Chapitre 10 : Rush

La pièce dans laquelle pénétra Hermione était spacieuse et agencée judicieusement. Un lit queen size, encadré par deux tables de nuit de chêne clair, lui faisait face. Il était pourvu de draps d'un vert sauge apaisant, rappelant la teinte du mur où était placée une commode de style Louis XVI. Un lourd coffre en bois posé devant le lit parachevait l'espace.

À sa droite, un bureau pourvu d'un nécessaire d'écriture était placé devant une fenêtre qui donnait sur l'extérieur de la maison, permettant de profiter de la lumière naturelle pour travailler. Un fin voilage retombait devant l'ouverture, tandis que de lourdes tentures en ornaient les côtés.

Le timbre froid de Snape résonna derrière elle, l'interrompant dans sa contemplation :

- Je vous laisse le soin de vous installer. Vous avez quartier libre pour le reste de la journée.

Il s'apprêtait à sortir lorsqu'il s'arrêta sur le pas de la porte et ajouta, sans pour autant se retourner :

- Le repas sera servi à dix-huit heures.

Et il quitta la pièce sur ces mots, sans préciser qu'aucun retard ne serait toléré. C'était inutile : elle le savait déjà. Après tout, son intransigeance vis-à-vis de la ponctualité était légendaire. Presque autant que la rumeur qui courait dans les couloirs depuis son premier jour en tant qu'enseignant et faisait de lui un vampire.

Une fois la porte refermée, Hermione libéra Pattenrond de son sac de transport. Le félin en sortit tranquillement et entreprit d'explorer son nouvel environnement avec un intérêt accru. Lorsqu'il s'approcha de la porte en miaulant, Hermione secoua la tête.

- Désolée, mais pour l'instant tu vas rester ici. Snape n'est pas ravi de ta présence et j'aimerais autant qu'il commence à s'habituer à l'idée de t'héberger avant de te laisser sortir. Je fais ça pour ton bien, lança-t-elle lorsqu'il lui jeta un regard courroucé.

Laissant de côté les récriminations félines, elle sortit ses valises de son sac en perles pour leur rendre leur taille initiale et commença à déballer et ranger ses bagages sous l'œil attentif de son chat qui était allé se percher sur le bureau.

En pénétrant dans ce qu'elle supposa être la salle de bain, afin d'y disposer ses affaires de toilettes, Hermione eut un hoquet de surprise.

Sans avoir la prestance de celle des préfets à Poudlard, la pièce était de très belle facture. Un lavabo surmonté d'un large miroir doré lui faisait face, pendant que sur sa droite se dressait une imposante douche à l'italienne dont l'espace était délimité par une paroi en verre finement ouvragée.

Posée à proximité, une petite étagère renfermait une quantité de serviettes de bain moelleuses, tandis qu'un petit renfoncement dans le mur opposé cachait probablement des toilettes.

Mais ce qui retint le plus son attention fut la baignoire, placée perpendiculairement à la douche. Celle-ci consistait en un petit bassin enfoncé dans le sol et pourvu de trois petites marches, permettant d'y accéder.

Si la jeune sorcière fut étonnée par la disposition luxueuse de la pièce, elle la mit finalement sur le compte de la probable démesure des ancêtres du potionniste.

Son tour d'horizon terminé, elle décida de quitter la chambre pour se rendre au salon afin de trouver de quoi lire.

oOoOoOo

À la fin du repas, qui avait été pris dans un silence religieux, Hermione s'apprêtait à regagner sa chambre lorsque la voix de Snape retentit dans son dos :

- Je vous attends dans le hall d'entrée demain matin à six heures trente. J'ose espérer que vous avez emporté une tenue de sport avec vous.

Hermione se retourna pour demander plus d'explications, mais le sorcier avait déjà disparu de la salle à manger, la vaisselle se débarrassant d'elle-même pour aller se placer dans la cuisine. Elle entendit alors une porte se refermer dans le couloir et soupira de dépit.

