LA MAGIE EST PUISSANCE
Un changement spectaculaire frappa le 12, square Grimmaurd. Potter avait donné à Kreacher le faux médaillon. Jubilant d'être le propriétaire de ce bien précieux de Regulus et d'avoir enfin déchargé ses épaules du fardeau que représentait le secret de sa mort, l'elfe de maison s'était transformé. Il avait nettoyé son torchon, qui était désormais d'un blanc de neige, et s'était lui-même décrassé. Les poils de ses oreilles étaient devenus aussi propres et duveteux que du coton hydrophile, et il entretenait avec soin le bijou de famille qu'il portait autour du cou au quotidien. Il se mit également à endosser pour de bon son rôle d'elfe de maison et nettoya de fond en combles les chambres qu'ils occupaient, lava les draps qu'il changeait maintenant régulièrement, astiqua les vitres, fit la poussière dans les couloirs, et lustra méticuleusement toutes les surfaces de la cuisine, pièce où les quatre sorciers passaient le plus clair de leur temps. À présent, la salle brillait de tous ses feux : les marmites et les casseroles de cuivre avaient été polies et luisaient d'une teinte rosée, la table de bois miroitait, les coupes et les assiettes étincelaient à la lumière du feu qui ronflait joyeusement dans la cheminée et sur lequel bouillonnait toujours un chaudron rempli d'un bon plat. Kreacher rivalisait désormais de politesse et d'attentions envers ses hôtes, notamment envers Potter, et ne prononça plus aucune insulte envers Hermione. Il avait toutefois appris à se tenir à bonne distance de Megan, qui ne lui avait pas pour autant pardonné sa participation à la mort de Sirius, aussi recula-t-il d'un air effrayé lorsqu'il la vit ouvrir la porte de son placard un matin, alors que les trois autres dormaient encore.
· Kreacher, dit-elle d'un ton moins sec qu'à l'ordinaire, est-ce que tu détestes Mundungus Fletcher ?
· Bien sûr, Miss B, répondit l'elfe dont les oreilles s'agitaient tandis qu'il s'attendait à recevoir un châtiment.
· Du coup, tu ne verrais pas d'inconvénient à me dire où il est ?
· Maître Harry a dit –
· Potter ne t'a donné aucun ordre à ce sujet, il t'a juste dit de le ramener là où tu l'avais trouvé, le coupa Megan. Donc tu n'as aucune interdiction de me dire où il est. Et tu préfères que ma colère passe sur lui plutôt que sur toi.
Convaincu, Kreacher s'extirpa des draps dans lesquels il dormait, s'assura que la chaîne du médaillon se trouvait bien toujours autour de son cou, puis tendit d'un air craintif son bras frêle à Megan. Sans hésiter, elle le saisit, et ils disparurent de la cuisine dans un crac ! sonore. Ils réapparurent dans une ruelle étroite et sale qui sentait l'urine et le cannabis. Kreacher désigna une des fenêtres d'un des bâtiments qui les entourait, un vieil entrepôt d'où s'échappait ponctuellement de la fumée. Sans un regard pour l'elfe, Megan poussa la vieille porte de métal rouillée et entra. Le jour n'était pas encore tout à fait levé et aucune lumière ne fonctionnait dans le bâtiment, aussi elle progressa dans une semi-obscurité, butant parfois dans des cannettes et des bouteilles de verre à moitié vides, tâchant d'éviter de marcher sur les aiguilles qui jonchaient le sol. À deux reprises, dans l'escalier défoncé, elle dut enjamber des corps dont elle ne savait pas s'ils vivaient encore. Elle passa devant plusieurs pièces qui avaient visiblement été occupées par des machines d'usine et qui maintenant servaient de lieus de passes ou de recel, puis atteignit la porte qui correspondait à la fenêtre qu'avait désignée Kreacher. Elle la poussa. Fletcher ne devait plus craindre Potter maintenant qu'il lui avait livré le secret du médaillon : il était bien là, terré dans un coin. Ses yeux s'écarquillèrent de terreur lorsqu'il vit Megan apparaître dans le noir.
· Petite garce ! s'exclama-t-il. Ça suffit, maintenant !
Il leva sa baguette et lui jeta une série de sorts, qu'elle parvint tous à dévier sans effort en continuant à avancer vers lui. Il esquissa un geste pour transplaner, mais un mouvement de la baguette de la jeune femme le fit se plier en deux de douleur.
· Tu vas encore t'enfuir, lâche ? murmura-t-elle.
· Connasse ! jura Fletcher en se redressant. Qu'est-ce que tu veux ?
Megan reproduit le même geste et Fletcher hurla de nouveau de douleur. Ces sons devaient être familiers, car aucun des occupants des pièces voisines ne sembla s'en alarmer.
· Les autres se fichent peut-être que tu aies laissé tomber Fol Œil, mais pas moi, dit-elle en s'arrêtant à un mètre de lui, suffisamment loin pour s'épargner son odeur. La traîtrise, c'est pour les Mangemorts, pas pour l'Ordre du Phénix. Je sais que Dumbledore pensait que c'était malin d'avoir dans son camp quelqu'un qui connaît bien le marché noir et les mauvaises personnes, mais moi je pense que, comme souvent, il avait tort.
· C'est pas moi qui ait tué Fol Œil ! s'insurgea Fletcher. Tu-Sais-Qui l'aurait tué quand même, de toute façon ! À quoi ça servait que j'meure avec lui ?
· À essayer de protéger ton coéquipier. À mourir dignement, pas comme aujourd'hui. Si Voldemort t'avait tué, peut-être que Fol Œil aurait eu le temps de s'enfuir. Et qui t'aurait pleuré, toi ?
Tout en parlant, elle avait fait léviter du bout de sa baguette toutes les seringues qui trainaient par terre. Certaines d'entre elles n'étaient pas vides. Fletcher les regarda s'élever d'un air méfiant. Il fit de nouveau un geste pour transplaner, et Megan jeta sur lui toutes les aiguilles, qui le transpercèrent de part en part en lui injectant leur contenu. Fletcher poussa un hurlement strident qui s'étrangla dans sa gorge. Alors qu'il se mettait à convulser, des silhouettes encapuchonnées surgirent tout autour de Megan. Abandonnant le corps bientôt sans vie de Fletcher, elle bondit par la fenêtre.
· Kreacher ! cria-t-elle en tombant.
L'elfe se retourna juste à temps pour la voir fondre sur lui, suivie par les terribles sortilèges jetés par les Mangemorts. Il tendit ses bras frêles et l'emporta avec elle juste avant qu'ils n'atteignent leur cible. Ils se rematérialisèrent dans la cuisine dont ils heurtèrent durement le sol, à bout de souffle.
· Pas un mot… à Potter et aux autres, ordonna Megan entre deux grandes respirations. Sinon tu finiras sur le mur de l'escalier avec les autres.
