Suite à un scandale d'ampleur continentale comme celui que le prince dragon vient de causer, Jon Arryn estime qu'il vaut mieux pour la délégation venue du Val de plier bagage et de regagner leurs pénates, dans le maigre espoir que la fatigue du voyage poussera ses vassaux à oublier un homme marié de sang royal s'intéressant bien trop à une pucelle promise à un autre, pour se plaindre du mauvais temps et des routes exécrables qui font trébucher leurs chevaux. Il peut toujours rêver, l'humanité demeure l'humanité en dépit d'avoir connu le carcan de la Foi et de la galanterie chevaleresque dès le berceau.

Aussi, l'incident s'est produit le dernier jour du tournoi, alors la valetaille préparait déjà le retour au bercail. L'ordre soudain de se mettre en selle et d'emballer tout ce que l'on souhaite rapporter en souvenir tombe un peu abruptement mais ne bouscule pas exactement les palefreniers, les femmes de chambre et les pages qui prennent leurs devoirs au sérieux, car il y aura toujours un fainéant pour s'y prendre au dernier moment et paniquer devant la montagne de tâches à accomplir en trop peu de temps et s'attirer les foudres de ses supérieurs agacés.

Sebas panique bien un peu, en raison d'un engagement qu'il a contracté et n'a pas l'intention d'annuler – relâcher Rihan Bolton dans la nature est un risque inacceptable, qui sait ce que le jouvenceau aux yeux incolores s'en ira dégoiser sur les circonstances menant un prince à offrir une couronne de roses d'hiver à une autre lady que son épouse, si personne ne le surveille de près ? Non, l'Héritier du Val doit garder la fuite potentielle sous son contrôle.

Heureusement, Rihan Bolton se présente de lui-même parmi l'entourage Arryn une dizaine de minutes avant le départ, s'étant sans doute un peu perdu en chemin et obligé de se confronter à des sceptiques qui ne reconnaissaient pas ce minois quelconque et doutaient de sa sincérité quand il affirmait avoir été accepté au service de la maisonnée des Eyrié.

Le jouvenceau est justement en pleine altercation avec l'intendant de Père – plus précisément, l'intendant est en train de se moquer ouvertement de ce morceau diminutif qui lui renvoie un regard blême assez perturbant – quand Sebas l'aperçoit et s'empresse d'intervenir pour bien démontrer à l'entourage Arryn que non, il ne s'agit pas d'un misérable pique-assiette désireux de s'accrocher aux basques d'un grand nom, mais d'une toquade de leur futur suzerain qui pense que le garçon si peu remarquable qu'on en oublierait presque son existence lui sera utile.

Évidemment Père est alerté par le bruit et vient voir de quoi il s'agit. Il hausse un sourcil dubitatif à la vue du souvenir que son fils unique tient à emporter d'Harrenhal – certes, ce n'est pas une garce vérolée ou enceinte, mais cela n'en demeure pas moins un humain et cela est tellement plus encombrant qu'un chien ou un chat, en dépit de pouvoir se nourrir seul et de s'habiller avec les mains.

Sebas n'est pas encore le seigneur du Val et des Eyrié, après tout. Ses vêtements, son cheval, ses amis et frères nourriciers, il doit tant à son père, l'auteur de ses jours a le dernier mot sur les choix qu'il effectue, et cette réalité pousse le nobliau blond à transpirer de manière affreusement désagréable pendant que Jon Arryn tourne son attention vers Rihan Bolton qui ne bronche pas – mais sa famille a une certaine réputation, grandir au Fort-Terreur nécessite de maîtriser des nerfs d'acier si l'on souhaite survivre à sa petite enfance.

« Alors tu chercherais à servir mon fils ? »

Un vague haussement d'épaule.

