-Aucun, ahana-t-il.

Ils échangèrent un regard lourd de sens, un regard qui réchauffa considérablement l'ancien meneur car il témoignait d'une complicité, de l'Ordre, et lui remémora ses anciens liens tissés en pleine guerre avec Minerva. Il vit Melody, affalée dans un fauteuil, leur jeter un regard endormi mais curieux, et embraya aisément.

-J'ai pu le constater, particulièrement avec mon groupe du mercredi... Potter et Black, sans compter Bagnold et Turpin.

-Oh, ce sont tous des énergumènes intéressants, répondit-elle.

Il les verrait pour la dernière fois ce semestre le lendemain, et retournerait habiter chez les Lupin, où il retrouverait Remus. Les maigres liens tissés s'étaient délités depuis le premier cours mouvementé, et il espérait intensément que de nouvelles bases seraient posées. Minerva posa soudain ses lunettes et se tourna vers lui.

-Certains de mes élèves sont venus se plaindre de vos méthodes, Lydell, déclara-t-elle sérieusement. Je ne vous ai jamais vu enseigner, et je n'aurais pas la prétention de vous demander de les modifier, mais je désire m'entretenir avec vous sur le sujet.

Lydell sentit ses entrailles se glacer, devinant sans difficulté l'identité des protestataires. James Potter lui posait énormément de difficulté, et reprendre sans cesse son propre père en classe le tourmentait.

-Je ne me justifierai pas, l'informa-t-il calmement, mais je vous remercie de me prévenir. Vous savez comme moi qu'ils sont en sixième année et que la matière que j'enseigne est primordiale avec ce qui se passe au dehors.

Ce matin encore, la rubrique nécrologique avait doublé par rapport à la veille, et quelques annonces pour des disparus s'étalaient en gros caractère sur la Gazette.

-La plupart d'entre eux doivent mûrir.

-Je suis entièrement de votre avis, intervint une voix avec un léger accent.

Thandruil prit place à la table, et le professeur McGonagall pinça les lèvres. Tous deux ne s'entendaient pas pour une raison qui échappait à leur collègues. Le regard entre gris et vert de l'homme s'était fixé sur Lydell de façon équivoque. L'allusion à l'altercation qui s'était produite la veille dans son cours était évidente. Le jeune homme regarda discrètement sa montre, se refusant à discuter de l'événement avec ce professeur, qui représentait un danger autant pour leurs secrets que pour son contrôle dans le moment présent. Lorsque le récit lui avait été conté la première fois, Lydell avait été confronté à la séparation entre la vie privée et la vie professionnelle avec un parent officiel dans le château. Il connaissait pertinemment le point de vue de James sur ses cours, mais qu'il s'en prenne ainsi à son neveu, à ce garçon qu'il aimait plus que tout avait fait naître une sourde colère, et plusieurs professeurs avaient dû le résonner, tandis que les conseils de Regulus pour gérer ses émotions revenaient le hanter.

-Avez-vous aperçu votre neveu depuis ?

-Je l'ai pris avec moi, répondit Lydell avec une distance glaciale.

Thandruil ne s'en émut pas, et parut soulagé.

-Hier a été une dure journée pour lui.

Il acquiesça sèchement d'un signe de tête.

-Êtes vous sûr que Poudlard est le meilleur endroit pour Asellus ? l'interrogea soudain la directrice des Gryffondors.

Lydelle encaissa difficilement l'intervention, et il inspira plusieurs fois avant d'être à-même de répondre. Minerva s'était toujours montrée tolérante.

-Il est mieux avec moi qu'ailleurs.

Sa voix se faisait menaçante, il s'incita au calme. L'injustice de la situation risquait de lui faire perdre le contrôle de ses nerfs déjà à vif. Certains jours, il rêvait à laisser tomber la mission et le monde, à retourner près des siens.

Auprès de Fleur, de son époux et de son enfant. Auprès de Lucius, de sa présence presque paternelle. Auprès d'Isadora, Duncan et Emily.

Auprès de ceux qui ne le jugeaient pas perpétuellement. Là où Asellus, où Artemis était accepté pour ce qu'il était, et non catalogué comme malade mental et lui comme tuteur d'un enfant handicapé. Moins que tout le reste cette situation était supportable. Asellus avait vécu avec ses pouvoirs et son autisme, et il était différent, mais on ne lui demandait pas de se briser pour rentrer dans un moule.

Nul ne leur demandait d'oublier la guerre et les horreurs, de relativiser. Nul ne le prenait en pitié, ne tentait de l'aider parce qu'il avait vécu des choses qui dépassaient l'entendement.

Lydell se sentait sur le point d'exploser, et il doutait de parvenir à enfouir tout ceci pour vingt-sept ans encore, ni même jusqu'aux vacances.

Ses nerfs à vif le rongeaient peu à peu, la situation l'insupportait et il réalisa soudainement que le plus dur ne serait peut-être pas de mener à bien leur mission.

o°o°O°o°o

James appréhendait le dernier cours de Défense Contre les Forces du Mal. D'une part, cela signifiait revoir Asellus et s'excuser -les trois autres refusaient de le lâcher avec ce fait-, d'autre part, il ferait face à Lydell Moulin après avoir blessé son protégé, et sa frustration était toujours si présente qu'il doutait de pouvoir se contenir.

Il n'avait, par ailleurs, pas exactement fini l'essai qu'ils devaient rendre, et il dut sacrifier la moitié de leur pause déjeuner à la bibliothèque, moins loin que leur salle commune. Peter l'accompagna, désireux de faire quelques recherches pour le cours de métamorphose. Il se mit à sourire en apercevant la chevelure flamboyante de Lily entre les étagères, et entraîna son ami à l'une des tables d'où il pouvait l'apercevoir. Le jeune homme grogna lorsqu'il se rendit compte que Snape accompagnait la Gyffondor. Malgré les insultes, les coups bas et son penchant pour la magie noire, en plus de son physique ingrat, Lily gardait son amitié avec le Serpentard. Il se demanda aussitôt comment l'atteindre sans froisser la jeune fille.

-Je vais chercher un livre, murmura Peter.

-Donne un coup de pied à Snape en même temps, grogna-t-il.