Cet homme avait autant de manières qu'un hippogriffe. Il était brusque, sec et clairement irrité par sa présence en ces lieux. Elle n'avait passé qu'une seule journée en sa compagnie, mais redoutait déjà les suivantes. S'ils n'apprenaient pas à s'apprivoiser un tant soit peu, la cohabitation promettait d'être mouvementée.

oOoOoOo

Le lendemain, lorsqu'elle se présenta dans le hall de la maison, Hermione eut un moment de suspens.

Severus Snape lui tournait le dos, mais elle distingua nettement le pantalon de jogging noir et le t-shirt de la même couleur qu'il portait, avant qu'il n'enfile un sweat gris anthracite par-dessus.

Ses cheveux étaient attachés bas sur sa nuque, ce qui donna à son visage une toute autre allure lorsqu'il se tourna vers elle.

Cette vision de son ancien professeur de potions habillé comme un moldu se rendant à la salle de sport la laissa totalement perplexe.

- Fermez la bouche Granger, vous allez finir par gober des mouches.

Elle s'exécuta, non sans lui avoir d'abord lancé un regard irrité, qu'il accueillit avec un rictus moqueur. Si elle voulait jouer à cela, il n'allait pas l'en priver. Mais elle se rendrait bien vite compte qu'il était bien meilleur qu'elle dans ce domaine. Comme dans bien d'autres d'ailleurs.

- Bien, maintenant que vous êtes enfin prête, nous allons sortir faire le tour du domaine.

- Tout de suite ? s'étonna-t-elle. Je pensais que nous aurions pris un petit-déjeuner avant…

- Nous mangerons quand nous aurons fini de nous entraîner. Si vous avez besoin d'énergie, avalez donc ceci, fit-il en lui lançant quelque chose qu'elle rattrapa de justesse et qui s'avéra être une barre de céréales.

- Vous plaisantez, j'espère ?

Le regard narquois qu'il lui jeta aurait répondu à toutes ses questions, mais il semblait avoir envie de se moquer d'elle ce matin.

- Est-ce dans mes habitudes de plaisanter, Granger ? Ai-je déjà eu l'air d'un amateur de one-man-show ?

Après qu'elle eut secoué la tête en signe de négation, incapable de formuler une réponse, il reprit :

- Maintenant suivez-moi et dépêchez-vous. Nous avons beaucoup à faire ce matin et vous êtes déjà en train de nous faire perdre du temps.

Il ouvrit la porte et sortit dans la brume du petit matin, les guidant à travers le bosquet d'arbres pour rejoindre l'allée principale. Là il se tourna vers elle et commença ses explications :

- Nous commencerons chaque journée par un footing matinal autour du domaine, et ce jusqu'à ce que vous ayez acquis un minimum de condition physique. Je crois me souvenir que vous n'étiez pas férue de Quidditch à Poudlard, mais pratiquiez-vous un autre sport durant votre scolarité ?

La question la surprit.

- Non. Bien sûr que non.

- Je m'en doutais, soupira-t-il

- Mais enfin Monsieur, protesta vivement Hermione, je n'ai jamais vu personne à Poudlard faire du sport en dehors des cours de vol.

- Et c'est bien là le souci, figurez-vous. Voici votre première leçon, Miss Granger : les sorciers et les sorcières ont tendance à beaucoup trop se reposer sur la magie, et ce, dans tous les aspects de leur vie. Or, si vous voulez survivre dans un combat contre un adversaire magiquement plus fort que vous, il va vous falloir compter sur vos capacités physiques. Cela le déstabilisera à coup sûr et vous offrira une opportunité de fuir ou de riposter.

La Gryffondor aurait voulu protester, mais les arguments du sorcier firent mouche dans son esprit. Il avait raison. La magie forçait leurs semblables à ne compter que sur leurs capacités à produire des sorts. Elle avait bien vu l'expression ahurie et figée de Malefoy lorsque son poing s'était écrasé sur son nez lors de ce jour béni durant leur troisième année. Le garçon n'avait pas su comment réagir face à cette agression physique et avait rapidement battu en retraite.

À la fois dépitée et convaincue par les propos de l'homme, Hermione se contenta de hocher la tête en signe de résignation. Snape parut s'en satisfaire et lui fit signe de le suivre, entamant sa course sur l'allée de graviers.

