Chapitre 399 : Carpe noctem
A mon départ, Rollo se fait appeler par le bailli. Ce dernier lui propose un poste dans la meilleure école catholique de la capitale où il y enseignera la religion.
Rollo accepte.
"Ma fille fréquente cette école, Flamm. Je vous demande de veiller personnellement à son instruction."
Jehane.
La première fois qu'elle a ployé le genou devant Rollo, doigts se saisissant de sa main tendue en avant, posant les lèvres sur le rubis couleur sang en gage de respect et de soumission, ses longs cheveux foncés, placés de chaque côté de sa poitrine, la parant d'une écharpe naturelle, ont fait forte impression sur Rollo.
Un bien joli brin de fille !... Volontaire et exigeante, elle excelle dans bien des domaines.
Son latin est impeccable.
Elle fourmille d'idées pour confectionner la crèche vivante du 25 décembre.
Rollo ne peut n'en dire que des louanges. Il demeure un instructeur comblé.
Son frère, lui, par contre, est davantage rêveur et demeure instruit par l'Évêque - privilège de l'héritier mâle, s'il en est.
Rollo demeure également le confesseur en titre de Jehane. Et c'est justement cela qui corsa l'affaire ce beau matin du 24 décembre.
"Pardonnez-moi mon père car j'ai gravement péché." sans presque sangloter.
"Je t'écoute, mon enfant." avec bienveillance.
"Je... je désire un homme."
Rollo se tend légèrement. Sa chère brebis... son innocent agneau...
"Un homme... d'église, mon père..." éclatant en larmes.
"Ton repentir semble sincère. Cet homme, s'il est tenu à ses vœux, se refusera de répondre à tes avances."
"C'est impossible, mon père !..." affolée.
"Mon enfant, il te faut cesser de nourrir ce vice."
Jehane abandonne la position de prière.
"Jehane ?... Mon enfant ?..."
Elle quitte le confessionnal et Rollo distingue ses pieds sous la tenture.
Un violent frisson lui prend l'échine.
Jehane tire le rideau.
Sans que Rollo puisse l'anticiper, la voilà qui vient chevaucher ses cuisses serrées à califourchon, mains s'emparant de son visage, bouche plaquée à la sienne, langue intrusive.
Rollo agriffe les doigts de part et d'autre de niche en bois, évitant surtout de la toucher !...
Rollo se redresse, tête heurtant le plafond.
Les respirations sont vives !...
"Mon père !..." plaquant sa paume à l'endroit de son sexe.
Rollo l'attrape par les épaules et la repousse, si bien qu'elle chute sur le derrière, hors du confessionnal.
Relevant la tête, elle le darde de pupilles meurtrières et revanchardes. "Je vous ferai sombrer !..."
"Tu me menaces ?!" s'avançant.
Jehane avance à reculons jusqu'à buter dans un banc.
"Mon père est bailli !... Que penserait-il si je lui disais que l'homme chargé de mon instruction a eu des gestes déplacés à mon égard ?"
Rollo crispe la mâchoire. "Le chantage, à présent ?!"
Elle demeure acculée tel un gibier pris en chasse par un rapace.
"Je vous aime !..." en dernier recours.
"Ce n'est rien de plus qu'un crachat." impitoyable.
Elle serre les poings. Cet homme se permet de rejeter son amour ?! Fort bien. Il sera le prochain à chuter !...
La jeunesse et la beauté glaciale de Rollo ont de quoi flatter les regards.
Il décide de laisser passer du temps pour que l'histoire fasse moins de remous dans le cœur de sa jeune élève.
Puis il l'invite à une discussion ouverte, sur le premier banc de l'église, devant l'imposant chœur et ce qu'il symbolise.
"T'es-tu repentie, Jehane ?"
Elle crispe les doigts sur ses cuisses. "Mon père... pourquoi me repoussez-vous ?..."
"Si j'y répondais, je serai passible d'excommunication."
"Mais... personne ne le saurait, mon père... nous resterions discrets !..." s'accrochant aux avant-bras de Rollo. "Mon propre père n'en saurait rien !..."
Rollo se dégage de sa prise. "Comment te faire regagner la raison, Jehane ?... Nous n'avons aucun avenir." coupant court aux élucubrations de la jeune fille.
"Ne m'obligez pas à user de la manière forte."
Rollo crispe la mâchoire, faisant sauter le masséter. "Vipère." est le premier mot qui lui vient à l'esprit.
"Dites que vous ne me trouvez pas attirante... dites-le moi en me regardant dans les yeux. Dites que mon corps vous laisse indifférent..." attrapant la main de Rollo pour la placer sur sa poitrine. "Mon père, la nature nous a dessinés pour nous unir."