-Non merci. Je préférerais éviter les foudres de Mrs Pince.

James rumina quelques secondes puis sortit ses affaires et sentit le découragement l'envahir lorsqu'il constata qu'il lui manquait au moins la moitié des centimètres demandés. Il trempa sa plume dans l'encrier et réfléchit. Les Avantages... Plusieurs cibles, naturellement, plus d'endurance, pouvoir se couvrir mutuellement... tout cela n'était que de la théorie, mais en argumentant, il pouvait aisément obtenir dix centimètres de plus, puis les inconvénients et une conclusion. Avec l'envie de retrouver au plus vite Sirius et Remus, l'étudiant grava les premières lettres. Peter revint un instant plus tard, et les deux garçons travaillèrent en silence jusqu'à ce que James sente l'odeur de Lily et l'air sur son visage.

-Salut Evans, lança-t-il négligemment.

-Potter, répondit-elle avec un hochement de tête.

-Tu vas en cours ?

Elle s'arrêta enfin, Snape derrière elle.

-On allait prendre l'air dans le parc avant le cours. J'ai besoin de me changer les idées, je ne suis pas sûre que les exercices de Moulin soient très bons pour mon moral.

La façon dont le « On » incluait Snape, avec une évidence et une affection particulière le firent autant grincer que la suite.

-Il risque de nous terroriser les premières années, siffla-t-il entre ses dents, en plus de tous nous déprimer.

-Ses cours sont très noirs, lui accorda Peter sans cesser de prendre des notes.

Une exclamation méprisante sortit de la bouche de Snape, et James le fusilla aussitôt du regard.

-Quoi ? Pas aussi noirs que les arts que tu pratiques, c'est ça ?

-Potter ! s'écria Lily, soudain glaciale.

-Arrêtes de te voiler la face ! répliqua-t-il, ulcéré, envoyant valser son parchemin. Snivellus est un adepte de la magie noire, et il méprise...

-Je suis assez grande pour décider de mes fréquentations, et je ne crois pas que tu aies jamais eu ton mot à dire sur elles, ni que tu en aies jamais le droit !

Sa voix était très calme, contrairement à la sienne, une colère froide comme elle les maîtrisait si bien. Mrs Pince déboula soudainement, les rougies rougies par la colère.

-Ceci est une bibliothèque ! brailla-t-elle. Dehors ! Tous autant que vous êtes ! Laissez les autres travailler.

James fourra ses affaires dans son sac alors que Lily et Snape s'éloignaient sans rien ajouter. Peter partit remettre les ouvrages à leur place, puis lui emboîta le pas en direction de la salle de cours. Le jeune homme ne décolérait pas et son ami jugea plus prudent de se taire. Ils arrivèrent devant la porte et s'assirent, conscients qu'il leur restait un bon moment à attendre avant le début du cours.

L'adolescent repassa la scène dans son esprit, s'interrogeant sur ce qui avait rendue Lily si méprisante alors qu'ils avaient entamé une conversation banale, et décida que la faute en incombait à Snape. Tout avait basculé à son intervention.

-Elle devrait vraiment s'éloigner de ce minable.

Il se lança en récrimination contre son ennemi, sourcils froncés, poings fermés, se déchargeant sur la personne ignoble qu'il était.

-Il est l'ami d'Evans, James, le raisonna Peter. Elle ne prendra jamais ton parti contre lui.

-Il lui empoisonne la vie, répliqua-t-il vertement.

Son ami retomba dans le silence et s'employa à changer la couleur de ses sourcils, épuisant assez rapidement la gamme de l'arc-en-ciel. Des bruits de pas captèrent leur attention, et leur professeur surgit devant eux, provoquant de nouveaux grognements chez le jeune homme.

-Bonjour, les salua-t-il avec l'usuelle distance qui était sienne.

Peter répondit poliment mais James le snoba ostensiblement. Bien évidemment, Moulin passa outre.

-Puisque vous êtes là, pourriez-vous m'aider à déplacer les tables ? Le cours d'aujourd'hui sera pratique.

-Ô joie, marmonna le jeune Potter.

Moulin ouvrit la salle, posa ses affaires et sortit sa baguette, commençant à faire s'empiler les tables, aidé de Peter. De mauvaise grâce, James disposa sur le sol un certain nombre de coussins. L'homme jeta un coup d'oeil à la porte ouverte puis se tourna vers le jeune homme.

-Ecoutez, James, considérons pour quelques minutes que je ne suis pas votre professeur.

-Désirez-vous que je sortes, monsieur ? s'enquit Peter.

Ce qui n'était qu'une marque de respect parut lâche à James. Moulin le considéra un instant, et les deux garçons virent passer dans son regard une lueur déconcertée, beaucoup trop présente lorsqu'il s'adressait à Peter. Les notes du Maraudeur était moins hautes que les leurs, il paraissait moins populaire, moins beau, plus effacé, mais il cimentait leur groupe et les trois autres ne supportaient pas les préjugés sur lui, les a priori sur sa personnalité qui se révélait très intéressante une fois qu'il était à son aise.

-Non, restez si vous le voulez, Peter, je ne veux pas de quelque chose d'officiel. James... Faites attentions à la portée de vos mots.

-Vous parlez de votre neveu ? répliqua-t-il aussitôt.

Moulin ne se départit ni de son calme, ni de son détachement et James serra les dents.

-Pas uniquement.

-Monsieur, puisque vous n'êtes plus mon professeur pour le moment, sachez que je considère que nos cours de Défense sont beaucoup trop noirs, que votre discours est insupportable, insoutenable pour nombre d'entre nous, que vos attentes sont trop hautes et que vous êtes paranoïaque.

Il s'enflammait, et Peter posa une main sur son épaule pour l'avertir qu'il allait trop loin. L'homme resta de marbre, l'ombre d'un sourire passa sur son visage, et il dévisagea l'élève avec un sérieux qui n'était pas dénué d'intérêt. James constata avec surprise qu'il se sentait soulagé.

-Bien. Je sais que vous êtes en désaccord avec moi.

Il inspira profondément, et ce calme surnaturel réveilla la fureur endormie depuis peu chez l'adolescent.

-Et vous n'en avez rien à faire ? cracha-t-il.