Il courait à petites foulées régulières, probablement pour lui permettre de suivre son rythme. Malheureusement comme il l'avait fait remarquer, Hermione n'avait jamais pratiqué beaucoup de sport - excepté quelques malheureux cours de danse lorsqu'elle était enfant - et elle peinait à ne pas se laisser distancer par la cadence de l'homme devant elle.

Ils parcoururent un long circuit autour du domaine, qui aurait probablement pu lui en apprendre plus sur sa configuration si elle n'avait pas été si concentrée sur le fait de ne pas le perdre de vue. Merlin, elle n'était vraiment pas faite pour ça !

- Allez, du nerf Granger ! lui cria-t-il en jetant un œil par-dessus son épaule pour vérifier qu'elle le suivait toujours. À ce rythme nous ne serons jamais rentrés pour le repas de midi.

Elle aurait voulu lui lancer une réplique acerbe, mais elle était beaucoup trop occupée à essayer de reprendre sa respiration pour atténuer la douleur qu'elle sentait poindre peu à peu sous ses côtes.

Voyant qu'elle commençait à perdre du terrain sur lui, elle s'efforça à puiser dans ses réserves à la fois physiques et mentales pour continuer.

Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, Snape arrêta sa course devant la haute porte du manoir. Alors qu'il ne semblait même pas essoufflé, elle s'arrêta piteusement à ses côtés et se plia en deux, les mains sur les genoux pour reprendre sa respiration.

- Il va falloir vous endurcir, Granger, car nous allons faire ça tous les matins. Et la difficulté augmentera quotidiennement.

Elle ne prit pas la peine de lui répondre, trop occupée à essayer de retrouver un rythme cardiaque décent.

Étrangement il lui accorda le temps de se remettre de ses efforts avant de l'entraîner à sa suite. Il poussa la lourde porte de bois, les faisant pénétrer dans un immense hall d'entrée dont la majorité de l'espace était occupé par un imposant escalier de marbre blanc. Ils ne s'y attardèrent pas et Snape emprunta un couloir sur leur droite. Celui-ci ne semblait pas avoir de fin, si elle se fiait à l'enfilade de pièces devant lesquelles ils passaient sans s'arrêter, et était orné de hautes fenêtres donnant sur différentes parties de l'extérieur.

La voyant poser un regard curieux sur les alentours, il intervint :

- Vous aurez tout le loisir d'inspecter le manoir sur votre temps libre, mais sachez que vous n'y trouverez que des vieux meubles et de la poussière. Cela fait des décennies qu'il est inoccupé. Maintenant, venez.

Il s'était arrêté face à une porte à double battant qu'il ouvrit à la volée, dévoilant une vaste pièce qui avait auparavant dû servir de salle de bal au vu de sa configuration et de sa magnificence. Le sol était dallé de pierres noires et blanches qui se succédaient les unes aux autres dans un agencement complexe. Les miroirs ornant les murs étaient ternis mais richement décorés, et un immense lustre était toujours suspendu au centre de la pièce, laissant imaginer le faste qui devait exister au temps de la grandeur de cette Maison. À l'étage, une mezzanine courait sur toute la surface du lieu et se terminait sur un large balcon qui avait dû accueillir nombre de musiciens.

Perdue dans sa contemplation du lieu, Hermione se surprit à se demander quel membre de la famille de Snape avait pu habiter là et comment cet endroit en était arrivé à être déserté.

Le ton de sa voix la ramena au présent et lorsqu'elle reporta son attention sur lui, il engloba l'ensemble d'un vaste geste de la main.

- Ceci sera notre salle d'entraînement. C'est ici que nous allons passer la majorité de notre temps - avec le laboratoire que vous découvrirez plus tard - alors n'hésitez pas à vous l'approprier. Je me fiche bien de ce que vous ferez dans cette pièce pour vous y sentir à l'aise, du moment que vous continuez à y pratiquer les exercices que je vais vous montrer, même lorsque je serai absent.

Cette dernière phrase la surprit et elle ne put s'empêcher de demander :

- Vous comptez vous absenter, Monsieur ?

- Pas volontairement, mais cela risque d'arriver en effet, répondit-il, un air contrarié se peignant sur ses traits.

L'expression irritée du Serpentard la frappa de plein fouet et elle se traita mentalement d'idiote.

