Un petit miracle a eu lieu cet été : les mails d'alerte de ffnet sont revenus. Et en force. En quelques jours, j'en avais une bonne centaines, de reviews, follows et compagnie... parfois vieux de plusieurs mois. Du coup, j'ai découvert des tas de reviews sur des vieux textes dont j'ignorais parfaitement l'existence (je suis mes reviews du texte en cours, mais au total j'ai presque 40 textes publiés, je ne m'amuse pas en vérifier les reviews toutes les semaines, m'voyez). De fait, il existe des tas de reviews sur des anciens textes auxquelles je n'ai jamais répondu. Or, vous le savez (ou pas), je suis très attachée au fait de toujours répondre à mes reviews, même pour dire merci, parce que c'est important. Si un jour des lecteurs n'ayant jamais reçu une réponse passent par ici, je suis profondément désolée.

Mais du coup, c'est une bonne nouvelle pour les lecteurs du moment : si vous vérifier sur votre profil que vous avez bien accepté de recevoir les alertes de ffnet (sans activité sur le planning, l'option se déconnecte au bout de six mois), vous devriez pouvoir récupérer les mails d'alerte de mise à jour de cette fic ! Du moins... on peut l'espérer ^^

J'espère que la rentrée s'est bien passée pour tout le monde, tout comme les vacances pour ceux qui en avaient. Je soigne personnellement ma dépression post-JO (j'étais en manque) en étant accro aux paralympiques. Je ne vais pas tarder à être en manque, hélas, avant de pouvoir reprendre mon shoot dans 4 ans xD

Bonne lecture !


Chapitre 6

En toute honnêteté, John avait passé le meilleur après-midi de sa vie. Sherlock était intarissable sur les sujets qu'il appréciait, et la chimie en faisait partie. Il expliquait deux fois mieux que son professeur, reformulait autant de fois que nécessaire, inventait des moyens mnémotechniques pour tout avec une efficacité redoutable. Il n'avait pas menti non plus sur les méthodes d'apprentissage, il en connaissait plusieurs, et très efficaces. Il savait déjà mieux que John ce qui lui convenait le mieux.

Au milieu de l'après-midi, il avait évoqué du bout des lèvres son projet de Palais Mental, et John l'avait écouté, fasciné, avant de le supplier d'en dire plus. Sherlock ne s'était pas fait prier. John se sentait incapable de créer un truc aussi immense que le jeune homme semblait avoir dans sa tête, mais il reconnaissait que la technique, à son niveau, était utile : quand il oubliait une définition ou une formule, il créait des liens entre les mots pour « avancer » dans sa progression mentale, et les retenait alors plus rapidement. Sherlock y était pour beaucoup. C'était lui qui imaginait les liens que John pouvait faire pour les retenir facilement, et ça marchait.

Il fallait également reconnaître que sa voix avait un effet hypnotique. À la fin de la journée, John réalisa que certaines notions intégrées dans l'après-midi l'avaient été avec le ton de la voix de Sherlock, et il était probable que cela reste ainsi pour toujours.

— Continue de relire et répéter régulièrement tes cours et tes liens, indiqua Sherlock. Tu consolideras les acquis. Tu vois, c'est facile.

Ça ne l'était pas, mais ça le semblait totalement quand il le disait. En une après-midi, John avait rattrapé son retard de révisions en biochimie. Ils avaient même pris de l'avance sur les deux prochains cours, parce que Sherlock semblait en connaître davantage qu'un thésard sur le sujet, et qu'il affirmait que John serait plus efficace dans son apprentissage et sa prise de notes pour les prochaines fois.

Même si ton prof est un abruti complet, avait-il précisé, faisant rire John.

John avait ensuite révisé ses maths et biomaths, mais il n'avait pas besoin d'aide pour ça. Alors Sherlock était allé jouer du violon, et John avait ouvert la bouche de surprise. Il n'avait pas remarqué l'instrument, lors de sa première analyse de la chambre, principalement parce que celui-ci était à moitié caché sous la couette roulée en boule, et il s'était sérieusement demandé comment Sherlock faisait pour dormir dans ce lit.