Le regard émeraude de Moulin s'assombrit, et le cœur de James manqua un battement tant il eut l'impression que Lily le dévisageait avec cette froide distance indifférente. Il se sentit perdre de sa superbe.

-Ne croyez pas que je considère vos avis comme impertinents. Néanmoins, ce que vous jugez inutile et désagréable n'est qu'une réalité qui vous aveugle et que par lâcheté vous refuser d'accepter. D'autres m...

Il s'interrompit soudainement et James fut frappé par l'épuisement qui s'empara de lui, par ses cernes qui descendaient trop bas sur ses joues trop émaciées, par les vêtements moldus qui tombaient toujours mollement sur son corps décharné.

-Pardonnez-moi, James. Vous n'avez que seize ans, et la guerre n'est pas encore là.

La phrase parut martelée, comme s'il tentait de se convaincre lui-même.

-Monsieur, pouvons nous vous aider ? demanda maladroitement Peter.

Un filet de sueur recouvrait son front, et il paraissait soudain fragile. James réalisa qu'il n'avait que quelques années de plus qu'eux, et que son adolescence avait du être entachée de force par la guerre. Il n'avait pas eu de chance, car il était né là où elle se trouvait.

-Merci, Peter, ça ira. Entrez, lança-t-il par dessus son épaule aux filles de Serdaigle qui se tenaient devant la porte.

Il sourit à James, un sourire étrangement chaleureux, et regagna son estrade, de nouveau distant, comme si la discussion n'avait pas eu lieu.

Sirius et Remus les rejoignirent peu à près, se glissant de chaque côté.

-Tu as eu le temps de finir ? glissa son meilleur ami.

James jura, mais Asellus Nere apparut au même moment, pâle, hagard, dans un balancement prononcé, et il ne se calma que lorsqu'il aperçut Moulin. Il se figea devant l'état de la salle. Le professeur s'approcha de lui pour lui parler, prenant garde à ne pas le toucher. Nere s'installa sur le coussin le plus proche de la fenêtre puis adressa une grimace à son oncle. Sirius planta un coude entre les côtes de James.

-Je vais y aller, s'irrita-t-il.

Il se leva, trop conscient des regards posés sur lui, et alla s'asseoir sur le coussin près du garçon, qui cligna ses yeux clairs et respira profondément.

-Je t'effraie ? s'étonna James, sentant une pointe de remords naître en lui.

-Non. Pas toi. Tu n'es simplement pas à ta place.

La respiration hachée couplée à la voix monocorde donnait un résultat perturbant.

-Oui, bon. Ecoutes... Je tenais à... te présenter mes excuses.

La scène se rejoua dans son esprit, et il se demanda à quel point Sirius pouvait réellement lui reprocher une violence immérité.

-Me présenter tes excuses ? Comment peux-tu me les présenter ? Elles sont... écrites ?

Le jeune homme plissa les yeux devant les questions agressives et se braqua.

-Il te faut des excuses écrites pour les accepter ?

-Non.

-Alors quoi ?

Il ne comprenait pas le flot désordonné de l'autre adolescent, Asellus ferma les yeux, et lorsqu'il les rouvrit, ils paraissaient plus vifs.

-Présenter ses excuses. Demander à quelqu'un d'accepter ses excuses. D'accord. Je les accepte.

James éprouvait la désagréable sensation de se trouver face à un petit garçon, alors que les cheveux blancs contrastaient, se rattachant plutôt à un vieillard. Il gonfla les joues, expira et essaya de se reconcentrer.

-Mes remarques étaient... Oh, je voulais te faire réagir ! Pourquoi est-ce que tu ne te rends pas compte de ce qui se passe autour de toi ? Tu agaces les autres, et tu es renfermé dans ton passé...

-Potter.

Une voix sur laquelle il ne put immédiatement mettre de nom s'ajouta à une présence menaçante, et il leva les yeux sur le préfet des Serdaige.

-Je ne peux pas me rendre compte, répondit mécaniquement Nere.

-Tu n'es pas forcé de lui répondre, Asellus.

-Il ne me force pas.

Le préfet ferma les yeux un instant, sans jamais se départir de sa sérénité, mais James sentit nettement l'accusation lorsqu'il se tourna vers lui.

-Tu n'avais pas à prendre sur toi de te faire un quelconque porte-parole, Potter.

La porte se referma, et tout le monde se tut aussitôt. Le souvenir du premier cours demeurait incroyablement vivace dans l'esprit du groupe, et le préfet s'assit à côté de James, qui comprit qu'il devrait passer le cours loin des Maraudeurs. Il se renfrogna.

-Posez vos essais sur mon bureau maintenant ou en fin de cours, déclara Moulin, mais pas entre. Nous allons commencer la pratique. Durant le deuxième semestre nous travaillerons sur les duels, ce qui signifiera bien plus de pratique, des exercices sur des maléfices en dehors des sorts, et un parchemin sur le même sujet que ce dernier devoir, qui devra avoir évolué.

Il paraissait bien plus à l'aise qu'à ses débuts, posait sa voix et dévisageait l'assemblée avec assurance.

-Aujourd'hui, je vais vous donner un aperçu de quelques modes de duels, ceux auxquels vous pourrez être confrontés le plus couramment. Proposez moi des exemples.

Les réponses fusèrent, Moulin hocha la tête, commenta, rajouta des informations, et James se demanda à quel moment ils allaient passer à une partie pratique. Enfin, l'homme sortit sa baguette, et chaque élève dégaina immédiatement la sienne, prêt à se défendre.

-Bien ! approuva-t-il.

Comment pouvait-il aimer cette atmosphère de terreur qui régnait dans sa classe ? Les jointures du jeune Potter devinrent blanches sur son artefact magique.

-Je voudrais deux volontaires pour un affrontement à un contre un.

Le terme utilisé fit grincer des dents l'adolescent. Bagnold fut la seule à lever la main sans hésiter, puis le préfet assis à la gauche de James.

-Kamal, Milicent, au centre. Pas de salut, vous commencez dès que j'ai fini de parler, l'affrontement s'arrête soit quand l'un de vous est hors d'état de nuire, soit quand il abandonne par les mots ou en frappant le sol de la paume. Tous types de sorts permis.

La jeune fille fut la plus réactive.

