Stiles ne savait plus très bien s'il se considérait encore comme étant sain d'esprit ou non. Il ne faisait même plus vraiment attention au cycle jour-nuit, seul élément constant de ce monde, en commun avec celui qu'il avait laissé. Stiles sortait un peu n'importe quand, en particulier lorsqu'il étouffait à l'appartement. Oui, l'appelait et le considérait comme tel. Au regard du chaos omniprésent, le taudis que Newt partageait avec lui avait des allures de luxe. Un luxe né d'une chance inouïe, parce qu'à peu près tout était détruit, envahi, souvent les deux. De façon générale, les deux garçons étaient en vie et avaient, en plus de cela, un toit sur la tête. Que demander de plus, si ce n'est encore un peu de nourriture ? Il devenait de plus en difficile d'en trouver qui ne soit pas pourrie ou réduite en bouillie par ces monstres vagabonds.

A côté de cela, avoir une santé mentale quelque peu déclinante ne revêtait plus grande importance. Ainsi Stiles se posa la question, sans s'en inquiéter d'aucune manière. Il lui arrivait de se mettre à voir des choses qui n'existaient pas. Autant il avait quelques doutes concernant ses deux conversations avec Thomas – il y voyait un peu de vrai –, autant certaines silhouettes lui apparaissaient réellement comme fantomatiques. Parfois, il s'agissait simplement de son ombre, ou… De pas grand-chose. A cause de sa vue tout aussi fatiguée que sa tête. Quoiqu'il lui arrivait de penser que la raison à cela était toute autre. Il songeait à quelque hallucination, une défaillance de sa conscience. Le pauvre garçon n'avait aucune preuve de rien… Cependant, l'idée lui plaisait, le rassurait. Aussi paradoxal cela puisse-t-il paraître, cette réflexion-là avait le mérite d'être réelle.

Si l'idée de peut-être perdre la tête ne l'effrayait pas, c'était justement parce qu'elle lui permettait de commencer à se détacher partiellement de cette réalité pourrie. Elle agissait sur lui tel un virus, une maladie dont l'évolution était très lente… Mais pas sans effets. Stiles sentait qu'il avait changé depuis son arrivée dans ce monde, il n'était juste pas capable de savoir à quel point. Cela signifiait se mettre face à la vérité, voir les choses avec honnêteté. Et ça, c'était déprimant – peut-être trop pour qu'il ait le cran de l'affronter dans son entier. Avant, peut-être l'aurait-il pu. Plus maintenant. Ces jours sombres lui drainaient ses forces. Ce monde était en train de l'avoir à l'usure.

Ainsi, l'idée de perdre la tête le rassurait. Elle le rendrait aveugle sans lui ôter la vue. Sourd tout en lui laissant le droit d'entendre. Le priverait d'une partie de sa conscience pour lui faire mieux supporter l'indécence d'un monde fait de décombres.

Il n'y avait finalement pas tant d'inconvénients à la folie. Stiles lui trouvait en tout cas de plus en plus de qualités.

Le hic, c'était Newt. Son existence freinait un peu le relâchement progressif de Stiles. Pas qu'il soit gênant en soi, cependant… Si l'hyperactif essayait de garder un semblant de lucidité, c'était bien pour rester avec lui le temps de ses derniers jours. Très honnêtement, Stiles ne lui donnait pas plus de deux semaines. Il ne guérissait pas malgré ses soins, alors pourquoi continuer ? Pourquoi s'acharner à faire mieux et toujours plus ? Au fond, Stiles la connaissait, la réponse.

