La meute entière écoutait, suspendue aux lèvres de son émissaire. Les nouvelles concernant leur invité n'étaient ni bonnes, ni mauvaises. Le positif résidait dans son état, plutôt stable. Le jeune homme était épuisé en tous points, mais rien que du repos ne pourrait pas arranger. Le négatif… C'était son mental et cette habitude qu'il avait d'être utilisé, habitude qui créait une absence totale de résistance. La manière dont il avait dit à Deaton que lui et les autres pouvaient se servir de son énergie était édifiante. Ces êtres-là, surnaturels, n'avaient pas de nom. On n'avait jamais pris la peine de les nommer, parce qu'ils étaient, la plupart du temps, considérés comme des outils, et pas comme des gens. La plupart des membres de la meute de Beacon Hills écarquilla les yeux, tant le concept lui paraissait… Surréaliste. Surréaliste et inhumain.
- Vous savez, toutes les meutes ne sont pas aussi bienveillantes que la nôtre, leur apprit Deaton. Nous considérons que la vie est importante et que chacun est libre de la vivre comme il l'entend. Ce n'est pas le cas de tout le monde.
Derek, l'alpha, gardait les bras croisés sur son torse. Ses valeurs, il les tenait de ses parents, des loups-garous au cœur tendre, très respectés de leurs pairs et de leurs homonymes surnaturels. Elles étaient importantes pour lui et c'était pour cette raison qu'il les avait transmises à cette meute qu'il s'était créée, il y a quelques années de cela. Cette seconde famille, il la chérissait, et l'éduquait comme il avait été éduqué. Néanmoins, Derek était au courant que la plupart des meutes n'était pas aussi sympathique que la sienne. Certaines se formaient dans un but simple et unique : dominer les autres. En général, cet objectif réunissait des êtres sans cœur, prêts à tout pour atteindre ce but. Ces gens-là n'accordaient pas la moindre importance à la vie et aux envie de tout un chacun. Et leur invité semblait avoir croisé la route de ce genre de personnes. Derek trouvait ça triste : il avait vu le visage du jeune homme. Il était jeune, sans doute de l'âge de la plupart de ses louveteaux. Un instant, il s'imagina ses protégés à sa place, faisant partie d'une meute sans cœur. Un frisson désagréable le parcourut. Le monde surnaturel avait ses qualités, mais aussi ses tares et la puissance de certains leur faisait perdre la tête, à tel point que cette folie se répandait chez leurs pairs. Une chose était certaine, leur invité était tombé au bon endroit.
Deaton, ayant pleinement confiance en les membres de la meute dont il était l'émissaire, expliqua la raison principale de la maltraitance subie par le jeune homme siégeant toujours dans le salon du loft. Il faisait partie d'une espèce rare et plus ou moins disparue. Une espèce dont le pouvoir était de donner son énergie vitale. Techniquement, il n'était pas possible de lui prendre son énergie sans son consentement, mais parfois… Les abus cassaient cette espèce de limite et l'être se retrouvait alors incapable d'empêcher qui que ce soit de se servir. Ces abus-là étaient si répandus que la plupart de ces cadeaux de la nature s'étaient éteints. Alan Deaton expliqua également que les gants portés par le jeune homme étaient le seul moyen de le maintenir en vie pour l'instant. Son énergie, il la transmettait avec ses mains. Si un tissu, de préférence un minimum épais, les recouvrait, le transfert était bloqué. Et c'était ainsi qu'il pouvait se reposer. Cela ne serait pas le cas si l'on n'avait pas tant abusé de son pouvoir, mais le châtain en était à un tel stade que s'en passer reviendrait à signer son arrêt de mort incessamment sous peu. Le moindre contact accidentel avec la peau de ses mains, si ses gants venaient à lui être retirés, serait fatal.
- Il est méfiant, leur apprit-il également. Il refuse de répondre à la moindre de mes questions.
Ce qui sous-entendait que le jeune homme était persuadé n'avoir plus aucun espoir. Il fuyait son ancienne meute, c'était clair et ça, tout le monde le comprit aisément. Les regards, confus et teintés de peur, allaient bon train. Tous gardèrent le silence.