- Oh. Oui bien sûr.

Alors qu'il amorçait un mouvement de baguette, il suspendit son geste et se tourna vers elle, l'expression concentrée. Puis il soupira lourdement.

- Je ne comptais pas aborder ce sujet avec vous tout de suite, mais puisqu'il est maintenant sur la table, autant nous en débarrasser.

L'intonation de sa voix força l'attention d'Hermione à se focaliser entièrement sur le sorcier devant elle, dont le visage s'était fait indéchiffrable. Pendant un instant, elle eut l'impression que Severus Snape ne ressentait plus aucune émotion et ce constat lui provoqua un frisson irrépressible.

- Durant votre séjour ici, je risque d'être convoqué à intervalle plus ou moins régulier auprès du Seigneur des Ténèbres. Je vous serai reconnaissant de ne pas vous mêler de cet aspect de ma vie. Toutes les informations utiles provenant de ces réunions seront directement transmises au directeur, pour éventuellement être partagées avec vous et les autres.

Il l'observa fixement, semblant attendre une réaction de sa part. Elle eut un bref hochement de tête, dont il sembla se contenter.

- À mon retour, il se peut que mon état vous paraisse parfois préoccupant. Là encore, je vous demande de ne pas intervenir. Je m'occupe de moi-même depuis assez longtemps pour n'avoir besoin ni de votre sollicitude, ni de votre pitié purement Gryffondor. J'espère être clair.

Son ton était froid et sans appel, tandis que dans ses yeux luisait une sévérité implacable, forçant la jeune femme à acquiescer à ses paroles. Elle avait en cet instant, accès à un Severus Snape que peu de personnes avaient l'occasion de côtoyer, lui qui était toujours si secret concernant ses activités de Mangemort.

Sans prêter attention aux émotions qui se succédaient sur le visage de son interlocutrice, il poursuivit :

- Suivant l'humeur du Seigneur ou ses projets, continua-t-il, mes absences seront plus ou moins fréquentes et plus ou moins longues. J'essaierai toujours, dans la mesure du possible, de vous les indiquer, mais il se peut que parfois je ne puisse vous donner d'informations précises. Dès lors, si je m'absente plus de 48 heures sans donner de nouvelles, vous devrez alors considérer que j'ai été découvert et en avertir Dumbledore.

La bouche d'Hermione s'ouvrit afin de protester, mais il ne lui en laissa pas l'occasion, poursuivant son discours :

- Je suis un espion aguerri et un très bon Occlumens, mais j'ai conscience que même mon esprit peut être brisé. Je suis capable de résister à beaucoup de formes de tortures - j'ai d'ailleurs pu expérimenter mes limites à de nombreuses reprises - mais viendra peut-être un jour où cela ne sera pas suffisant. Il faudra alors prendre des mesures préventives pour en avertir nos différents contacts et préserver nos différentes planques à travers la Grande-Bretagne.

- Nos différentes planques ?

Le regard du sombre sorcier se voila d'exaspération à ses paroles.

- Pensez-vous vraiment que le Square Grimmauld est le seul endroit sûr que possède l'Ordre du Phénix ?

Elle s'apprêtait à répondre lorsqu'elle se rendit compte que sa réaction était d'une incroyable naïveté. En y réfléchissant plus attentivement, il était crédule de sa part d'imaginer que l'Ordre ne possédait qu'une seule maison sécurisée pour l'ensemble de ses membres. Il en existait probablement partout à travers le pays et Snape devait en connaître la majorité. Il était donc logique que l'évacuation de celles-ci soit une priorité dans l'éventualité où il serait démasqué.

Elle préféra donc se taire et lorsqu'elle fixa de nouveau son attention sur lui, elle aperçut un bref hochement de tête approbateur de la part de l'espion, comme s'il avait suivi son cheminement de pensées.

- Maintenant que ce petit détail est réglé, trêve de bavardage.

Il agita sa baguette et le sol se couvrit de tatamis. La rapidité avec laquelle il était passé d'un état d'esprit à l'autre prit Hermione au dépourvu. Mais elle n'eut pas le temps de s'appesantir sur ses questionnements concernant le fonctionnement mental du sorcier que celui-ci faisait apparaître un sac de frappe en lieu et place du lustre majestueux.