Puis le jeune garçon avait armé l'instrument sur son épaule, pincé les cordes, et fait danser son archet dans des mouvements trop fluides et imprévisibles pour que John puisse les suivre à l'œil nu. Il avait abandonné ses calculs différentiels un instant, se retournant vers lui, soufflé d'admiration.

— Il y a quelque chose que tu ne sais pas faire ? avait-il demandé, tout son ébahissement transparaissant dans sa voix.

Sherlock avait haussé les épaules en redescendant son archet.

— Comprendre les gens. C'est pour ça que tu es là, non ? Donnant-donnant. Pour le violon, j'ai commencé à l'âge de quatre ans, alors je n'ai pas de mérite. Pour le reste non plus, en fait. J'ai su lire vers quatre ans également, et j'ai lu toute la bibliothèque familiale, sans compter tous les bouquins de cours de mon frère, à l'époque au collège, ceux de ma mère, mathématicienne, et mon père, sur les sciences sociales et humaines. Et j'ai toujours tout retenu ce que je lisais. À la maison, on parlait trois langues, alors vers douze ans, j'ai appris le russe pour connaître le cyrillique, je peux m'en sortir avec les bases d'à peu près n'importe quelle langue latine, germanique ou slave d'Europe, à peu près. Je n'ai pas vraiment de mérite. Ce n'est pas si compliqué.

Il était planté au pied de son lit, violon sur l'épaule, et disait cela avec le plus grand des sérieux. John avait envie d'exploser de rire. Il ne réalisait vraiment pas combien il était exceptionnel.

— En effet, tu as de grosses lacunes dans un domaine, répliqua John avec sérieux. L'humilité. Je t'apprendrai, tu verras, ce n'est pas si compliqué.

Sherlock le regarda intensément, puis un sourire se dessina sur son visage. Il avait compris que c'était une blague, et John en fut heureux.

— Plus sérieusement, tu as entièrement tort, car si, c'est du mérite. C'est pour ça que tu ne comprends pas les gens. Parce que tu ne comprends pas ton propre génie. Alors forcément, tu t'attends que les gens réagissent avec ta propre échelle de valeur, mais ce n'est pas possible, parce que le reste du monde n'est pas trilingue avant douze ans et apprend le russe pour s'occuper. La plupart des gamins de douze ans se demandent plutôt comment regarder la télé plus longtemps que l'heure autorisé par leurs parents, en fait, et commencent à se poser des questions sur les blagues des adultes ou des lycéens qu'ils ne comprennent pas...

Sherlock fronça les sourcils. De toute évidence, il ne percutait absolument pas que John parlait de la découverte de la sexualité, de tous les termes plus ou moins grossiers et graveleux qui suivaient, et des blagues et autres remarques qui allaient de pair dans une cour de récréation au collège et lycée.

— Je t'apprendrai, Sherlock. Je t'apprendrai à quel point le monde est différent de toi. T'en fais pas.

— Mais pourquoi tu es différent, toi ? Mais quand même pas différent comme les autres ?

La question semblait lui avoir échappé, et John ne savait pas quoi lui répondre.

— Aucune idée. C'est à toi de me le dire. Moi, j'ai juste l'impression d'être comme tous les autres, et certainement pas comme toi. Si tu trouves que je suis différent, c'est à toi de me dire pourquoi. Moi, je n'en sais rien.

Sherlock avait l'air frustré par sa réponse, à moins que ce ne fut par sa propre incapacité à résoudre l'énigme que semblait être John pour lui. Gêné, l'étudiant en médecine se détourna, en revenant à ses calculs. Un instant plus tard, le violon emplissait de nouveau la pièce, et John se laissa bercer par ce fond sonore tout en faisant des exercices d'entraînement aux biomathématiques.

Pendant longtemps, la quiétude régna sur la chambre. Sherlock se déplaçait en jouant, ce qui n'était pas franchement surprenant. Il tenait difficilement en place, et même quand il expliquait des choses à John, il ne cessait de faire des allers-retours dans la pièce.