À mesure qu'avançait le mois d'août, la pelouse en friche au milieu du square Grimmaurd s'était desséchée sous le soleil pour n'être plus qu'un carré d'herbe roussie et craquante. Dans les maisons environnantes, personne n'avait jamais aperçu les habitants du numéro 12. Les Moldus qui habitaient l'endroit s'étaient depuis longtemps accoutumés à l'amusante erreur de numérotation qui avait placé le numéro 11 à côté du 13. À présent, cependant, le square Grimmaurd attirait des visiteurs qui semblaient très intrigués par cette anomalie. Il se passait rarement une journée sans qu'une ou deux personnes arrivent sur la place en n'ayant d'autre but, apparemment tout au moins, que de s'appuyer contre les grilles situées devant les numéros 11 et 13 pour contempler la jointure entre les deux maisons. Ces observateurs n'étaient jamais les mêmes deux jours de suite, mais tous avaient l'air d'éprouver la même aversion pour les vêtements normaux. La plupart des Londoniens qui les croisaient étaient habitués aux tenues excentriques et n'y prêtaient guère attention, mais parfois, l'un d'eux jetait un regard en arrière en se demandant qui donc pouvait bien porter d'aussi longues capes par une chaleur pareille. Ces visiteurs ne paraissaient pas tirer grande satisfaction de leurs longues attentes. Il arrivait que l'un d'eux fasse un pas en avant d'un air surexcité, comme s'il avait enfin vu quelque chose d'intéressant, mais il laissait aussitôt retomber son élan, visiblement dépité.
Le premier jour de septembre, les curieux vinrent plus nombreux que jamais. Une demi-douzaine d'hommes vêtus de longues capes se tenaient là, silencieux et attentifs, le regard toujours fixé sur les maisons des numéros 11 et 13, mais ce qu'ils étaient venus chercher continuait apparemment de leur échapper. Alors que le soir approchait, apportant avec lui, pour la première fois depuis des semaines, une averse de pluie froide très inattendue, survint l'un de ces inexplicables moments où ils semblaient avoir enfin aperçu quelque chose d'intéressant. Un homme au visage tordu tendit le doigt et son compagnon le plus proche, un petit homme grassouillet au visage blafard, se rua aussitôt en avant, mais un instant plus tard, ils étaient tous deux retombés dans leur habituelle passivité, l'air déçus et contrariés. Contrairement à ce qu'ils espéraient, ni Harry Potter ni Meganna Buckley n'étaient sortis de l'ancien quartier général de l'Ordre du Phénix avec une lourde malle dans une main et la cage d'une chouette dans l'autre afin de se diriger vers King's Cross pour prendre le Poudlard Express. Au contraire, Megan venait de pénétrer dans le hall de la maison située au numéro 12, ce qui eut pour effet de dissiper son sortilège de Désillusion. Alors qu'elle refermait la porte, une main l'arrêta, et Potter entra à son tour en ôtant sa cape d'invisibilité. Tous deux s'ignorèrent et traversèrent le hall sinistre en direction de la porte qui donnait accès au sous-sol. Potter tenait à la main un exemplaire, sûrement volé, de La Gazette du sorcier. L'habituel murmure de « Severus Snape ? » les accueillit, ils sentirent le courant d'air glacé souffler sur eux et, pendant un instant, leur langue s'enroula.
· Ce n'est pas moi qui vous ai tué, dit ensuite Potter.
Tous deux retinrent leur souffle pendant que la silhouette du maléfice explosait. Parvenus au milieu de l'escalier qui menait à la cuisine, à bonne distance des oreilles de Mrs Black et à l'abri du nuage de poussière, Potter annonça :
· J'ai des nouvelles et elles ne vont pas vous plaire
La table était mise et une délicieuse odeur flottait dans l'air. Kreacher se précipita vers Potter, le médaillon de Regulus sautillant sur sa poitrine.
· Voulez-vous enlever vos chaussures, s'il vous plaît, monsieur Harry, et vous laver les mains avant le dîner ? coassa Kreacher.
Il prit la cape d'invisibilité et alla la suspendre à un crochet fixé au mur, à côté de robes démodées, fraîchement nettoyées.
· Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Ron avec appréhension.
Hermione et lui étaient occupés à examiner une liasse de feuilles griffonnées et de cartes tracées à la main, étalées à un bout de la table. Levant les yeux, ils regardèrent Megan et Potter s'avancer à grands pas, et Potter jeter le journal sur leur tas de parchemins. Sur la première page, un homme au visage familier, le nez crochu, les cheveux noirs, les regardait sous une manchette annonçant :
SEVERUS SNAPE CONFIRMÉ COMME DIRECTEUR DE POUDLARD
· Non ! s'exclamèrent Ron et Hermione.
Megan tendit la main vers l'exemplaire du journal, mais Hermione fut la plus rapide. Elle s'en empara et commença à lire à haute voix l'article qui accompagnait la photo :
· Severus Snape, depuis longtemps maître des potions à l'école de sorcellerie de Poudlard, a été promu aujourd'hui au rang de directeur. Cette nomination constitue le changement le plus important parmi ceux intervenus dans la réorganisation du personnel de l'antique établissement. À la suite de la démission de l'ancien professeur d'étude des Moldus, ce poste sera désormais confié à Alecto Carrow, tandis qu'Amycus, le frère de cette dernière, sera chargé de la défense contre les forces du Mal. « Je me réjouis que l'occasion me soit donnée de maintenir et de perpétuer les plus hautes valeurs et traditions de la sorcellerie… » Comme de commettre des meurtres ou de couper les oreilles des gens, par exemple ! Snape, directeur ! Snape dans le bureau de Dumbledore – par le caleçon de Merlin ! s'exclama soudain Hermione d'une voix perçante qui fit sursauter Ron et Potter.
Elle bondit de sa chaise et se rua hors de la cuisine en criant :
· Je reviens dans une minute !
· Le caleçon de Merlin ? répéta Ron, l'air amusé. Elle doit être dans tous ses états.
Il prit le journal et lut en détail l'article consacré à Snape.
· Les autres profs n'accepteront jamais ça. McGonagall, Flitwick, Sprout, tous connaissent la vérité, ils savent comment Dumbledore est mort. Ils ne voudront pas de Snape comme directeur. Et d'abord, qui sont ces Carrow ?
· Des Mangemorts, répondit Megan, qui ne les connaissait que trop bien.
Elle se laissa tomber sur le banc.
· Je ne vois pas ce que les autres profs pourraient faire. Le ministère et Voldemort sont derrière Snape, ils auront le choix entre continuer à enseigner ou passer quelques joyeuses années à Azkaban – et encore, s'ils ont de la chance. J'imagine qu'ils préféreront rester pour protéger les élèves.
Kreacher revint vers la table d'un air affairé, une grande soupière entre les mains. À l'aide d'une louche, il remplit de soupe les bols impeccables, en sifflotant entre ses dents.
· Merci, Kreacher, dit Potter qui retourna La Gazette pour ne pas avoir la tête de Snape sous les yeux. Enfin, au moins, on sait exactement où se trouve Snape, maintenant.
Il prit une cuillerée de soupe. La qualité de la cuisine de Kreacher était un avantage considérable dans leur exil. La soupe à l'oignon était très réussie.