- Avant que nous en venions aux choses sérieuses, je vais vous initier au combat à mains nues.

- Pardon !?

Elle devait avoir mal entendu. Il ne venait pas réellement de suggérer qu'ils s'affrontent physiquement.

- Vous m'avez parfaitement compris Granger, nous allons nous battre sans baguette. Mais avant cela, j'ai besoin d'évaluer vos capacités à donner et recevoir des coups. Alors approchez et frappez, fit-il en désignant l'objet.

L'expression incrédule qu'elle arbora en s'approchant sembla l'exaspérer car il la pressa d'un ton brusque :

- Frappez cette chose Granger, avant que je n'use d'une autre méthode pour vous faire réagir !

Sans réfléchir, elle lança son poing fermé en direction du sac, dans ce qu'elle espéra être un coup droit satisfaisant. Le haussement de sourcils méprisant qu'elle récolta suite à ce geste éveilla un sentiment de frustration qu'elle avait souvent connu en sa présence.

- Si vous frappez de cette manière, vous allez vous faire mal, commença-t-il. Votre pouce ne doit pas se trouver à l'intérieur de votre poing.

Elle fit ce qu'il lui disait et porta un nouveau coup sur le sac.

- Non, ce n'est toujours pas cela, soupira-t-il. Vous frappez avec votre bras et votre épaule.

- Mais c'est vous qui m'avez dit de donner un coup de poing, répondit-elle.

-Même pour un coup de poing, votre force et votre élan doivent venir de tout votre corps. Vous devez mobiliser vos hanches quand vous frappez. Comme ceci.

Il s'était positionné derrière elle et avait placé ses mains sur ses hanches.

- Allez-y, frappez.

Alors qu'elle levait son bras, il l'accompagna, imprimant un mouvement rotatif sur son corps. Elle remarqua qu'il avait raison et qu'elle était nettement plus efficace comme ceci.

- Encore, fit-il en resserrant légèrement son emprise sur ses hanches.

Elle réitéra son geste plusieurs fois, toujours accompagnées par les mains de l'espion sur elle, jusqu'à ce qu'il ait l'air enfin satisfait du résultat :

- Bien, maintenant continuez.

Elle entreprit de recommencer, encore et encore, pendant qu'il tournait autour d'elle avec une expression concentrée, corrigeant de temps à autre sa position ou sa manière de se mouvoir.

Mais alors qu'elle pensait qu'elle avait vécu le pire de sa journée, il la stoppa et l'entraîna un peu plus loin sur les tapis.

- Maintenant que j'ai pu voir de quoi vous étiez capable face à une cible statique, voyons comment vous vous débrouillez face à un véritable adversaire, déclara-t-il d'un ton détaché.

- Vous n'êtes pas sérieux ? demanda Hermione, une note plaintive dans la voix. Elle était épuisée et dépitée par ses piètres performances, et maintenant il lui demandait de se battre contre lui. Il se moquait d'elle, n'est-ce pas ?

- Attaquez-moi, Granger, réitéra-t-il, un sourire narquois aux lèvres. Faites-moi voir de quoi vous êtes capable.

Soupirant de dépit et sachant qu'il ne la laisserait pas en paix tant qu'elle n'aurait pas obtempéré, elle se força alors à avancer vers lui, les poings serrés.

Elle tenta un premier coup, aisément esquivé par son adversaire qui répliqua dans la seconde d'une attaque dans sa direction. Étouffant un cri de surprise, elle recula de plusieurs pas pour se dérober.

En jetant un œil à l'homme face à elle, elle vit qu'il l'observait avec ce même air suffisant sur le visage.

- Allez, Granger, je suis sûr que vous êtes capable de faire mieux que cela. N'avez-vous jamais eu envie de me frapper durant votre scolarité, ou encore durant ces dernières années ? Je vous offre aujourd'hui cette opportunité, vous n'allez tout de même pas la manquer, faute de volonté ?

Le regard qu'il lui jeta la força à se ruer sur lui avec une détermination nouvelle, qui reposait simplement sur son envie de lui faire ravaler son air supérieur.

