Hello !

Vous n'y croyiez sans doute plus. (2021 en dernier update… désolée -_₋ ) Et, en effet, j'avais prévu que Sombres Rêves soit mis à jour avant… Mais j'ai ralenti un peu le rythme, cette semaine. Et j'ai donc eu le temps de corriger ce chapitre !

Si vous vous souvenez bien, Harry et Artémis sont arrivés de 2003 en 1976, ayant laissé derrière eux ruine et désolation. Ils sont désormais oncle et neveu, sous les identité de Lydell Moulin et Asellus Nere.

(Notons que, si c'était à refaire, je choisirai Moulin comme nom de famille pour tous les deux. Français, témoin de leur nom de famille et bon, on perd le « Noir » de Artémis Black, mais en soit…)

Bref !

Je tiens à remercier particulièrement Katymyny, qui a suivi les nouvelles que je donnais de cette histoire et a patiemment attendu que je puisse corriger. Merci pour tes compliments en commentaires. J'espère que cette suite sera à la hauteur de tes attentes !


Tout ce qui tremble et palpite

Tout ce qui lutte et se bat

Tout ce que j'ai cru trop vite

A jamais perdu pour moi

Que c'est beau, c'est beau la vie

- Jean Ferrat


Premier Trimestre 1977

Lydell expérimenta ces vacances là le bonheur d'être un professeur avec des copies à corriger. A l'instar des années où il avait été étudiant, il laissa les copies en attente jusqu'au dernier week-end, et passa deux jours et nuits à terminer ses corrections.

Revenir dans une maison relativement familière loin des élèves et des professeurs leur fit du bien, néanmoins. Asellus retrouva une lueur déterminée dans ses prunelles bleues, et ils réaffirmèrent les barrières occlumentiques et les moyens pour l'aider à surmonter la population de Poudlard. Les réunions avec l'Ordre du Phoenix ne diminuaient pas, et les nouvelles serraient chaque fois un peu plus le ventre de l'ancien meneur, qui revoyait sa fin d'adolescence marquant la montée de Voldemort au pouvoir.

Les deux réfugiés avaient conclu l'accord de laisser leur mission de côté durant les vacances et de se concentrer sur leur reconstruction, mais le temps oisif permit à l'esprit de Lydell de se remettre en question et de se tourmenter. Les Hocruxes qu'ils allaient devoir retrouver, le Basilic toujours vivant dans la Chambre, les morts, traîtres et blessés qu'ils côtoyaient chaque jour et dont ils devaient changer la destinée... Et sa hantise de réveiller trop tôt le lien entre Voldemort et lui, et cet Hocruxe qui battait comme un second cœur dans son être. Il savait que son neveu percevait les méandres de son esprit, et qu'il continuait malgré tout ses organigrammes afin de planifier pour anticiper.

L'homme se réveilla comme trop souvent aux alentours de quatre heures du matin en ce dernier jour de congé et s'installa à son bureau avec l'envie de repousser encore un peu la correction des devoirs. Il lut attentivement la première pile, puis ses pensées divergèrent, et quelques coups retentirent à sa porte. Lydell saisit sa baguette avant d'indiquer que le visiteur pouvait entrer. Asellus se faufila dans la chambre, et le jeune homme le considéra avec fermeté.

-Tu dois dormir jusqu'à sept heures, lui rappela-t-il.

Le garçon soutint son regard.

-Je sais, mais mes horaires de sommeil n'ont jamais été fixes.

Son oncle de circonstance le considéra dans la pénombre et remarqua que ses joues, bien que creuses et parcourues d'une cicatrice, reprenaient un peu de chair, que les muscles de ses bras saillaient un peu plus. De tradition, Noël est une période où l'on se nourrit beaucoup, et cela se révélait profitable pour eux deux.

-Tu apprends à te gérer, Asellus.

-Oui.

Souriant légèrement, Lydell jeta un regard vers la pile de feuilles tâchées d'encre qui l'attendait encore, puis jugea que du temps passé avec Asellus lui serait bénéfique. Il avait réalisé durant ces vacances à quel point il se serait senti seul sans son ami auprès de lui. Ils étaient mutuellement la dernière attache de l'autre.

-Horcruxes, commença Asellus de but en blanc.

L'ancien meneur tressaillit, et observa le garçon qui se trouvait devant lui. Il s'était assis en tailleurs par terre, mais le jaugeait avec sollicitude et maturité, comme beaucoup trop souvent. Le même regard que le sien au même âge, le même regard que bien trop d'adolescents dans cette morbide époque qu'ils avaient quittée.

-Nous ne savons pas où ils sont, soupira Lydell.

Devoir de nouveaux faire face au danger et à la tentation qu'ils représentaient avant de les détruire lui tordait tripes et boyaux et le désespérait. Il tenta de réprimer les sentiments qui revenaient bouillonner en lui, alors qu'Asellus se balançait légèrement, peinant à les apprivoiser.

-Il nous faudra les trouver, murmura le jeune homme, et les détruire. Tous.

La pensée si forte lui échappa, et Asellus braqua aussitôt son regard sur lui.

-Nous trouverons. Ils ne sont pas la priorité. On ne peut tuer Voldemort avant qu'il ne fasse de toi un Horcruxe.

Ses organigrammes évoluaient de temps à autres, mais il s'agissait d'un point fixe.

-Je sais.

Il ignorait quoi faire, comme le temps libre l'avait fait replonger dans une sorte de morosité due à sa solitude, et sa prise de conscience qu'ils n'avaient pas d'attaches, pas encore d'amis, et qu'ils ne pourraient jamais dévoiler la vérité à ceux-ci.

-T'entends-tu mieux avec Remus ?

-Je ne sais pas.

Deux semaines leur avaient permis de tisser de nouveaux des liens avec le jeune lycaon, et ils s'étaient aperçus avec soulagement qu'ils commençaient à gagner le respect de Lyall. Les Lupin les avaient inclus dans leurs festivités de Noël, et leur avaient offert des biens matériels qui les aideraient à se sentir chez eux dans ce Royaume Uni dont ils ignoraient trop de détails quotidiens.


Une réunion de l'Ordre se tint en cette veille de rentrée. Les visages exprimaient tous la même tristesse sombre. Une Marque étrange commençait à se retrouver suspendue au dessus de certaines maisons, une marque que Lydell ne connaissait que trop bien.

-La même que sur les corps, murmura Marlene. Verte et noire, faite de fumée, et symbole de mort.

-Inutile d'être aussi sinistre, la rabroua Maugrey.

La jeune femme le fusilla du regard, bien qu'il soit son supérieur hiérarchique. Des murmures enflèrent dans la salle, et Dumbledore leva les mains pour les apaiser.

-Je crains que ce ne soit une manœuvre de Lord Voldemort pour semer la terreur, affirma-t-il gravement, mais qui a également un autre but.

-Bien sûr qu'elle a un autre but ! Il veut se faire connaître et recruter des fidèles, effrayer la population, et vous le savez parfaitement ! tonna Lydell.

Ils n'avançaient pas, et il n'en pouvait plus. Ses bras fourmillaient déjà d'adrénaline, et rester assis à regarder l'Ordre se former et employer des stratégies bancale constituait une véritable torture. Il savait ce qu'il adviendrait, et avait déjà vécu toutes ces mascarades. Sturgis Podmore lui lança un regard mauvais.

-Je le sais en effet tout aussi bien que vous Lydell, soupira Dumbledore, mais les autres peut-être pas.

Il s'était levé dans sa fougue et se rassit à contrecoeur, se sentant soudainement las et épuisé.

-La Gazette ne laisse rien filtrer, marmonna Elphias Dodge.

-Malheureusement, elle obéit à Minchum, qui refuse de laisser la terreur se répandre parmi la population. J'ai reçu quelques réponses à mes lettres, m'engageant fortement à « m'occuper de mon école et laisser la politique à ceux qui s'y connaissent ».

L'espace d'un instant, Lydell retrouva le directeur qu'il avait connu, amusé par les insultes qu'il recevait et se fichant bien de ce que le Ministère pensait de lui. Une douce chaleur le réchauffa. Néanmoins son humeur s'assombrit car que les conséquences de celui à la tête du pays seraient désastreuses.

-Ce qui signifie qu'ils ne seront pas avertis et paniquerons jusqu'à prendre les mauvaises décisions lorsque la situation éclatera au grand jour, déclara l'ancien meneur.

Dumbledore et Maugrey acquiescèrent. Marlene leva la main. Elle venait d'être nommée Auror et Poudlard ne remontait pas si loin pour elle, et son geste tira quelques sourire parmi les plus âgés.

-Ils s'en tirent impunément. Hier une famille entière s'est volatilisée, et le symbole flottait au dessus de leur maison. Ne peut-on pas les prendre à revers ? Tenter de les trouver et les combattre.

-Il s'agit du travail des Aurors, répliqua Podmore.

Lyall lança un regard vers celui qu'il hébergeait, sachant pertinemment ce qu'il pensait de ce fonctionnement. Lydell fixait la jeune femme, cependant, la sachant fougueuse mais appréciant l'envie d'agir qui reflétait la sienne.

-Je préférerais que Lord Voldemort ignore pour le moment qu'une opposition se construit. Nous sommes encore fragiles.

L'impatience qui commençait à bouillir dans le ventre du jeune homme explosa et sans qu'il s'en rende compte, il se levait et posait les mains sur la table, imitant la manière si particulière de Regulus de diriger une réunion.

« Le problème d'agir est de savoir où et quand ils risquent de frapper, ce qui nécessite une excellente connaissance de leur mode de fonctionnement, et éventuellement des espions. Il vous faut aussi vous demander à quel point vous êtes prêts à mettre votre vie en danger, et celle de votre famille. Ne croyez pas qu'ils se laisseront attaquer de façon intègre. Ils s'en prendront à vos proches en représailles, tortureront les enfants et commettrons des ignominies que vous ne voulez pas imaginer. Pour agir et protéger la population, il va falloir que vous protégiez votre famille d'abord, par un sortilège de Fidelitas dont vous, la personne que vous aimez ou vos parents serez le Gardien, en sachant qu'il est probable qu'ils se fassent aussi attaquer sur leur lieu de travail.

« Ne pas agir pour le moment est compréhensible, mais il faut vous préparer. Une fois les Aurors tombés, qui est formé à prendre la relève ? Ne négligez pas l'entraînement aux duels, révisez les sorts, apprenez-en d'autres. »

Maugrey grogna, Podmore mit une main sur son front, Lyall secoua la tête, Marlene fronça les sourcils et les autres se contentèrent d'un regard plus ou moins noir.

-Nous ne sommes plus dans votre pays, Lydell, intervint Minerva. Agir de la sorte n'est possible qu'au grand jour, lorsque toute la population est consciente qu'une guerre couve.

-La guerre serait déjà là si nous nous opposions directement à Voldemort, répliqua-t-il.

Il inspira profondément et se tourna vers Dumbledore, dont le regard perçant le brûlait. L'homme se contenta d'un sourire.

-Il est toujours bon de se faire rappeler qu'on est faillible de temps à autres, lança-t-il non sans humour. Ce ne sont pas de mauvais conseils. Les vacances se terminent. Je tiendrais une réunion avec les professeurs pour leur faire part de la situation alarmante, et nous renforcerons les protections du château, même si j'ai l'intuition que Lord Voldemort ne s'attaquera pas à Poudlard.

Maugrey laissa échapper un nouveau grognement incrédule mais Lydell savait pourquoi le directeur résonnait ainsi. Poudlard avait été le havre de Voldemort, et il y tenait. Il ne le démolirait pas ni ne s'en prendrait aux élèves avant d'être poussé dans ses retranchements.

-Pour les autres, parlez autour de vous. Si d'autres sont inquiets, faites leur part d'une possibilité de résistance et d'engagement.

Ils hochèrent gravement la tête et la réunion fut ajournée. Chacun sortit de la pièce, à l'exception de Lydell et de Dumbledore. Le jeune homme aurait voulu rester seul et se remémorer les anciennes réunions, lorsqu'ils pouvaient avancer et planifier. Le poids de la culpabilité de les avoir laissés derrière refusait de s'effacer. Rien de ce qu'Asellus et lui avaient fait pour le moment ne pouvait avoir changé le cours du destin, et les deux semaines qu'ils venaient de passer à tenter de se construire lui apparaissaient soudainement profondément égoïstes et meurtrières.

-Vous avez du mal à rester à votre place, commenta Dumbledore avec un amusement non feint.

Lydell s'enfonçait dans ses souvenirs et sentait ses yeux le brûler. Il se redressa et opposa à son interlocuteur une impassibilité pure.

-Je suis un ancien meneur, et je connais ce que vous avez vécu.

-Je ne le nie pas. Vous nous apportez un avantage certain.

Sur ces mots, le vieil homme le salua et se retira avec tact. Lydell se laissa aller, s'effondrant presque sur la table, passant une main sur son visage couturé de cicatrices. Voldemort montait petit à petit en puissance, l'Ordre du Phénix se construisait, et lui et Asellus n'intervenaient dans les vies que de façon personnelle. Peut-être l'entraînement qu'il prodiguait à ses élèves de Défense leur permettrait-il de faire un autre choix, ou de survivre, mais pour le moment, il se sentait impuissant et coupable. Il regrettait de ne pas avoir de liens amicaux et se tourmentait avec la sensation qu'il n'était pas en droit de s'en construire tant qu'ils n'auraient pas altéré le destin. La sensation de solitude l'écrasa.

o°o°O°o°o

Le repas du soir s'avéra légèrement tendu. Asellus sentait la préoccupation de Lyall et Hope, et le désespoir de Lydell mêlé de culpabilité. Remus n'y était pas hermétique, et bien qu'il ait hâte de revoir ses amis, la tension ambiante le faisait reconsidérer la situation. Si les pensées de Lyall et Hope passaient rarement ses barrières, car il s'agissait d'introspection et d'analyse, celles du jeune loup-garou paraissaient hurlées.

James refuse de comprendre et de voir, mais la guerre arrive bel et bien.

Lydell Moulin et Asellus sont traumatisés.

Que va-t-il se passer à Poudlard ? Déchirés ?