· Il y a encore toute une bande de Mangemorts qui surveillent la maison, dit Megan en mangeant. Ils sont plus nombreux que d'habitude. Ils espèrent nous voir sortir avec nos bagages pour aller à Poudlard.
Ron jeta un coup d'œil à sa montre.
· J'y ai pensé toute la journée. Le train est parti il y a près de six heures. Ça fait bizarre de ne pas être dedans, vous ne trouvez pas ?
Megan pensa à Ginny, qui était peut-être assise à bord, avec Neville et Lovegood, se demandant peut-être où ils se trouvaient, Ron, Hermione, Potter et elle. Ils ne seraient pas en sécurité à Poudlard, au contraire. Ginny était la fille de membres influents de l'Ordre du Phénix. Elle était prise en otage. Et Neville, le fils d'Alice et Frank Longbottom, allait-il subir le même sort que ses parents ?
· Tout à l'heure, les Mangemorts ont failli me voir au moment où je rentrais, dit Potter. J'ai mal atterri sur la marche et la cape a glissé.
· Ça m'arrive tout le temps, répondit Ron. Ah, la voilà, ajouta-t-il en se dévissant le cou pour voir Hermione revenir dans la cuisine. Et maintenant, par tous les caleçons les plus avachis de Merlin, peux-tu nous expliquer ce que tu fabriques ?
· Je me suis souvenue de ça, haleta Hermione.
Elle avait à la main un grand tableau encadré qu'elle posa par terre avant de prendre sur le buffet son petit sac en perles. Elle l'ouvrit et entreprit de faire entrer le tableau à l'intérieur. Bien qu'il fût manifestement trop grand pour tenir dans le sac minuscule, il disparut en quelques secondes dans ses vastes profondeurs, comme toutes les autres choses qui y étaient rangées.
· Phineas Nigellus, expliqua Hermione en jetant sur la table le petit sac qui produisit à nouveau un bruit sonore d'objets entrechoqués.
· Pardon ? dit Ron.
Mais Megan, elle, avait compris. Comme tous les portraits, l'image peinte de Phineas Nigellus avait la faculté de passer de son cadre du square Grimmaurd à celui qui était accroché dans le bureau du directeur de Poudlard : la pièce circulaire, au sommet d'une tour, où Snape était sans aucun doute assis en ce moment même, triomphant à l'idée d'avoir en sa possession la collection de fragiles instruments d'argent de Dumbledore, la Pensine en pierre, le Choixpeau magique et, à moins qu'elle n'ait été déplacée vers un autre lieu, l'épée de Gryffondor.
· Snape aurait pu envoyer Phineas Nigellus regarder ce qui se passe ici, expliqua Hermione tandis qu'elle se rasseyait à la table. Mais maintenant, s'il essaye, tout ce que Phineas verra, c'est l'intérieur de mon sac.
· Bien pensé ! s'exclama Ron, impressionné.
· Merci, dit Hermione avec un sourire en prenant son bol de soupe. Qu'est-ce qui s'est passé d'autre, aujourd'hui ? demanda-t-elle en se tournant vers Megan et Potter.
· Rien, répondit la jeune femme d'un air sombre. J'ai surveillé l'entrée du ministère pendant sept heures de suite. Pas la moindre trace d'elle.
Hermione jeta un coup d'œil à Potter, qui acquiesça. Depuis presqu'un mois, ils s'étaient relayés pour espionner l'entrée du ministère de la Magie sous la cape d'invisibilité pour tenter d'y intercepter Umbridge, en vain. Megan et Potter n'avaient toutefois pas confiance l'un dans l'autre, et après une violente dispute qui avait fait exploser tous les miroirs de la maison, il avait été décidé qu'ils assureraient leur surveillance simultanément.
· Mais j'ai vu ton père, Ron, ajouta Potter. Il paraît en bonne forme.
Ron hocha la tête, satisfait d'entendre la nouvelle. D'un commun accord, ils avaient estimé trop dangereux de tenter d'entrer en contact avec Arthur quand il entrait dans le ministère ou en sortait car il était sans cesse entouré de collègues. L'apercevoir de temps en temps était cependant rassurant, même s'il semblait très tendu et anxieux. Megan avait été déçue de ne pas voir Kevan, alimentant l'inquiétude qu'elle nourrissait à son sujet.
· Papa nous a toujours dit que la plupart des gens qui travaillent au ministère utilisent le réseau des cheminées pour se rendre au bureau, expliqua Ron. C'est pour ça que nous n'avons pas vu Umbridge, elle ne se déplace jamais à pied, elle pense qu'elle est trop importante pour ça.
· Et cette drôle de vieille sorcière avec ce petit sorcier en robe bleu marine ? demanda Hermione.
· Ah oui, le type de la maintenance magique, répondit Ron.
· Comment sais-tu qu'il est à la maintenance ? interrogea Hermione, sa cuillère suspendue en l'air.
· D'après papa, tous les gens du Service de la maintenance magique portent des robes bleu marine.
· Tu ne nous avais jamais raconté ça !
Hermione laissa tomber sa cuillère et fit glisser vers elle la liasse de papiers et de cartes qu'elle étudiait avec Ron lorsque Megan et Potter étaient entrés dans la cuisine.
· Il n'y a rien sur des robes bleu marine, là-dedans, rien ! s'écria-t-elle en feuilletant fébrilement les pages.
· Et alors, qu'est-ce que ça change ?
· Ça change tout, Ron ! Si nous voulons pénétrer dans le ministère sans être démasqués alors qu'ils recherchent forcément d'éventuels intrus, chaque petit détail compte ! Nous en avons parlé longuement. À quoi peuvent bien servir tous ces voyages de reconnaissance si tu ne prends même pas la peine de nous informer…
· Enfin quoi, Hermione, j'ai simplement oublié une petite chose…
· J'espère que tu t'en rends compte : pour nous, il n'y a sans doute pas d'endroit plus dangereux au monde que le ministère de la…
· Je crois que nous devrions agir dès demain, l'interrompit Potter.
Hermione s'immobilisa, bouche bée. Ron faillit s'étrangler en avalant sa soupe. Megan se tourna vers lui à contrecœur d'un air las.
· Demain ? répéta Hermione. Tu n'es pas sérieux, Harry ?
· Si. Je pense que même si nous passions encore un mois à rôder autour du ministère, nous ne serions pas mieux préparés que maintenant. Plus on retarde l'opération, plus le médaillon s'éloigne de nous. Il y a déjà de grands risques qu'Umbridge l'ait jeté. Il est impossible de l'ouvrir.
· À moins, dit Ron, qu'elle y soit parvenue et qu'elle soit maintenant possédée.
· On ne verrait pas bien la différence, grogna Megan.
Hermione se mordait la lèvre, plongée dans de profondes réflexions.
· Nous savons tout ce qu'il est important de savoir, poursuivit Potter en se tournant vers elle. Nous savons qu'ils ont interrompu tout transplanage, pour entrer dans le ministère ou pour en sortir. Nous savons que seuls les fonctionnaires de haut rang sont autorisés à connecter leur maison au réseau des cheminées car Ron a entendu deux Langues-de-Plomb s'en plaindre. Et nous savons à peu près où se trouve le bureau d'Umbridge puisque toi-même, tu as entendu ce que le barbu disait à son copain…
· « Je monte au niveau un, Dolores veut me voir », récita aussitôt Hermione.