S'engagea alors un corps-à-corps dans lequel elle dut subir un nombre incalculable d'attaques pernicieuses de sa part. Il évitait bien évidemment de frapper son visage, mais n'épargnait nullement le reste de sa personne, portant ses offensives partout, de ses épaules à ses mollets, en passant par ses côtes.

La première fois qu'elle se retrouva à terre, Snape la toisa, goguenard :

- Quand je pense qu'on dit de vous que vous êtes la sorcière la plus douée de sa génération… Ce titre vous aurait-il été attribué avec un peu trop de légèreté ?

Oh Merlin, que n'aurait-elle pas donné pour faire disparaître cette lueur moqueuse de ses yeux noirs. Elle se releva alors prestement, seulement pour récolter de nouveaux coups et de nouvelles moqueries, toujours plus piquantes les unes que les autres.

Elle aurait voulu protester, crier, pleurer même face à la frustration qui l'assaillait à chaque fois qu'une nouvelle offensive l'atteignait, mais elle savait que son adversaire ne se laisserait pas attendrir par ce genre d'attitude. Pire, elle soupçonnait qu'il n'en serait que plus sadique avec elle.

Le soleil était haut dans le ciel et illuminait la pièce de ses rayons froids de début d'automne lorsqu'il lui fit enfin signe de s'arrêter.

- Bon, ce n'est pas aussi désastreux que ce que j'imaginais. Je pense qu'il est possible de faire quelque chose de valable avec vous, Granger, déclara-t-il d'un ton grinçant. Évidemment ce sera une autre paire de manches de m'affronter avec une baguette, mais nous n'en sommes pas encore là. Et à ma grande surprise, vous semblez posséder une certaine notion de coordination des mouvements. Tout n'est donc pas perdu, ajouta-t-il alors qu'une nouvelle fois, une brève lueur d'amusement sadique passait dans son regard.

Dans un autre contexte, Hermione aurait pu se réjouir de ce semi-compliment qu'il lui offrait, mais ses poings douloureux et écorchés, son visage en sueur et ses mèches trempées plaquées sur son visage lui offraient des préoccupations plus urgentes.

- Nous nous arrêtons là pour aujourd'hui. Je pense que vous serez ravie de pouvoir vous doucher et vous restaurer. Rentrons.

oOoOoOo

Lorsqu'ils pénétrèrent dans maison, Snape disparut immédiatement par la porte menant au sous-sol, la laissant seule dans l'entrée.

Soupirant de frustration et de fatigue, Hermione entama la pénible ascension des escaliers menant à sa chambre. À chaque montée de marche, son corps lui renvoyait des éclairs de douleur, la faisant pester contre le sadisme de son mentor.

Ainsi quand Pattenrond s'échappa de sa chambre pendant qu'elle ouvrait la porte, elle se contenta de regarder sa queue touffue disparaître à l'angle du couloir, un air de profond dépit sur le visage.

Eh bien tant pis, tu t'arrangeras avec l'irascibilité de Snape, pensa-t-elle en pénétrant enfin dans sa pièce réservée. Elle s'étonna de pouvoir encore penser à des termes comme "irascibilité", étant donné son état de fatigue avancé. Laissant ces considérations de côté, elle clopina jusqu'à la salle de bain et ouvrit les robinets de sa baignoire d'un sort.

L'idée de se prélasser dans l'eau chaude pour délier ses muscles endoloris lui semblait soudain une option des plus attrayantes.

Ce n'est que lorsqu'elle entreprit de se déshabiller, grimaçant à chaque mouvement, qu'elle comprit subitement l'intérêt de la configuration de cette salle d'eau. La large douche italienne et la baignoire enfoncée dans le sol avaient été réfléchies et positionnées de cette manière, non pas dans un but luxueux quelconque mais bien dans un souci pratique.

En observant le niveau de l'eau augmenter progressivement, elle se demanda dans quelle mesure les mauvaises expériences de Snape auprès de Voldemort l'avait obligé à aménager ses salles de bain de cette manière. Un frisson désagréable la parcourut en pensant que ce devait être un problème qu'il affrontait quotidiennement et elle le réprima en se glissant dans l'eau avec un soupir de satisfaction.