Le malaise de Lydell l'enveloppait plus que tout le reste aussi se promit-il de passer dans sa chambre quoi qu'il arrive. La culpabilité le dévorait et poussait Asellus à se remettre en question, peinant à comprendre ses propres émotions dans ce flot continu et douloureux. Il avala difficilement une pomme de terre brûlante et s'absorba dans les détails de la pièce.

-Vos valises sont prêtes les garçons ?

Le silence pesait à Hope, et elle s'efforça de sourire, mais ses yeux demeuraient triste, et le coin de sa bouche, orné d'un discret grain de beauté, tremblait. La tristesse submergeait le garçon. Comme trop souvent, il oublia la question, déconcentré par les détails et les sentiments. Il perçut le reproche de Remus envers lui, et tourna vaguement ses yeux en sa direction.

-Je te demandais si tu voulais emprunter le livre que tu lis depuis hier pour le terminer à Poudlard.

Une demi-seconde s'écoula avant qu'Asellus ne comprenne que la question tenait toujours.

-Oui.

L'agacement de l'autre adolescent le frappa, mais il parvenait difficilement à se concentrer sur son entourage en cette dernière soirée, perturbé par tout le reste.


Sa valise était entièrement bouclée et son emploi du temps du lendemain, planifié. Il laissa libre la salle de bains -désormais les douches se rallongeaient et il s'émerveillait moins de la formidable sensation de l'eau chaude qui purifiait sa peau- puis rejoignit Lydell. Il se sentait mal à l'aise et déplacé, une sensation normalement absente de ses interaction avec le jeune homme. Regulus les avait élevés dans les dernières années de sa vie, ils se connaissaient. Perturbé, Asellus s'installa sur le sol et ses doigts s'agitèrent nerveusement alors que ses poignets décrivaient des cercles infimes et réguliers sur ses genoux.

-Pourquoi ? demanda-t-il, les mots franchissant ses lèvres sans qu'il parvienne à les retenir.

Lydell se tourna vers lui, et ils se fixèrent longuement. Asellus nota les cicatrices les plus vieilles sur son visage qui se mêlaient avec celles qui rougeoyaient toujours, ses cernes creusant ses joues, noirs, sombres, qui ne le quittaient pas depuis le Siège de Poudlard, les vaisseaux éclatés près de ses iris vertes et cette impassibilité qu'il ne connaissait que trop mais qui ne pouvait le duper.

-J'avais commencé à me construire, Asellus, mais uniquement en fonction des élèves de Poudlard. Rien ici n'appartient à Lydell Moulin, pas plus qu'à Harry Potter mais j'ai perdu ma légitimité de Meneur.

La culpabilité se fit étouffante et Asellus prit sur lui pour ne pas gémir. Il se trouvait incapable de trouver les bons mots, de savoir s'il devait parler et quoi dire. Peut-être aurait-il fallu qu'un autre accompagne Lydell dans le passé.

-Tu n'y es pour rien, Asellus.

Lydell s'assit sur la chaise, et le contempla longuement.

-Je suis heureux que tu sois à mes côtés. Tu es mon neveu, mon jeune frère, et je t'aime profondément.

Amour.

L'émotion l'enveloppa, soudaine, puissante, déstabilisante, et le garçon fut arraché à la réalité. L'écho de cette même sensation qui s'échappait de son père lorsqu'ils se retrouvaient ensemble le renvoya dans ses souvenirs, lorsque Regulus le bordait, serrait son index avec force, lui parlait de tout parce qu'il le saurait forcément mais avec cette féroce volonté de le protéger, et cette même puissante émotion.

-Asellus ! Asellus !

L'appel ferme de Lydell le raccrocha à la réalité, et leurs prunelles s'ancrèrent. Il réagit instinctivement, tendant son index, que le jeune homme attrapa avec cette même férocité qui s'échappait de ses entrailles.

Il était allongé dans un lit confortable mais ne parvenait pas à dormir. Avait-il le droit de discuter ainsi, de plaisanter, d'oublier même quelques secondes d'où il venait, alors qu'en 2003, tous devaient souffrir, si Voldemort n'avait pas exterminé la Résistance restante ?

La salle des professeurs devait constituer un havre pour les enseignants, mais la solitude lui pesait. Minerva, Melody, Thandruil, tous se montraient plus ou moins amicaux, mais ils n'étaient pas proches et ne le seraient pas avant trop longtemps.

Solitude. Douleur aiguë. Manque.

Lydell se détacha de lui, ayant compris au sursaut que le garçon venait de capter des souvenirs. Asellus cligna des yeux et s'obligea à ne pas paniquer et à se concentrer. Il se trouvait dans une situation à laquelle il était accoutumé. Il devait aider son partenaire de mission, son frère, son oncle.

-Je m'entends bien avec Kamal. Tu dois créer des liens, sans quoi nous ne pourrons vivre, et qu'auras-tu, lorsque notre mission sera achevée ? Nous vivons ici à présent. Tu n'avais plus personne, mais les liens peuvent se recréer.

Le jeune homme reprit le contrôle de ses émotions, et la connexion fut coupée, laissant Asellus en proie à ses propres sentiments qu'il ne maîtrisait guère plus.

-Je ne flancherais pas, promit Lydell. Nous réussirons à mener cette mission, et les liens se créeront d'eux mêmes.

Asellus aurait pu analyser cette brusque coupure, mais il refusa de le faire, sentant l'angoisse monter et une éventuelle crise se rapprocher. Ils convinrent de se retrouver le Samedi, toujours, pour faire le point, et discutèrent des camarades de classes d'Asellus, de Pandora, de Regulus, qu'aucun des deux ne parvenait à regarder. Libérer ses pensées fit du bien au garçon, bien qu'il se mit à trembler en cours de conversation, et ces moments privilégiés les faisaient partager chaleur et souvenirs.

Remus ne dormait pas quand il revint relisant les courriers de James, Sirius et Peter. Asellus s'installa sur le lit qui avait remplacé le matelas à terre de sorte qu'il se sente plus à l'aise. Parce qu'il aimait l'Histoire, Remus lui avait offert à Noël un poster de Rowena Serdaigle à accrocher au dessus, signant à la fois son appartenance à la Maison, et le fait que le loup-garou l'encourageait à accepter cette chambre comme partiellement sienne, au moins temporairement.

-Tu as l'air d'aller mieux, commenta soudain le Gryffondor.

Il se trouva incapable de trouver quoi répondre, désirant pourtant engager la conversation. Inspirant profondément, il s'adossa contre le lit, et le bois appuya douloureusement sur sa nuque.

-Je t'apprécie, déclara-t-il maladroitement.

Il perçut aussitôt la surprise de l'autre, et s'inquiéta.

-Merci. Ne crois pas que je te déteste... Simplement... on ne se connaît pas énormément.

Ce fut douloureux. Asellus comprenait la solitude que ressentait Lydell. Seuls Kamal et Pandora faisaient des efforts vis à vis de lui. La conversation qu'ils venaient d'avoir lui revint en mémoire, et il fut surpris lorsqu'une larme tomba sur sa main. Remus fut aussitôt mal à l'aise, accentuant sa difficulté à réagir.

-Je ne voulais pas te blesser, marmonna le loup-garou avec embarras.

-Tu es juste honnête, je préfère que tu ne mentes pas. Je suis épuisé, anxieux, furieux, perdu, et ceux qui sont restés là-bas me manquent.

Gêne. Malaise. Embarras.

Il se sentait sombrer dans une crise d'angoisse, mais les deux semaines lui avaient été bénéfiques et il s'obligea à se raccrocher à la réalité, aux livres de Remus sur la mythologie grecque posés sur l'étagère en face de lui et aux dates des pièces de théâtre les plus connues…

Gêne. Malaise. Embarras.

-Arrête, lança-t-il, désespéré.

-Je n'ai rien fait ! s'exclama l'adolescent. Asellus, la raison pour laquelle tu as des difficultés sociales est probablement que tu ne fais pas attention à ce que les autres ressentent. Tu ne comprends pas, et je crois que ce que James voulait dire la fois où il t'a attaqué est que tu ressasses trop la guerre sans faire attention à ce qui t'entoure.

Il avait capté leurs pensées et leurs émotions mais les entendre ainsi analysées le fit avoir des difficultés à respirer. L'air brûlait sa gorge mais il ne semblait pas affluer en quantités suffisantes.

-Et chaque fois que quelqu'un s'en prend à toi... tu ne l'écoutes pas. Tu te réfugies dans une crise, et même si c'est involontaire, ça n'aide pas.

Aucune méchanceté ne suintait des mots de Remus, qui tentait simplement de lui expliquer, voire de l'aider, mais ils résonnaient dans son esprit comme des échos, ses pensées hurlaient la même chose, tout aussi forts. Asellus rassembla ses genoux sous son menton et commença à se balancer en récitant les dates les plus importantes de la montée du totalitarisme en Italie.

Il ne sut combien de temps s'écoula avant qu'il ne se calme, mais Remus lui avait tourné le dos et tentait de dormir. Peut-être Dumbledore et les directeurs de maison avaient-ils raison. L'autisme était connu, au Royaume-Uni, et bien mieux qu'en France à cette période, où les psychanalystes l'associaient au mieux à un repli sur soi entièrement non-verbal, au pire à des individus sans émotions constitués d'une coquille vide.

-Je ne suis pas neurotypique, dit-il, parce que soudain prononcer le mot « autiste » était trop difficile.

Il s'écoula quelques secondes avant que la voix embrumée par le sommeil de son camarade de chambre ne résonne.

-Qu'est-ce que ça veut dire ?

Regulus lui avait appris à ne pas se sentir honteux de son autisme, à ne pas le considérer comme une maladie. Regulus recommandait d'utiliser le terme avec prudence en période de guerre, mais en France, de 1992 à 1994, il présentait son fils comme autiste et défiait tous ceux que le terme effrayait, qui tentaient de le décrier ou de le considérer comme ne faisant aucun effort.

-Neurotypique désigne toute personne sans différence neurologique, répondit-il pourtant, parce que la question du loup-garou appelait à une définition.

Il sentit l'intérêt de Remus s'éveiller, et l'entendit se tourner dans le noir.

-Tu as un handicap mental, n'est-ce pas ? Les rumeurs le suggéraient, mais je déteste me fier aux bruits de couloir.

-Je n'aime pas ces mots.

Le silence revint, mais la curiosité et l'altruisme du Gryffondor prirent le dessus.

-Excuse moi... Je sais ce que l'on ressent lorsqu'on est... différent. Je crois ne pas être neurotypique non plus. Je sens le loup dans mon esprit, dans mes sens, dans mes goûts. Nous partageons un corps et il a beau n'être physiquement présent qu'à la pleine lune, il m'accompagne en permanence. Alors... qu'est-ce que tu as ?

— Je suis autiste.

Aussi précisément que possible sans évoquer la façon dont sa magie était altérée, Asellus décrivit ses difficultés et capacités.

-D'accord, murmura enfin Remus. Ceci... explique de nombreuses choses... Ne crois pas que je ne suis pas admiratif de la façon dont Lydell et toi vous êtes battus, ni de votre courage. Je sais qu'une guerre approche et que vous faites tout pour aider, mais je te pensais distant, traumatisé et... impoli peut-être ? J'aurais dû comprendre. Je m'excuse, Asellus, parce que je devrais être tolérant et que je ne l'ai pas été.

-Tu reconnais directement tes torts. Il faut du courage et de la maturité.

-Je ne sais pas. Je ne dirai rien à personne, sois en assuré... Je ne sais pas ce que cela implique, ni si nous pourrions nous entendre. Je maintiens ce que j'ai dit, je ne te connais pas assez... Mais...

Il s'était peiné lui-même en se rendant compte qu'il s'était agacé plutôt que d'essayer de comprendre. Aucun des deux ne sombra aisément dans le sommeil, leurs pensées tourmentées par différents sujets.

Ces vacances-ci où Lydell et lui avaient pris le temps de se détendre, le manque des personnes aimées avait commencé à s'installer, et Asellus rêvait de Neil, ce qui lui laissait chaque fois une douleur béante dans la poitrine.

o°o°O°o°o

Le train roulait à pleine vitesse vers Poudlard, et Sirius observait le paysage déferler par la fenêtre, se laissant bercer par le rythme bancal du train écarlate. Peter et James se racontaient leurs vacances avec une joie qui lui paraissait déplacée. Noël, une période de fêtes, de joie et d'amour, mais dont les mages noirs et ses sous-fifres ne devaient pas avoir grand chose à faire. La dame des friandises passa et il attrapa une patacitrouille avec réluctance, le ventre noué. Ses yeux croisèrent ceux de Remus, où il lut la même tristesse latente.

-Comment était-ce ? s'enquit-il, et il s'effraya de sa voix un peu trop rauque.

Assis sur la banquette opposé, son ami soupira et attrapa avec méfiance une dragée rouge.

-Ils ont tenu deux réunions par semaine, mais à part Lydell Moulin et Dumbledore, je n'ai fait que les apercevoir.

Ils ne savaient rien de la situation, à l'exception de ce dont les prévenaient leur professeur de Défense en classe, et Sirius se demanda pourquoi sur les quatre, seuls eux deux ressentaient la sombre atmosphère du Royaume-Uni. Il ne pouvait ôter de son esprit le repas qui avait précédé sa fuite chez James et les discussions antérieures durant les vacances d'été.

-J'ai hâte de commencer les combats avec Moulin ! s'exclama James, qui s'était retourné vers eux quand Remus avait prononcé le nom.

Sirius se demanda pourquoi il ne souriait pas à son meilleur ami, heureux de pouvoir également déployer ses forces.

-C'était si dur ? l'interrogea Peter.

Le jeune Black renchérissait toujours, et d'ordinaire, nul ne pouvait concurrencer son énergie ni son débit de parole. Son ami paraissait inquiet et le visage et le ton grave qu'il lui adressait alertèrent l'adolescent, qui se redressa.

-Imbattable, répondit-il honnêtement. Nous aurions pu être maîtrisés avant d'avoir eu le temps de lancer un simple sort. Dorcas et moi nous gênions mutuellement, et ils nous déconcertaient sans cesse.

-Leur style est extraordinaire ! s'écria James, ses yeux bruns brillant d'excitation. Tous leurs défauts disparaissent, et ils sont incroyablement puissants ! Si Moulin nous entraîne comme ça jusqu'aux ASPIC, nous pourrons rentrer chez les Aurors sans trop s'inquiéter.