Soudain, alors qu'il s'approchait de la fenêtre, l'archet ripa et John releva la tête, surpris.

— Hum. Un problème imprévu. Il faut qu'on y aille. Comment sont tes capacités en escalade ?

— Hein ?

Sherlock posa son violon sur la première surface plane venue, et rejoignit John à grandes enjambées.

— Prends tes affaires sans faire de bruit, serre bien ton sac à dos, et suis-moi. Ne t'inquiète pas, c'est facile.

John venait de finir un exercice, et il referma ses cahiers, les rangeant dans son sac à dos le plus silencieusement possible, sans comprendre. Sherlock attrapa son blouson, l'enfila, remit ses chaussures. Il sembla faire l'inventaire de ses poches, puis vérifia que sa porte était verrouillée. Au même moment, loin en bas dans la maison, une porte claqua, et du bruit se fit entendre.

— Je croyais qu'il n'y aurait personne chez toi ? murmura John, sans savoir pourquoi il chuchotait.

— Ça aurait dû être le cas, affirma Sherlock sur le même ton. Même pas moi, en fait. C'est pour ça qu'on doit partir avant qu'on sache qu'on était là.

Aussi silencieux qu'un chat, il glissa à travers la pièce, et ouvrit la fenêtre, et John blêmit.

— Dis-moi que tu n'es pas sérieux ?

Sherlock le considéra d'un regard noir, lui intimant du geste de baisser d'un ton.

— Je fais ça tout le temps. Il n'y aucun risque, chuchota-t-il alors que John le rejoignait près de l'encadrement.

John se souvenait surtout qu'ils étaient au troisième étage, et que la chute ne leur serait peut-être pas nécessairement fatale, mais ils pouvaient se faire très mal. Et s'ils tombaient mal, ils pouvaient aussi se rompre le cou.

— Ne t'en fais pas, lui souffla Sherlock.

D'un geste sûr, il referma le manteau de John, en serra les pans pour être sûr qu'ils ne le gênent pas, puis ajusta rapidement et silencieusement les bretelles de son sac à dos pour qu'il soit le plus serré possible sur son dos.

— Hum. Tu veux que je prenne ton sac ? proposa-t-il. Je suis plus équilibré que toi, et j'ai l'habitude.

John hocha vivement la tête, et il se défit du sac, que Sherlock passa et ajusta à ses épaules.

— Et le code de l'alarme en bas ? murmura John. Tu l'as désactivée. C'est évident qu'il y a quelqu'un dans la maison, non ?

Sherlock avait l'air stressé, et pressé, il intimait le silence à John, écoutait les bruits de la maison, et jetait des coups d'œil dehors réguliers, mais à l'entente de cette phrase, il se retourna vers lui avec un regard d'admiration totale.

— Je t'explique quand on sera loin, chuchota-t-il. Suis-moi et fais exactement les mêmes gestes. Tout va bien se passer.

Il tendit la main vers John, vers son visage, dans un mouvement qu'il avorta soudain, comme réalisant ce qu'il était en train de faire et que cela n'avait aucun sens. Pour John non plus, ça n'en avait pas. Il repoussa une mèche de ses cheveux plus loin de son front pour éviter de gêner ses yeux, et hocha la tête pour indiquer qu'il était prêt.

Avec un mouvement qui témoignait d'une grande habitude, Sherlock se coula par la fenêtre, dans un espace relativement réduit. John avait beau être terrifié et le cœur battant, il ouvrit grands les yeux et analysa aussitôt les prises auxquelles s'accrochait Sherlock, et le suivit presque aussitôt. S'il hésitait, il savait qu'il risquerait de renoncer. Ou pire, de rester figé. S'il ne se laissait pas le temps de réfléchir, ça irait beaucoup plus vite. Heureusement, malgré leur différentiel de taille, toutes les prises étaient atteignables par John.

Sherlock avait eu raison. Ce n'était pas vraiment compliqué. La fenêtre avait un grand rebord, et ils pouvaient facilement atteindre une anfractuosité dans le mur qui permettait de poser le pied suffisamment pour avoir un appui et atteindre un bout de corniche.