-Expelliarmus.

-Protego !

Le bouclier absorba le sort, et la préfète renchérit d'un stupéfix. Ce fut un classique duel de couloirs entre adolescents, avec quelques tentatives qui firent hoqueter certains élèves, tel qu'un Incendio de la part de la jeune fille ou un Diffindo de celle de son homologue. Finalement, l'adolescent mat l'emporta en lui flanquant un coup de poing dans le nez qui la prit par surprise avant de la ligoter sur le sol.

-Se battre à la moldue est indigne ! cria une Serdaigle.

Moulin s'agenouilla auprès de la perdante, arrangea son nez d'un coup de baguette et l'aida à se relever. Il se tourna dangereusement vers l'auteur de l'intervention.

-Vraiment ? Pourquoi ?

-Nous sommes des sorciers, pas des barbares.

James grimaça devant ce discours et l'expression du professeur. Elle risquait d'avoir déclenché une nouvelle diatribe, qu'il n'était pas sûr d'apprécier, quand bien même il serait d'accord avec l'homme.

-Des barbares ? Dites-moi, Elisa, les moldus sont les inventeurs de l'imprimante grâce à qui vous avez accès à des livres en aussi grand nombre. Est-ce une méthode barbare ?

La jeune fille rougit. Moulin se tourna vers les deux duellistes et les complimenta, désigna leurs défauts, donna des conseils. Puis il se tourna vers son neveu qui se leva, semblant savoir ce qui allait suivre.

-Dorcas... Sirius.

Les deux concernés échangèrent un regard de défi puis se levèrent. James reconnut les signes d'une excitation retenue chez son meilleur ami. Ses yeux pétillaient, son pas était rapide et ses gestes plein d'énergies.

-Vous ferez équipe contre Asellus et moi.

La jeune fille écarquilla ses grands yeux sombres, puis leva une main brune.

-Vous allez nous massacrer.

-Non. Nous allons vous montrer comment fonctionnent les duels en duos. J'arrêterais moi même le duel à moins que vous nous ayez vaincus. Je demande aux spectateurs d'observer. Vous êtes tous deux parfaitement capables de m'affronter, mais votre travail sera de trouver comment combattre ensemble.

Il se tourna vers les élèves assis.

-Le travail sur les duels en binôme sera très différent des affrontements à un contre un. Vous devrez apprendre à entrer en symbiose avec l'autre, à le protéger en même temps qu'il vous protège, à prévoir mouvements et réactions, et à ne pas laisser l'orgueil prendre le dessus.

Puis le combat commença, et les notions ésotériques devinrent aussitôt compréhensibles.

Dorcas et Sirius se tenaient à l'écart l'un de l'autre, quand Nere et Moulin se placèrent côte à côte et que leurs épaules se frôlèrent. James s'étonna sur l'absence de réaction du garçon, avant d'envisager que leur lien de parenté et haut niveau d'intimité aient dépassé la frontière du contact. Moulin murmura quelque chose à son neveu, et celui-ci se redressa, un peu inquiet et mal à l'aise.

Sirius lança la première offensive, d'un impedimenta puissant. Moulin invoqua un bouclier de sa main droite et dévia le sort violet, qui alla s'écraser contre le mur. Dorcas en profita pour tenter une percée par la droite avec le maléfice du saucisson. Et un ballet s'engagea plutôt qu'un duel.

Un cri empli la salle, surprenant, animal. Moulin se baissa en même temps que Nere.

-Incarcerem !

Sirius sauta à pieds joints, évitant le sort sans difficulté, mais Nere s'était relevé et son Lumos aveugla les deux participants. Dorcas partit de l'autre côté, et les deux réfugiés furent en encerclés, mais se tournèrent sans se concerter, pour se retrouver dos à dos. Ils se baissaient à l'unisson, le bouclier de Moulin tenait, et Nere et lui inversaient leur position sans un mot, permettant d'attaquer, de prendre à revers et par surprise. Ils n'agissaient qu'en défense mais paraissaient communiquer par la pensée, et le terme de symbiose trouva une superbe illustration.

Quand Sirius et Dorcas voulurent changer de stratégie, Nere roula au sol pour se relever sans difficulté aucune, Moulin prit un coup dans les jambes mais se releva en utilisant exactement la même technique.

Sirius bondit sur le bureau, puis sur Nere, qui se trouvait dos à lui, occupé à aveugler Dorcas, mais il s'écarta sans un regard en arrière et Sirius chuta au sol avec un bruit sourd. L'un des deux aurait pu l'attaquer mais ils n'en firent rien, et James comprit qu'ils auraient pu remporter le combat en quelques secondes. Une sourde angoisse naquit dans son ventre. Lydell Moulin, calme et distant avec ses longs cheveux attachés et son visage de marbre avait une allure terrifiante, et Asellus Nere, d'ordinaire maladroit et fragile, se mouvait avec une fluidité exceptionnelle et paraissait dangereux. Leurs corps rompus à des exercices mortels enduraient sans paraître même se rendre compte des sorts, lorsque ceux-ci parvenaient à les toucher, ou les effleuraient. Ils ne pensaient pas quand Sirius et Dorcas réfléchissaient et se consultaient, se bloquaient l'un l'autre. Ils ne formaient qu'une unité de combat, magnifique, dangereuse, puissante. Sans que nul ne parvienne à comprendre comment, Sirius et Dorcas furent acculés séparément, et désarmés de deux attaques provenant de Moulin à quelques secondes d'écart.

L'homme signala la fin du combat, et James se sentit de nouveau respirer. Dorcas et Sirius ruisselaient de sueur, leur respiration sifflante s'entendait dans le silence de mort de la salle, et Nere et Moulin se tenaient face à eux dans une posture qui les fit frissonner. Le garçon regagna sa place, et James vit ses prunelles bleues plus vives et alertes que jamais encore. Il paraissait enfin vivant.

Il paraissait vivant alors qu'il venait de démontrer que ces combats lui servaient pour ne pas mourir. Le choc fut un coup au diaphragme. Ils avaient vécu la guerre, et ils ne pourraient jamais l'oublier.

Jamais.

Elle était ancrée en eux, ferait partie de leurs souvenirs, de leurs acquis, d'une sorte de douleur peut-être.