-Il existe d'autres épreuves, lui rappela Remus avec un léger sourire.

Sirius se destinait tout autant à une carrière d'Auror, ayant pris sa décision l'année précédente et ce sentiment n'ayant fait que se renforcer depuis le mois de Juillet. James avait disserté sur leur professeur durant plusieurs repas de famille il ne supportait toujours pas ses discours trop noirs, mais respectait désormais son enseignement, et Sirius se surprenait également à rêver à des combats gracieux, puissants. Un large sourire se peignit sur son visage, et il remarqua que son meilleur ami s'en détendait.

-Comment va Asellus ? demanda Peter. Vous avez parlé durant les vacances ?

Sirius regrettait qu'il ne soit pas avec eux dans le wagon, et s'était promis de se mettre à ses côtés en Etude des Moldus, mais une partie de lui se réjouissait qu'il soit aux côtés des Serdaigle. Il commençait enfin à être entouré.

-Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, admit Remus. Il est impossible de jouer aux échecs avec lui, je pense que ça ne l'intéresse pas, mais nous avons pu terminer rapidement nos devoirs, et échanger sur des livres, et l'Ordre.

-Et son passé ? s'enquit James.

Il n'avait plus cette rancoeur dans la voix depuis le dernier cours de Défense Contre les Forces du Mal son meilleur ami le soupçonnait d'avoir compris ce qu'être réfugié impliquait, même s'il refusait d'entendre uniquement parler de ce sujet. Le loup-garou haussa les épaules, et ce fut l'unique indication.

-Je ne suis pas sûr que j'aurais pu supporter deux semaines entière à ses côtés, marmonna l'animagus cerf. Il est si... je ne sais pas, je n'arrive pas à le déterminer, agaçant, impoli, borné...

L'expression de Remus changea soudainement en une grimace coupable, et il se mordilla la lèvre lorsque tous les regards se braquèrent intensément sur lui. Sirius considéra son meilleur ami, puis attendit que le jeune lycaon parle mais la réponse tardait à venir.

-Je sais, murmura-t-il enfin, mais il est simplement différent de nous.

Sa voix possédait une légère nuance d'amertume qui alerta tout de suite le jeune Black, cependant James s'enfonça dans la banquette, les bras croisés et songeur. Peter posa une main sur son genou.

-Tu n'es pas obligé de l'aimer, puisque nous ne sommes même pas amis avec lui. Il s'agit simplement de faire preuve de patience.

Sirius revint à la contemplation de la fenêtre. Il appréciait fortement le garçon, avec ses yeux hagards, ses cheveux blancs comme si la peur en avait éradiqué la couleur, ses gestes maladroits et ses interrogations perpétuelles.

Les Maraudeurs se suffisaient à eux-mêmes. Ils étaient censés se suffirent à eux-mêmes, même si chacun s'entendait plus ou moins bien avec leurs différents camarades de classe. L'année où James avait commencé à s'intéresser à Lily lui revint en mémoire.

Ils avaient treize ans, et traînaient de plus en plus à la bibliothèque pour lire des ouvrages sur les animagi. La fougue et la beauté de la jeune rouquine avaient attiré le regard de son meilleur ami, et Sirius se souvenait de sa jalousie maladive, de sa crainte de voir ce groupe d'amis qui devenait sa famille tandis que les liens de son sang se délitaient se séparer et prendre des chemins différents parce que l'un d'entre eux tombait amoureux. Aujourd'hui, il lui semblait que les Maraudeurs s'éloignaient pour des questions idéologiques, parce qu'ils ne grandissaient pas et ne mûrissaient pas au même rythme. Il ressentait de plus en plus fort le décalage entre lui et son meilleur ami depuis qu'il avait déboulé chez les Potter, dégoulinant d'un mélange de boue, larmes, pluie et sueur, une valise trop lourde à la main.

Les cours reprirent et les interrogations du jeune Black furent reléguées au second plan. La complicité qui régnait en eux depuis toujours lui fit se demander s'il n'imaginait pas la situation avec une paranoïa grandissante. Il ne pouvait s'empêcher de noter les détails : l'inquiétude de Remus en ouvrant les journaux le matin, son incapacité à trop rire de certaines blagues, l'excitation alarmante de James pour les duels, et l'impatience de Peter de recommencer à vagabonder dans Poudlard de nuit.


Mal réveillé, l'adolescent s'habilla en baillant et fourra le devoir à rendre à Chourave dans sa besace avant de s'étirer. Peter sortit de la salle de bain ses cheveux châtain clair hérissés et gouttant sur le sol. Il se levait toujours le premier avec une énergie que les trois autres lui enviaient. James sursauta et mit ses lunettes de travers sur son nez, comme chaque matin. Remus peinait à s'extirper du confortable cocon que formaient ses couvertures.

-Lunard, debout, lança Sirius en attrapant les extrémités des draps. Je tiens à manger !

Rôdé à ses compagnons de dortoir depuis six ans, le jeune Lupin serra les poings et la tentative de son ami échoua. Un sourire se peignit sur le visage du jeune homme, comme leurs habitudes matinales évoluaient à peine et les réconfortaient. Sa légèreté disparut lorsqu'ils furent hors de la salle commune, évoluant dans les couloirs glaciaux jusqu'à la Grande Salle qui lui paraissait dans ce genre de cas bien trop loin.

-Tu crois qu'il se réveillerait plus vite si Moulin surgissait dans le dortoir ? plaisanta Peter en laissant sa main glisser le long de la rampe.

-Je croooooois qu'il va falllloir que tu trouves encore autre chose, répliqua malicieusement Sirius entre deux bâillements, marchant en tête à ses côtés. Bon sang, je suis crevé.

James marmonna quelque chose, passant une main dans ses cheveux déjà ébouriffés par l'absence de peigne. Ils prirent place à la table des Gryffondors dans la pièce déjà comble et se servirent gracieusement en œufs et bacon, à l'exception du jeune Potter, qui ne parvenait jamais vraiment à avaler quoi que ce soit de si bonne heure. La faim alluma des yeux de loup chez Remus lorsqu'il huma l'odeur de viande cuite, et le brouillard dans ses yeux s'évapora. Le courrier matinal arriva dans un bruissement d'ailes reconnaissable. Malgré lui, Sirius laissa ses yeux s'égarer vers la table des Serpentard, où le grand duc familial se posait devant son petit frère.

Et toi...

Il secoua la tête pour faire disparaître le souvenir indésirable. Regulus sentit son regard, et ses yeux s'ombragèrent avant qu'il ne relève le menton de ce mouvement caractéristique de défi que son aîné détestait. Il serra les poings et se détourna. Il s'était enfui de cette famille folle et consanguine, il devait avancer en compagnie de ses amis. Lorsqu'il revint vers James, Peter et Remus, il constata qu'aussi bien eux que leurs camarades arboraient un visage livide devant la une d'un journal étendu entre les œufs brouillés et le jus de citrouille.

UNE MARQUE DE MORT APPARUE AU DESSUS DE PLUSIEURS DEMEURES.

Une sinistre marque flotte au dessus de maisons, dont nous sommes sans nouvelles des habitants pour le moment. (Voir enquête p 2-3)

En un éclair, Sirius revit Rodolphus Lestrange et Bellatrix discuter avec animation, et les conversations à peine voilées à table.

-Le symbole de Voldemort, déclara-t-il.

Son ton trop sombre tomba comme une sentence sur eux et leurs voisins.

-Voldemort ? s'enquit Evans. Il s'agit du même que celui qui prêche l'idéologie du sang, n'est-ce pas ?

James s'était assis à ses côtés, et Sirius se décala en arrière pour lui répondre, mais il fut devancé par Mary.

-Un imbécile... Que beaucoup trop de monde écoute. Nous ne sommes pas moins doués que ceux qui sont nés dans une famille de sorciers.

-Il est loin d'être un imbécile, murmura Sirius, mais la rage dans sa voix rendit le son grondeur et puissant, ni même un simple prêcheur. Il rassemble des fidèles depuis... longtemps, et il monte en reconnaissance, que ce soit en bien ou en mal.

-L'époque est propice, ajouta sombrement Remus.

Mary secoua la tête.

-Je n'arrive pas à croire qu'on puisse, encore aujourd'hui, croire à de telles âneries. Imaginez qu'on prétende que Dorcas doit être asservie parce qu'elle est noire !

La fougueuse jeune fille assise en face d'elle la fusilla du regard.

-Ne me mêle pas à ça, je ne comprends absolument pas le rapport. Leur mode de pensée est logique, mais la couleur de peau n'a rien à voir là-dedans !

- Logique ? bondit Sirius.

-Ce sont des conneries, assena James, mais des conneries auxquelles nombre de personnes croient, et qui prennent racine dans l'histoire du Royaume-Uni.

Il inspira, et prit une gorgée de jus de citrouille. Sans même s'en rendre compte, il dévorait Lily Evans des yeux.

-J'ai hâte qu'on devienne Auror, lança-t-il à Sirius, histoire de pouvoir leur régler leur compte.

-Oh, formidable, rétorqua la rouquine avec acidité. Quels braves héros vous deviendrez, n'est-ce pas ? Pourquoi les garçons doivent-ils se battre pour prouver leur valeur ?

L'adolescent protesta, mais l'esprit de Sirius avait quitté la conversation. En lui résonnaient les paroles dont Moulin les avait abreuvés durant leur séjour chez les Lupin, et ce qu'ils apprenaient en cour. Les Aurors défendaient la population, mais ils tomberaient en premier.

Sirius se fichait de mourir pour une cause à laquelle il croyait.

L'interrogation enflait, néanmoins. Et si Voldemort était plus puissant que ce qu'ils imaginaient ? Même Dumbledore créait un Ordre du Phénix, spécial, afin de pouvoir le contrer. La menace qu'il représentait était immense. Et si les Aurors ne pouvaient le stopper ? Moulin le prédisait à demi-mot : une fois les Aurors tombés, si l'ennemi n'était pas vaincu, alors la population devait se battre, et ici prenait forme la Guerre. Voldemort rassemblait des fidèles, plus nombreux probablement que les Aurors, utilisant des sorts qu'ils n'osaient même penser, des sorts noirs et mortuaires. Si le Ministère se montrait impuissant, alors la Guerre éclaterait. Et la marque flottant sur la photo de la Gazette semblait abonder dans ce sens.

Il se tourna pour observer la table des professeurs. Au milieu des visages soucieux, Moulin tranchait, impassible. A l'extrémité de la table des Serdaigles, Asellus fixait le vide.

o°o°O°o°o

Un mois après la réunion de l'Ordre où ils s'inquiétaient de ne pas voir filtrer la moindre information sur le danger qui les entourait paraissait enfin ce numéro de la Gazette du Sorcier. Lydell le lut attentivement en cette journée où il ne donnait qu'un seul cours, étudia ce qui transparaissait dans ses appartements, et sentit une frustration mêlée d'irritation trop connue l'envelopper. Passé sa troisième année, il avait commencé à mépriser la Gazette, d'abord pour ce que Rita Skeeter écrivait, puis pour les diffamations et leur incapacité à prévenir le Monde Sorcier Britannique de la réelle actualité. A présent, quelles que soient les coulisses ayant permis ce mouvement, le Ministère laissait enfin sortir cette information inquiétante, et pourtant, Lydell s'en sentait étranger. Tout ceci s'était produit bien avant sa naissance, et continuait sur la lancée qui n'avait rien à voir avec leur retour dans cette époque.

Il savait qu'Asellus, qu'Artemis, l'avait ramené ici parce qu'il voulait se suicider si jamais il réussissait à survivre à Voldemort. Il ne lui restait rien. La loyauté du garçon et sa capacité à s'attacher trop rapidement l'effrayaient, quelques fois. Ils étaient revenus parce qu'ils pouvaient changer le cours des choses, sauver le Royaume-Uni et accorder une vie heureuse à ces humains qui survivraient, quels qu'ils soient. Leurs motivations n'avaient pas changé depuis le temps où Regulus les guidait. Entre temps, néanmoins, jamais Harry ne s'était autorisé à se prendre en compte. L'enfant de la prophétie, l'Elu, une vie sacrifiée, que ce soit sur le champ de bataille ou au contact de plans et de stratégies, ne représentait rien par rapport au reste du monde.

A ses côtés, Fleur lui rappelait toujours qu'il restait indéniablement humain. Il aimait Ginny, Regulus, Artemis, Lucius. Lui et Ginny formaient un couple et il avait gardé du temps pour elle jusqu'à la fin. Il prenait le temps de rendre visite à Hermione à la Rivière, parfois d'écouter et de sourire aux plaisanteries d'Altaïr, de discuter avec Artemis. Mais comme tous les autres, il avait cessé de vivre pour se concentrer sur survivre. Meneur, il planifiait, s'entraînait, résolvait, s'informait et dormait à peine. Les quelques minutes passer à parler avec ses proches ne comptaient pas comme vie privée mais quelle importance, puisque cette notion avait disparu ? Tous lui manquaient et il devait en faire le deuil, car jamais il ne retrouverait avec eux les liens de Harry Potter.

Artemis l'avait prévenu et il avait accepté. Leur vie sacrifiée pour sauver tous les autres ne constituait pas plus un sacrifice à ses yeux que son statut de Meneur et sa détermination à vaincre Voldemort. Néanmoins il avait sous-estimé son égoïsme humain, et celui d'Artemis, qui les enveloppaient tous deux. Le droit à une nouvelle vie, la vie de Lydell Moulin et d'Asellus Nere. Comment pouvait-il accepter de vivre alors que tant souffraient et souffriraient ? Quel genre d'humain était-il pour désirer une telle chose ?

-Lydell ?

En un éclair, le journal fut à terre, sa baguette dégainée et une dizaine de clous pointés vers l'envahisseur, sans qu'il n'ait sursauté ou émit un seul bruit. Sur le seuil de ses appartements se trouvait Melody Sleipnear qui opéra un mouvement de recul devant l'agression mais ne perdit pas sa douce expression anxieuse. Lydell fit disparaître les clous d'un coup de baguette fluide sans que son visage n'altère un instant.

