Rage et impuissance
Eddie attendait avec impatience que quelqu'un vienne leur dire que Buck allait s'en tirer. Il était installé inconfortablement sur une des chaises de la salle d'attente, tenant un Christopher endormi contre lui.
Il semblait dormir paisiblement dans ses bras, mais Eddie savait que le calme de l'enfant cachait des cauchemars terribles. Il resserra son étreinte autour de lui, déterminé à le protéger de toutes ses forces, même si cela signifiait affronter l'enfer lui-même.
En toute transparence avec lui-même, l'enfer il y était déjà.
Il n'arrivait pas à comprendre comment des êtres humains pouvaient en massacrer un autre sans véritable raison, sous les yeux d'un enfant en plus. C'était incompréhensible et aussi injuste.
Buck n'avait rien fait de mal.
Christopher lui avait raconté qu'ils étaient bloqués dans la circulation et qu'il lui avait dit que son père prenait ce raccourci. Raccourci qui s'était avéré être un piège mortel.
Son fils se sentait terriblement coupable de lui avoir montrer cet endroit.
Christopher lui avait dit à quel point Buck avait essayé de le rassurer et de le protéger pendant l'agression. Son meilleur ami avait même supplié ses tortionnaires de ne pas faire de mal à Christopher s'il en croyait ce qu'Athena savait du message de détresse.
Elle lui avait d'ailleurs largement déconseillé de l'écouter et Eddie savait qu'il aurait du mal à supporter les sanglots de Christopher et les cris de douleurs de Buck mais il avait encore ses codes et il avait bien l'intention d'écouter la bande dès qu'il en aurait l'occasion.
À travers la pièce, Athena parlait dans sa radio, donnant des instructions à ses collègues pour retrouver les suspects de l'agression. Eddie écoutait distraitement, l'esprit embrumé par la colère et la douleur.
Bobby s'approcha de lui, posant une main réconfortante sur son épaule.
– Eddie, ça va aller, dit-il d'une voix douce, mais Eddie savait que c'était un mensonge.
Rien n'irait jamais bien tant que Buck ne serait pas réveillé et en sécurité.
Il voulait prier mais Bobby était plus doué que lui pour ça et il savait qu'il prierait plus fort que jamais pour Buck.
Alors il se contenta de la promesse de faire en sorte de toujours être là pour Buck, quels que soit les épreuves que la vie mettrait sur leur route. Il allait l'aider à guérir, le protéger, et même l'aimer. Il ferait absolument tout pour que sa vie ne soit plus que bonheur.
Il lui suffisait juste de vivre.
– C'est un battant, insista Bobby.
– Je devais lui dire aujourd'hui, murmura Eddie d'une voix brisée. Je devais lui dire que je l'aime, que suis fou de lui. J'avais enfin trouvé le courage de lui dire.
Les mots sortirent de lui comme un torrent, une confession qu'il avait gardée enfouie au plus profond de son cœur. Mais maintenant, alors que Buck était peut-être en train de mourir, il ne pouvait plus garder le silence.
Bobby le regarda avec compassion, comprenant la douleur qui le consumait.
– Il le sait, Eddie. Il le sait, dit-il doucement. Je ne sais pas s'il en a conscience mais je sais qu'il t'aime aussi.
Mais les mots de réconfort de Bobby ne pouvaient pas apaiser la tempête qui faisait rage en lui.
Il était tellement en colère, tellement perdu.
– Je ne peux pas le perdre, admit-il en pleurant. Je ne peux pas le laisser mourir comme j'ai dû le faire avec Shannon.
– On est là, Eddie, lâcha-t-il en passant sa main sur son épaule. On est là.
– Famille d'Evan Buckley ? demanda soudain un médecin en venant vers eux, semblant exténué, et son visage grave reflétant la gravité de la situation.
– Ici, bondit-il immédiatement alors que déjà Hen récupérait son fils. Eddie Diaz, je suis…
– Oui, M. Diaz vous êtes dans nos fichiers, lui sourit-il. Votre ami est stable… pour le moment.
Eddie écoutait avec une attention tendue, chaque mot du médecin résonnant comme un coup de couteau sur son cœur déjà meurtri.
– Pour… le moment ?
– Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, dit le médecin avec une voix empreinte de compassion. Mais son état reste critique. Il est dans un coma profond. Cela peut-être un bien, ajouta-t-il quand tout le monde retint sa respiration. Cela peut laisser du temps à son corps pour guérir. Mais nous ne pouvons pas encore prédire s'il va se réveiller, ni quelles seront les séquelles de ses blessures.
Eddie sentit le sol se dérober sous ses pieds.
La nouvelle était comme un coup de massue, une confirmation de ses pires craintes. Buck était entre la vie et la mort, et personne ne pouvait dire s'il allait s'en sortir. L'impuissance le consumait, le rendant fou de rage et de désespoir.
– Quel est le bilan de ses blessures ? demanda Bobby en venant à son secours.
– Un grave traumatisme crânien qui assez préoccupant, admit-il. Nous avons réduit l'hémorragie dans sa boite crânienne et nous devons attendre que l'œdème dégonfle pour voir s'il pourra récupérer toutes ses facultés. Votre ami souffre également d'une fracture grave du bassin, de plusieurs côtes meurtries et les os de sa main ont été complètement écrasés par une charge lourde. Vu la marque sur sa peau, je pencherai pour une voiture. Il a également de multiples bleus et contusions qui témoigne de la violence des coups qui lui ont été portés. Pour être honnête ce qui m'inquiète le plus c'est le gonflement de son rein. Nous le surveillons de près mais il est possible que nous devions le lui retirer.
Eddie ferma les yeux de douleur.
Buck était dans un état déplorable et si, seulement si, il se réveillait, personne ne pouvait savoir s'il allait pouvoir retrouver toutes ses facultés mentales et physique.
La physiothérapie serait un enfer et il allait détester ça.
– Est-ce qu'on peut le voir ? demanda Eddie.
– Bien sûr, M. Diaz mais pas longtemps et je ne peux autoriser qu'une seule visite. Il a vraiment besoin de se reposer.
– Vas-y Eddie, ordonna Bobby en retenant le bras de Maddie pour la maintenir à ses côtés. Tu en as besoin. Vas-y.
– Cap ? demanda Chimney alors qu'il suivait le médecin.
– J'ai mes raisons, répondit-il. Mais Buck a besoin d'Eddie, plus que tout au monde en ce moment.
Le médecin le fit entrer en soins intensifs et Eddie eut envie de pleurer.
Il s'installa au chevet de Buck, submergé par la rage et l'impuissance, prenant sa main valide entre les siennes. Il était dans un si triste état. Comment pouvait-on être habité par autant de haine au point de mettre un homme aussi gentil dans cet état ?
Ce n'était pas juste.
Son cœur était lourd d'angoisse alors qu'il observait son ami, étendu là, inconscient et gravement blessé. Les machines médicales émettaient des bips réguliers, un son qui semblait marteler la peur et l'incertitude qui l'envahissaient.
Eddie était anéanti.
Son ami, son amour était à un fil de la mort et ça rendait tout plus irrespirable. Cette journée aurait dû être la plus belle de toutes. Eddie savait que Buck pouvait refuser gentiment ses sentiments mais il avait refusé d'y penser parce qu'il savait néanmoins qu'il serait heureux qu'il soit enfin assez en confiance avec lui-même pour se dévoiler.
Peu importait finalement que Buck lui renvoi ou non ses sentiments. Tout ce qui comptait c'était qu'il reste son ami. Eddie pouvait vivre avec des sentiments non partagés mais il ne pouvait pas vivre sans Buck.
C'était inconcevable.
– Je suis là, Buck, souffla-t-il. Je suis là et je te promets que je ne laisserais plus jamais personne te faire le moindre mal.
Il quitta la chambre au bout de cinq minutes quand l'infirmière le lui demanda et rejoignit sa famille du 118 dans la salle d'attente. Il tournait au coin du couloir quand il entendit l'appel radio d'Athena, annonçant l'adresse des suspects, une lueur de détermination s'alluma dans ses yeux.
Sans un mot, Eddie laissa Christopher aux bons soins de Hen, sans même l'en informer.
Puis, il se précipita hors de l'hôpital, animé par un besoin irrépressible de vengeance. Ses mains tremblaient de rage, mais il les serra en poings serrés, prêt à affronter les démons qui avaient fait du mal à Buck.
Dans son esprit, il n'y avait plus de place pour la peur ou l'incertitude, juste une rage brûlante et une détermination implacable. Il allait trouver ceux qui avaient fait ça à Buck, et il allait leur faire payer.
À n'importe quel prix.