En quelques secondes, ils étaient sur le toit de la maison.

— Viens, articula silencieusement Sherlock. On va redescendre de l'autre côté, souffla-t-il.

Ils progressèrent rapidement sur les tuiles humides de pluie, pas si pentues et pas si glissantes du point de vue de John, qui n'avait jamais fait ça. Sherlock les conduisit de l'autre côté de la maison, là où un immense arbre aux très larges branches touchaient le toit.

— En toute logique, les fenêtres qui donnent sur ce côté-là de la maison ne sont pas dans les pièces les plus utilisées. Surtout les salles de bains, en fait. On peut redescendre jusqu'au sol comme ça, et de toute manière, les branches sont plutôt touffues, ça cache bien. Ça va aller ?

John hocha la tête. Il était déjà nettement moins pâle et terrifié qu'un instant plus tôt. Se trouver sur le toit d'une maison avec quelqu'un qui manifestement faisait cela tous les quatre matins pour faire le mur lui donnait plutôt envie de crier de joie, et sauter pour voir s'il pouvait s'envoler comme un oiseau. Il ne savait pas si c'était dû à l'adrénaline ou un autre sentiment, mais il était nettement plus excité qu'effrayé, désormais.

Sherlock lui jeta un regard appréciateur avec un sourire en coin, et attrapa la branche de l'arbre, avant de se laisser tomber souplement un peu plus bas. À chaque étape, il s'interrompait pour que John, qui le regardait attentivement, puisse l'imiter.

Avec une facilité déconcertante, surveillant tout de même les fenêtres, ils parvinrent en bas. Ils avaient dû quitter la chambre de Sherlock depuis cinq minutes tout au plus, et cela en faisait dix à tout casser que quelqu'un était rentré dans la maison et que le jeune homme avait décrété qu'ils devaient partir. Ça paraissait des heures plus tôt pour John.

Quand ils atterrirent au sol, il se passa néanmoins quelque chose d'extraordinaire : Sherlock attrapa la main de John, et le tira derrière lui, partant en courant. Ils étaient dans le jardin de derrière, et ils traversèrent un autre jardin, franchissant une barrière, puis une ruelle, avant de se retrouver loin de tout ça.

John était hors d'haleine, et son rythme cardiaque avait augmenté à un niveau démentiel. Et Sherlock lui tenait toujours la main.

— C'était... c'était... bégaya John.

Sherlock le lâcha soudain, comme s'il venait de réaliser qu'il n'avait plus la nécessité de le guider pour fuir, et John sentit sa température et son rythme cardiaque diminuer sans raison.

Le jeune génie patienta qu'il retrouve son souffle et ses pensées.

— C'était fantastique, finit par dire John. C'était incroyable. C'était fou. Tu es dingue. Tu fais ça souvent ?

Sherlock rosit, et John réalisa à quel point, malgré toute son arrogance et son absolue certitude d'être plus intelligent que tout le monde, il n'avait pas l'habitude d'entendre des compliments sincères. Ce qui l'amena à s'interroger sur la famille de Sherlock. John était la personne la mieux placée pour savoir que la famille n'était pas toujours parfaite, encore moins aimante et soudée.

Mais il espérait toujours que sa propre famille était une exception, et que la plupart des gens avaient des parents gentils, compréhensifs, aimants, et fiers de leur progéniture. C'était ce qu'il avait toujours constaté chez tous ses camarades, de la primaire jusqu'à aujourd'hui. Alors il se demandait comment la famille de Sherlock pouvait ne jamais avoir félicité leur fils. Il ne cachait certainement pas ses connaissances, son intelligence, sinon sa chambre ne serait pas aussi remplie de livres, de tableaux pleins de calculs, et de matériel de chimie. Pourtant, il semblait n'avoir jamais reçu de compliments, du moins pas comme John lui en faisait, au point qu'il soit gêné et ne sache plus vraiment quoi dire.