-Par Merlin, je ne voulais pas vous effrayer ! Nous nous inquiétions de ne pas vous voir au repas, vous n'en avez jamais manqué.

-Est-il déjà midi ?

-Il est près de treize heures, répondit-elle. Vous allez bien ?

Sa réponse aussi brève que catégorique la fit sourire tristement, et les rides de ses joues molles apparurent.

-Vous n'êtes pas seul, vous savez. Les collègues sont là pour s'entraider.

Il désirait qu'elle parte rapidement, mais se contenta d'un visage toujours plus implacable.

-Je vous remercie. Je vais descendre rapidement avant mon cours.

-Quelle classe avez-vous ?

-Les septième années.

La conversation badine était en opposition avec ses préoccupations mentales, mais Melody lui souriait toujours avec une sollicitude désarmante. Elle eut un geste d'approche envers lui, bien que sans le toucher.

-A plus tard, Lydell.

Ses yeux bruns clair ne le quittaient pas, et il saisit les clefs de sa chambre avant d'en franchir le seuil.

-Merci, Melody, sincèrement. Je me suis laissé aller à des réflexions... prenantes. Ne vous inquiétez pas, je vais parfaitement bien.

Son doux sourire s'élargit, et elle s'éloigna avec un geste de la main tandis qu'il marchait dans les couloirs. Il s'était comporté avec elle comme avec des Alliés et des réfugiés présent, rassurant et pourtant distant et honnête. Il allait bien. En quelques sortes, et malgré la douleur et l'épuisement, car il n'avait pas le choix. Il posait un pied devant l'autre chaque jour puisqu'il fallait avancer vers la fin de la guerre et la victoire de la Lumière.


Il retrouvait le vendredi après-midi seize septième années qui aspiraient à des ASPIC comprenant la Défense Contre les Forces du Mal. Parmi eux se trouvaient Franck Londubat et Alice Lightwood, déjà proches sans être amoureux Hestia Jones et Narcissa Black, dans deux camps séparés mais appréciant toutes deux les cours, et Gideon et Fabian Prewett, les frères de Molly Weasley dont le funeste destin si proche nouait la gorge de Lydell quand ses yeux se posaient sur leurs frimousses joyeusement malicieuses qui pouvaient devenir si féroce devant leurs exploits. Il les accueillit dans une salle de classe aux tables inhabituellement en place. Il préférait d'ordinaire les entraîner bien qu'il fût forcé de suivre une ligne ministérielle exigeant certains cours théoriques. Les élèves entrèrent avec une agitation perceptible tranchant avec son calme olympien apparent. Ils sortirent avec désappointement plumes et parchemins, sans que les murmures ne diminuent. Chacun d'entre eux avait gardé leur baguette en main et il songea que de nombreux progrès avaient été faits depuis Septembre.

-La Marque... commença-t-il d'une voix oratoire qui fit cesser toute conversation. Que signifie-t-elle pour vous, qui êtes majeurs et vous trouverez en dehors des murs protégés de Poudlard l'an prochain ?

Quelques mains se levèrent, il désigna en premier Narcissa.

-Nous pouvons protéger nos familles de la Marque. Il suffit de ne pas entrer en conflit avec... celui qui en est à l'origine.

-Ceux, la corrigea-t-il.

Franck et Gidéon protestèrent, mais il leur fit signe de patienter pour prendre la parole.

-Et si Voldemort vient en personne vous demander de le rejoindre ? Accepterez-vous par peur, plutôt que de voir votre famille décimée ?

Elle le fusilla de ses yeux clairs, se redressa et fronça son nez fin.

-La question de l'idéologie se pose également ! se récria-t-elle.

-L'idéologie ? Une connerie sur le sang ! Sale Serpentard, persifla Mae Sylvus, comment oses-tu même...

-Il suffit ! la coupa aussitôt l'homme. Dix points en moins pour Gryffondor. Je ne tolère pas les insultes sur les répartitions de chacun, est-ce compris ? Chacune d'entre elles glorifient des qualités, et vous décriez vos camarades de façon abject avec ce genre de remarques désobligeantes.

La jeune asiatique lâcha une exclamation méprisante mais flancha sous le regard noir de son professeur.

-Nous sommes tous ici présent des adultes, et nous débattons et discutons. Vous vous battrez bien trop tôt dehors.

Son discours envers eux, envers cette classe dont la moitié au moins était promise à l'horreur recevait bien plus d'avertissements que les autres sans qu'il puisse s'en empêcher. Pourtant, cela paraissait les satisfaire.

-Professeur ?

-Je veux répondre à Narcissa, répliqua Lydell, sans appel. Mais mes mots sont valables pour vous tous. Prenez ces questions en note.

Le jeune homme baissa sa main constellée de tâches de rousseurs, mécontent.

-L'idéologie y participe, certes, mais tous ne la partagent pas. Combien d'entre vous seraient prêts à accepter de servir quelqu'un pour échapper à la mort et à celle de vos proches ? A servir Voldemort, ou n'importe quel équivalent qui pourrait détruire tout bonheur et toute liberté ? Je ne veux pas une réponse tout de suite. Je veux que vous réfléchissiez pendant que je parle. Je veux que vous leviez la main en toute honnêteté, et que vous y réfléchissiez vraiment. Si vous n'êtes pas sûr de résister, alors levez votre main. Il ne s'agit pas d'un jugement, mais d'une vision réaliste.

Seize paires d'yeux le défiaient de les croire capables de se réduire à la servitude. Lydell revit les Opportunistes neutres, puis les familles déchirées, les opposants de l'Ombre qui se battaient parce qu'ils étaient certains que la Lumière, même si elle était la bonne voie, même si elle avait raison, perdrait. Ceux qui rejoignaient les Mangemorts pour moins souffrir, pour leurs promesses. Sans qu'il se rende compte avoir fermé les paupières, il les rouvrit brusquement.

-Si l'Ombre vous promet de nombreuses richesses, une puissance dont vous avez toujours rêvé, une vengeance sur ceux qui vont fait souffrir... Et l'opportunité de montrer à tous ceux qui ont un jour douté de vous votre réelle valeur, votre valeur exceptionnelle ?

Les regards défiants ne baissèrent pas plus que les mains ne se levèrent. Lydell sourit, un sourire ironique et dissimulant une souffrance cynique.

-Si elle vient dans votre maison pourtant protégée, et qu'elle vous donne le choix de la rejoindre... ou de vous tuer. Si quand vous refusez, elle promet de tuer jusqu'au dernier de vos enfants, parents, amis, enfants et parents de vos amis ?

Narcissa leva aussitôt la main, prévisible, accompagnée d'une jeune femme de Serdaigle.

-Pas sans lutter ! répliqua Mae. Rien n'est perdu avant d'avoir combattu.

-Vous avez lutté, siffla l'homme. L'Ombre ne vous a pas tué, mais vous êtes à terre. Elle menace de torturer vos enfants. Leurs cris sous le Doloris envahissent vos oreilles. Les Diffindos et sortilèges de magie noire les font saigner, vous entendez leurs os se briser. Ils promettent de s'arrêter si vous acceptez, mais de faire durer cette torture jusqu'à tous vous briser, toujours sur les mêmes personnes, vous compris.

Quelques mains en plus. Gidéon Prewett.

-Ils promettent de ne pas vous en tenir rigueur. Ils sont navrés, sincèrement navrés d'employer de tels moyens, mais c'est de votre faute. Pourquoi ne pas céder ?

Une main en plus. Toujours aucun des cinq Gryffondors, leurs yeux brûlants de mépris pour chacun de leurs camarades. Leurs regards vrillés sur Lydell Moulin, ils attendaient qu'il reconnaisse sa défaite et leur donne son approbation. La même douleur cynique enflait dans sa poitrine.

-Vous avez déjà refusé une fois. Ils ont mis leur menace à exécution. Vous avez peut-être réussi à protéger votre famille, mais tant d'autres ont échoué... L'Ombre va gagner. La Lumière est trop faible, ils seront tous décimés. A quoi auront servi leurs combats ? Si vous les rejoignez vous vivrez, vous verrez le futur, et vous serez récompensé... Il ne reste qu'une centaine d'humains, et plus aucun moldu, ce qui signifie que l'idéologie que vous refusez n'a même plus sa place ici.

Trois Gryffondors, le dernier Serdaigle hormis Fabian Prewett. Mae et Alice les défièrent. Hestia Jones tergiversait, puis se résigna à lever la main, sans doute parce qu'elle n'était pas absolument sûre de résister. Il restait simplement ces trois là, leurs regards hantés, plus si certains de leurs choix mais déterminés à continuer à résister pour leur idéal. Lydell braqua son regard sur chacun de ses élèves.

-Trois sur seize, en admettant qu'ils aient survécu, et sans qu'ils aient physiquement expérimenté la douleur.

Il inspira profondément, et leur indiqua de baisser les mains.

-Il faut du courage pour admettre que l'on n'est pas certain et très certainement plus faible, devant vos camarades de classe.

-Vous nous avez poussé à bout ! répliqua Emmeline Vance. Vos situations sont extrêmes, elles ne se produiront jamais ! L'Angleterre a des défenses, et Voldemort, une poignée de fidèles seulement !

-Vraiment ? cingla Lydell. Pourquoi cela s'est-il produit d'où je viens ? Dans un pays aussi civilisé et défendu que le votre, où tout à commencé de la même façon ?

Il lisait l'horreur d'une telle perspective dans leurs yeux, entendait son cœur pulser de façon trop abrupte contre sa cage thoracique et ses tempes.

-Comment voudriez-vous que nous résistions, dans de telles conditions ? rétorqua-t-elle violemment. Quel intérêt aurions nous à le faire ? Pourquoi le faire ?

Il lut la question dans tous les regards, terrifiante, pleine de sens pour eux et insoutenable et incompréhensible pour lui. Sa fougue naturelle repris le dessus.

-L'honneur !

Le mot tonna sur les élèves muets.

-L'honneur ? s'étrangla Narcissa. Et à quoi nous servira-t-il lorsqu'on sera mort ?

-Certains de vos camarades ont placé l'honneur avant tout. Ils n'ont pas levé la main. Ils préfèrent mourir debout que vivre à genou.

Fabian, Mae et Alice hochèrent férocement la tête. Lydell baissa le volume de sa voix mais la profondeur resta intacte.

-Vous ne pourrez jamais savoir comment vous réagirez, jusqu'à être confronté à cette situation extrême. L'Ombre vous a cajolé, menacé, torturé. Vous en oubliez la Lumière. Pourquoi se battre ? Parce qu'il existe toujours une chance. Pour que l'avenir soit meilleur, pour que vous puissiez vivre libres. Parce que vous pouvez vous battre, parce que se battre pour quelque chose on ne croît pas ne vaut pas le coup. Êtes vous certains que vous flancheriez sous l'effet de l'Ombre, que vous accepteriez de ployer sous la menace, alors que la Lumière peut vous protéger tout autant, peut sauver vos enfants ou d'autres enfants ? Peut sauver le futur.

Ils en restèrent silencieux et méditants. Le second Serpentard du groupe leva la main.

-Votre discours est orienté et injuste. Pourquoi la Lumière serait-elle meilleure que l'Ombre ? Pourquoi votre combat serait-il le meilleur ? Pourquoi vaudrait-il plus ?

Des centaines de fois cette question lui avait été posée, et des milliers de fois elle avait tournoyé dans son esprit, lors d'insomnies ou de périodes trop insupportables.

-Parce que l'annihilation de la liberté d'une catégorie, et la torture de cette catégorie ne fait pas partie de l'évolution de l'humanité. Il s'agit de ce qui est nommé un crime contre l'humanité, auxquels l'Histoire a toujours donné tort. Quels que soient le nombre de siècles que ces régimes aient duré, ils ont toujours sombré.

Ceux qui se battaient pour la liberté remportaient toujours, malgré des centaines d'années de lutte, parce qu'ils avaient trop à y perdre.

o°o°O°o°o

La semaine qui suivit la parution du journal avait été source de tensions extrêmes chez Asellus. Il s'était plongé dans ses organigrammes jusqu'à en oublier le reste il n'avait pris aucune notes en cours, ne s'était entraîné à aucun exercice, et aurait oublié les repas s'ils n'avaient fait partie de l'emploi du temps qui lui permettait de se raccrocher à des repères. La guerre se propageait lentement et il ignorait si lui et Lydell étaient parvenus à y changer quoi que ce soit.

-Asellus... soupira Kamal, et ce fut plus sa lassitude inhabituelle que l'utilisation de son prénom qui le sortit de ses interrogations.

Il leva la tête vers le préfet qui eut un nouveau soupir.

-Que dirais-tu de faire un tour dehors ? s'enquit-il. La bibliothèque n'est pas l'endroit idéal pour discuter.

Il se leva, rangea rapidement ses affaires sans se soucier de leur état et balança son sac par dessus son épaule. L'adolescent brun le mena vers un patio plutôt que dans le parc. La dernière réelle conversation qu'il ait eu avec Lucius s'était déroulée à cet endroit, et le manque et la douleur lui coupèrent le souffle. Perdu dans ses émotions, il s'appuya contre la pierre et sentit avec affolement les larmes couler sur ses joues.

-Que se passe-t-il ? murmura Kamal, aussitôt à ses côtés.

Inquiétude. Sollicitude. Angoisse. Calme.

L'agacement du préfet avait fondu, contrairement à la neige dans laquelle leurs pieds s'enfonçaient. Incapable de répondre, le garçon se contenta d'attendre que les larmes aient fini de couler mais elles ne semblaient pas vouloir s'arrêter. Depuis des semaines il s'empêchait de penser à Neil en dehors de ses nuits, et ses émotions affluaient sans prévenir sur un autre humain qui avait fait office sur lui de figure paternelle. Kamal se tenait à ses côtés, démuni, il sentait sa chaleur corporelle et son envie de le prendre dans ses bras sans oser, trop conscient qu'il ne devait pas le toucher.

-Asellus...

La voix flancha, si calme d'ordinaire, si sereine et assurée. La brisure venant du fond de la gorge le perturba, mais il pleurait toujours l'absence de Lucius.

-Asellus... je ne sais pas quoi faire. Je vais poser ma main sur ton épaule, d'accord ?

Incapable de répondre, il se prépara à accueillir des souvenirs qui n'étaient pas siens.