"Blasphème." grimaçant.
"Je vous attendrai. Je vous conseille cependant de ne pas trop me faire patienter." rompant la discussion.
Alors que les cloches de Notre Dame annoncent la fin des obsèques, Rollo regagne les écuries et fait préparer sa monture.
Tunique courte portée sur chausses sombres et cuissardes au bord clouté, il glisse le pied dans l'étrier pour se hisser en selle, se saisissant des rênes.
Il quitte la place dans un galop presque effréné, sans se rendre compte qu'on le suit...
Il me retrouve au moulin. Nos jambes se frôlent alors que nous sommes encore en selle, nous embrassant, nous pensant seuls.
"Les choses ne se passent pas comme je l'aurai souhaité." me confie-t-il.
"Des ennuis ?..."
"Oui." sans toutefois en dire plus. "Quand repars-tu ?..." stressé à l'avance par la réponse, retirant le gant pour caresser ma joue, visages proches.
"Nous attendrons un temps plus clément pour nous mettre en route."
"Je dois alors prier pour que s'abatte sur le pays le pire hiver de tous les temps... pour te garder près de moi." posant son front contre le mien.
Jehane entre avec fracas dans la chambre alors que Rollo s'astreint à une séance de calligraphie.
"En voilà des manières !..."
Ivre de colère, elle bascule l'encrier et le papier.
"Vous en voyez une autre, voilà pourquoi vous refusez mes avances !... Votre sort est fait, mon père, je vais en parler à qui de droit ! Vous serez excommunié !..."
Rollo frémit. Ses paupières s'abaissent un moment sur la colère sourde qui lui creuse le ventre. Acculé. Par une gamine. Insupportable. Et pourtant... elle marque son premier point.
"Ferme la porte." lui l'indiquant du menton.
Jehane s'exécute. Rollo se lève, l'attrapant par les hanches, devant le lit. "J'espère que tu sauras savourer ton irrévérencieuse victoire. La peste soit de toi." plaquant ses lèvres sur les siennes, langue poussant contre ses dents, allant chercher la sienne, pressant son jeune corps contre le sien.
Il la prend en pied du lit, ses genoux au sol, haut du corps basculé sur le matelas, poigne dans sa chevelure interminable, basculant des hanches sans aucun égard, à moitié lové sur elle, la quittant pour se répandre sur son dos, d'une jouissance qui le soulève à peine.
Elle tourne la tête dans sa direction. "Je savais... que vous étiez ce genre d'homme..." assez fière de son petit stratagème.
"Tu ne sais rien de moi, petite garce." lui revient direct en boomerang. "Et le jour où tu le découvriras, tu brûleras."
"Votre bonne amie... la foraine... je vous interdis de la revoir..."
Rollo me fait délivrer une lettre. "Les ennuis annoncés viennent de se concrétiser. Nous devons redoubler de vigilance. Je m'attendais à toutes les pestes du monde exceptée celle-ci. Je te propose de me retrouver cette nuit sous le pont du Change."
Nous nous retrouvons sous le pont, encapuchonnés, nous embrassant à l'abri des regards.
"J'aimerai t'aider..."
"Je dois lutter contre... un fruit pourri." sur une moue qui en dit long. "Tu me manques tant..." caressant mon visage de ses doigts nus, autre main se liant à la mienne, tête basculée contre la pierre. "La lutte risque d'être longue... je dois jouer très serré."
Inutile que je questionne. Il ne lâchera rien.
Jehane l'assiste durant l'office. Dévouée. Secrètement avide d'être récompensée.
Alors qu'il quitte ses ornements d'apparat, elle vient se coller dans son dos comme une véritable sangsue.
"Je vous aime tant, Monseigneur Flamm..." passant la main devant, allant flatter le sexe de Rollo. "... et vous, vous aimez être ainsi désiré, n'est-ce pas ?..."
Rollo dodeline de la tête. Cette garce devient chaque jour plus audacieuse et entreprenante...
"Nous sommes du même sang, Monseigneur Flamm."
"Diablement pourri de l'intérieur, veux-tu dire ?..."
"Je peux sentir, chaque fois que vous me faites assaut, combien vos défenses faiblissent..."
Oui, enfin, c'est ce que je te laisse imaginer, petite garce... Il faut croire que je dispose d'un talent naturel pour la comédie.
Il attrape la main de Jehane et en embrasse le dos. "Pas ici."
"Un baiser et je disparais."
Rollo se retourne, la dominant de sa haute stature, attrapant son visage entre les mains pour déposer un baiser plein de promesse sur ses lèvres. "File."