— Je vais récupérer mon sac, maintenant, merci, indiqua-t-il en tendant la main.

Sherlock le lui rendit.

— Et l'alarme ? demanda John.

— Logiquement désactivée par la femme de ménage.

— Quelle femme de ménage ?

— Celle qui venait d'arriver.

John fronça les sourcils.

— On s'est enfui parce que la femme de ménage était arrivée ?

— Non. Elle était là depuis une bonne dizaine de minutes avant qu'on ne parte. Mais elle ne monte jamais dans ma chambre, elle refuse de s'en occuper, on se demande pourquoi, ricana-t-il. Et je ne veux pas qu'elle touche à mes affaires non plus. Si je suis là quand elle passe, la plupart du temps, elle ne s'en aperçoit pas. Elle désactive l'alarme en arrivant, évidemment. Parfois, elle constate que c'est déjà fait, parfois elle retape le code et ça bipe pour lui dire que ça ne servait à rien, mais elle ne remarque pas que ce n'est pas exactement le même bip que celui de désactivation... Donc, elle était là avant qu'on ne parte, bien avant. L'alarme était donc logiquement désactivée, sans souci.

— Et ta fenêtre ouverte ?

Sherlock haussa les épaules.

— Ma chambre est fermée à clé. Personne n'y rentre. Personne ne s'en rendra compte. Je la refermerai en rentrant.

John avait envie de lui demander avec qui il vivait, si ce n'était pas ses parents. Qui était rentré, pourquoi ils avaient dû partir, où aurait dû être Sherlock à cette heure-ci, si ce n'était chez lui.

Mais il ne dit rien de tout cela. Il avait conscience qu'il n'obtiendrait pas les réponses, et que braquer son ami ne servirait à rien. Parce que John avait envie de revenir chez lui. De réviser de nouveau dans cette chambre, quitte à s'enfuir par la fenêtre. Son cœur en tambourinait encore légèrement de joie dans sa poitrine.

— On pourra recommencer ? laissa-t-il échapper.

Sherlock le regarda, surpris, mais bizarrement heureux.

— Réviser, ou monter sur les toits ? demanda-t-il.

— Les deux, répliqua John, très sérieux.

Sherlock dut lire dans ses yeux qu'il ne mentait pas.

— La maison sera vide toute la semaine prochaine, je serai seul, si tu veux. Pour le reste... si tu le veux, il faudra braver quelques interdits et quelques lois.

— Ça ne me dérange pas.

John ne mentait même pas.

— Tant qu'on ne se fait pas prendre. Tu peux me promettre ça ?

Les yeux de Sherlock étincelèrent.

— Bien évidemment. Je ne me suis jamais fait prendre. Va juste falloir travailler ton cardio, ton cœur s'entend à trois kilomètres à la ronde.

John explosa de rire, de joie, de bonheur, d'excitation, d'expectative. Il avait l'impression qu'il venait de signer un contrat invisible, et que vivre aux côtés de Sherlock allait être exceptionnel, pas de tout repos, et hautement incompatible avec ses études de médecine. Pourtant, il n'arrivait pas à avoir peur, à refuser, à reculer. Au contraire. Il voulait plonger en avant, totalement, irrémédiablement.

— Tu viens vraiment de faire une blague ? demanda-t-il. J'ai une excellente influence sur toi, Sherlock.

— La mienne sur toi semble désastreuse, répliqua le génie en souriant.

Et John n'en rit que davantage.

Quand son hilarité se fut apaisée, il tendit la main en direction de Sherlock, qui la considéra longuement.

— Je m'engage à te suivre n'importe où et t'expliquer les gens et le monde.

— Je m'engage à te faire réviser, réussir tes examens et apprendre à crocheter des serrures.

Il accepta la main tendue, et la serra. Le cœur de John repartit au galop. Il venait sans doute de signer son arrêt de mort, mais il le faisait avec joie.

— Je te raccompagne, indiqua Sherlock en le relâchant. On peut le faire à pied, si tu veux.