La main de Kamal s'abattit sur sa peau décharnée, brûlante malgré le vent glacial, ferme et rassurante.


Il venait d'avoir onze ans. Le collège ne lui convenait pas. Malgré un uniforme équitable pour tous les élèves, on devinait que sa chemise blanche avait appartenu à un autre que lui. Ses sandwichs du midi étaient trop fades à son goût, mais il savait que sa mère ne pouvait rien y faire et s'y conformait en silence. Les autres enfants paraissaient si différents de lui... Certains l'accusaient de sorcellerie à cause des éléments de plus en plus fréquents qui se produisaient lorsqu'il se sentait frustré. La solitude l'écrasait. Le racisme également.

Sa mère était venue le chercher à King's Cross. Ils avaient passé des heures dans les embouteillages de Londres, jusqu'à rejoindre leur banlieue, et elle n'avait pas été causante. Malgré ses anecdotes époustouflantes sur cette deuxième année à Poudlard ! La bonne nouvelle était qu'il pourrait, dès Septembre, se rendre à Pré-Au-Lard, et leur ramener à tous des produits sorciers, une nouvelle culture encore. Il sortit de la voiture et ouvrit le coffre pour prendre sa valise, avant de monter à pied les trois étages à l'odeur familière. De nouveaux tags avaient été ajoutés, mais il disposait de l'été entier pour les découvrir. Sa mère peinait dans les escaliers, lui ouvrit la porte avec hâte et inquiétude. Il savait que quelque chose avait dû se produire, quelque chose dont sa mère avait refusé de lui parler tant qu'ils étaient confinés dans un véhicule. L'odeur de sa famille lui apparut, et il nota avec inquiétude l'absence de l'odeur chaude de semoule épicée qui embaumait d'ordinaire durant de délicieux jours. Leïla, assise sur un coussin, dessinait de mauvaise grâce. Il posa sa valise dans un coin et s'assit à ses côtés, l'embrassant sur la tempe. Elle se dégagea, et il en fut peiné. Sa sœur aînée entra dans le salon, et, en arabe comme dans toutes leurs conversations, leur mère s'adressa à elle de façon virulente. Le choc le fit tanguer bien qu'il fut assis lorsqu'il comprit que son aîné était emprisonné. L'aîné de leur famille, celui qui se chargeait de ramener un peu plus d'argent à la maison que le maigre salaire de leur mère, par des moyens peu légaux certes, ne reviendrait que dans trois mois. Leïla serra fort son feutre, et il se sentit seul. Il aurait aimé qu'on l'entoure et qu'on le réconforte.

C'était sans doute stupide, mais le son et la pratique de l'arabe lui manquaient de temps à autres. Il avait toujours pratiqué les deux cultures. Sa famille parlait anglais en dehors et arabe dans l'intimité, alternait entre plats anglais et arabes, entre vacances dans leur cité et en Algérie. Il possédait même de bonnes notions de français ! Il avait la double nationalité. Ici, il ne sentait qu'une partie de lui-même, et parfois, ce fait lui pesait. Il s'interrogeait sur les écoles de magies du Moyen-Orient et sur les enseignements qu'elles prodiguaient. Apprenaient-ils quelques notions de chaman, d'envoûtement, qui berçaient les superstitions et contes du pays de ses grands-parents ?


Le froid mordant le fit convulser après la chaleur de la peau de Kamal. Il sentait encore sa trace sur son oreille et sa tempe droites, sur son épaule, en travers de son torse, ce qui signifiait que l'autre garçon l'avait pris dans ses bras. Asellus n'avait pas eu à encaisser autant de souvenirs et d'informations depuis des mois, et il tremblait violemment de la tête au pied, perdu entre sa réalité et celle des souvenirs de Kamal. Le son de la voix du préfet lui parvenait mais il se trouvait incapable d'analyser ses mots, toujours en proie aux visions et sensations.

-Tu as expérimenté mon manque, commenta-t-il lorsqu'il fut enfin capable de parler.

-Quoi ?

Perdu. Agacement. Incrédulité.

Il battit des cils et inspira précautionneusement une goulée d'air frais.

-Asellus, je ne sais vraiment pas quoi faire... J'essaie de te dire qu'il faut que tu te remettes aux cours, même si je sais que tu peux avoir peur de la Marque, par rapport à ton expérience, mais... je suis démuni.

-Je n'ai pas peur. Il faut simplement que je vérifie certaines choses.

Kamal soupira et passa une main dans ses cheveux. Asellus le détailla. Plus grand que lui, s'ils avaient fait le même poids, ils auraient certainement eu à peu près la même musculature, bien que la position dans laquelle l'adolescent se tenait laissait deviner un peu de graisse en bas du ventre. Ses cheveux de jais tombaient courts sur sa nuque, mais les pointes devant gagnaient son nez. Sa peau mate comprenait quelques irrégularités au niveau du visage, cinq boutons typique de leur âge qui disparaissaient sur son nez, au dessus de son sourcil droit, sur son front, un nez droit devant des lèvres plutôt fines et un peu plus foncée que le reste de son visage, avec la lèvre du bas gercée et deux yeux noirs d'encre où brillaient une intelligence et une sollicitude non feinte. Son attitude générale respirait cette même sollicitude. Asellus appréciait sincèrement le jeune homme et de plus en plus, et il n'aimait pas avoir fait une incursion si profonde dans son intimité sans qu'il soit au courant.

-Veux-tu bien t'asseoir à côté de moi ?

Son ton monocorde ne laissa pas deviner s'il s'agissait d'une question ou d'une injonction, mais Kamal se tint à ses côtés.

-Asellus, je ne sais vraiment pas comment me comporter, comment t'aider.

Le garçon inspira profondément et prépara ses mots comme il pouvait parfois le faire avec Harry, avec Lydell.

-Tu ne sauras sans doute pas si nous ne sommes jamais amis et si tu ne me demande pas. Si je ne peux pas te faire confiance.

-Je pensais que nous étions amis. Pardonne-moi si j'ai fait une erreur.

Blessé. Vexé. Acide.

Si Asellus ne décrypta pas le ton sec, les émotions qui affluèrent le renseignèrent parfaitement sur la meilleure réaction à avoir.

-Une amitié prend du temps à construire. Le stade réel d'amitié n'a pas été franchi et je le sais parce que j'ai vécu une guerre. En ces périodes, les amitiés sont plus fortes car chacun peut mourir à tout instant, car l'humain a besoin d'accroches comme une famille, et car ce qu'il partage avec les autres est bien plus précieux, plus dangereux. Nous connaissons des secrets les uns des autres.

-Tu as une manière bien à toi de voir le monde, rétorqua le jeune Algérien.

Le garçon se perdit dans les mots roulant sur sa langue, sur la contemplation de cette main dorée posée sur un genou musclé, immobile, qui quelques minutes auparavant s'était posée sur son épaule sans que son corps ne le rejette. Kamal s'efforçait de comprendre comment il fonctionnait, et il ressentait une étrange envie de le connaître plus que ces quelques anecdotes et conseils échangés depuis Septembre. Il se souvint de la fascination que lui avait inspirée Altaïr, de l'aura qu'avait Lucius, de sa curiosité envers Fleur et de sa sympathie envers Luna. Kamal n'éprouvait aucun intérêt pour l'idéologie de Lord Voldemort.

-Je perçois le monde différemment, confirma-t-il. Ma magie fonctionne différemment, c'est pourquoi je ne peux réellement varier mes sorts : peu sont ceux qui me sont maniables. Je capte mon environnement plus que je ne le canalise. Je ressens ce que les autres humains ressentent, j'entends leurs pensées trop fortes et dès qu'ils me touchent, je plonge dans leurs mémoires.

Il entendit le jeune homme déglutir et le silence se peser, ainsi que ses pensées désordonnées hurler. L'angoisse le prit à la gorge et il commença à se balancer. Puis la sérénité familière revint, et une main désormais gelée par le froid s'approcha de son épaule avant de se suspendre.

-Je comprends.

Les pensées hurlèrent un peu plus avant de se calmer. Puis :

-Qu'est-ce que tu as vu de moi ?

Asellus esquissa un sourire maladroit, puis tenta de résumer calmement.

-Nul ne doit savoir, Kamal. Voldemort monte en puissance, et mes facultés lui seraient bien dangereusement utiles.

L'adolescent frissonna.

-Ma bouche est scellée, promit-il.

Il posa ses orbes noirs sur lui, et lui offrit un sourire serein, rassurant et amical. L'esprit d'Asellus analysa qu'ils devaient désormais avoir passé le stade d'amitié. Kamal le connaissait, désormais, et il s'en accommodait.

o°o°O°o°o

Marauder dans Poudlard juste avant le couvre-feu, alors que la nuit était tombée depuis bien longtemps... Sirius en savourait chaque secondes. Ils marchaient vers les cachots, leur précieuse carte rangée dans la poche extensible de Remus, sachant que si quelqu'un les surprenaient, ils pourraient prétendre être venus rendre visite au professeur Slughorn. L'homme organisait parfois des soirées, et il les appréciait. Il les tirerait d'un mauvais pas.

-C'est demain, murmura Remus alors qu'ils passaient devant une fenêtre baignée de lumière lunaire.

-Yep ! confirma le jeune Black en passant un bras autour de ses épaules. Et puisque ça tombe le week-end, on va pouvoir y aller de bon cœur !

-Je n'arrive toujours pas à croire que je n'ai jamais fait attention aux signes distinctifs avant, grogna Peter.

Sirius leva les yeux au ciel, puis, sous le regard de reproche de James, ébouriffa les cheveux pailles de son ami.

-Tu étais trop occupé à être entre ses poils pour remarquer qu'ils étaient particulièrement rêches, le nargua-t-il.

Il sentit Remus se tendre à ses côtés.

-Tu n'as pas fait ça ! s'exclama-t-il.

Les joues de l'animagus rat rosirent et il jeta un coup d'oeil aux alentours pour vérifier que nul n'écoutait.

-C'est amusant de grimper sur toi, et au moins, ton museau ne peut pas m'atteindre !

-Peter !

La voix de Remus devint dangereusement aiguë, rappelant aux trois autres qu'il n'avait pas entièrement fini de muer.

-Relaxe, Lunard, répliqua James, il va très bien, et ce n'est pas pire que quand Patmol et toi vous roulez dans la boue.

Le visage déjà pâle du loup-garou passa à livide, et il prit un instant pour déglutir.

-Je suppose que je devrais être heureux de ne pas me souvenir de tout ce qui se passe.

Une pointe vexée s'infiltra dans le cœur de Sirius, puis vint titiller le fond de sa gorge mais il décida de passer outre. Pour la première fois depuis trop de temps, il venait de passer la semaine à se détendre et à ne pas penser à ce qui les attendait dehors. Le cours de Défense Contre les Forces du Mal ne s'était même pas chargé de le leur rappeler, car ils s'entraînaient dans des duels spécifiques et cette semaine avait eu pour thème les sorts de protection, y compris pour les attaques, les forçant à redoubler d'ingéniosité. Rosier les bouscula en passant. Ce fut Peter qui écopa du coup d'épaule. James l'injuria copieusement.

-Lave toi la bouche, Potter, siffla Rosier. Ta chère mère détesterai que son bébé parle ainsi.

James dégaina aussitôt sa baguette, et Rosier le jaugea de haut en bas.

-Pathétique, cracha-t-il. Incapable de résister. Dégagez de notre territoire, vous n'avez rien à foutre là !

-Levicor...

Le bas murmure de l'autre adolescent fut coupé par la calme voix rauque du lycaon.

-Votre territoire, Rosier ? Vous avez donc régressé au stade animal ? Chaque élève de Poudlard est égal aux autres.

-Que vaut la parole d'un sang-mêlé ? rétorqua l'autre d'un haussement d'épaules.

Il s'éloigna sans plus de cérémonies, se retrouvant quelques mètres plus loin suspendu par les chevilles grâce à un James au sourire narquois. Sirius inspira profondément. Territoire. Sang-mêlé, sang impur. Tout le ramenait à la guerre. Son humeur s'assombrit et il ferma brièvement les yeux.

Il lui apparut avec soulagement qu'il était toujours apte à oublier facilement une confrontation futile. Debout aux aurores, il laissa Remus faire le plein de sommeil avant la dure nuit qui s'annonçait et s'engagea dans un duel amical contre James tandis que Peter relisait son extrait de potions.

-Je ne sais toujours pas quoi faire après Poudlard, déclara-t-il. Les possibilités ne sont pas énormes, et mes résultats aux ASPIC ne seront pas excellents...

Sirius évita un faible jet orangé -ils s'exerçaient aux informulés avec Flitwick depuis la fin Février et il s'agissait d'exploits difficiles- et rétorqua par un Levicorpus naturellement fait pour être silencieux. Le sort passa par la fenêtre.

-Les postes au Ministère sont nombreux, et tu peux toujours tenté d'être pris chez Zonko ou à la Ménagerie Magique, proposa James.

Il fronça les sourcils, puis envoya une épaisse fumée noire qui fit tousser son adversaire. Il entendit plus qu'il ne vit son ami triturer le bout de sa robe de sorcier, une manie qu'il connaissait par cœur et qui signifiait qu'il se sentait mal à l'aise.

-Je me demande si je ne vais pas essayer des études... de l'autre côté. Des études de plombier, d'électricien...

-Quoi ?

La surprise de James lui fit perdre sa concentration, et Sirius l'envoya valser dans son lit, arrachant presque les rideaux au passage.

-Arrête, protesta le jeune homme, la conversation est sérieuse.

-Tu as tout fait ces derniers trimestres pour éviter les conversations sérieuses, persifla son meilleur ami. Tu es contradictoire, James, et parfois, il faudrait que tu décides ce que tu veux.

Le jeune Potter lui lança un regard furieux et lui tourna ostensiblement le dos pour s'adresser à Peter.

-Pourquoi tu veux quitter le monde de la magie ? Tu es aussi apte que nous à...

-James, le coupa Peter, je suis doué manuellement. Je me débrouilles plutôt bien en Potions, en Botanique, en Soins aux Créatures Magiques, mais pas parce que ça m'intéresse. Les moldus ont des parcours spéciaux pour ceux qui sont plus manuels que faits pour le cursus scolaire, et mon père est moldu. Je pourrais choisir l'autre monde.

