Dans l'ombre

Buck était assis dans le jardin des Diaz, respirant l'air frais du matin.

Les rayons du soleil réchauffaient doucement sa peau, et il pouvait entendre le chant des oiseaux perchés dans les arbres environnants. C'était une belle matinée, calme et paisible, qui contrastait avec l'agitation intérieure qu'il ressentait.

Son fauteuil roulant était bien calé dans un coin ombragé, lui offrant une vue parfaite sur le jardin en fleurs. Les couleurs vives des fleurs et le vert éclatant du feuillage créaient un tableau apaisant, mais Buck peinait à en profiter pleinement.

Ses pensées dérivaient vers sa guérison.

Son bassin se solidifiait, et il attendait avec impatience le jour où il pourrait commencer la rééducation. L'idée de retrouver une partie de son autonomie lui donnait de l'espoir, mais elle était aussi teintée d'appréhension. Chaque petit progrès physique semblait être accompagné d'une marée de souvenirs et de peurs.

Il se remémora les semaines passées, les moments où Eddie l'avait aidé avec une patience et une tendresse infinies. Eddie avait été là pour lui à chaque instant, veillant à ce qu'il ne manque de rien, le soutenant à travers chaque étape de sa récupération. Leur relation s'était intensifiée, marquée par une proximité émotionnelle qu'il n'avait jamais connue auparavant.

Pourtant, cette proximité amenait avec elle son lot de doutes et de peurs.

Buck se sentait souvent envahi par des pensées négatives. La peur de perdre Eddie devenait omniprésente. Il craignait qu'Eddie ne finisse par se lasser de leurs interactions limitées, se lassant des baisers et des caresses qui constituaient l'essentiel de leur intimité physique.

Son bassin encore fragile l'empêchait de faire beaucoup plus, et même si Eddie semblait comprendre et être patient, Buck ne pouvait s'empêcher de se demander combien de temps cela durerait.

Il pensait à la douleur qu'il avait vue dans les yeux d'Eddie à chaque fois qu'il avait souffert ou été frustré par ses limites physiques. Il avait peur qu'un jour, cette douleur se transforme en résignation, ou pire, en indifférence. L'idée qu'Eddie puisse un jour le voir comme un fardeau était insupportable.

Les souvenirs de son passé remontaient souvent à la surface, ajoutant une couche supplémentaire de tourments. Il repensait à son enfance, aux abus qu'il avait subis et à la manière dont ces expériences avaient façonné ses peurs et ses insécurités actuelles.

Chaque fois qu'il ressentait le désir pour Eddie, il était immédiatement assailli par la honte et la peur, des émotions si profondément enracinées qu'elles semblaient impossibles à déloger.

Ces pensées négatives l'étouffaient, le plongeant dans un tourbillon de désespoir.

Il savait que parler de son passé pourrait aider, mais l'idée même d'en parler lui semblait insurmontable. Comment pourrait-il expliquer à Eddie que chaque geste tendre pouvait réveiller des souvenirs douloureux, que chaque élan de désir était teinté de terreur ?

Assis dans ce jardin magnifique, entouré de la beauté de la nature, Buck se sentait paradoxalement emprisonné par ses propres pensées. La lumière du soleil et le chant des oiseaux semblaient appartenir à un monde auquel il n'avait plus accès. Ses pensées l'accablaient, formant un mur invisible mais infranchissable entre lui et le reste du monde.

Buck ferma les yeux, essayant de se recentrer, de trouver un moment de paix intérieure.

Il respira profondément, tentant de calmer les battements frénétiques de son cœur. Peut-être que parler à Taylor aujourd'hui l'aiderait à alléger ce fardeau. Peut-être qu'elle pourrait l'aider à trouver un moyen d'exprimer ses peurs et ses doutes sans se sentir totalement vulnérable.

Il savait qu'il devait faire face à ses démons, qu'il devait trouver un moyen de parler de son passé à Eddie. Mais pour l'instant, tout ce qu'il pouvait faire était de respirer, de laisser le soleil réchauffer sa peau et de s'accrocher à l'espoir que, malgré toutes ses peurs et ses doutes, il n'était pas seul.

La porte d'entrée claqua doucement, signalant l'arrivée de son amie, Taylor.

Buck lui avait dit de se laisser entrer pour éviter d'avoir à se battre avec son fauteuil. Elle marcha rapidement vers lui, un sourire chaleureux sur son visage. Taylor avait été un soutien inébranlable pour Buck, et il était heureux de la voir.

– Hey, Buck ! Comment tu te sens aujourd'hui ? demanda-t-elle en s'asseyant à côté de lui non sans l'avoir embrasser sur la joue.

– Salut, Taylor. Je vais bien, répondit-il avec un sourire. Mon bassin se solidifie, et je vais bientôt pouvoir commencer la rééducation. Ça me donne de l'espoir.

– C'est génial ! Tu fais de sacrés progrès. Eddie doit être content, non ?

Buck hocha la tête, son sourire s'affaiblissant légèrement.

– Oui, il est vraiment heureux. Mais...

Taylor le regarda attentivement, percevant son hésitation.

– Mais quoi ? Si M. Grincheux a fait quelque chose de… ?