· Exactement. Et on sait que pour entrer, il faut une de ces drôles de pièces, ou de jetons, ou je ne sais quoi, parce que j'ai vu une sorcière qui en empruntait un à une amie…
· Mais on n'en a pas !
· Parce que vous n'avez pas voulu que j'en récupère, fit remarquer Megan avec agacement.
· Agresser les gens de manière anonyme n'aurait fait qu'attirer les soupçons, s'agaça Potter.
· Soupçons sur qui, répliqua Megan, tu crois qu'on est les seuls à vouloir s'en prendre aux membres du ministère en ce moment ?
· On aurait pu avoir des jetons sans agresser personne si tu avais eu le courage d'en demander à ton mec-
Megan avait fendu l'air avec sa baguette dans un mouvement furieux, et Potter avait reçu l'équivalent d'une gifle. Gonflé de colère, il se leva d'un bond, renversant sa chaise, en fixant Megan avec haine.
· Arrêtez ! s'exclama Ron, lassé par leurs disputes.
· Megan ! protesta Hermione.
· Laisse Kevan en dehors de tout ça, ordonna Megan en dardant un regard venimeux sur Potter, qui ne l'impressionnait pas. C'est trop dangereux de contacter Arthur mais pas lui ?
· Mr Weasley a une famille !
· Parce que Kevan non ?
· Ça suffit, vous deux ! cria Hermione en se levant à son tour.
· Si le plan marche, on aura nos jetons, leur rappela Ron avec sagesse. Personne d'autre n'a besoin d'être mis en danger, ok ?
Potter lui jeta un regard noir. Ron avait toujours contesté la décision de Megan de ne pas impliquer Kevan dans la résistance. Le voir changer de position pour calmer leur dispute ne l'aidait pas.
Lors de leurs surveillances, Megan avait aperçu Kevan plusieurs fois. Le plus souvent, il était en compagnie d'Ally Collins ou de Florence, qui partageait son bureau. Il n'était jamais seul – une mesure de prudence qu'on ne pouvait lui reprocher. Chaque fois, il avait été difficile pour Megan de ne pas tenter de lui parler, ou de ne pas assommer Collins en douce. Il semblait stressé il avait des cernes sous les yeux et les traits tirés. Il était évident qu'il était inquiet par la tournure qu'avaient prises les choses, et inquiet pour Megan. Mais elle ne lui rendrait pas service en le contactant. Il était très certainement surveillé, les Mangemorts n'attendaient que ça. Il était un appât vivant.
Bien qu'il semblât toujours furieux, Potter ramassa sa chaise et se rassit.
· Je ne sais pas, Harry, je ne sais pas…, reprit Hermione en reprenant sa place à son tour. Il y a tant de choses qui pourraient aller mal, c'est vraiment une question de chance…
· Ce sera toujours vrai même si on passe trois mois de plus à préparer notre coup, répliqua Potter. Il est temps d'agir.
Ron et Hermione avaient peur. Potter lui-même n'était pas aussi assuré qu'il voulait le faire croire. Megan se sentait prête, comme toujours. Ils avaient suivi des employés qui se rendaient au travail, écouté leurs conversations et appris, en les observant attentivement, quels étaient ceux dont on pouvait être sûr qu'ils apparaîtraient seuls, chaque jour à la même heure. Parfois, l'occasion leur était offerte de subtiliser La Gazette du sorcier dans l'attaché-case de l'un d'eux. Peu à peu, ils avaient accumulé les cartes rapidement esquissées et les notes qui s'entassaient à présent devant Hermione.
· Très bien, dit lentement Ron. Admettons qu'on fasse ça demain… Je pense que nous devrions y aller tous les trois avec Harry et Megan.
· Ah, non, tu ne vas pas recommencer, soupira Hermione. Je croyais qu'on avait réglé la question.
· Se poster sous la cape à l'entrée du ministère est une chose, Hermione, mais là, c'est différent.
Ron tapota du doigt un numéro de La Gazette du sorcier daté de dix jours auparavant.
· Tu es sur la liste des nés-Moldus qui ne se sont pas présentés à l'entretien obligatoire !
· Et toi, tu es censé être en train de mourir d'éclabouille au Terrier ! Si quelqu'un devait ne pas y aller, ce serait Harry. Sa tête est mise à prix dix mille Gallions.
· Très bien, dans ce cas, je resterai ici, lança Potter. Si jamais vous arrivez à vaincre Voldemort, n'oubliez pas de me prévenir, d'accord ?
Tandis que Ron et Hermione éclataient de rire, Megan secoua la tête. Hermione avait raison de dire que le ministère de la magie était devenu l'endroit de Grande-Bretagne le plus dangereux pour eux à ce jour. Tous les quatre risquaient gros. Mais ils n'avaient pas d'autre moyen d'atteindre Umbridge, qui avait bien protégé sa maison. Malgré plusieurs jours de recherche, Megan n'était pas parvenue à la localiser.
· Très bien, mais si nous y allons tous les quatre, nous devrons transplaner séparément, reprit Ron. Nous ne pouvons plus tenir à quatre sous la cape.
Potter se leva. Kreacher se précipita aussitôt.
· Monsieur n'a pas fini sa soupe, Monsieur aimerait-il mieux un savoureux ragoût, ou bien une de ces tartes à la mélasse qui plaisent tant à Monsieur ?
· Merci, Kreacher, je reviens dans une minute… heu… toilettes.
Sous le regard las de Megan, Potter se hâta de monter l'escalier qui menait dans le hall.
· C'est sa cicatrice, devina Hermione. Elle lui fait mal et il ne veut rien nous dire.
· Qu'est-ce qu'on ferait de cette information, de toute façon ? répondit Megan avec indifférence. Kreacher, ragoût, ajouta-t-elle en claquant des doigts.
Contraint et forcé, l'elfe remplit l'assiette de Megan.
· Tu pourrais être moins désagréable, lui reprocha Hermione.
Megan lui jeta un regard noir, qui lui rappela qu'elle estimait déjà fournir un effort colossal en épargnant la vie de l'elfe.
· Vous pensez que c'est une bonne idée ? s'enquit Hermione, qui avait changé si vite de sujet que Megan ne fut pas sûre de savoir de quoi elle parlait.
· Harry a raison, lui répondit Ron. Le plan est au point. On n'apprendra rien de plus dans les prochains jours, et on ne peut pas repousser indéfiniment le moment d'y aller.
· Si les choses tournent mal, promettez-moi de partir sans nous attendre, dit alors Megan.
· Quoi ?
· Si les Mangemorts nous attrapent, moi ou Potter, ils ne chercheront pas à vous suivre – ce n'est pas vous qu'ils veulent. Si ça arrive, vous devez vous enfuir, ce sera votre chance. Si vous restez, ils vous tueront tout de suite. Nous, ils nous garderont en vie, au moins un moment.