-Mais la magie est merveilleuse ! Tu abandonnes parce que...

Sirius observa attentivement son ami. Son visage rond était baissé vers ses jambes et ses doigts trituraient toujours le coin de sa robe. Il ne se tenait pas voûté, et sa robe parfaitement ajustée l'année précédente ne masquait plus les plis faits par son ventre un peu proéminent et sa carrure plus homme qu'enfant désormais. Il prenait peu à peu ce ton sérieux et inquiet par rapport à Voldemort et à ses amis, d'une voix un peu rocailleuse qui leur faisait oublier la fluette note haut perchée de leurs premières années.

-Je n'abandonnes pas, je me questionne, répondit doucement le jeune homme blond. Il y a deux mondes qui s'offrent à moi, et... aujourd'hui, en plus d'avoir peu de possibilités d'avenir qui m'intéressent, celui-ci devient plus sombre. Presque... dangereux.

James vint se planter devant lui.

-Moulin a réussi à t'effrayer ? Nous te protégerons, tous les trois ! Tu es un sorcier, Peter !

-Je n'ai pas peur, James, rétorqua véhément l'autre garçon.

Sirius posa une main sur l'épaule de son meilleur ami, le voyant bouillonner et sentant une lassitude peu coutumière l'envahir.

-C'est sa vie, Cornedrue. Tu ne peux pas lui reprocher de passer en revue toutes les possibilités... Il a encore deux ans, et quoi qu'il arrive, ça ne veut certainement pas dire qu'on ne le reverra jamais ! Au contraire !

Peter lui lança un regard reconnaissant et esquissa un sourire. James se dégagea.

-Je déteste cette période. Tout le monde flippe pour rien... rien de concret, pour le moment.

-Nous sommes tous sous pression.

Sirius se rassit sur son lit et sourit en voyant le visage de Remus, si endormi, si apaisé et pour l'occasion, si angélique. Il n'aimait pas ce qu'il sentait venir, il haïssait l'idée même de Voldemort. Il s'agissait de la concrétisation de la haine qui couvait dans la société sorcière depuis des siècles, et cette concrétisation le terrorisait.


Marcher seul dans les couloirs alors que le ciel était si grisâtre dehors que la nuit paraissait proche n'avait rien d'amusant. Sirius s'appuya contre une fenêtre et observa le parc en proie à d'importants grêlons. James s'était débrouillé pour obtenir une retenue après avoir publiquement humilié Rogue au sortir de la Grande Salle. Les yeux du Serpentard s'étaient révulsés et de la fumée avait commencé à sortir de son corps, empirant au fur et à mesure que sa rage amplifiait. Le jeune Black savait que voir Lily Evans rire et rosir en discutant avec leur souffre-douleur habituel détenait le pouvoir de le faire sortir de ses gonds, mais son meilleur ami venait de commettre une grave erreur de tactique. James devrait apprendre à se contrôler.

La solitude n'allait pas à Sirius, qui commença à broyer du noir alors qu'une brume blanche se répandait dans le parc.

« Et toi... »

Il ferma les yeux et chassa l'image de Regulus de son esprit, son corps replié, son visage détruit, ses yeux pleins de reproches et son menton levé. La douleur lui enserra la gorge sans prévenir. Il ne parvenait pas à faire le deuil de sa famille, de ce petit frère qu'il connaissait et aimait malgré lui depuis quatorze ans. Il ne parvenait plus à s'amuser de manière aussi insouciante qu'autrefois. Il s'ennuyait, également, bien trop à son goût, et regrettait l'enfance et les premières années passées à Poudlard.

-Tout seul, Black ? siffla une voix désagréable derrière lui.

Les doigts de Sirius se refermèrent d'instinct sur sa baguette.

-Déjà sorti de l'infirmerie, Servilo ? Dommage qu'elle n'ait pas réussi à arranger tes cheveux et ton nez par la même occasion.

Il tenta un sourire sardonique et éblouissant, prêt à esquiver un poing et à retourner au dortoir où Peter devait avoir fini leur essai de métamorphose...

-Oh, répliqua tranquillement l'autre adolescent, Pomfresh devait s'occuper de ton petit ami.

Sirius fronça les sourcils, perdu et légèrement décontenancé par le calme qu'affichait Rogue, auquel il peinait à s'habituer bien qu'il dure depuis Septembre. Il haïssait cette attitude changée, qui paraissait signifier que le Serpentard suivait les conseils d'autres personnes... de personnes qui suivaient sans doute les traces qu'adulaient les Blacks.

-Aurais-je touché juste ? se moqua Rogue de la voix doucereuse que lui avait accordé la puberté. Lupin et toi...

L'estomac de Sirius se tordit mais il s'obligea à élargir son sourire.

-Jaloux ?

Si quelques rumeurs naissaient, elles disparaîtraient de toutes façons rapidement, et ils en plaisanteraient tous deux.

-Plutôt curieux, répliqua Rogue en s'avançant vers lui. Que faisait Lupin à l'infirmerie ? Est-ce une diversion pour l'une de vos frasques, ou justement une conséquence ? Il paraissait assez mal en point... Etais-tu sur le point de sortir, Black, comme vous le faites si souvent ? Où disparaissez-vous et pourquoi ?

Il se rapprochait dangereusement de la vérité et dans ses yeux brillaient la haine et le désir de vouloir les coincer pour les faire renvoyer. Sirius carra les épaules. Quel meilleur moyen que de se distraire que d'observer la réaction du bâtard graisseux qui se trouvait en face de lui, face à un réel danger ?

-Tu es beaucoup trop curieux pour ton bien, Servilus, le nargua-t-il. Fais attention où tu mets les pieds... Tu risques d'énormes problèmes.

Il ne voila pas l'avertissement, le dégoût l'emplissant peu à peu. Le garçon en face de lui transpirait la magie noire et l'intolérance. Il deviendrait l'un des sbires de Voldemort, par l'influence d'amis bien placés. Le schéma tracé depuis l'entrée à Poudlard de Severus Rogue s'accomplirait alors que Sirius Black s'était détourné de ce chemin. La rébellion n'avait rien eu d'aisé, et il méprisait l'être lâche qui se trouvait en face de lui.

-Et où mettrais-je les pieds, selon toi ? siffla Rogue, dangereusement près de son visage. Sous le saule, où vous disparaissez bien trop souvent ?

Il leur arrivait d'y trouver asile en journée, et la colère submergea le Gryffondor, parce que cet enflure les suivait pour prouver à tout Poudlard qu'ils étaient des criminels, parce qu'il serait un jour du côté de Voldemort, et parce qu'il le méprisait de tout son être depuis leur première rencontre.

-Encore faudrait-il que tu saches appuyer sur un nœud, se moqua-t-il dans un murmure presque séducteur.

-Visiblement tu as de l'entraînement.

La perfidie dans la voix de son ennemi ne le désarçonna pas et il se contenta de japper joyeusement, imaginant la terreur sur le visage disgracieux qui le dévisageait avec haine, et la frayeur qu'il aurait dans cette maison soi-disant hantée... Ni l'un ni l'autre ne baissaient les yeux, et ce fut seulement lorsque des bruits de pas se firent entendre que le contact se rompit. Sirius resta dans le couloir, un sourire machiavélique aux lèvres, riant de la réelle peur qu'aurait le lâche Snivellus Rogue.


La nuit tombait toujours tôt dans les premiers jours de Mars, ce qui signifiait que Remus se trouvait déjà dans la Cabane Hurlante avant que les autres Maraudeurs ne puissent le rejoindre. Les discussions tournaient autour de la politique d'Harold Minchum, et Franck Londubat, James et Sirius s'étaient engagés dans un débat passionnant tandis que Peter et Alice soupiraient et discutaient de la dernière trouvaille du professeur Brûlopot.

-Je suis certain que Minchum brime la Gazette, commentait Franck, et qu'il s'agit d'une idée stupide.

-La population risque de s'affoler, non ? Si les Aurors peuvent discrètement agir...

-James... Je suis en relation avec quelques Aurors, d'accord ? Je voulais m'informer sur comment les choses allaient se dérouler pour moi l'année prochaine et... Ils ont du mal à anticiper les attaques, et la population ne comprends pas ce qui lui arrive. Les journaux sont notre mode de communication, sans eux, la terreur pourrait prendre le dessus.

-La Gazette publie des insanités une fois sur trois, répliqua le jeune Potter en haussant les épaules. Elle pourrait faire plus de dégâts qu'autre chose.

-Il n'est pas bon de tenir les sorciers dans l'ignorance, murmura Sirius. Ils risquent de faire les mauvais choix, appâtés par une propagande bien menée.

Londubat lui adressa un regard appréciateur.

-Tu veux aussi être Auror, n'est-ce pas ? Tu démarres bien... Moulin nous a fait un cours... assez bouleversant la dernière fois.

Il parlait d'une voix lente et mesurée, qui tranchait avec son physique fin et son regard vif. James s'empressa de lui demander quelles techniques leur avait été enseignées, mais le septième année fut évasif, et les quelques renseignements qu'il donna fit froncer les sourcils de ses cadets. Sirius savait, du plus profond de son âme, qu'il se tiendrait debout, prêt à mourir pour des idéaux, plutôt que de rejoindre Voldemort il avait déjà expérimenté la sensation, et le doute n'occupait aucune place dans son esprit. Il songea aux Serpentards et à d'autres de ses camarades, moins conscients de ce qui se tramait, puis ses pensées revinrent sur Rogue. Il devait distraire son meilleur ami.

-Il faudra qu'on prépare une farce dans la Cabane Hurlante, souffla-t-il à son oreille.

-Pourquoi ? répondit James aussi discrètement.

Le repas se terminait, la Grande Salle se vidait. Peter continuait de discuter avec Alice Lightwood, et nul dans la foule ne pouvait vraiment les entendres.

-Disons que nous allons pouvoir nous distraire, sourit Sirius. Rogue sait où nous allons, et il n'abandonnera pas... Si on lui permet d'aller voir par lui-même et qu'on l'effraie sur place, en plus d'apprendre ce qu'est la peur, la vraie, face aux dangers d'aujourd'hui -sans le blesser-, il nous fichera la paix, et on aura de quoi rire !

Un éclat malicieux se mit à briller dans les prunelles de James, mais il se mordit la lèvre.

-Lui dire comment passer, lui ouvrir la porte sur notre repère... L'idée est excellente et on va pouvoir imaginer, mais je ne suis pas sûr que ce soit sain... Imagine qu'il y aille un soir de pleine lune.

Sirius s'immobilisa, et le flux d'élèves les bouscula. Son ami se retourna.

-Je lui ai déjà dit comment faire, J- Cornedrue...

-Tu as quoi ? Quand ?

-Tout à l'heure... Merlin...

Il lui sembla que sa voix s'étranglait dans sa gorge. L'air peinait à arriver.

-Patmol...

La voix de James était polaire, sifflante, et alarmée.

-Rogue n'attendra pas. Il veut savoir. Il veut nous faire renvoyer. Il ne va pas attendre qu'on prépare quoi que ce soit.

-C'est un lâche, grimaça Sirius. Il n'ira jamais jusqu'au bout en entendant les cris... N'est-ce pas ?

Ses jambes menacèrent de le lâcher et il dut s'appuyer contre le mur alors que la pièce tournait. James, en revanche, se tenait droit, tout son corps tendu à l'extrême, un masque glacial figé sur son visage.

-Il ira.

Cette expression sur son visage... Jamais Sirius ne voulait plus la revoir dirigée contre lui. Il lui semblait qu'un étau comprimait sa poitrine. Si d'ordinaire il se montrait très impulsif et courageux, il ne souhaitait en cet instant que se recroqueviller en boule et prier pour que ses erreurs s'effacent.

-Va trouver Peter, ordonna son meilleur ami de cette atroce voix distante. Empêche le de venir, si notre secret est découvert, nous sommes bons pour la justice. Je me charge de Rogue.

-James, non ! Je ne te laisses pas...

-Obéis ! Nous n'avons pas le temps !

D'ordinaire, un ordre aussi direct ne poussait l'adolescent qu'à la rébellion, mais la boule dans sa gorge et le manque d'air affluant dans son esprit le firent obtempérer, alors que l'animagus Cerf ruait vers le point de sortie le plus proche.

Peter ne posa aucune question et s'abstint de tout commentaire ou de tout mouvement de recul. Il se contenta de hocher la tête, et de subtiliser la cape de James dans ses affaires, avec une efficacité remarquable. Il la souleva et indiqua à son ami de se glisser dessous avec lui.

-Elle va nous ralentir.

-Il faut protéger notre secret.

A sa grande horreur, Sirius sentit des sanglots se former dans sa gorge.

-Je dois rejoindre James, s'étrangla-t-il.

Peter agita de nouveau la cape, et il finit par le rejoindre. Ils quittèrent le dortoir et parvinrent au rez-de-chaussée sans encombre. Sirius sentait l'hystérie le gagner. Ils se glissèrent dans le parc sous une nouvelle slave de grêle mais rien d'autre que James, Remus et Rogue n'importait. Il sortit de la cape d'invisibilité et s'élança dans la nuit. L'odeur du sang parvint à ses narines aiguisées par son accomplissement en animagus, et James entra dans son champ de vision, soutenant, emprisonnant à moitié leur ennemi.

-James ! hurla-t-il.

L'adolescent s'arrêta, et le contempla de son expression toujours aussi glaciale.

-Vous êtes blessés ? Est-ce qu'il a mordu... ? Qui saigne ? Qu'est...

-Sirius, il faut qu'on aille chez Dumbledore, décréta son ami.

Rogue était blême, il tremblait, mais des injures sortirent de sa bouche lorsqu'il aperçut le jeune Black.

-Peter... Je ne vais pas laisser...

-Je vous suis, fit la voix de son ami à son oreille. Personne ne me verra.

-Tiens toi tranquille, Rogue ! ordonna James. Sirius est là, et on va voir Dumbledore.

Ils devraient entrer dans le château... La main de Sirius tenait sa baguette, et elle se leva vers le Serpentard.

-Silencio.