Sitôt Jehane hors de sa vue, son visage crispe de dégoût. "Je te ferai brûler." la maudissant une nouvelle fois, avançant la main, doigts se raidissant autour de sa silhouette comme s'il pouvait déjà la broyer !...
"Laissez-nous." ordonné aux élèves en train de plier la crèche.
Jehane en sourit, dos tourné. "Ici ? Dans la crèche, Monseigneur Flamm ?..."
"Hellfire."
Ça, c'est l'appel pour que le sceptre symbolisant son pouvoir vienne trouver la paume de sa main.
Jehane se retourne.
Rollo lève les bras, sceptre tenu au-dessus de sa tête. "DARK FIRE !"
Aussitôt, des fleurs viennent tapisser le sol et les toiles de la crèche, envahissantes.
Jehane recule, trébuchant sur la mangeoire.
Rollo la désigne de l'extrémité de son sceptre magique. "Je te l'avais annoncé : je te ferai brûler. Comment as-tu pu ne serait-ce qu'imaginer pouvoir me tenir tête, vicelarde femelle ?!"
Les fleurs s'enflamment l'une après l'autre, jusqu'à nourrir de hautes flammes.
Voici Jehane prise au piège. Elle hurle, supplie. Mais Rollo se tient là, droit, inflexible.
"Brûle. BRÛLE !"
"Comment est-ce... possible ?..." se laissant tomber sur sa chaise.
"Une bougie mal éteinte... du moins, nous le supposons."
"Ma fille... ma petite fille..." au bord des larmes.
Rollo encaisse sans ciller.
Sous le choc, le bailli engage Rollo à offrir de prestigieuses obsèques à sa fille bien-aimée. Rollo y présidera avec tout le sérieux et le prestige qu'on lui connaît, renouvelant ses vœux en la Sainte-Mère l'Église. Il marchera en tête de cortège, portant la bannière de sa foi.
Bien. Après avoir débarrassé le parquet de son ambition de ce nœud disgracieux dans le bois, le voici bien décidé à reprendre l'histoire où nous l'avions laissée.
Hands on my neck, foot on my back
Closing in from every side
Bleeding me dry, I'm fading fast
Left for dead but I will rise up on my own
I could make it alone, I got all that I need to survive
(All that I need to survive)
Through the sweat and the blood, I know what I'm made of
It's the hunger that keeps me alive
This time, I'm coming like a hurricane, this time
I came to fight for the love of the game, unstoppable
That's why I, I'm undefeated
Off the leash, out of the cage, an animal
That's why I, I'm undefeated
I, I, I know I can beat it
Won't give up cause I believe it
Fight for the love of the game, unstoppable
That's why I, I'm undefeated
Here at the edge losing my ground
Stare into the great divide
Pushing me over, pulling me down
Almost dead, but I will rise up on my own
No, I'm never alone and it's all that I need to survive
(All that I need to survive)
Through the sweat and the blood, if I fall, I'll get up
It's the hunger that keeps me alive
This time, I'm coming like a hurricane, this time
I came to fight for the love of the game, unstoppable
That's why I, I'm undefeated
Off the leash, out of the cage, an animal
That's why I, I'm undefeated
I, I, I know I can beat it
Won't give up cause I believe it
Fight for the love of the game, unstoppable
That's why I, I'm undefeated
All the strength that I have, all the life that's left in me
I will give every breath to be everything I can be
I, I, I'm undefeated
I, I, I'm undefeated
I came to fight for the love of the game, unstoppable
That's why I, I'm undefeated
Off the leash, out of the cage, an animal
That's why I, I'm undefeated
I, I, I know I can beat it
Won't give up cause I believe it
Fight for the love of the game, unstoppable
That's why I, I'm undefeated
That's why I, I'm undefeated(*)
Rollo attrape délicatement mes doigts des siens, posant les lèvres sur mes phalanges.
"Nous ne serons plus inquiétés, à présent." m'assure-t-il.
Il se gardera bien évidemment de me livrer qu'il est le meurtrier de la fille d'Urbain.
"Urbain a perdu sa fille dans un incendie. Mon père a participé aux obsèques que tu as présidées."
"Je l'ai vu et lui ai parlé pendant que l'on remblayait sa fosse." sortant son mouchoir pour en couvrir le bas de son visage. "Quel triste sort."
Je lui fais baisser le mouchoir pour y découvrir un rictus particulièrement effrayant.
"C'était... toi ?..." choquée.
"Cette petite garce s'imaginait avoir déjà gagné la partie."
"Rollo... il s'agit... d'un meurtre."
"Je n'ai fait que nous défendre."
"L'écarter aurait suffi !..."