James s'affala, écoutant les remarques de ses camarades, les retours du professeur, durs, envers les trois élèves. Durs mais justifiés.

L'amertume de sa frustration s'évapora pour laisser place à l'envie. Si Moulin pouvait leur apprendre à se battre avec autant de puissance, autant de fluidité, alors il accepterait ces cours avec joie, peut importait le nombre de discours.

Il sentait le challenge et l'adrénaline affluer dans ses veines. Il s'agissait d'un défi, qui le pousserait au delà de ses limites.

o°o°O°o°o

Le cours se termina pour Harry au bord de la nausée. Ses élèves étaient lents, maladroits, désireux de bien faire mais sur un champ de bataille, aucun d'entre eux n'aurait survécu. Il dut se rappeler que le camp d'en face avait dû s'entraîner des années durant également, et admettre que les sortilèges utilisés avaient connu une importante évolution. Les humains peuvent se montrer créatifs lorsqu'il s'agit de guerre. Il revoyait chacun des enfants à qui Amelia Bones avait enseigné et sa gorge se nouait.

Néanmoins, chaque personne de ce cours possédait des qualités et un potentiel qu'il devait trouver et évaluer. Il les laissa partir en leur souhaitant de bonnes vacances. La pile de copies sur son bureau s'épaissit. La classe se vida peu à peu, mais Kamal Idriss s'attarda. Une fois que tout le monde fut sortit, il s'approcha du bureau de l'homme.

-Je voudrais vous parler de votre neveu, professeur Moulin déclara-t-il calmement.

Lydell s'alarma aussitôt, et se leva pour aller fermer la porte, lui indiquant au passage de s'asseoir. Il jaugea le préfet du regard.

-Je suis inquiet, commença l'adolescent sans se départir de son calme presque surnaturel. L'état d'Asellus se dégrade de semaines en semaines.

L'ancien meneur l'avait remarqué, mais il ignorait toujours si le Serdaigle était venu par devoir, inquiétude, ou porte parole, auquel cas Filius Flitwick aurait été plus indiqué.

-Monsieur, lança Kamal un peu plus fort. Lorsqu'il est arrivé, Asellus était traumatisé par la guerre, asocial et dans son monde, mais il n'en était pas moins un jeune homme. Aujourd'hui, j'ai l'impression de faire face à un enfant plongé dans son monde imaginaire. L'amitié qu'il partage avec Pandora Newmoon n'y est peut-être pas étrangère, mais je suis inquiet, et les autres n'ont pas autant de tolérance.

L'esprit acéré du jeune homme surprit son professeur, qui se promit de se renseigner auprès de ses collègues. Il paraissait mûr, réfléchi et responsable, et il comprenait le choix qui avait été fait de le nommer préfet.

-Qu'entendez-vous par faire face à un enfant ? s'enquit-il, alerte.

Il avait remarqué que l'état physique de son ami ne s'améliorait pas, quand lui-même avait réussi à reprendre quelques kilos insuffisants. En revanche, aucune crise majeure ne s'était déclenchée, et lorsqu'il le rejoignait en fin de semaine, Asellus paraissait éteint quoique alerte. Lydell se fustigeait toujours de l'avoir emmené à Poudlard, mais leur mission l'exigeait.

-Il répond par des phrases simples, à côté, ne comprend pas les figures de styles mais ne comprends pas non plus les codes sociaux, à un point qui n'était pas là au début de l'année. Je l'ai entendu discuter avec James Potter, et croyez moi, au début de l'année, il aurait réagi autrement, pas avec ce manque de compréhension. Il se balance sans cesse, ses mains bougent... Je n'ai plus d'exemple particulier en tête, j'aurais du les noter... Il est perturbé au moindre changement dans sa routine.

-Par...

Lydell ravala l'exclamation et la tentation de froisser tout ce qui se trouvait devant lui rageusement. Il reconnaissait dans le discours du préfet les comportements affichés par Artemis alors que lui et Arcturus avaient débarqué au Square Grimmaud. Les progrès que l'enfant avait fait au fil des années étaient impressionnants, et ce retour en arrière indiquait un sérieux problème.

-Depuis combien de temps est-ce ainsi ?

-Je l'ignore, monsieur... Asellus a toujours été étrange, mais les Serdaigle acceptent les individus qui se démarquent relativement facilement.

L'homme inspira profondément.

-Je vous remercie Kamal. Asellus est particulier.

-Je l'avais compris.

Un léger sourire s'inscrivit sur le visage mat du jeune homme.

-Mais il semble trop plongé dans son monde ces derniers temps.

Lydell acquiesça. Il allait devoir travailler avec son neveu durant les vacances de Noël. L'éloignement lui ferait du bien. Il devrait le sortir de ses rituels avant qu'ils ne prennent trop de place et qu'il ne sombre dans son esprit.

-Merci, Kamal.

Le Serdaigle demeura immobile.

-Certains l'insultent, et parlent de débile mental. Mongol, chez certains nés-moldus.

Une rage peu familière naquit dans le creux des tripes de l'homme, brûlante, pas surprenante, bouillonnant. La question sous-jacente ne lui échappa pas, mais il comprit sans difficulté qu'il s'agissait également d'une information que le préfet lui donnait parce qu'il ne supportait pas ces brimades.

-La tolérance devrait être au programme de toutes les années, répliqua-t-il entre ses dents, se refusant à céder à la fureur devant cet adolescent qui paraissait foncièrement inquiet.

Un sourire désabusé s'élargit sur le visage du garçon mat.

-Je crains que même les adultes n'en manquent, professeur.

Sur ce, il se leva, et Lydell le suivit, prenant la pile de copies au passage.

L'agitation ne l'avait toujours pas quitté lorsqu'il survint dans la Grande Salle pour le dîner. Il s'assit entre Silvanus Brulôpot et Pomona Chourave avec une force peu coutumière, et ses voisins lui jetèrent un regard surpris. Lydell focalisa son attention sur son neveu, qui entra aux côtés de Pandora et s'assit à l'exact même place que d'ordinaire, excepté la veille. Il ferma les yeux. Asellus était perdu, il s'était raccroché à ce qu'il pouvait. Son ventre se noua et il regarda les plats passer devant lui sans y toucher.