– Il est adorable avec moi, la contredit-il. Mais j'ai peur, Taylor. J'ai tellement peur…

– Mais peur de quoi ? s'étonna-t-elle. Parce que si tu as peur qu'il te quitte, ce n'est pas près d'arriver. Il ne te mérite pas et il en est plus que conscient. Il n'est peut-être pas le plus affable mais il n'est certainement pas idiot au point de laisser filer l'homme de sa vie.

– Mais il le fera, souffla-t-il en tenant de se calmer. Il le fera parce que… je ne suis pas prêt, je crois que je ne le serais jamais.

– Prêt à quoi ?

– Je ne pourrais jamais aller plus loin que les baisers ou les caresses et un jour il s'en lassera.

– Il te pousse à aller plus loin ? Parce que si c'est le cas, je vais le démolir.

– Non, il est adorable et patient mais ça ne pourra pas durer toute la vie. Avec mon bassin encore fragile, je ne peux pas faire grand-chose, et c'est l'excuse parfaite mais il me fait de l'effet, et j'ai peur qu'il s'en rende compte.

Taylor fronça les sourcils, inquiète pour son ami.

– Ok mais alors qu'est-ce qui te bloque, Buck ? Tu viens de sous-entendre que la mécanique fonctionne, que tu l'aimes et que tu en as envie. Vous avez l'air si bien tous les deux alors qu'est-ce qui te retient ?

Buck baissa les yeux, jouant nerveusement avec les manches de son sweat. Il ne voulait pas avoir cette conversation mais il se trouvait dans une impasse et ça le rendait complètement fou.

– Je ne peux pas... c'est compliqué. J'essaie d'oublier.

– D'oublier quoi ? insista Taylor en posant une main douce sur son bras.

Buck prit une profonde inspiration, sentant les larmes monter. Il ne voulait pas craquer mais tout était devenu trop et il ne parvenait presque plus à garder la façade du Buck qu'il avait patiemment construit.

– Je... Il... Je ne peux pas, bégaya-t-il. C'est... trop douloureux.

– Bon sang, Buck, mais qu'est-ce qui t'est arrivé ? s'inquiéta-t-elle.

Les larmes commencèrent à couler sur ses joues.

– Je ne voulais pas. J'étais trop petit. Je ne comprenais pas, je... J'avais que cinq ans, explosa-t-il en larmes. Et ensuite, je… mon Dieu ça a duré des années, il m'a brisé.

Les larmes coulaient librement sur les joues de Buck, son corps secoué par des sanglots qu'il avait longtemps retenus. Il se sentait vulnérable, exposé de manière qu'il n'avait jamais voulu être. Les mots avaient franchi ses lèvres avant même qu'il puisse les retenir, et maintenant il était là, face à Taylor, avec son passé douloureux mis à nu.

Taylor, les yeux remplis de compassion, s'approcha et s'agenouilla à côté de son fauteuil. Elle posa une main douce sur son bras, offrant un soutien silencieux mais palpable. Ses propres yeux étaient brillants de larmes non versées, profondément émue par la souffrance de son ami.

– Bon sang Buck, c'est pour ça que tu n'as jamais voulu que je te touche quand on était ensemble ? demanda-t-elle doucement, sa voix tremblant légèrement.

Buck hocha la tête, incapable de parler.

La honte qu'il ressentait était écrasante. Il se souvenait des moments où il s'était éloigné de Taylor, des fois où il avait repoussé ses avances, et de la confusion et de la douleur qu'il avait vues dans ses yeux à ces moments-là. Il s'était toujours senti coupable de ne pas pouvoir lui expliquer pourquoi, de ne pas pouvoir être honnête sur ce qu'il avait vécu.

– Je suis tellement désolé, pleura-t-il, ses mots entrecoupés par des sanglots. Je ne savais pas comment te le dire. Je ne savais pas comment expliquer ce que j'avais vécu.

Taylor serra son bras un peu plus fort, ses yeux ne quittant pas ceux de Buck.

Elle ne prononça pas un mot, mais son silence était plein de compréhension et de soutien. Buck pouvait sentir qu'elle ne le jugeait pas, qu'elle ne le voyait pas différemment à cause de ce qu'il venait de révéler.

– Tu n'as rien fait de mal, souffla-t-elle. Calme-toi. Est-ce que tu veux de l'eau ?

Il acquiesça et elle se précipita à l'intérieur pour aller lui chercher un verre d'eau et Buck se sentait minable.

Un sentiment de soulagement commença néanmoins à s'installer en lui, léger mais présent. Pour la première fois, il avait partagé une partie de son fardeau, même si ce n'était qu'une infime fraction. Parler à demi-mot de son passé, même sans entrer dans les détails, avait allégé une partie de la pression qu'il ressentait constamment. C'était comme si un poids avait été enlevé de ses épaules, permettant à ses poumons de se remplir un peu plus d'air.

Cependant, ce soulagement était mêlé à une honte tenace.

La honte de ce qui lui était arrivé, la honte de ne pas avoir pu se protéger, et la honte d'avoir gardé ce secret si longtemps. Mais, dans le regard de Taylor, il ne vit aucun jugement, seulement de l'empathie et de la tristesse pour ce qu'il avait enduré. Cela l'aida à se sentir un peu moins honteux, un peu moins seul.

Il sursauta quand sa main se posa sur son épaule et il croisa son regard alors qu'il lui tendait son verre d'eau. Il sentit son cœur s'écraser dans sa poitrine. Tout était fini, son monde venait d'exploser et cette fois il n'y survivrait pas.