· Sans déconner, tu penses vraiment qu'on vous abandonnerait ? s'agaça Ron.
· Ce serait le truc le plus intelligent à faire, oui. On ne pourra pas se concentrer sur notre fuite si on doit se soucier de vous aussi.
· Pourquoi Voldemort en a après toi aussi, d'ailleurs ? demanda Hermione pour changer de sujet. Harry, c'est évident… Mais toi ? L'Ordre a souvent l'air presque aussi inquiet pour toi que pour lui. Pourquoi ?
· Par vengeance, mentit Megan. Mes parents l'ont trahi. Et moi aussi, quand j'ai… brisé l'Imperium et que j'ai sorti Potter du cimetière, ou quand j'ai quitté les Malfoy pour être avec vous.
· Alors pourquoi il te garderait en vie ? insista Ron.
Un hurlement déchirant lui évita de répondre. Le cri venait des étages supérieurs. Mrs Black se réveilla aussitôt et se remit à vomir des insultes. Megan, Ron et Hermione sautèrent sur leurs pieds, leurs baguettes brandies, et coururent dans les escaliers en suivant les vociférations.
· C'est la voix de Harry ! dit inutilement Hermione, terrifiée.
Elle provenait de la salle de bain du premier étage. La porte était verrouillée.
· Harry ! HARRY ! s'époumona Hermione en se mettant à marteler la porte. Harry, ouvre !
· Pousse-toi.
Megan déverrouilla la porte d'un coup de baguette. Emportée par son élan, Hermione s'engouffra dans la pièce en titubant. Potter était effondré par terre, recroquevillé, et se tenait la tête dans les mains. Hermione et Ron fouillèrent la pièce du regard en pointant leur baguette dans tous les coins d'un air affolé, mais ils étaient seuls.
· Je vais bien, souffla alors Potter qui était revenu à lui.
Il se remit lentement debout. Il était livide.
· Qu'est-ce que tu fabriquais ? demanda Hermione, sévère.
· À ton avis ? répondit-il d'un ton bravache qui manquait d'assurance.
· Tu criais à t'en faire exploser la tête ! dit Ron.
· Ah oui… j'ai dû m'endormir ou alors…
· Foutaises, l'interrompit Megan.
· Harry, s'il te plaît, ne nous prends pas pour des imbéciles, dit Hermione en respirant profondément. On sait que ta cicatrice t'a fait mal quand tu étais dans la cuisine et maintenant, tu es blanc comme un linge.
Potter s'assit sur le bord de la baignoire.
· D'accord. Je viens de voir Voldemort tuer une femme. Au moment où je te parle, il a sans doute tué toute sa famille. Et ça ne lui était pas nécessaire. C'était comme si je revoyais le meurtre de Cedric, ils étaient juste là…
Megan sentit ses dents se serrer douloureusement. Elle s'efforçait de ne plus penser à cette nuit-là.
· Harry, tu ne dois plus laisser des choses pareilles se reproduire ! s'écria Hermione, l'écho de sa voix résonnant dans la salle de bains. Dumbledore voulait que tu utilises l'occlumancie ! Il pensait que cette connexion était dangereuse. Voldemort peut s'en servir, Harry ! À quoi ça t'avance de le regarder tuer ou torturer, en quoi cela peut-il t'aider ?
· Ça signifie que je sais ce qu'il fait.
· Comme avec Sirius ? lança Megan, acide.
· La ferme ! aboya Potter.
· Alors, tu ne vas même pas tenter de le faire sortir de ta tête ? insista Hermione.
· Je ne peux pas ! Tu sais bien que je suis très mauvais en occlumancie, je n'ai jamais réussi à assimiler la technique.
· Tu n'as jamais vraiment essayé ! s'emporta-t-elle.
· À quoi tu joues ? renchérit Megan. Ça te plaît d'avoir cette connexion avec Voldemort ?
Potter se leva en lui jetant un regard noir qui ne la fit pas reculer.
· Si ça me plaît ? dit-il à mi-voix. Et toi, ça te plairait ?
Il ignorait qu'elle avait elle aussi un lien avec le mage noir, même s'il se manifestait différemment.
· Moi je ne chercherais pas à le laisser perdurer, répliqua-t-elle sans hésiter. Voldemort s'en est servi pour tuer Sirius, et toi tu continues à le laisser faire ?
· La ferme ! Ça me rend malade ! Je ne supporte pas qu'il puisse entrer en moi, que je sois obligé de l'observer quand il est le plus dangereux ! Mais je compte m'en servir.
· Dumbledore…, commença Hermione.
· Oublie Dumbledore. C'est moi qui décide, personne d'autre. Je veux savoir pourquoi il cherche Gregorovitch.
· Qui ?
· Un fabricant de baguettes étranger. C'est lui qui a fabriqué la baguette de Krum et Krum pense qu'il est exceptionnel.
Megan fronça les sourcils. Quel rapport avec le fabricant de la baguette de Krum ?
· Mais d'après toi, Voldemort a enfermé Ollivander quelque part, fit remarquer Ron. S'il a déjà un fabricant de baguettes, pourquoi lui en faudrait-il un autre ?
· Quoi ? intervint Megan.
· Oh, on a oublié de t'en parler, se rappela Hermione. Harry a vu… c'était le soir où on a emmené Harry au Terrier. Il a vu Voldemort –
· Torturer Ollivander, compléta sombrement Potter en se détournant. Il lui reprochait de lui avoir menti au sujet de la connexion entre nos baguettes pour me protéger. Peut-être que Voldemort est d'accord avec Krum, peut-être qu'il pense que Gregorovitch est le meilleur… ou alors il espère que Gregorovitch saura lui expliquer ce que ma baguette a fait d'elle-même quand il me poursuivait, parce qu'Ollivander, lui, l'ignore.
Ron et Hermione échangèrent des regards sceptiques dans le dos de Potter.
· Ah oui, le fameux coup de la baguette qui jette des sorts toute seule, railla Megan, ça faisait longtemps.
· Ce soir-là, c'est toi qui as agi, dit doucement Hermione. Pourquoi refuses-tu d'assumer ton propre pouvoir ?
· Parce que je sais bien que ce n'était pas moi ! Et Voldemort le sait aussi, Hermione ! Nous savons tous les deux ce qui s'est vraiment passé !
Ils échangèrent un regard noir. Hermione n'était pas convaincue, mais Ron intervint :
· Laisse tomber, lui conseilla-t-il. C'est à lui de décider. Et si on veut aller au ministère demain, vous ne pensez pas qu'on devrait plutôt mettre notre plan au point ?
Hermione abandonna la partie à contrecœur. Ils redescendirent dans la cuisine où Kreacher leur servit du ragoût et de la tarte à la mélasse. Ce soir-là, ils se couchèrent tard après avoir passé des heures à répéter leur plan jusqu'à ce que chacun puisse le réciter au mot près.