-Vous devriez manger, Lydell, l'enjoignit sèchement Silvanus. Vous n'avez pas besoin de vous affamer davantage.

-Je crains de ne pas pouvoir y parvenir, grinça-t-il.

-Vous êtes inquiet pour Mr Nere, devina Pomona avec sa compassion naturel.

-Je voudrais discuter avec vous, Horace, Minerva, Albus et Filius, décréta-t-il de but en blanc.

Il n'avait jamais eu à gérer la particularité d'Asellus comme une maladie, mais l'époque et le contexte avaient changé, et, pour le bien de son neveu, peut-être devraient-ils désormais prendre des mesures. Il s'interrogea intérieurement sur ce qu'aurait voulu Regulus pour son fils.

La pensée de Regulus réveilla une douleur beaucoup trop présente depuis le début du trimestre dans sa poitrine. Il verrait le garçon en cours le lendemain, et, comme chaque fois depuis son arrivée, s'efforcerait de ne pas penser à lui en tant que Regulus. Les sensations étaient pires encore que lorsqu'il s'agissait de ses parents et de ses proches. Regulus et Severus étaient des questions qui le torturaient et le tenaient éveillé sans même qu'il ait à cauchemarder.

Il donnait son cours aux cinquièmes années de Serpentard et Gryffondor en première période le jeudi matin, et ne parvenait jamais à se résoudre à se glisser sous ses couvertures la veille. Comme chaque mercredi, il s'assit et consulta les croquis réalisés par Asellus. Il songea à ce qui avait été accompli depuis le début du semestre. Aucune de leurs actions n'avaient encore pu changer le cours du temps. Aucun lien durable n'avait été construit.

Il leur restait vingt-sept ans, mais vingt-sept ans plus tard, Harry Potter et Artemis Black avaient disparu, et son esprit dériva sur l'hiver 2003, sur ceux qu'il avait laissé derrière. Avaient-il pu survivre, ou tous étaient-ils tombés de sorte qu'ils ne sentiraient de toute manière pas les changements lorsque ceux-ci surviendraient ? Sa bougie s'éteignit. Il en alluma une nouvelle, tentant vainement de ne pas laisser son esprit dériver sur Regulus Black. Il finit par s'obliger à aller dormir, et se réveilla quelques heures plus tard, en sursaut et en sueur.


Les cinquième années de Serpentard donnaient du fil à retordre à tous les professeurs, à l'instar des années supérieures, tant l'atmosphère qui régnait dans cette maison était sombre à cette époque, due à certains éléments. Dans le cours de Lydell, Regulus et Bartemius Croupton n'avaient pas l'essence de meneurs, mais il devinait leur répugnance à ses discours tolérants, plein d'avertissements, qu'il s'efforçait de refréner devant eux. Il savait que Regulus venait d'obtenir le titre d'Héritier des Black, suite au reniement de son frère aîné, et il avait appris à interpréter si bien son mentor que ses mimiques adolescentes plus simples ne lui posaient aucune difficulté. Le garçon à peine sortit de l'enfance regrettait l'absence du frère aîné qu'il aimait malgré lui, et lui tenait rancune de l'avoir abandonné. Il arborait fièrement le titre d'hériter et défendrait sa famille quoi qu'il arrive, mais Asellus et Lydell craignaient de le décourager de rejoindre Voldemort.

Et c'était précisément le point qui tourmentait Lydell. Il n'en avait jamais discuté avec son partenaire de mission, mais ils devraient aborder le sujet lorsqu'ils seraient tous deux accoutumés à leur nouvelle vie.

Il géra un conflit inter-maisons avant de faire entrer les élèves en classe, et prit garde à ne poser son regard sur aucun d'entre eux.

-Bien. Au deuxième trimestre, nous aborderons la catégorie des maléfices avancés et impardonnables.

Un murmure excité se répandit dans la classe, et ses prunelles vertes se posèrent par erreur sur Bartemius. Les yeux pâles du garçon pétillaient d'avidité, et dans son esprit surgit aussitôt l'image de Frank et Alice Londubat. Sa gorge s'assécha.

-Nous commencerons par les impardonnables. Je voudrais que vous choisissiez l'un d'entre eux pendant les vacances, par deux, et prépariez un exposé à présenter devant vos camarades pour le treize janvier. Qui peut me donner les différents impardonnables ?

Une fois que les protestations se furent dissipés, quelques mains se levèrent, celle de Regulus en premier. Lydell s'obligea à poser son regard sur lui.

L'adolescence se montrait ingrate. Il était encore petit et frêle, malgré un maintien impeccable, et ses traits aristocratiques n'arboraient pas encore la finesse et la beauté de son âge adulte. Seuls ses yeux argentés se détachaient de son visage assez banal à la peau grasse. Ses cheveux coupés courts n'arrangeaient pas cette impression.

-Regulus ?

-Avada Kedavra, monsieur.

Le cœur de l'homme manqua un battement, mais il inscrivit la formule au tableau.

-Son réel nom est le sortilège de la mort.

Il ne donna pas plus d'informations, les élèves devraient les trouver eux mêmes. Passée cette répartition d'exposé, il avait décidé de consacrer la séance aux révisions, à juste titre, déduisit-il en entendant les murmures se multiplier. Leur esprit était tourné vers Noël. Il aurait désiré que le sien le soit aussi.

Il ne voyait que Regulus, dans cette salle de classe. Regulus, qu'il ne pourrait détourner de son chemin. Il fallait qu'Artemis Black naisse, et cette pensée lui permettait de résister à la volonté de l'avertir.

Il se dirigea vers le bureau d'Albus Dumbledore avec détermination. Il prendrait soin du fils de son mentor, de ce garçon avec qui ses liens étaient devenus fraternels, parce que son mentor était devenu un père.

o°o°O°o°o

Le bureau de Dumbledore demeurait égal à la dernière fois qu'Asellus y avait pénétré. En revanche, il se trouvait cette fois entouré de beaucoup trop d'individus, il était, de surcroît, le centre de l'attention, et la confusion et le malaise qui régnaient en lui risquaient de faire naître une nouvelle crise.