"Oh non, crois-moi, ce fond pourri, il fallait l'arracher à son terreau d'arrogantes certitudes."
"Rollo... cela fait de toi un meurtrier."
"Tu ne m'as strictement rien reproché lorsque je me suis servi de ma magie pour ôter la vie de ces deux vauriens l'autre jour." reniflant.
"La situation était bien différente !"
"En quel honneur, je te prie ? Parce que cette garce est la fille d'un notable proche de ton père ?" sec. "Elle nous menaçait de la même façon que ces deux fripouilles ! Seuls les motifs différaient." m'attrapant par les poignets pour me secouer. "Elle menaçait de dévoiler notre relation à son père et me faire excommunier."
"Doucement, Rollo..."
Il réalise et me libère, baissant la tête. "Pardon."
Rollo demeure allongé dans l'herbe, en contrebas. L'hiver vient de se faire un peu plus doux.
Je demeure sur le flanc, en appui sur un coude, caressant ses cheveux clairs, me penchant pour embrasser son front.
Il lève le menton, regard me cherchant, souriant, mains croisées sur sa poitrine.
Je profite de ma vue sur tout son corps. "Mon mage..."
"Ne m'appelle pas ainsi, je te prie." quittant mon regard pour fixer le ciel. "Ce pouvoir, je ne l'ai pas choisi. Jamais je ne l'ai voulu aussi destructeur... pour ma famille, pour moi." se perdant dans ses pensées obscures.
"Te hais-tu à ce point, Rollo ?..." doigts caressant sa mâchoire contractée. "Quel dommage. Tu es doué, érudit, prometteur."
"En penses-tu ne serait-ce qu'un traître mot ?..."
"Là, tu deviens vexant. Je ne serai pas avec toi ni me serai donnée à toi si je te jugeais absolument hors d'intérêt."
Je cherche à atteindre ses mains et il m'en offre une, la faisant reposer dans l'herbe.
"Depuis que j'ai souhaité un rude hiver, les jours ne cessent de s'adoucir. Que ceci est contrariant." se faisant plus doux dans la voix.
"Avant que je ne m'en aille, j'aimerai beaucoup que tu me racontes... ce qui est arrivé. Il faut te libérer de ce poids, Rollo... sinon je crains que tu finisses par sombrer avec cette charge."
Il soupire, fermant les paupières. "Mon petit frère... était si doué... si vif... il a acquis les bases de sa magie très jeune... la magie des flammes... celle qui brille avant de consumer. Il trouvait cela beau, ces étincelles le fascinaient... tellement qu'il en voulait davantage. A force d'accumuler de la magie, à l'utiliser de manière toujours plus intensive, elle a fini par développer son plein potentiel... or, il était trop jeune pour maîtriser un tel pouvoir. Il a fini... dévoré par les propres flammes qu'il avait générées... sous mes yeux." reniflant, au bord des larmes.
"Rollo..." caressant sa main.
"L'ironie est que... des années plus tard... j'ai hérité du même, monstrueux, pouvoir."
J'écarquille les yeux. "Oh..." sans cesser de caresser sa main.
"Jamais je n'ai demandé quelque chose de tel. Ce pouvoir, cette magie, je voulais les oublier. Au contraire, chaque fois que j'invoque ce pouvoir des flammes... c'est l'appel au secours de mon frère que j'entends !..." crispant la main. "Mon frère... cerné par les flammes... et moi incapable de lui venir en aide."
Je m'appuie sur le haut de son dos, bras replié sur son trapèze, main sur son bras.
"J'aime ton écriture, Rollo." tendre.
Il tourne la tête dans ma direction, m'embrassant sur la joue.
"Tu n'as pas froid ?" notant que je suis à peine habillée et que le feu commence à lentement se réduire à l'état de braises dans l'âtre.
"Tu as vraiment une bouche incroyable, Rollo..." traçant le chemin des lèvres, stoppant mon majeur dans l'interstice, forçant légèrement pour demander l'accès. Sa bouche s'entrouvre lentement et il laisse mon doigt pénétrer la chaude moiteur de sa cavité. "Capable d'exprimer aussi bien le mépris que le contentement..."
Ses dents viennent bloquer un instant mon élan avant de desserrer, phalange accueillie par sa langue dans un mouvement tournoyant. Il finit par la suçoter avant de la libérer.
Son atelier d'écriture l'intéresse soudain beaucoup moins.
Il recule son fauteuil, passe la main dans mes reins pour m'inviter à siéger sur ses cuisses.
Je noue les bras autour de sa nuque, l'avisant. "T'aurais-je distrait ?..."
"Disons que tu sembles proposer plus intéressant que noircir une page blanche."
(*) Skillet - "Undefeatable"