Megan fut la dernière levée lorsque le matin arriva. Les autres étaient fébriles. Potter avait l'air de ne pas avoir fermé l'œil de la nuit, Hermione vérifiait compulsivement le contenu de son sac en perles, et Ron ne mangeait ses petits pains chauds que du bout des lèvres. Megan s'installa sans un mot à la table de la cuisine et attira à elle le café préparé par Kreacher, dont elle avala un grand bol.
· Tu emmènes ton sac aussi, Megan ? lui demanda nerveusement Hermione.
· Je l'emmène partout avec moi, acquiesça l'intéressée. Ça va bien se passer.
Après le petit-déjeuner, ils remontèrent l'escalier. Kreacher s'inclina sur leur passage en leur promettant une tourte au bœuf et aux rognons à leur retour.
· Qu'il soit béni, dit Ron d'un ton affectueux. Quand je pense qu'à un moment, je m'étais mis dans l'idée de lui couper la tête et de l'accrocher au mur…
Cette idée n'avait pas quitté l'esprit de Megan. Ils sortirent sur le perron avec d'infinies précautions. Deux Mangemorts aux yeux bouffis observaient la maison sur la place baignée de brume. Megan jeta un sortilège de Désillusion sur elle et Ron et transplana dans une minuscule ruelle où devait se dérouler la première phase de leur plan. Hermione, dissimulée sous la cape d'invisibilité, fit de même avec Potter. Pour l'instant, à l'exception de deux grosses poubelles, la ruelle était totalement vide. Les premiers employés du ministère ne se montraient généralement pas avant huit heures, au plus tôt.
· Bien, dit Hermione en consultant sa montre. Elle devrait être là dans cinq minutes. Dès que je l'aurai stupéfixée…
· Hermione, on sait, l'interrompit Ron d'un ton sévère, toujours dissimulé par le sortilège. Et je croyais qu'on devait ouvrir la porte avant qu'elle arrive ?
Hermione poussa un petit cri.
· J'ai failli oublier ! Reculez-vous…
Juste à côté d'eux, la porte d'une issue de secours, couverte de graffiti, était fermée par un cadenas. Hermione pointa sa baguette et le panneau métallique s'ouvrit avec fracas vers l'intérieur. Comme ils le savaient déjà, grâce à leurs repérages méticuleux, le couloir sombre qui se trouvait derrière menait à un théâtre vide. Hermione tira la porte vers elle pour qu'elle paraisse toujours fermée.
· Maintenant, dit-elle, en se tournant vers les trois autres bien qu'elle ne put voir que Potter, on remet la cape d'invisibilité…
· … et on attend, acheva Ron.
Sa main à peine visible jeta la cape sur la tête d'Hermione comme une housse sur la cage d'une perruche, puis il alla se cacher derrière une poubelle à côté de l'entrée du théâtre. Megan avait suffisamment confiance dans l'efficacité de son sortilège de Désillusion et resta sur place, immobile, à côté de Potter et d'Hermione sous la cape. Une minute plus tard, environ, il y eut un pop ! à peine audible et une petite sorcière du ministère, les cheveux gris flottant au vent, transplana à quelques dizaines de centimètres d'eux, le regard un peu ébloui par la clarté soudaine. Le soleil venait de sortir d'un nuage, mais elle n'eut pas le temps de profiter de cette tiédeur inattendue, car le sortilège de Stupéfixion qu'Hermione lui jeta silencieusement la frappa en pleine poitrine et la fit basculer en arrière.
· Joli coup, Hermione, apprécia Ron en émergeant de derrière la poubelle tandis que Potter enlevait la cape d'invisibilité.
Tous les quatre portèrent la petite sorcière dans le couloir obscur qui donnait accès aux coulisses. Il était difficile de manœuvrer de concert alors que deux d'entre eux étaient presque invisibles. Hermione arracha quelques cheveux à la sorcière et les ajouta à un flacon de Polynectar couleur de boue qu'elle avait pris dans son sac en perles. Ron fouilla dans le petit sac à main de l'employée du ministère qui sembla alors flotter dans l'obscurité du couloir désaffecté.
· C'est Mafalda Hopkirk, dit-il en lisant une petite carte qui identifiait leur victime comme assistante au Service des usages abusifs de la magie. Tu ferais bien de garder ça, Hermione, et voici les jetons.
Il prit sa main et lui donna plusieurs petites pièces d'or toutes gravées des lettres M.d.l.M. qu'il avait prises dans le sac de la sorcière. Hermione but le Polynectar, qui avait à présent une agréable couleur de tournesol, et en quelques secondes se transforma en sosie de Mafalda Hopkirk. Elle prit les lunettes de la sorcière pour les mettre sur son nez, et Potter consulta sa montre.
· On est en retard. Mr Maintenance Magique va arriver d'une seconde à l'autre.
Ils se dépêchèrent de refermer la porte du théâtre sur la vraie Mafalda. Potter s'enveloppa de la cape d'invisibilité et Megan et Ron reculèrent dans l'ombre, mais Hermione resta bien en vue et attendit. Quelques secondes plus tard, il y eut un nouveau pop ! et un petit sorcier à tête de fouine apparut devant eux.
· Ah, bonjour, Mafalda.
· Bonjour ! dit Hermione d'une voix tremblante. Comment ça va, aujourd'hui ?
· Pas si bien que ça, répondit le petit sorcier, l'air très abattu.
Hermione et le sorcier se dirigèrent vers la rue principale. Les trois autres les suivirent à pas feutrés.
· Je suis navrée que tu n'aies pas le moral, lança Hermione, couvrant délibérément la voix du petit sorcier qui tentait de lui exposer ses problèmes.
Il était essentiel de l'empêcher d'atteindre la rue.
· Tiens, prends un bonbon.
· Hein ? Oh, non merci…
· J'insiste ! dit Hermione d'un ton agressif en agitant le sac de pastilles devant son nez.
Un peu inquiet, le petit sorcier en prit une. L'effet fut instantané. Dès l'instant où la pastille toucha sa langue, l'homme fut saisi de vomissements tellement violents qu'il ne remarqua même pas qu'Hermione lui arrachait une touffe de cheveux.
· Oh, mon Dieu ! s'exclama-t-elle, tandis que le sorcier continuait de vomir par terre. Tu ferais peutêtre mieux de prendre un jour de congé !
· Non… Non ! s'étrangla-t-il, secoué de haut-le-cœur, en essayant de poursuivre son chemin bien qu'il fût incapable de marcher droit. Aujourd'hui… je dois… dois aller…
· Voyons, c'est stupide ! reprit Hermione, alarmée. Tu ne peux pas travailler dans cet état. Je crois que tu devrais filer à Ste Mangouste pour qu'ils voient ce que tu as !
Le sorcier, hoquetant, tomba à quatre pattes et s'efforça malgré tout de ramper vers la rue principale.
· Tu ne vas pas aller au travail comme ça ! s'écria Hermione.
Megan s'avança, sa baguette à la main, mais le sorcier avait fini par entendre raison. Il parvint à se relever tant bien que mal en se cramponnant au bras d'Hermione, dégoûtée. Lorsqu'il fut debout, il tourna sur place et disparut, ne laissant derrière lui que son sac, dont Ron s'était emparé en le lui arrachant des mains, et quelques giclées de vomissures.