Le directeur le fixait avec attention, mais ses barrières étaient prêtes et Dumbledore, désormais prévenu, protégeait son esprit. Ceux des quatre autres directeurs de maison, en revanche, interféraient avec son espace. Lydell se trouvait à sa droite, présence se voulant rassurante mais aussi tendue que les autres.

-Asellus, commença le directeur avec sérieux.

Il émanait de lui calme, sérieux et sens du devoir. Le garçon s'y raccrocha, car il était le plus stable de la pièce.

-Comment s'est passé ton premier semestre ?

Le garçon laissa les réponses affluer, ne désirant que se retrancher dans son esprit, son monde serein.

-Je ne supporte pas les esprits des autres élèves et je ne parviens pas à distinguer mes sentiments des autres. Je souffre. Pandora est une notion stable.

Il sentit une vague de compassion et de culpabilité et regretta aussitôt ses mots. Il se sentait perdu, prêt à sombrer dans un autisme profond qui lui serait peut-être salvateur. Il tenait à sa mission pour Lydell, mais il ignorait pour combien de temps.

-Asellus, tu dois te reprendre, lança Lydell avec fermeté. Tu as perdu tes repères mais tu étais parvenu à trouver d'autres moyens en tant de guerre, et tu avais gagné une importante maturité.

Il s'en souvenait à peine, perdu dans les brumes.

-Je ne te laisserais pas partir, Asellus, le menaça l'homme. Nous sommes ici pour trouver des solutions adaptées.

Lydell avait retrouvé le sens pratique qui faisait de lui un excellent meneur. Une étincelle de joie naquit dans le cœur du garçon.

-Tu ne m'en as pas parlé avant, lui reprocha-t-il.

Il aurait eu tant de choses à objecter...

-J'ignorais à quel point tu avais régressé.

Les mots étaient durs, mais clairs, et Asellus les comprit aisément sans les prendre réellement mal, mais quelque part au fond de lui, la culpabilité commença à le dévorer.

-Nous allons faire de notre mieux pour que vous parveniez à passer vos dernières années d'études ici, lui assura Dumbledore.

-De la même manière que vous gérez les pleines lunes pour Remus Lupin.

-Oui.

Loin dans son esprit embrumé, quelque chose commença à se manifester. Asellus leva enfin les yeux et les plongea dans ceux, pétillants, du directeur, qui l'observait par dessus ses verres en demi-lune.

-Les autres élèves devront peut-être prendre connaissance des faits, l'avertit le vieil homme. Ils seront ainsi plus enclins à tolérer vos différences.

Une fureur bouillonante émana de Lydell, et Asellus se tourna vers lui par réflexe. Désarçonné, il tenta de mettre un mot sur ce que lui même ressentait depuis le début du trimestre.

-Je ne suis ni stupide, ni déficient mental, ni malade.

-Vous souffrez du Syndrôme d'Asperger, Asellus, lui dit gentiment le professeur Chourave.

Lydell bondit de son siège, et tous les regards se braquèrent vers lui.

Fureur.

Protection.

Sentiment d'injustice.

-Il souffre, effectivement, parce que sa magie agit différemment, et parce que les autres élèves sont intolérants. Maintenant, j'aimerais qu'il ne soit pas réduit à son autisme.

-Bien entendu, le coupa calmement Dumbledore. Rasseyez vous, Lydell, nul ne vous menace. Asellus, vous allez devoir trouver vos marques, et nous allons trouver des mesures qui puissent vous y aider. Il me semble que vous avez une montre, et que vous faites des emplois du temps que vous régler, parvenez-vous à vous y tenir ?

-Souvent.

Son esprit commençait à s'éclaircir, mais le processus était douloureux. Il réalisait abruptement qu'il s'était réfugié dans son esprit, parce qu'il ne pouvait pas supporter Poudlard. Il devait se ressaisir. Il avait été aux côtés d'Harry toute sa vie, l'avait aidé, épaulé, conseillé. Il était sa raison. Il devait revenir, plutôt que de demeurer dans les brumes.

-Je ne comprends pas les codes sociaux.

Les réponses affluèrent. Poser des questions, ne pas se forcer, s'informer, dévoiler la vérité. Ils recadrèrent les choses, lui donnèrent des réponses exactes, et une sorte de stabilité commença à s'installer. Il savait où il se trouvait, les circonstances et situations devenaient claires et fixes, et il pourrait se reposer dessus.

Il sentait ses facultés mentales, laissées en suspension pour se protéger, revenir.


Asellus passa son regard sur les détails de la salle commune. Il avait remarqué chacun d'entre eux, de l'emplacement des étoiles au plafond qui fluctuait en fonction de la rotation de la Terre à l'étagère érosée de l'une de bibliothèque, mais ils lui paraissaient désormais réels. Il se sentait ancré dans la réalité pour la première fois depuis Septembre. Et pourtant, ce fait l'effrayait autant qu'il le soulageait, car il ignorait s'il pourrait de nouveau fuir et retrouver sa quiétude, et si les conséquences seraient tout aussi désastreuses. Le travail accompli au fil des années reviendrait peu à peu, à présent que des repères avaient été rétablis. Les professeurs désiraient qu'il cesse de se poser autant de questions. Lydell savait qu'il ne le pourrait pas, mais il le surveillerait pour empêcher qu'il replonge aussi loin dans son esprit.

-Asellus ?

Le garçon leva les yeux vers Kamal, qui se jucha sur l'accoudoir du fauteuil azur où il s'était installé.

Interrogations.

Il aimait le calme très serein de son camarade, son absence de jugement et son esprit d'analyse.

-Comment te sens-tu ?

L'instinct pris durant ces derniers mois aurait voulu qu'il réponde « étrange », sans développer plus, mais il se força à faire un effort et à se concentrer sur l'interprétation du préfet, et à retrouver une partie de sa personnalité.

-J'ai l'impression d'être... hors d'un rêve ? hésita-t-il.

Kamal plissa ses yeux noirs.

Satisfaction.

Le sentiment surprit Asellus, qui capta aussitôt après le flash d'une conversation entre le préfet et Lydell.

-Les choses ne sont pas faciles pour toi, répondit lentement Kamal, mais certains peuvent le comprendre et t'aider.