Ils devaient au maximum protéger Remus. James manifesta son approbation des yeux. Le manque d'air rendait l'animagus chien à moitié fou, et la panique qui enflait en lui n'aidait pas. Derrière lui, les tapis recouvrant le sol s'affaissaient légèrement sous les pas invisibles de Peter. La statue d'aigle tourna lorsque James y frappa, et le jeune Pettigrow se posta contre le mur, où il attendrait qu'ils redescendent. Sirius monta les marches de marbre tant bien que mal, le cœur battant à tout rompre, incapable de penser à autre chose qu'à chaque geste qu'il initiait. Tout lui paraissait soudain trop abstrait et trop réel. Il apparut dans l'encadrement de la porte derrière son ami qui poussait Rogue en avant, et le professeur Dumbledore se leva alarmé en constatant l'état des trois étudiants. Sirius essaya de fermer la porte d'une main tremblante.

-Professeur, déclara James, je suis désolé de vous déranger... Il s'est produit un incident.

Rogue se retourna avec force et sa bouche remua tellement qu'il fut évident qu'il hurlait contre les termes employés.

-Je m'en aperçois, monsieur Potter, et à en juger par votre état et la date, je crains de comprendre. Asseyez vous.

Quelques fois, les Maraudeurs avaient été convoqués dans le bureau du directeur, mais jamais celui-ci n'avait eu l'air aussi grave. Les trois élèves prirent place sur les chaises que Dumbledore venait de faire apparaître. Rogue continuait de hurler, et le regard bleu de l'homme se posa sur lui.

-Je lui ai jeté un sortilège de mutisme. Je ne voulais pas qu'il hurle dans tout Poudlard...

Le son de sa propre voix le terrifia : éraillée, vacillante, et laissant voir toutes ses émotions.

-La porte est verrouillée, déclara Dumbledore, et il serait injuste que monsieur Rogue ne jouisse pas du même droit de s'exprimer que vous.

D'un geste souple, il libéra enfin le Serpentard, qui bondit pour vociférer.

-Black a essayé de me tuer !

-Non !

Le cri sortit de Sirius sans qu'il puisse le retenir. Terrifier Rogue, l'humilier, s'amuser à ses dépends, sans aucun soucis, mais pas le tuer.

-Il m'a envoyé dans la gueule d'un monstre assoiffé de sang, et ce, délibérément !

-REMUS N'EST PAS UN MONSTRE !

Le cri sortit des deux autres dans un même éclat révolté.

-Je ne suis pas un assassin ?

-Ah non ?

La voix de Rogue s'abaissa pour retrouver le calme olympien de leur altercation antérieure.

-Que serait-il arrivé si Potter n'avait pas voulu vous sauver, Black ? Que serais-tu, juste maintenant, si j'étais mort ?

Une profonde nausée envahit l'adolescent, alors que Dumbledore levait une main pour les interrompre.

-Je veux comprendre ce qui s'est produit. Sirius, Severus, taisez vous. James, s'il vous plaît, pourriez vous me faire un compte rendu ?

Atterrés, les deux autres l'écoutèrent retracer l'idée de Sirius, la réalisation, et son périple dehors. Le jeune Potter demeurait aussi froid que Moulin pouvait se montrer, récapitulant les événements avec calme et clarté. Peu rompu à l'exercice, il ne pouvait empêcher sa voix de flancher néanmoins.

-Rogue était dans la pièce lorsque je suis arrivé, et Remus, qui avait du monter en haut, se trouvait dans les escaliers prêt à bondir. Il avait les babines écumantes... Je crois qu'il va souffrir, demain. J'ai attrapé Rogue, et nous sommes passés par la trappe mais j'ai du mal viser et nous avons éraflé le bois. J'ai dû le tirer violemment en arrière, je pense qu'il a l'épaule déboîtée. Lorsque je suis arrivé dans le parc, Sirius nous attendait et nous sommes montés ici.

Les flammes du chandelier posés sur le bureau dansaient dans les yeux perçants du directeur. Un silence pesant s'installa, insoutenable en attendant la sentence.

-Sirius, la parole est à vous. Pourquoi avoir envoyé Severus sous le saule, quand vous saviez pertinemment que Remus, transformé en loup-garou, s'y trouverait, et ce qui risquait de s'y produire ?

Ses mains tremblaient.

-Je lui ait indiqué comment passer. Il voulait... Il savait que Remus y va parfois... Et nous... Je voulais lui faire une mauvaise blague, la préparer pour quand il viendrait. Je pensais qu'il n'irait jamais au bout s'il choisissait un soir de pleine lune, parmi tous les jours du mois, parce qu'il est lâche.

-Espèce de...

-Je ne suis pas un assassin. Je ne suis pas un criminel.

-Vous auriez pu en devenir un ce soir, volontairement ou non, lui indiqua durement l'homme.

Sirius hoqueta et sentit la bile affluer dans sa gorge. Il serra les dents, incapable de continuer à parler.

-Severus, soupira le directeur. Cette affaire n'aurait jamais du vous concerner. Vous n'auriez pas du avoir de réponses à vos questions, mais vous n'auriez pas du continuer à les chercher. Vous n'êtes pas responsable du comportement de Sirius, comprenez-moi bien, en revanche vous êtes responsable du vôtre.

Le Serpentard parut sur le point de bondir de son siège.

-Ne puis-je m'exprimer, monsieur ? s'enquit-il, les dents serrées, luttant pour garder son sang froid. Potter, Black, Lupin, Pettigrow... Depuis des années nous nous affrontons, à quatre contre un. Ils fouillent dans mes affaires, je fouille dans les leurs. Je suis curieux, je voulais savoir ce qu'ils trafiquent, en effet. Mais jamais je n'aurais pu deviner qu'un de mes camarades de seize ans aurait le potentiel de commettre un meurtre.

-Tu n'as pas entendu, Rogue ? Sirius est un connard pour avoir fait ça, je l'affirme, mais il ne voulait pas te tuer ! Et balaies devant ta porte ! Tu es plongé jusqu'au cou dans la magie noire, tu es autant à même d'être un assassin que lui, voir plus.

-Silence !

Le ton glacial de Dumbledore ramena aussitôt le calme.

-Je ne tolérerais pas de pareilles accusations. D'aucun côté. Bien. Severus, vous êtes responsable de votre comportement, ce qui signifie que vous avez le choix de révéler à qui vous le désirez la lycanthropie de Remus Lupin. Sachez que si je dois le renvoyer de Poudlard par vos paroles, vous le suivrez. Je ne veux jamais entendre un mot là dessus en dehors de ce bureau, est-ce compris ? Trahir le secret de Remus Lupin serait considérer que vous décidez mieux que moi ce qui est bon pour Poudlard, et mes décisions.

Sirius parvint enfin à avaler une réelle goulée d'air. Les battements de son cœur s'apaisèrent et il lutta pour que les larmes ne débordent pas de ses yeux.

-James vous a sauvé la vie ce soir. Vous avez désormais une dette magique envers lui, il faut que vous en soyez conscient. Il mériterait une récompense pour sa bravoure, mais tout ceci n'aurait jamais du se produire. Vous et Sirius devrez le remercier. Quant à vous, Sirius... Ce que vous avez fait est grave. Vous avez mis en danger la vie de trois de vos camarades et auriez pu être responsable de la mort de deux d'entre eux. Ceci peut se produire dans une école de magie et je vous croit lorsque vous me promettez que vous ignoriez la portée de vos actes. Présentez vos excuses à James, Severus, et à Remus également. Vous passerez les prochains samedi en retenue, jusqu'à la fin de l'année, à réfléchir sur vos actes, et votre autorisation pour Pré-Au-Lard est suspendue jusqu'en juillet également. Nous en resterons là, néanmoins, et je veux votre parole à tous les trois.

Sirius ne contesta pas. Il promit, s'excusa, et remercia James en se forçant à le regarder dans les yeux. Deux prunelles marrons distantes.

Il se trouvait au chevet de Remus le lendemain. Trois côtes cassées, du sang sur le visage, les poignets dans un triste état à force de les mordre... Tant de blessures qui avaient disparu depuis qu'ils le rejoignaient la nuit.

Peter et James l'encadraient. Et Remus ouvrit les yeux.

o°o°O°o°o

Deux mois entiers durant lesquels rien ne se passait, à enchaîner les réunions de l'Ordre, à demeurer dans l'enceinte de Poudlard, sans même la possibilité de sortir dans le parc. Deux mois de torture où Artemis commençait à ressentir une certaine claustrophobie. Ils attendaient une attaque, et se devaient de rester sur leurs gardes. Lucius se trouvait toujours alité, un bandage recouvrant son torse, et la tension qui montait chez leur meneur devenait plus insoutenable jour après jour. Harry ne tenait pas en place, et le garçon le sentait arriver depuis la pièce voisine. Assis sur un fauteuil au tissu en lambeaux dans l'ancienne salle commune des Gryffondors, il s'enfonçait dans un ennui trop tendu lorsque des bruits de pas l'alertèrent.

-Je te cherchais, Artemis.

La voix douce, un poil rauque de Neil l'enveloppa et il lui adressa un sourire maladroit. Le garçon remit une mèche brune derrière son oreille et s'assit par terre, posant sa tête sur l'accoudoir du fauteuil où il se trouvait. Un œil vert et un autre bleu se braquèrent sur lui, où brillaient intelligence et malice.

-Tu me manques. Je sais que tu t'isoles parce que tu ne supportes plus l'enfermement, mais tu me manques.

Artemis hésita, puis enfoui sa main dans les cheveux de Neil. Il fut aussitôt assailli par les souvenirs des quatre derniers jours, et l'autre garçon patienta le temps que le flux se tarisse.

-Tu es inquiet pour Lucius ?

-Oui.

Neil se releva, pour venir se placer devant le garçon et lui tendit une main qu'il saisit précautionneusement. L'attirant dans une étreinte douce, Neil commença à balancer son corps, créant un rythme rassurant. Son odeur de feu et de terre et l'amour qui émanait de lui créèrent un cocon réconfortant.

-Neil...

-Je suis là.

-Non, tu n'es pas là. Tu n'es plus là, et tu ne seras plus jamais là pour moi. Je suis condamné à t'aimer et à être éloigné de toi, à ne plus avoir comme autre image de toi que ton corps arqué sur le sol et ton rire dément.

L'image se déforma pour laisser place à un cachot et aux cris qu'il venait de mentionner.

Asellus s'éveilla dans un sursaut, trempé de sueur, des larmes roulant sur ses joues et le vide dans sa poitrine hurlant à l'agonie. Il se retrouva déstabilisé dans ce lieu où il dormait depuis plusieurs mois, et incapable de se raisonner pour se calmer. Tout le rendait malade, de la trop puissante lueur de la lune décroissante aux ronflements d'Octave, y compris les frottements de Kamal contre ses couvertures ou la lueur bleuté du dortoir. Il enleva prestement son haut, tentant de se concentrer sur autre chose mais son corps refusait d'occulter la douleur. La solitude le submergea. Il n'avait pas réellement pris le temps de pleurer la perte de Neil, son impossibilité à jamais le revoir, et l'amour qu'ils se portaient, et qui refusait de se dissiper.

-Sept décembre 1381, l'Eglise et le gouvernement français s'allient avec le ministre de la magie...

Les mots éraflaient la gorge du garçon, qui se tut. Rien ne parviendrait à l'apaiser rien ne ferait fuir ses sentiments. Il s'extirpa des draps enroulés si forts autour de lui qu'ils en avaient gravé sa peau et se laissa tomber sur le sol. Sa nuit venait de se terminer, peu importait l'heure, et son emploi du temps s'en trouvait chamboulé. Les larmes roulaient toujours sur ses joues, gouttes brûlantes sur son torse recouvert de sueur glacée. Son esprit dériva vers Lydell, et il sortit précautionneusement du dortoir, puis de la salle commune. Neil... Il l'aimait. Toujours. Intensément. Malgré les douze mois sans le voir qui s'étaient écoulés, malgré les années qui les séparaient désormais, malgré les relations qu'il construisait.

-Etapes du deuil classique : Déni, Colère, Marchandage, Dépression, Acceptation.

Au vu de son état, il devait se trouver en phase de dépression, pourtant il ne se souvenait pas avoir passé les trois premiers...

-Deuil non classique : inconnue.

Il inspira profondément alors que ses pieds nus s'enfonçaient dans la moquette, passant parfois sur la pierre froide et inégale du château. Il allait devoir construire seul ses étapes. Les larmes continuaient de rouler sans qu'il les retienne, son nez également, lui causant des difficultés à respirer convenablement.

Culpabilité. Souffrance. Anxiété.

Asellus tressaillit devant les émotions qui l'envahissaient, et s'assit sur le sol, sous un portrait qui l'observait avec intérêt.

-Tu sais que la chatte du nouveau concierge a un don pour trouver les élèves errants ? s'enquit l'homme peint dessus.

Pose gracieuse. Torse nu, toge. Boucles. Baguette, lueur argentée. Yeux noirs. Toile très ancienne, grignotée. Cadre récent. Andros, l'invincible.

-Seul sorcier à nos jours à avoir réussi à produire un patronus géant.

-Intéressant, lança le portrait en le gratifiant d'un sourire charmeur.

Froid. Stupidité.

Un jeune homme pâle, couvert de sang séché, dans un lit blanc.

Le garçon fit un bond pour se mettre sur ses pieds, attirant un nouveau commentaire du portrait. Les émotions ne provenaient pas de lui, quoi qu'elles s'approchent tant de son propre ressenti qu'il n'avait pu les dissocier. L'esprit qu'il captait lui était familier, néanmoins, et ce fut sans surprise qu'il reconnut la silhouette au maintien droit et aux longs cheveux sombre de Sirius. Le Gryffondor marqua un temps d'arrêt devant le garçon assis au sol, puis s'agenouilla lorsqu'il le reconnut.

-Est-ce que tu vas bien Asellus ?

-Je ne sais pas.

Sirius se redressa légèrement et passa une main derrière sa nuque.

-A vrai dire, moi non plus.

Il s'assit aux côtés du jeune Serdaigle, prenant toujours garde à ne pas le toucher, et ses yeux s'attardèrent sur son torse nu et marqué par la guerre. Ils se tinrent compagnie en silence durant un long moment, et le portrait d'Andros le respecta.