- Je ne sais pas ce que tu comptes faire de lui, fit Deaton en se tournant vers Derek, mais j'ai confiance en ton jugement.
Et surtout, il savait que jamais le fils Hale ne se servirait du châtain comme un objet. La question, c'était surtout de savoir si Derek comptait le protéger en le prenant sous son aile ou s'il comptait simplement le garder ici le temps qu'il se repose, avant de le laisser repartir. Tout dépendrait également de ce que voudrait faire le principal concerné.
Pour toute réponse, Derek hocha la tête et ajouta :
- Je vais lui parler.
Sur ces belles paroles, il remercia son émissaire et sortit de la pièce. Le reste de la meute resta alors là, pantoise. Deaton commença à partir, personne ne le retint, mais Isaac s'en alla à son tour. Pas pour poser des questions à son émissaire, non. Il s'arrêta et dissimula sa présence derrière la porte menant au salon. Puisqu'elle était fermée, l'étrange jeune homme ne pourrait pas le voir, mais Isaac aurait la capacité d'entendre la conversation qui allait suivre.
De son côté, Derek faisait face au principal concerné de toute cette affaire. Il fut d'ailleurs étonné de le trouver encore réveillé malgré cette fatigue qui lui collait à la peau. Elle se sentait tout autant qu'elle se voyait. Au final, Derek comprit la raison de son éveil constant : son odeur était emplie d'une angoisse sourde. Evidemment, comment pourrait-il chercher à se reposer alors même qu'il ne savait ni où il se trouvait, ni ce que l'on n'allait faire de lui ? Enfin, l'alpha savait qu'il n'y avait pas que ça. Deaton l'avait informé de son abattement et de cette forme d'abandon. Oui, le châtain avait abandonné toute tentative de résistance. Dans son regard ambré, Derek vit qu'il ne voulait plus. Plus vivre. Plus espérer. Plus rien. Il était jeune, mais il avait déjà beaucoup vécu et avec ce qu'il savait, Derek ne pouvait que le comprendre. Lentement, il s'installa sur la table basse face au canapé occupé et fixa ses prunelles vert d'eau, inflexibles, dans les yeux miel fébriles de son vis-à-vis. Ce dernier se crispa, mais la peur ne gagna pas en puissance. La désillusion qui peuplait son regard suffit à faire comprendre à Derek l'étendue des abus qu'il avait subis.
- Ton nom, quémanda-t-il.
Le principal défaut de Derek, outre son air perpétuellement grognon, c'était sa manière de parler, toujours trop abrupte. On le lui avait souvent reproché, mais il était incapable de changer et dans le fond… On l'aimait bien ainsi, tel qu'il était. Le seul problème avec cette facette de lui, c'était le fait qu'elle pouvait le faire passer pour quelqu'un de peu avenant, voire… Agressif. Après tout, il faisait partie de ces gens qui, lorsqu'ils s'énervaient ou décidaient de passer à l'attaque, restaient étrangement calmes. Ainsi, pour ceux qui ne le connaissaient pas, il semblait imprévisible et par extension, dangereux.
- Tu dois être l'alpha, articula péniblement Stiles.
Il n'avait pas envie de répondre, c'était flagrant. Et puis, pourquoi faire ? A quoi bon connaître son nom et chercher à l'humaniser ? Cela n'avait pas de sens. L'avantage, c'était que Stiles n'allait plus perdre de temps, car le silence de l'homme face à lui était des plus parlant. Puisqu'il était l'alpha… Eh bien, l'hyperactif épuisé connaîtrait vite son sort. Il en avait déjà une idée passablement précise, mais il ne dit rien de plus. Il attendait. Puis de toute manière… Parler était fatiguant. S'il pouvait s'en passer, il le ferait.
Derek, face à lui, hocha la tête.
- Qu'est-ce qui t'a amené sur le territoire de ma meute ? Demanda-t-il abruptement.
A ses yeux, l'information était capitale : elle l'avait toujours été. Le loup avait toujours préféré en engranger le plus possible avant de prendre quelque décision que ce soit.
- Qu'est-ce que ça peut te faire ? Fit Stiles, épuisé.
Il n'aspirait qu'à une chose, dormir. Et pourtant, il savait que, même si on lui accordait le droit de se reposer, il n'y arriverait pas de sitôt. Pas ainsi.