Allongée dans sa baignoire, elle se surprit à laisser son esprit vagabonder à propos du personnage énigmatique qu'était Severus Snape.

Elle en avait appris plus sur lui aujourd'hui qu'en presque dix ans et pourtant il lui paraissait toujours aussi inaccessible. Inaccessible, irritable et insupportablement sarcastique.

Ses piques verbales lui avaient presque fait aussi mal que les coups qu'elle avait reçus. Mais elle avait tenu bon, consciente qu'il testait sa patience et sa résilience autant qu'il testait ses limites physiques.

Elle n'aurait jamais cru cela possible, mais son corps était aussi vif que son esprit. Elle ne l'avait évidemment pas observé de trop près, mais à en croire sa cadence à la course et la souplesse dont il avait fait preuve en esquivant les quelques coups qu'elle avait tenté de lui porter, elle soupçonnait que sous les robes noires desquelles il se paraît habituellement, se cachait un corps athlétique. Elle ne l'avait jamais perçu comme lourd ou empoté, surtout compte tenu de la légèreté avec laquelle il se déplaçait à travers le château au cours de ses rondes, mais elle ne l'aurait jamais imaginé musclé pour autant.

Hermione ouvrit brusquement les yeux, perturbée par le cours qu'étaient en train de prendre ses réflexions. Circé, elle devait être plus épuisée qu'elle ne le soupçonnait si elle se mettait à penser à l'anatomie de Snape alors que son corps malmené flottait mollement dans son bain.

Se secouant mentalement, elle émergea de ses pensées en même temps que sa tête émergeait de l'eau et elle entreprit de se savonner précautionneusement, évitant de trop insister sur les zones douloureuses.

Lorsque l'eau eut refroidit et que sa peau fut plus fripée qu'une Branchiflore, elle se hissa hors de la baignoire et commença à redouter le lendemain matin, lorsque ses muscles auraient refroidi et la feraient encore plus souffrir.

Merlin, elle n'allait jamais tenir le coup à ce rythme !

oOoOoOo

Lorsqu'elle apparut dans la salle à manger après s'être changée, elle y trouva Snape ainsi qu'une assiette fumante l'attendant à la place qui lui avait été assignée.

Alors qu'elle se saisissait de ses couverts, il fit, sans un mot, glisser vers elle un pot en verre contenant une substance blanche et pâteuse.

Lorsqu'elle releva son visage vers lui, il avait entamé son assiette mais répondit tout de même à son interrogation silencieuse.

- Pour vos différents coups et contusions. Appliquez le baume sur vos blessures avant de vous coucher, cela devrait atténuer le plus gros de la douleur et des dégâts.

Curieuse, la Gryffondor dévissa le pot et le porta à son nez. Il embaumait la lavande, le miel et une autre odeur qu'elle ne parvint pas à identifier. Surprise par sa sollicitude, elle ne put s'empêcher de souffler :

- Merci.

Son mince remerciement provoqua chez le sorcier une vive tension des épaules et une grimace contrariée. Surprise par cette réaction inattendue, la jeune sorcière préféra ne pas épiloguer et entama son repas.

Cependant, au bout de quelques minutes de mastication silencieuse, la voix de Snape retentit de nouveau :

- Tant que vous n'en maîtriserez pas la conception, je ferai en sorte que vous ayez toujours un pot en stock dans votre salle de bain.

Bien consciente qu'une nouvelle parole reconnaissante de sa part lui vaudrait au mieux un reniflement méprisant, au pire une remontrance salée, Hermione préféra reporter son attention sur son assiette.

Sans égaler la cuisine de Molly Weasley à laquelle elle avait été habituée toutes ces années, Hermione fut une nouvelle fois étonnée par la qualité de la nourriture proposée par Snape. Elle s'était fait la réflexion la veille, mais avait été bien trop occupée par la quantité de nouvelles informations à assimiler qu'elle avait préféré mettre le sujet de côté. Mais il fallait bien avouer que ce qu'elle portait à sa bouche était à la fois goûteux et nourrissant. Et elle accueillait ceci avec une satisfaction grandissante après la matinée mouvementée qu'elle avait vécu.

Peut-être que cette cohabitation ne serait pas un fiasco total finalement.