« S'il veut bien de moi, je ne demande que cela. »

« De nombreux jeunes galants ont afflué à Harrenhal au cours du tournoi écoulé » pointe Jon Arryn, non sans raison. « Assurément tu as pris la mesure de plus d'un parmi eux, avant de porter ta décision de devenir l'homme lige de mon héritier. »

Ce n'est pas une accusation, rien qu'une observation très pointue. Rihan Bolton persiste à ne pas perdre son sang-froid, mais vraiment il ne doit craindre ni dieu ni maître après avoir échappé de justesse au prince dragon et à l'Épée du Matin, quand ceux-ci ont couru sur la piste de lady Lyanna montée sur le cheval fourni par son banneret le plus indiscipliné.

« Messire doit être informé que j'ai grandi dans le Nord » avoue le jouvenceau aux yeux qui pourraient être aveugles s'ils ne parvenaient pas à suivre leur interlocuteur. « Et j'ai eu l'opportunité d'observer votre fils en compagnie des enfants de lord Stark. Assurément vous n'ignorez pas la réputation des Stark dans le Nord, pas après avoir accueilli l'un d'entre eux sous votre toit. »

Deux phrases habilement tournées, qui n'ont absolument aucun rapport l'une avec l'autre mais en arborent certainement l'apparence. Ned a évoqué plus d'une fois les descendants des Rois Rouges bronchant sous l'autorité d'un Stark et nourrissant des velléités de rébellion, l'ambition de supplanter l'ancienne lignée royale des souverains de l'Hiver. Jamais ces tentatives de se dépouiller de leur joug n'ont abouti, autrement Ned n'aurait jamais été là, mais c'est une leçon gravée dans la mémoire du Nord, cette hostilité persistante entre les deux familles.

Seulement Père ignore que le garçon baissant modestement ses yeux pâles, debout devant lui dans ses habits froissés et ses bottes légèrement souillées de boue, appartient à cette lignée qui continue de guetter le moment propice pour renverser les Stark de leur haut promontoire, et le prend au mot sans rien soupçonner de suspect.

« Et bien Sebas, il semble que tu as obtenu un page. Je te préviens, si tu ne peux pas lui donner d'ordres sensés, je me verrais contraint de revoir tes leçons. Comment veux-tu que je meure en paix et convaincu que tu sauras gouverner le Val et les Eyrié si tu n'es pas en mesure de gagner le respect d'un humble valet ? »

Sebas veut s'avachir de soulagement, mais se borne à incliner docilement la tête.

« Je vous prouverais ma qualité de meneur d'hommes, Père » annonce-t-il, et Jon Arryn renifle d'un air bonhomme avant de se détourner pour inciter son entourage à cesser de bayer aux mouches, mettez-vous donc en selle, nous n'avons plus de temps à perdre.

Juste avant que le nobliau blond n'aille se percher sur son propre destrier, il surprend un regard couleur de neige le scruter, surplombé d'un sourcil haussé et interrogateur, un sourcil qui semble dire alors comme cela tu crois pouvoir me contrôler ? C'est ce que nous allons voir.

En toute sincérité, l'Héritier du Val ne croit pas qu'un descendant des Rois Rouges, ces amateurs de la Première Nuit et des pires tortures, puisse devenir un bon chien qui vient chaque fois qu'on crie son nom, vous mange dans la main et s'abstient de vous mordre quand vous lui tournez le dos. Le tempérament a beau être plaisant, les ancêtres ne peuvent se remplacer, et la famille consiste en un poids pesant qui s'agrippe à vos chevilles et alourdit votre démarche.

Non, il ne peut contrôler Rihan Bolton, mais il sera satisfait de le placer là où il peut limiter la quantité de dégâts dont le jouvenceau aux yeux trop clairs est capable, si la lubie le prend de confesser la sottise que lui et Sebas ont aidé lady Lyanna à commettre. C'est la moins mauvaise des options.

Pas la meilleure solution possible, mais c'est tout ce qu'il y a d'ouvert à Sebas, et il le prendra ce choix.