John hocha la tête. Ça serait plus lent que par le métro, et moins cher. Il n'avait aucune idée d'où ils étaient, de toute manière. La nuit tombait tôt, et en cette fin d'après-midi de la toute fin novembre, il faisait déjà sombre, mais tous les lampadaires éclairaient la ville. John réalisait seulement maintenant qu'il avait marché sur un toit et descendu d'un arbre dans la nuit tombante, et il eut de nouveau envie de rire.

— Je te suis.

— Je te revois quand ? demanda John.

Ils étaient arrivés au pied de son immeuble, et il aurait vraiment voulu faire sonner sa voix un peu moins désespérée, sans y parvenir. Il avait l'impression qu'ils avaient marché pendant des heures tout en ayant le sentiment que ça avait duré trop peu de temps et en sachant qu'objectivement, cela ne devait pas faire plus de trois quarts d'heures.

Sherlock haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Quand je pourrai.

— Ce n'est pas trop précis.

— Je connais ton emploi du temps. Je saurai où te trouver.

— Mais pas moi, répliqua John. C'est inégalitaire.

Sherlock le regarda bizarrement. Sur le chemin, ils avaient croisé des gens, et Sherlock les regardait passer intensément, et expliquait à John ce qu'il pouvait déduire d'eux à partir de cette observation. Et John lui avait expliqué pourquoi les gens avaient tendance à trouver cela gênant d'être dévisagé, et pourquoi ils auraient pu mal réagir si Sherlock avait donné ses conclusions à voix haute. Éduquer Sherlock sur ce sujet n'était pas si simple, principalement parce que John n'était pas aussi brillant que Sherlock, qui réfléchissait suffisamment vite pour synthétiser ses propos et savait comment expliquer les choses. John avait préféré partir de situations de fait pour essayer d'expliquer les choses.

— Les gens aiment l'égalité dans une relation, expliqua-t-il patiemment. Toi, tu sais où me trouver, mais pas l'inverse. Ça peut créer un sentiment d'injustice. Tu sais plus de choses sur moi que je n'en sais sur toi. À plus ou moins long terme, ça pourrait donner l'illusion que tu ne me fais pas confiance, mais qu'en retour je dois absolument tout te dire, que je dois me plier à tes désirs, être disponible quand tu l'es, ne rien demander, rien exiger en retour. Tu comprends que ça puisse être frustrant ? Si tu étais à ma place ?

— Tu penses vraiment ça ?

John détourna le regard, gêné, se tortillant sur place.

— Pas vraiment...

— Mais un peu quand même.

— Disons que c'est toujours toi qui débarques quand tu as envie, et qui disparais selon ton bon vouloir, c'est un peu agaçant. Je ne sais même pas exactement ton cursus à l'Imperial, alors que tu connais mon planning par cœur !

Sherlock eut un demi-sourire amusé et ironique, que John ne sut pas interpréter.

— Je comprends ta position. Désolé, mais pour l'instant, je ne peux pas t'expliquer davantage les choses. En revanche, que tu puisses penser que je ne te fais pas confiance est blessant. C'était la première fois de ma vie que j'acceptais que quelqu'un vienne chez moi. La première fois que j'invitais quelqu'un dans ma chambre.

Il avait l'air terriblement sincère, et John réalisa qu'il ne voyait pas vraiment de double-sens à « inviter quelqu'un dans sa chambre ». Lui le voyait, mais le chassa de son esprit. Ça n'avait pas de fondement. Sherlock était de toute évidence totalement désintéressé de ce type de relations humaines.

— Pardon, je ne voulais pas te blesser. Je sais que tu me fais confiance. Je t'expliquais les choses de manière théorique. Y'a un peu de vrai, mais pas tout. Je ne suis pas encore frustré au point de m'en énerver. Penses-y, c'est tout. À me donner un moyen de te contacter en retour, ou envisage de me donner ton emploi du temps.

— J'y songerai, s'amusa Sherlock. À plus, John. Révise bien comme je te l'ai appris !

Et il s'enfuit dans la nuit noire, laissant John seul au pied de son immeuble, bizarrement plus heureux qu'il ne l'avait été depuis longtemps.