L'idée, c'était de faire en sorte que Newt souffre le moins possible. Ainsi, négliger le changement de ses bandages était impensable pour le sosie de Thomas : hors de question que le blondinet pâtisse de son propre désespoir. Sa blessure, aussi moche soit-elle, ne devait pas s'infecter et pourtant, peut-être que ça arriverait. Parce que chaque jour qui passait rendait Stiles un peu plus imprécis que le précédent et… Ses réserves d'antiseptiques et autres produits médicaux s'amenuisaient. Enfin, il lui restait toujours cet espace presque infini qu'il commençait à explorer avec de moins en moins de timidité. Newt trouvait son initiative dangereuse mais Stiles lui sortait leur besoin de ressources comme excuse pour aller toujours plus loin, toujours plus profondément dans cette ville déchue. Bien sûr, il n'hésitait pas à remplir son sac lorsqu'il trouvait quelque chose d'intéressant, comme de la nourriture, des produits médicaux ou des objets étonnants. Il aimait bien en rapporter chez eux – au point où ils en étaient, autant considérer leur petit espace comme tel –, ça faisait office de décoration, ça égayait un peu l'endroit. Puis ça faisait naître une petite lueur particulière dans les yeux de Newt. Quelque chose qui devait sans doute ressembler à de l'intérêt, une forme de curiosité. Fade, mais qui devait être particulièrement intense et perturbante à l'époque où il ne dépérissait pas encore. Parce qu'il fallait l'avouer, le regard du blondinet était unique, troublant. Des yeux sombres, mais lumineux. Du moins, c'était ce qu'ils inspiraient à Stiles.

Durant cette énième expédition, Stiles prit une décision. Un peu sur un coup de tête, sans vraiment réfléchir, avec toutefois la certitude qu'elle revêtait l'apparence d'une suite plus que logique à cette vie devenue si dure. S'il était certain de ne pas survivre psychiquement parlant à la potentielle future mort de Newt, il avait déjà envisagé de mourir. C'était clair maintenant, cela arriverait. Parce qu'il eut la chance de tomber, en fouillant une vieille armoire à pharmacie qui tenait miraculeusement debout, sur des boîtes de somnifères. Il en glissa deux dans son sac. Ce serait suffisant, non ? Il ne put néanmoins pas s'empêcher de remarquer l'ironie de la situation. Autrefois, les gens qui habitaient cette bicoque avaient du mal à dormir… Voilà dont qu'ils avaient rejoint, accompagnés de la plupart des défunts habitants de cette ville, le repos éternel. Stiles ne notait aucune poésie dans ce fait, juste une ironie du sort pure et simple. Il en rit. Il en rit à tel point qu'il avait l'air complètement dingue.

En soi, il commençait à l'être.

Parce que le rire se mua en un fou-rire et le visage de Stiles, tout humain qu'il fût, n'arborait plus le même air.

Ce monde le changeait.

Et sa folie, il allait peut-être bien finir par l'accepter.

xxx

Derek était bizarre. Bizarre, parce qu'il avait toujours l'air de vouloir dire quelque chose à Thomas. Or, il ne le faisait pas. Chaque fois, il était sur le point de le faire, mais se rétractait souvent au dernier moment. C'était bête, parce que Thomas se savait prêt à l'écouter et… Enfin, de par le fait qu'il se savait obligé de lui faire confiance, il l'imaginait lui rendre la pareille. Difficile ainsi pour lui de se décider quant à la manière dont il était censé interpréter ces tentatives ridicules, lesquelles laissaient un silence inconfortable en guise de trace de leur existence.

Or, Thomas avait besoin de savoir, besoin que Derek se montre parfaitement honnête avec lui. Les repas, les balades – de plus en plus nombreuses – dans la forêt, c'était sympa. Mais le double de Stiles n'aimait pas l'idée que l'on puisse lui cacher quelque chose… Qui, peut-être, le concernait.

C'est ainsi qu'il décida de lui parler de cela, lorsqu'ils retourneraient dans la forêt. En plus de trouver le lieu plus qu'agréable et l'air particulièrement pur, Thomas était d'avis que son atmosphère calme pourrait aider son hôte à passer à table. Puis peut-être qu'il pourrait, lui aussi, lui dire quelques petites choses.

Comme le fait que certains endroits de cette forêt lui paraissaient familiers et que dans certains de ses coins, il s'était soudainement mis à avoir froid. Des éléments pouvant passer pour des détails et qui en étaient sans doute… Mais qui pourraient peut-être intéresser Derek et ce, même s'il ne s'agissait pas vraiment de ce qu'ils cherchaient, à savoir des souvenirs.

Enfin, Thomas faisait confiance au temps tout en sachant que celui-ci restait compté.