· Beurk, grimaça Hermione, les pans de sa robe relevés pour éviter les mares de saleté.
· Je vous avais dit qu'on aurait mieux fait de le stupefixier aussi, dit Megan.
· Je persiste à croire qu'un tas de corps inconscients aurait un peu trop attiré l'attention, répliqua Ron. En tout cas, il tenait à aller travailler, celui-là. Donne-nous les cheveux et la potion.
Quelques minutes plus tard, Ron était réapparu et avait la même petite taille et la même tête de fouine que le sorcier malade. Il s'était habillé de la robe bleu marine qu'il avait trouvée pliée dans le sac.
· Bizarre qu'il ne l'ait pas portée sur lui aujourd'hui, vu sa hâte à vouloir travailler. En tout cas, d'après l'étiquette cousue dans le dos, je suis Reg Cattermole.
· Bon, vous restez ici, dit Hermione à Megan et Potter, et on reviendra vous apporter quelques cheveux.
Le garçon était toujours caché sous la cape d'invisibilité, et tous deux s'ignorèrent pendant les dix minutes que durèrent l'absence de Ron et Hermione, tournant en rond dans la ruelle souillée de vomissures, à côté de la porte derrière laquelle était dissimulée Mafalda, stupéfixée. Enfin, leurs amis réapparurent. Contrairement à ce qui était prévu, ils portaient à pas précipités le corps d'une femme métisse aux cheveux bruns.
· On ne sait pas qui c'est, annonça Hermione en déposant la femme à côté de Hopkirk. Mais elle était sacrément butée, alors on a dû l'attaquer. Elle sent le troll, vous ne trouvez pas ? Tiens, Harry, ajouta-t-elle en tendant à Potter des cheveux noirs et bouclés, lui non plus on ne connait pas son nom, mais il est rentré chez lui avec d'horribles saignements de nez ! Comme il est très grand, il te faudra une robe plus ample…
Elle sortit quelques-unes des vieilles robes de sorcier que Kreacher avait spécialement lavées pour eux, et Megan et Potter s'éloignèrent pour boire la potion et se changer. Une fois la douloureuse transformation achevée, Megan avait pris l'apparence de leur deuxième victime, carrée d'épaules, et Potter mesurait plus d'un mètre quatre-vingts et portait une barbe. Il rangea la cape d'invisibilité et ses lunettes sous sa nouvelle robe tandis qu'ils rejoignaient les deux autres.
· Nom d'une gargouille, ça fait peur, s'exclama Ron en levant les yeux vers Potter, qui le dominait à présent de toute sa taille.
· Prenez des jetons de Mafalda, dit Hermione. Et allons-y, il est presque l'heure.
Ils sortirent ensemble de la ruelle. Cinquante mètres plus loin, sur le trottoir bondé, des grilles noires et pointues encadraient deux escaliers, l'un portant l'écriteau « Messieurs », l'autre « Dames ».
· À tout à l'heure, dit Hermione, un peu nerveuse, à Ron et Potter avant de descendre d'un pas chancelant les marches réservées aux dames, suivie de Megan.
· Ce sont des toilettes publiques, fit remarquer cette dernière à voix basse en plissant le nez tandis qu'elles rejoignaient une file de femmes en robes de sorcières.
Le sol était recouvert d'un carrelage crasseux noir et blanc.
· J'ai remarqué…
Les sorcières entraient dans les cabines chacune leur tour en insérant un jeton doré dans la fente de la porte. Des bruits de chasse d'eau retentissaient à intervalles réguliers, mais personne ne ressortait des cabines. Megan et Hermione entrèrent à leur tour.
· Qu'est-ce qu'on fait ? chuchota la voix nerveuse de Hermione.
Il n'y avait rien d'autre dans la cabine qu'un siège de toilettes nu et la chaine de la chasse d'eau. Megan tâtonna sur le mur mais ne trouva aucun passage. Elle entendait Hermione faire ses propres recherches de son côté.
· Qu'est-ce qui vous prend autant de temps ? râla une voix à l'extérieur des cabines.
Elles risquaient d'attirer l'attention.
· Megan, siffla la voix d'Hermione. Monte dans les toilettes et tire la chasse !
· Quoi ?
· Je viens de voir la fille d'à côté le faire !
Il y eut un bruit de chasse d'eau, et lorsque Megan se pencha en fronçant le nez pour voir dans la cabine voisine, Hermione ne s'y trouvait plus. Consternée par l'exercice, elle releva les extrémités de sa robe et mit les deux pieds dans la cuvette remplie d'eau. Pourtant, elle resta parfaitement au sec.
· Ils se foutent de nous, marmonna-t-elle avant de tirer sur la chaîne devant elle.
Elle fut alors précipitée dans un petit toboggan dont elle sortit par une cheminée du ministère de la Magie. Furieuse de ce traitement ridicule, elle se remit rapidement debout. Il lui fallut quelques secondes pour retrouver Hermione, peu habituée aux traits de Hopkirk.
· Tu as vu ça ? lui demanda son amie à voix basse en désignant le centre de l'atrium.
La dernière fois qu'elle s'était trouvée ici, elle poursuivait Bellatrix. La pièce était plus sombre, maintenant. La fontaine d'or qui occupait le centre du hall, projetant des reflets de lumière scintillante sur les murs lambrissés et le parquet de bois poli, avait disparu, remplacée par une gigantesque statue de pierre noire. C'était une grande sculpture, assez effrayante, représentant une sorcière et un sorcier assis sur des trônes ouvragés qui reposaient sur un entassement d'êtres humains sculptés : des centaines et des centaines de corps nus d'hommes, de femmes, d'enfants, aux visages laids et stupides, étaient serrés les uns contre les autres, dans des poses contournées, pour supporter le poids des sorciers élégamment vêtus de leurs robes. Les deux figures regardaient de haut les employés du ministère qui tombaient des cheminées. Gravés au bas de la sculpture, en lettres d'une trentaine de centimètres de hauteur, on lisait ces mots : LA MAGIE EST PUISSANCE.
· Ron, murmura Hermione.
Le sorcier à tête de fouine se trouvait là.
· Où est Harry ? s'enquit-il à voix basse.
Tous les trois se retournèrent. L'homme immense dont Potter avait pris l'apparence dominait ses collègues d'une bonne tête, et tous lui jetaient des regards intimidés.
· Psst ! siffla Hermione.
Il se retourna et les vit lui faire signe de loin. Il se dépêcha de les rejoindre. Megan espéra que ceux dont ils avaient emprunté les traits étaient suffisamment susceptibles de se connaître et de s'apprécier pour que leur petit regroupement n'attire pas l'attention.
· Tu as réussi à entrer sans difficulté ? chuchota Hermione.
· Non, il est toujours coincé dans la cuvette, répliqua Ron, arrachant un ricanement à Megan.
· Oh, très drôle… C'est horrible, hein ? dit-elle à Potter qui avait levé la tête et contemplait la statue. Tu as vu sur quoi ils sont assis ? Des Moldus. Remis à leur place. Venez, on y va.