-Je me suis montré incroyablement stupide, lança enfin Sirius.

Des flashs heurtèrent l'esprit d'Asellus, qui comprit aisément de quoi il s'agissait.

-J'ai failli faire tuer quelqu'un. J'ai failli faire tuer Rogue, et je pourrais me dire que mieux vaut lui qu'un autre, mais non. Remus aurait pu devenir un assassin.

La scène se rejouait dans l'esprit de l'adolescent, si puissante que son camarade put obtenir tous les éléments sans même le questionner.

-J'aurais voulu qu'il me pardonne aisément, qu'en une semaine ce soit oublié, mais je le sens furieux. Je l'ai trahi... Je nous ai tous trahi. J'ai donné une information où l'on aurait du se concerter tous les quatre, en tant que Maraudeurs. Le pire... Le pire c'est qu'ils ne m'ont même pas mis à l'écart, ou hurlé dessus. Remus m'a simplement demandé de lui laisser un peu de temps pour reconsidérer notre amitié et faire concorder l'image qu'il avait de moi avec...

La tristesse qui émanait de Sirius prenait Asellus à la gorge, et il ignorait désormais si les larmes qui coulaient sur les joues étaient siennes ou celle de son oncle. Il inspira profondément, ses doigts commencèrent à créer des boucles sur le sol, et il tenta de trouver des mots, qui seraient de toutes façons maladroits, mais peut-être justes et à même de l'aider.

-Tu n'as pas pensé que tu voulais tuer Rogue. Tu ne voulais pas le tuer.

Sirius eut un bruit étrange, qu'Asellus avait au fil des ans appris à reconnaître comme ironique, cynique.

-Vraiment ? Je ne sais plus.

Le garçon hésita, vérifia ses barrières occlumentiques, puis, précautionneusement, les rendit plus translucides, plus fines. Avant qu'il ne décide de les abaisser très légèrement, l'esprit de Sirius si facile à capter envahit le sien.

Rogue. Je hais Rogue. Je le méprise. Pourquoi n'aurais-je pas voulu sa mort ? Suis-je un assassin manqué ? De quoi suis-je capable ? Pourquoi ai-je donc quitté ma famille ? Je ne vaux pas mieux qu'eux. Rogue est capable de tuer. Rogue est plongé dans la magie noire jusqu'au cou, et je sais qu'il suivra les traces de Voldemort. Ai-je voulu commencer la guerre ce jour-là ?

-Bon sang ! Asellus ! Asellus !

Il émergea en prenant autant d'air que s'il avait risqué de se noyer. Sombre, tourbillonnant, il avait failli se perdre dans les méandres, parce qu'il se trouvait toujours incapable de maîtriser sa magie mentale.

-Tu te remets en question, c'est normal, mais sur le moment, tu ne voulais pas sa mort. Tu voulais simplement l'effrayer. Tu voulais lui faire une mauvaise blague, et je désapprouve parce que ce que vous faites sur Severus Rogue depuis la première année est du harcèlement.

-Il le cherche, Asellus ! Il l'a toujours cherché, il est purement mauvais.

-Non. Caligula veut être pur dans le mal. Voldemort aussi.

Sirius se recroquevilla comme si l'autre garçon venait de lui assener un violent coup.

-Dire que je pensais que James devait apprendre à se contrôler. Je suis toujours autant un adolescent que lui, malgré la vision que j'ai de la situation d'aujourd'hui.

Un temps de suspension s'instaura.

-Asellus. Comment sais-tu que je voulais l'effrayer ?

Il refusait de lui cacher. Il s'agissait de Sirius, et il pourrait garder le secret, comme il l'avait fait pour Remus durant des années, pour tant de choses...

-J'ai des dons en magie de l'esprit. Je ne les contrôles pas bien.

Quelques questions survinrent, mais le Gryffondor se contenta de peu. Ils devaient se calmer, tous deux. Deux personnes, en dehors de Lydell et Dumbledore, savaient désormais ce qu'il en était, bien que seul Kamal ait une idée de l'étendue de sa situation. Assis aux côtés de Sirius, le réfugié se sentit fragilisé, et coupable. Il peinait à discerner sa relation avec son oncle de la relation qu'il construisait avec l'adolescent, à se reconstruire et à appréhender le passé pour vivre avec. Sa raison le poussait à avancer mais ceux qu'ils avaient laissé derrière lui manquaient toujours, malgré les liens qu'ils construisaient à vitesse humaine.

-Qu'est-ce que tu fais là, Asellus ? Tu es à moitié nu et loin de la tour.

-Je voulais rejoindre Lydell.

Sirius et lui s'entendaient bien, parce que Sirius ne lui tenait pas rigueur de sa maladresse sociale et de ses étranges manies. Il le prenait tel qu'il le voyait et l'appréhendait, et il portait un point de vue sur le monde que Lydell n'aurait pas, parce qu'il ignorait le futur et la désolation.

-J'aime Neil. Son absence... elle est douloureuse.

Ses barrières tenaient de nouveau, ancrées dans leurs bases mentales, mais rien ne pouvait bloquer les émotions, et la compassion et l'interrogation émanèrent de l'autre garçon pour se faufiler jusqu'à lui.

-Tu ne le trahira pas en tombant de nouveau amoureux, Asellus.

-Non.

Sirius fronça les sourcils, mais le problème tenait dans les émotions, pas dans la raison.

-Je suis en train de le pleurer, je crois. Nous devions partir, et je ne regrette pas, mais je continue à rêver de lui. Tu ne peux rien y faire, pas plus que moi. Les émotions s'estomperont, les sentiments resteront en souvenir.

-A quoi ressemblait-il ?

Asellus ne voulait pas en parler et ne répondit pas. Il sentit qu'il venait de blesser le Gryffondor, mais ignorait comment lui expliquer qu'il désirait garder son souvenir à l'intérieur de lui, précieusement et sans y toucher, une boule de chaleur réconfortante qu'il verrait évoluer un jour.

-C'était un garçon, commenta Sirius. Tu as déjà été attiré par des filles, ou est-ce que...

-Simplement Neil.

-Je voulais dire... es-tu homosexuel, ou s'agissait-il simplement de lui ?

La question déstabilisa le Serdaigle, qui répondit lentement de sa voix monocorde.

-Seuls les garçons m'attirent. J'aime Neil parce qu'il est Neil. Etait.

Sera, ou non, car dans quelle mesure la guerre les avait-elle tous deux façonnés ?

-Être amoureux est quelque chose d'étrange, enchaîna Sirius d'un murmure. Comment peut-on jamais être certain du sexe qui nous attire, de la raison...

Son regard parcourut le visage d'Asellus, puis descendit sur son torse malingre et ses bras qui commençaient à peine à reprendre un peu d'épaisseur.

Questionnement. Hésitation.

Une question refrénée, qui alerta légèrement le garçon aux cheveux blancs, puis les yeux de Sirius revinrent s'ancrer dans les siens, comme chaque fois qu'ils se faisaient face, une habitude qui créait une sensation d'angoisse chez lui.

-Tu peux venir me parler n'importe quand tu sais, Asellus. Je considère que nous sommes amis.

Ses prunelles bleues s'élargirent, alors qu'il peinait à savoir comment réagir, se contentant d'un sourire ressemblant plus à un rictus. Sirius s'approcha, et instinctivement, lui se recula. L'adolescent étira ses lèvres avec amertume.

-Une guerre approche, et je le sais autant que Lydell Moulin et toi. L'ambiance est étrange, et les autres refusent d'ouvrir les yeux, car comme James, ils se sentent à l'abri dans leur monde d'insouciance. J'ai entendu ma famille, Asellus, et crois-moi, ils ne seront pas du bon côté. J'attends que la guerre éclate au grand jour pour pouvoir me rendre utile.

Le réfugié se doutait que Sirius était le plus clairvoyant des Maraudeurs sur la situation, et en cet instant, il le sentit perdu. Il redressa les épaules et inspira profondément.

-Voldemort gagne en puissance dans l'ombre mais il agit sur les esprits, distille la peur et des informations, et des clans inconscients commencent à se créer, c'est ce qu'on nomme une guerre larvée. A la différence de la Guerre Froide dans laquelle se trouve l'URSS et les Etats Unis depuis 1949, les deux partis reconnaissent leur existence et tentent de se combattre discrètement, ce qui permet des manœuvres vicieuses sur la population, et des tensions qui montent sans que le danger ne soit verbalisé. Ceux qui ne sont pas directement contactés ne peuvent choisir de camp, mais le danger plane sur ceux qui commencent à agir malgré tout. En tant qu'adolescents, nous nous trouvons piégés, et la micro-société qu'est Poudlard verra reproduire les mécanismes du dehors.

Les prunelles acier de Sirius scintillèrent d'appréhension et il hocha gravement la tête.

-En attendant nous ne devons pas oublier de vivre, même si c'est dur.

-L'attente est pire que la guerre. En tant de guerre on survit mais on avance.

Une compréhension mutuelle se créa entre eux sans qu'ils ne fissent usage de plus de mots.

Vivre. L'éternelle et même question.

o°o°O°o°o

La salle des professeur était particulièrement agitée ce vendredi après-midi, probablement parce qu'ils s'agissait du moment où la plupart d'entre eux n'avaient pas cours et que nul ne rentrait chez lui pour le week-end. Les corrections des copies attendraient le lendemain, et ils discutaient plus ou moins joyeusement autour de tasses de thés et de biscuits. Stradamus Shröd, le professeur d'Arithmancie, avait même ramené de l'excellent chocolat d'Honeydukes d'une virée à Pré-Au-Lard. Debout près de la théière, Lydell écoutait distraitement Horace Slughorn et Filius Flitwick discuter des élèves les plus doués de chaque année, grimaçant au nom de Bartemius Croupton qu'il ne parvenait toujours pas à appréhender comme un élève normal, souriant en entendant parler des dons de Lily Evans en potions.

-Je vous signale, Thandruil, qu'il s'agit de mon élève.

-Trahir ainsi est dangereux... répliqua l'homme.

-Sirius Black n'a rien de dangereux.

La voix sèche de Minerva attira l'attention du réfugié qui délaissa l'idée d'un thé au jasmin brûlant pour se rapprocher des deux adultes qui s'entêtaient à discuter entre eux bien qu'ils ne se supportent pas.

-Je n'avais pas fini, répliqua le professeur d'Etudes des Moldus. La trahison de Mr Black était un acte inconsidéré que je ne tolère pas chez quelqu'un qui est conscient des enjeux. Néanmoins, il me semble que s'acharner sur sa personne en cours sans raison apparente est indigne.

-Indigne ! s'exclama férocement la femme.

Lydell demeura immobile et droit, écoutant attentivement débattre d'une situation qui se répercutait bien trop en lui. L'incident dont il connaissait tenants et aboutissants depuis ses treize ans lui avait brutalement renvoyé en pleine figure que la vie avançait et continuait, et qu'il ne se construisait toujours pas, se contentant d'observer en attendant de pouvoir agir dans un bouleversement majeur. Les prochains événements suivraient : le commencement du couple entre Lily Evans et James Potter, les ASPICs, l'enrôlement de Severus Rogue chez les Mangemorts, la Première Guerre, la disparition pour seize ans de Regulus Black, le mariage de Lily et James, sa naissance, la trahison de Peter, la prophétie,... Et entre temps, tant de morts qu'il pourrait ou non éviter, et sa place d'observateur où, durant les années où il n'aurait rien à faire, lui pèserait.

-Le lait est chaud, si vous le désirez Lydell, fit la voix douce de Melody.

Il posa les yeux sur la femme replète, qui lui tendait une tasse embaumant le citron.

-Juste un sucre, je pense, répondit-il. Merci. Je veux dire...

Elle inclina la tête.

-Vous savez, je pense que nous ne devrions pas intervenir sans quoi ils vont nous retomber dessus.

Elle lui indiqua avec un mouvement du menton les deux collègues qui devenaient de plus en plus glaciaux l'un envers l'autre.

-Parfois il faut prendre des risques, répliqua-t-il eu peu trop sèchement, et il s'obligea à sourire pour atténuer ses propos.

Il avait vu Asellus s'asseoir aux côtés de Sirius dans ses cours, tenter maladroitement la conversation, puis discuter tranquillement avec Kamal qui essuyait ses inquiétudes d'un haussement d'épaules, et le sourire incertain revenir sur son visage durant les repas, assis entre Pandora et le préfet. Il se sentait heureux que son jeune frère (son neveu), s'épanouisse, mais il réalisait qu'il devait tenter de l'imiter.

-La Guerre... commença-t-il avant de s'interrompre.

Elle était omniprésente dans son discours, et Melody, qui l'approchait malgré tout, en aurait peut-être rapidement assez. Mais la petite femme sourit.

-Vous êtes traumatisé, Lydell. Dites moi, avez vous eu l'occasion d'étudier les Runes ?

-J'avais choisi Divination. Je l'ai rapidement regretté.

Il hésita, calcula, puis jugea qu'une anecdote serait sans risque, et lui permettrait peut-être de se concentrer sur quelque chose de quotidien.

-Le professeur a prédit ma mort avant la fin de l'année... Plusieurs années de suite. Cela m'a rapidement permis de comprendre comment avoir de bonnes notes : me prédire un destin atroce se soldant par une mort dans de terribles souffrances. Mon meilleur ami et moi nous en amusions.

Il sourit en se souvenant de ce devoir où Ron et lui s'étaient noyés trois fois, et qu'ils avaient modifié sous les conseils d'Hermione. Son discours portait une part d'ombre, néanmoins, car il avait depuis lors enduré de pires souffrances que celles prédites. Melody rit, à sa manière douce et discrète.

-Une bonne manière de relativiser, en sommes.

Elle ne possédait pas la moindre once de tact, mais Lydell n'en prit pas ombrage. Il se contenta d'avaler son thé et de décrire l'examen de Ron comme le sien, à travers une boule de cristal.

Quelques minutes durant, il prit un intense plaisir à revivre ses souvenirs joyeux, teintés du soleil anglais et d'amitié.

Vivre. Un peu, au moins. Vivre, et se reconstruire.

Peut-être avec Melody Sleipnear en soutien, cette femme entre deux âges qu'il n'estimait au départ pas beaucoup, mais qui persistait malgré son attitude farouche.