Stiles n'était pas à son aise, vraiment. Pourquoi était-il actuellement en train de suivre Scott et Allison déjà ? Ah, oui. Ils connaissaient Jackson. Son Jackson. Enfin, celui avec qui il devait faire son devoir. Parce que Stiles avait fini par accepter de raconter à la jeune femme la raison pour laquelle il s'était retrouvé à faire une crise d'angoisse dans les toilettes. Il n'était pas pour mais elle avait insisté. Beaucoup. L'hyperactif n'étant plus du genre à vouloir faire attendre les gens lorsqu'ils voulaient quelque chose par peur de se prendre des coups de bâton avait donc craqué, révélant ainsi qu'il devait rejoindre ce Jackson, qu'il s'était perdu et, voyant l'heure défiler, avait un peu paniqué… Il avait honte, encore actuellement, mais Allison n'avait pas eu l'air de le juger. Elle avait ri, mais sans moquerie. En fait, c'était un rire doux, aussi doux que sa voix alors, il ne s'était pas vraiment offusqué et même si cela avait été le cas, il ne lui aurait rien dit. Cela n'aurait pas été très correct de lui faire ça alors qu'elle le traitait bien.

Scott, c'était autre chose. Sans être méchant avec lui, il lui faisait toutefois bien sentir qu'il ne voyait pas sa présence d'un très bon œil. Il lui jetait régulièrement des regards froids et serrait dans le même temps sa main sur la hanche d'Allison, comme s'il avait peur que Stiles la lui vole. Pourtant, ce n'était pas du tout le but de l'hyperactif ! Loin de lui cette idée. A vrai dire, il n'y avait pas pensé une seule seconde. Il ne pensait pas aux filles, à l'amour, à toutes ces frivolités. Lui, tout ce qu'il voulait pour l'instant, c'était… Vivre sa petite vie tranquille sans embêter personne et, accessoirement, se reconstruire. Réapprendre à vivre dans ce monde sans cris incessants, sans coups à chaque mauvaise attitude, où la communication était la clé et où la haine ne dirigeait pas tout. Alors pour être honnête, Stiles se fichait complètement d'Allison au niveau sentimental. D'abord, il se concentrait sur lui-même et une fois qu'il arriverait, il envisagerait peut-être de sociabiliser et, un jour, songer à tomber amoureux. Ce n'était donc pas sa priorité. De toute manière, si on lui demandait maintenant ce qu'était l'amour pour lui, il ne saurait pas quoi répondre, parce qu'il ne savait plus ce que c'était. Il ne connaissait plus aucune forme d'amour, il en voyait juste certaines de loin. Son père l'aimait sans doute : mais il l'avait si peu vu à sa libération d'Alvan qu'il ne savait plus ce que cela faisait, d'être aimé par son paternel. Tout ce qu'il avait, c'était un aperçu, mais il ne le ressentait pas.

Toutefois, pour montrer à Scott qu'il n'avait aucune intention de marcher sur ses plates-bandes, Stiles resta à distance raisonnable et laissa le petit couple le conduire jusqu'à Jackson qui, à l'heure qu'il était, devait être hors de ses gonds. Deux heures qu'il avait attendu parce que, oui, Stiles était resté inconscient un bon moment. Alors, forcément, Stiles appréhendait et ne pouvait empêcher le stress de le faire frissonner sans arrêt. Chaque pas qu'il faisait le rapprochait de Jackson et de sa colère somme toute légitime à ses yeux et l'hyperactif ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, d'être carrément terrorisé. Il ne disait rien et faisait comme si de rien n'était, mais son odeur ne trompait pas et Scott lui jetait d'étranges regards de temps à autres.

- Le voilà ! Finit par indiquer Allison.

Stiles releva les yeux et vit une espèce de petit café réservé aux étudiants incrusté dans un des bâtiments du campus universitaire. Il y avait une terrasse, quelques tables et l'intérieur avait l'air de donner sur une petite extension servant également de restaurant. Et Allison avait raison. Jackson était installé à sa petite table devant une tasse de café bue à moitié, accompagnée de deux biscuits bruns. Son sac de cours était à ses pieds et son regard bleu océan était rivé dans leur direction. Sur lui. Les frissons de Stiles se firent plus forts et sa peur gagna en intensité alors que déjà, il regrettait d'avoir suivi Scott et Allison. Il aurait dû… Envoyer un message au blond en espérant que celui-ci ne lui en veuille pas trop. Oh, il allait s'excuser, là n'était pas le problème : c'était sa réaction directe qu'il craignait.