- Je te conseille de jouer franc-jeu avec moi, lâcha Derek en se penchant légèrement.
Il était toujours aussi calme et malgré la tournure de sa phrase, n'avait pas l'air menaçant. Son visage gardait simplement une expression neutre, proche de l'indifférence. Impossible de deviner ce à quoi il pensait.
- Pourquoi faire ? Soupira l'hyperactif, ne voyant absolument pas l'intérêt de cette… Discussion.
Ici, l'alpha avait l'autorité et le pouvoir, d'autant plus qu'il était sur son territoire. S'il le voulait, Stiles pouvait devenir sa propriété. C'était ça, la réalité. Celle à laquelle l'hyperactif ne pouvait pas échapper. Alors pourquoi faire durer les choses quand elles étaient si simples ?
- Tu ne vas pas coopérer, n'est-ce pas ? Avança Derek.
Stiles ne répondit pas mais son silence laissait clairement entendre sa réponse. Non. Il n'en voyait absolument pas l'intérêt. De son côté, Derek réfléchit à vivre allure. Les choses n'étaient pas aussi faciles qu'il le pensait, mais qu'importe. Il était patient, et finissait toujours par trouver les mots adéquats.
- Tu sais, toutes les meutes ne sont pas identiques.
A nouveau, Stiles s'abstint de faire le moindre commentaire, mais son regard papillonnant parlait pour lui. Il n'en croyait pas un traître mot. Derek notifia cela, et continua :
- Notre meute est pacifiste. Nous n'aspirons qu'à vivre notre vie, protéger cette ville et… Tous ceux qui le désirent.
Stiles n'aimait pas beaucoup ce que le loup sous-entendait pour lui faire baisser sa garde. Le jeune homme avait l'expérience des meutes et était le mieux placé pour savoir que les mots doux cachaient les pires immondices. Alors, il intervint rapidement, histoire de lui montrer qu'il n'était pas dupe :
- Ne fais pas comme si tu ne savais pas ce que je suis.
Il ne se ferait pas avoir. Pour lui, mieux valait abandonner que de prendre le risque d'espérer et de déchanter. Parce que dans ce monde, l'espoir faisait mal. L'espoir tuait. Et Stiles n'avait plus la force d'essayer de se relever. Pour lui, cette discussion fantoche n'avait pas lieu d'être : la continuer était inutile.
- Je sais ce que tu es, rétorqua Derek, et pour moi, ça ne fait pas la moindre différence.
L'hyperactif faillit lever les yeux au ciel, mais ne le fit pas. Il ne pouvait détourner son regard de l'alpha. Pas alors que celui-ci pouvait s'emparer de lui à tout moment. Quitte à se perdre, autant voir le danger arriver de front.
- Tu es un alpha et je suis à ta disposition, railla-t-il, amer. Je ne suis pas au même niveau que ceux qui peuvent décider du tournant de leur vie et tu le sais aussi bien que moi.
- Ah bon ? Que tu mordes, que tu cries, que tu paralyses ou que tu transmettes ton énergie, c'est du pareil au même, rétorqua le loup.
Ses yeux vert d'eau se posèrent un instant sur les gants, avant de se relever vers le regard miel embrumé par l'incertitude la fatigue. Derek ne laissa rien paraître du trouble que lui causait le jeune homme. Déconcertant. Il était déconcertant.
- Si tu as besoin d'être protégé, tu le seras, dit-il avant de se lever. Tant que tu seras sur notre territoire, ma meute et moi ne laisserons personne poser la main sur toi.
Parce que sa décision était déjà prise. Le châtain s'évertuait à ne rien lui révéler ? Qu'importe. Il avait un regard et une attitude des plus parlantes. Ses informations, Derek les avait obtenues malgré lui. Il posa à nouveau son regard bleu-vert sur le jeune homme et se permit un ordre, léger :
- Maintenant, dors.
Mais dans sa voix, aucune rudesse. Juste une onde de chaleur trahissant l'inquiétude que le jeune homme faisait naître chez lui. Derek était loin d'être insensible à ses fragilités : elles ne faisaient que renforcer sa décision.
Et il savait qu'elle était la bonne.