Cela devint rapidement leur nouvelle routine, au cours des jours qui suivirent. John avait appris à s'en contenter, et à sa grande surprise, ça ne le frustrait même pas vraiment. Il se contentait de vivre tranquillement, et Sherlock apparaissait quand il en avait envie, et alors John le suivait et s'émerveillait à chaque fois un peu plus de le découvrir.

Il connaissait l'Imperial par cœur, dans ses moindres recoins, y compris illégaux. Quand ils ne pouvaient pas aller réviser chez Sherlock, et après s'être fait jeter de la bibliothèque universitaire (Sherlock n'était pas du genre à chuchoter discrètement, et il ne pouvait pas s'empêcher de bouger quand il parlait et réfléchissait), il leur avait fallu trouver un autre endroit. À plusieurs reprises, ils échouèrent chez Leandro, qui leur dégageait une table pour installer leurs cahiers, leur servait de la limonade et des gâteaux, sans rien demander en retour. Sherlock payait, aléatoirement, et John détournait le regard, gêné. Il y avait toujours des gens peu recommandables chez le vieil italien, et ils aperçurent son fils à plusieurs reprises, mais tous semblaient considérer que John et Sherlock faisaient partie du décor et n'étaient qu'une information négligeable et inutile. Ils n'avaient pas tort. Chacun se mêlait de ses affaires, et celles de John consistaient à ingurgiter un programme tellement dense qu'il n'avait le temps de rien d'autre.

Sherlock lui ouvrit les portes de la fac, littéralement, et lui fit découvrir des coins et des recoins inconnus, probablement interdits, dans lesquels ils s'installaient des heures durant, tandis que John apprenait et révisait.

À sa grande surprise, il découvrit à quel point les conseils de Sherlock se révélaient utiles et payants. John travaillait mieux, même seul. Il était plus efficace, dormait davantage. Sa prise de notes en cours était plus efficace, ses fiches de révision et sa manière d'apprendre aussi. Il abordait ses partiels de fin de semestre, juste avant les vacances de Noël, avec beaucoup plus de sérénité, malgré leur proximité.

Mike, Peter, Alec et Caitlin avaient cessé d'être détendus et de blaguer. Seule Judith avait conservé son stoïcisme à toute épreuve. Mais ils révisaient tous comme des fous, avec un stress croissant, et communicatif. À la pause, désormais, au lieu de se chamailler, ils se posaient des questions sur un point incompris, s'envoyaient des défis de récitation de tous les os du corps humain.

Et John, au milieu de tout ça, restait parfaitement calme en citant les tarses, méta-tarses, carpes, méta-carpes, sans sourciller.

— Tu caches bien ton jeu, Watson ! le félicita Mike. Du moins, tu prends quoi, pour être aussi serein ? Tu te trompes jamais, et t'as jamais l'air de stresser !

John haussa les épaules avec un léger sourire.

— Des nuits de quatre heures depuis la rentrée, et révisions tous les jours sans exception pendant chaque seconde de mon temps libre. Je suis tellement fatigué et nourri de médecine que mon corps ne peut plus stresser, je pense. Je baserai ma thèse là-dessus d'ailleurs, je pense : l'état de grâce de l'étudiant en médecine qui a tellement révisé qu'il est incapable de ressentir quoi que ce soit !

Ils explosèrent tous de rire, pause bienvenue et libératrice dans leur état actuel.

Et ils en oublièrent de trop s'interroger sur John, qui venait de leur mentir effrontément.

C'était sans doute mal de sa part, et injuste. Il avait la désagréable impression de garder pour lui un secret de réussite qui les aiderait tous. Les techniques de mémorisation de Sherlock étaient un atout énorme pour John, mais n'avaient rien d'exceptionnel, n'importe qui pouvait les connaître et les mettre en application. C'était de les mettre en œuvre avec le jeune génie qui aidait John, parce qu'il était capable de pointer les forces et les faiblesses de John, pour les développer et les compenser.