Asellus ferma les yeux, déstabilisé par l'information, comprenant un peu mieux qui était Kamal Idriss. Il tenta de lui adresser un sourire.

-Le professeur Dumbledore et les directeurs de maisons se sont entretenus avec moi, indiqua-t-il.

-Cela t'a apporté de l'aide ?

-Je pense. Je verrais après les vacances de Noël.

Kamal hocha la tête, puis avisa Benjamin de l'autre côté de la Salle Commune. Son regard repassa sur Asellus.

-Une fois que les rumeurs sont ancrées, il est difficile de les déloger durant un moment, mais je ne tolérerai pas que l'on t'insulte de nouveau, est-ce compris ?

Asellus hocha la tête. Quelques jours plus tôt, il n'aurait probablement pas accueilli la phrase de la même manière, se demandant comment ils pouvaient déloger d'un endroit quelque chose d'abstrait, et désormais, cette simple pensée le rendit furieux contre lui-même. Il s'agissait d'une métaphore si évidente que la façon dont il s'était retranché en lui n'était que plus claire. Son regard s'assombrit dangereusement, et Kamal eut un mouvement de recul.

-Asellus...

-Je vais bien, le coupa-t-il rapidement. J'ai besoin de réfléchir.

Il se leva, vérifia que sa baguette se trouvait dans sa poche et traversa la Salle Commune dans le but de rejoindre le parc et le lac. Il avait besoin d'air.

L'air constituait une bénédiction, et les vaguelettes si familières du lac qui venaient s'échouer sur les rives du parc boueux un élément relaxant.

Son enfance avait été sombre, mais la partie la plus ingérable s'était paradoxalement déroulée avant la guerre. Ses familles d'accueil, incapables de gérer un autisme magique, même celles qui s'occupaient d'autres enfants qualifiés de difficiles, lui avaient apporté l'impression d'être stupide et indigne, malgré ses efforts quotidiens. Lorsque son père avait défoncé la porte des Elés pour l'emmener loin de cet enfer, il avait lu son dossier médical et toutes les notes annexes, avait fait des recherches et patiemment, lui avait appris à appréhender son syndrome d'Asperger, sa magie. Il lui avait prodigué un amour inconditionnel en toutes occasions, qu'Artemis lui avait rendu. Même alors que le Royaume-Uni s'effondrait morceaux par morceaux, le garçon n'était pas retourné en arrière, il s'était accroché, était devenu un jeune homme avec une personnalité propre qui ne se définissait pas autrement que par lui-même, avait accédé à d'importantes responsabilités au sein de l'Ordre et des Phénix.

A présent, il se fustigeait violemment de s'être laissé sombrer de la sorte. Lydell avait besoin de lui, leur mission portait littéralement le monde sur ses épaules.

Une farouche détermination commença à bouillir au fond de ses entrailles.

Il était de retour. Il ne se laisserait plus sombrer, il remonterait, et se construirait.

o°o°O°o°o

James finit de boucler sa valise avec un soulagement intense. Tous ses cadeaux, achetés pour la plupart lors de la dernière visite à Pré Au Lard, étaient empaquetés, ses vêtements plus ou moins pliés dans son énorme valise, et ses livres de classe, relégués au fond bien qu'il se doute déjà qu'il passerait les deux derniers jours de vacances à rédiger tous les parchemins qui lui étaient demandés.

Il s'assit sur le sol en soupirant. La frustration qui ne l'avait pas quitté depuis le premier cours de Moulin paraissait enfin évaporée au profit de l'excitation de l'enseignement qu'il pourrait tirer de l'homme. Il se doutait que ses discours l'insupporteraient toujours, mais il était désormais prêt à les endurer s'il pouvait un jour se battre de la même manière que Moulin le faisait.

-Tu dors déjà Cornedrue ? se moqua Sirius en lui envoyant une paire de chaussettes à la figure.

-Je profite du calme avant les fêtes, répliqua-t-il avec malice.

-A raison, lança Peter avec une taquinerie ostensible, tu vas devoir supporter tes deux parents et leurs amis durant une ou deux soirée, quelle horreur.

-Mieux vaut des amis et une tante acariâtre qu'une soirée mondaine chez les Blacks.

La remarque de Sirius, un peu trop amère, assombrit légèrement l'atmosphère.

-Moulin a raison, murmura Remus qui observait le parc enneigé depuis la fenêtre. Les choses changent.

-Remus, fiche nous la paix avec Moulin jusqu'en Janvier, veux-tu ?

Sirius soupira et Peter posa une main sur l'épaule de son ami, qu'il serra un peu trop fort en signe de réprobation.

-Ne t'en prends pas à Lunard, surtout que de nous quatre, il est celui pour qui Noël sera le moins drôle.

James réalisa que l'Ordre siégerait chez les Lupin, que les réunions ne s'interrompraient pas même pour la trêve des confiseurs, et que leur ami vivrait avec Moulin et Nere sous son toit. Quant à Peter, il serait entouré de toute sa famille mais d'aucun sorcier de son âge, ses cousins étant des moldus qui ne partageaient pas la connaissance du monde magique. Dans la grande maison familiale avec Sirius et une chambre chacun, il demeurait le moins bien placé pour geindre.

-J'aime Noël, d'habitude, répliqua-t-il, mais là...

Il lui en coûta de l'admettre, mais l'atmosphère avait changé. La magie de leur enfance et du Père Noël avait peut-être disparu, ou bien les récentes disparitions, les cours toujours plus noirs de Défense et le fait que deux de ses meilleurs amis n'aient plus de foyer propre modelaient sa perception.

Aucun des trois autres ne releva sa phrase en suspens.

-Puisque nous sommes tous prêts, autant descendre prendre l'air non ? commenta Peter d'une voix plus légère.

Les trois autres lui enviaient sa capacité à oublier les conflits sitôt que les derniers mots d'une phrase agressive avait été prononcés. Sirius balança ses derniers vêtements dans sa valise et bâcla la phase de bouclage, et Remus passa derrière James pour lui ébouriffer les cheveux.

L'adolescent esquissa un sourire mais leur emboîta le pas avec une énergie amoindrie. Il lui semblaient qu'ils se trouvaient dans une époque ou passer de la tension extrême à la joie était bien trop aisé. Une époque trop précaire.