Ils se mêlèrent au flot des sorcières et des sorciers qui se dirigeaient vers les grandes portes d'or, à l'extrémité du hall. Ils regardèrent autour d'eux le plus discrètement possible, mais ne virent pas la silhouette caractéristique de Dolores Umbridge. Après avoir franchi les portes, ils pénétrèrent dans un hall plus petit où des queues s'étaient formées devant une vingtaine de grilles d'or dont chacune donnait accès à un ascenseur. À peine s'étaient-ils joints à la file d'attente la plus proche qu'une voix appela :
· Cattermole !
Ils jetèrent un coup d'œil derrière. Yaxley s'avançait à grands pas, ses traits grossiers déformés par une expression renfrognée, vêtu d'une robe magnifique, longue et ample, abondamment brodée de fils d'or. À côté d'eux, les autres employés firent aussitôt silence, les yeux baissés. Quelqu'un, dans la foule qui attendait les ascenseurs, lança d'un ton flagorneur :
· Bonjour, Yaxley !
Mais le Mangemort ne lui prêta aucune attention.
· J'ai demandé qu'on m'envoie quelqu'un de la maintenance pour arranger mon bureau, Cattermole. Il pleut toujours à l'intérieur.
Ron regarda autour de lui comme s'il espérait que quelqu'un d'autre allait intervenir, mais personne ne dit un mot.
· Il pleut… dans votre bureau ? C'est… c'est embêtant, non ?
Ron eut un petit rire nerveux. Yaxley écarquilla les yeux.
· Vous trouvez ça drôle, Cattermole, ça vous fait rire ?
Deux sorcières quittèrent la file d'attente et s'éloignèrent précipitamment.
· Non, dit précipitamment Ron, non, bien sûr…
· Vous savez que je m'apprête à descendre pour interroger votre épouse, Cattermole ? D'ailleurs, je suis très surpris que vous ne soyez pas en bas, auprès d'elle, pour lui tenir la main pendant qu'elle attend. Vous l'avez déjà passée par profits et pertes ? C'est sans doute plus sage. La prochaine fois, vous veillerez à épouser une femme de sang pur.
Hermione avait laissé échapper un petit couinement horrifié. Yaxley la regarda. Elle toussa faiblement et se détourna.
· Je… je…, balbutia Ron.
· Si mon épouse était accusée d'être une Sang-de-Bourbe, reprit Yaxley – bien qu'une femme que j'aurais épousée ne puisse jamais être confondue avec une telle vermine –, et que le directeur du Département de la justice magique me demandait de faire un travail, je considérerais cette tâche comme une priorité, Cattermole. Me suis-je bien fait comprendre ?
· Oui, murmura Ron.
· Alors, allez-y, Cattermole, et si mon bureau n'est pas parfaitement sec dans une heure, le Statut du sang de votre femme deviendra encore plus douteux qu'auparavant.
La grille dorée s'ouvrit devant eux dans un bruit métallique. Avec un signe de tête et un sourire déplaisant à l'adresse de Potter, qui était visiblement censé apprécier le traitement infligé à Cattermole, Yaxley se dirigea à grands pas vers un autre ascenseur. Megan, Ron, Hermione et Potter entrèrent dans leur cabine mais personne ne les suivit : on aurait dit qu'ils étaient devenus contagieux. Les grilles se refermèrent dans un cliquetis et l'ascenseur commença à monter.
· Qu'est-ce que je vais faire ? demanda aussitôt Ron aux trois autres d'un air atterré. Si je n'y vais pas, ma femme… je veux dire la femme de Cattermole…
· C'est pour ça qu'il était si déterminé à venir bosser, commenta Megan.
· On va venir avec toi, il faut qu'on reste ensemble…, commença Potter, mais Ron hocha frénétiquement la tête.
· Ce serait de la folie, on n'a pas beaucoup de temps. Vous deux, vous cherchez Umbridge, moi, je vais réparer le bureau de Yaxley.
· Réparer son bureau ? répéta Megan. On s'en fiche, de son bureau !
· Tu l'as entendu, non ? Si je ne le fais pas, ça aura de grosses conséquences pour la femme de Cattermole !
· On ne la connait pas, on s'en fiche !
· Non, on ne s'en fiche pas ! insista Ron, approuvé par les deux autres. Mais comment je vais faire pour empêcher de pleuvoir ?
· Essaye Finite incantatem, conseilla Hermione, ça devrait arrêter la pluie si elle est causée par un maléfice ou un enchantement. Si ça ne marche pas c'est qu'il y a eu une anomalie dans un charme atmosphérique, ce qui sera plus difficile à réparer. Dans ce cas, comme mesure provisoire, tu peux essayer Impervius pour protéger ses affaires…
· Répète-moi ça lentement…, dit Ron, fouillant désespérément dans ses poches à la recherche d'une plume.
Mais au même moment, l'ascenseur s'immobilisa dans une vibration métallique. Une voix de femme désincarnée annonça :
· Niveau quatre, Département de contrôle et de régulation des créatures magiques, section des animaux, êtres et esprits, Bureau de liaison des gobelins, Agence de conseil contre les nuisibles.
Les grilles se rouvrirent, laissant entrer deux sorciers et plusieurs avions en papier d'une couleur violet pâle, qui voletèrent autour de la lampe, au plafond de la cabine.
· Bonjour, Albert, dit un homme à la moustache broussailleuse en souriant à Potter. Tu ne descends pas, Angelica ? s'étonna-t-il en regardant Megan.
· Non, j'ai autre chose à faire, répondit-elle d'un air assuré.
Le sorcier à la moustache haussa les épaules, et l'ascenseur reprit sa course dans un grincement. Hermione chuchotait précipitamment des instructions à Ron. Le sorcier se pencha alors vers Potter pour lui marmonner quelque chose, puis lui adressa un clin d'œil. Potter se contenta de lui sourire. L'ascenseur s'arrêta. Les grilles s'ouvrirent à nouveau.
· Niveau deux, Département de la justice magique, Service des usages abusifs de la magie, Quartier général des Aurors, Services administratifs du Magenmagot, annonça la voix désincarnée.
Megan vit Hermione pousser légèrement Ron qui se hâta de sortir de l'ascenseur, suivi par les deux autres sorciers. Elle était certaine que c'était une très mauvaise idée de se séparer ainsi. Ils restèrent seuls tous les trois. Dès que la porte dorée se fut refermée, Hermione dit très vite :
· En fait, il vaudrait mieux que j'y aille avec lui. Il n'y connaît rien et si jamais il se fait prendre, tout va…
· Niveau un, ministre de la Magie et cabinet du ministre.
Lorsque les grilles dorées s'écartèrent une nouvelle fois, Hermione eut un haut-le-corps. Quatre personnes se tenaient devant eux, deux d'entre elles absorbées dans leur conversation : un sorcier aux cheveux longs, vêtu d'une magnifique robe noir et or, et une sorcière trapue qui ressemblait à un crapaud et portait un nœud de velours dans ses cheveux courts. Elle tenait un bloc-notes serré contre sa poitrine.