Pour autant, John aurait pu informer ses camarades de tout ça, pourtant, il ne le faisait pas. Ce n'était même pas pour garantir égoïstement sa réussite et l'échec des autres, même si la première année était un peu un concours et qu'il fallait être le meilleur : John n'avait pas ce genre de problématique, contrairement aux autres.

Mais il se refusait à parler de Sherlock, son meilleur ami, son secret. Il ne savait pas pourquoi. Parfois, Sherlock venait en cours, s'installait aux côtés de John, corrigeait ses copies ou commentait qu'il progressait et lui souriait. Parfois, il ne venait pas. C'était aléatoire et improbable. John avait cessé de chercher. Si sa bande de copains ne s'en rendait pas compte, il n'avait pas l'intention de leur dire.

Ils avaient passé presque une semaine chez Sherlock, celle qui suivit la première visite de John chez lui. Comme il l'avait prédit, ils étaient seuls, et le furent tout du long. Ils passèrent des heures et des heures dans cette chambre, à réviser, refaire le monde, parler des analyses de Sherlock — pardon, ses déductions — sur les gens. Il aimait beaucoup faire rire John en lui parlant de ses camarades de promo. John connaissait une cinquantaine de visages, une douzaine de noms. Sherlock semblait tous les connaître, et parfois dressait des portraits pour John, juste pour le faire rire au milieu de la nuit.

Quand ils étaient chez Sherlock, parfois ils descendaient au rez-de-chaussée, et ouvraient frigo et placards pour trouver à manger. Il y avait toujours à manger.

— La gouvernante passe régulièrement, avait indiqué Sherlock. On aurait peur que je meure de faim, sinon.

Vu le peu qu'il mangeait, John était d'accord avec cette inquiétude. Au début, il avait culpabilisé de piller un frigo qui n'était pas le sien. Au bout de quatre jours à voir qu'il ne désemplissait pas, il avait arrêté. Qu'importait avec qui vivait Sherlock et de quelle famille de nantis il venait, ces gens n'avaient pas de problème d'argent, et John faisait des économies substantielles, vu son budget serré.

Comme ils n'avaient plus besoin de sortir par la fenêtre, il avait pu rencontrer Alenna, la femme de ménage, qui parlait avec un fort accent incompréhensible, râlait sur Sherlock, ses mauvaises habitudes et son bazar, mais était très douce.

C'était la seule personne que John avait vue chez Sherlock, et ça lui convenait. Sherlock lui avait donné son numéro de téléphone, celui du fixe de la maison, mais à contrecœur, et John ne l'utilisait pas. Il ne voulait pas tomber sur les êtres sans nom et sans visage qui habitaient cette maison et qui ignoraient qu'un étudiant en médecine mangeait leurs réserves beaucoup trop régulièrement.

Une fois, durant cette semaine de tranquillité où Sherlock semblait beaucoup plus détendu, John resta dormir, sans l'avoir prévu. C'était à la fin de la semaine, le vendredi soir. Il n'avait pas cours le lendemain, et il avait travaillé jusqu'à une certaine heure de la nuit, accompagné de son ami au violon. Ils avaient dîné un peu plus tôt, et John était épuisé.

Il ne l'avait pas réellement prévu. Il s'était endormi, couché sur le lit où Sherlock lui avait dit de s'installer « pour se reposer un instant ». Il s'était réveillé le lendemain matin, sous les couvertures, délesté d'une partie de ses vêtements. Le bazar présent sur la moitié du matelas était toujours là. Et Sherlock était en train de griffonner des calculs sur un tableau blanc quand John ouvrit les yeux, et constata la luminosité de la pièce par la grande fenêtre, preuve indiscutable qu'il était le matin.

— Oh mince. Je me suis endormi ? Zut ! Sherlock, je suis désolé ! Je t'ai gêné ? Où as-tu dormi ?

Il n'avait pas vraiment obtenu d'autres réponses qu'une épaule haussée d'indifférence. John était reparti après le petit déjeuner, et ils n'en avaient plus jamais reparlé.


prochain chapitre : Me 18/09. Reviews, si le cœur vous en dit ? :)