- Venez, les appela le blond sans aucune chaleur.

Stiles eut du mal à déglutir, mais il s'exécuta également alors que Scott et Allison s'installaient déjà. Le latino prit place à côté de Jackson, Allison s'assit face à lui et Stiles se retrouva dans une position particulièrement inconfortable. Son compagnon de devoir se trouvait face à lui et la copine du basané, à son côté. Il était coincé. Face à lui, un océan glacé accompagné d'une forêt ébène qui surveillait le moindre de ses comportements. Pourquoi Scott ne s'était-il pas assis à côté de sa dulcinée ? Était-ce un test ? Le but était-il de voir comment il réagissait ? Si Stiles ne sortait pas déjà d'une crise d'angoisse, nul doute qu'il en aurait fait une en cet instant précis. Mais elle l'avait épuisé, si bien que sa tête tournait encore et son cœur battait un peu vite.

Dans ce petit groupe, seule Allison était rassurante. Pour éviter de le mettre dans une situation trop inconfortable, elle parlait : demandait des nouvelles de Jackson qui lui répondait tout à fait normalement, discutait de certains cours avec Scott. Puis, elle posa sa main sur son épaule. Et Stiles réprima comme il le put la boule de stress qui menaçait de le laisser tétanisé à tout moment. Pourquoi agissait-elle ainsi ? Stiles ne voulait pas provoquer Scott et il faisait son possible pour ne pas s'approcher plus que nécessaire de la jeune femme. Alors… Pourquoi le touchait-elle ? Ce n'était pas un geste intime, mais tout de même, il ne pouvait pas s'empêcher de se crisper à son contact, comme si son corps rappelait à lui de violents souvenirs.

- … Et puis voilà, on t'a amené ton binôme qui a eu quelques petits soucis et n'a pas pu te rejoindre à l'heure que vous aviez convenue. Il est un peu timide mais il est gentil. Tu ne lui en veux pas, n'est-ce pas ?

- Non, répondit simplement Jackson.

Et même si la réponse était lâchée, Stiles n'y croyait pas. En fait, il ne pouvait pas y croire tout simplement parce que, eh bien… A Alvan, on lui avait appris que les affronts étaient punis. On ne pouvait que rarement s'en sortir indemne, à moins que son vis-à-vis ne soit extrêmement magnanime… Mais tout de même. Et puis, Stiles essaya de se mentaliser. Il n'était plus à Alvan. Le monde n'était pas comme à Alvan. On n'allait pas le punir à chaque retard, à chaque manquement à une règle, à chaque fois qu'il se perdait. Il avait beau le savoir au fond de lui, c'était encore difficile à accepter.

- Je… Je suis désolé, vraiment, je… Je ne voulais pas te faire perdre du temps.

C'était sorti tout seul. Stiles savait qu'il devait s'excuser et il retenait ces mots depuis un moment, depuis qu'il avait compris que, par sa faute, l'étudiant avait attendu. Et l'attendait toujours, accessoirement.

- C'est pas grave, on aura tout le temps de faire ça plus tard de toute façon.

- Je sais que tu voulais t'en débarrasser, je… Pardon.

- C'est bon, pas la peine de t'excuser comme ça, c'est pas la mort. On a tout le temps, je te dis. Au pire, on se cale une autre date, y a aucun problème.

Ce qui était étrange avec Jackson, c'était son attitude générale : les paroles qui sortaient de sa bouche étaient rassurantes mais son visage gardait un air impassible, presque froid. Était-ce un piège ? Stiles n'en avait aucune idée mais une chose était sûre. Il n'avait qu'une envie, partir d'ici et rentrer dans son petit appartement où, au moins, personne ne le regarderait bizarrement. Il serait en tête à tête avec son lit, ses cours et ses quatre murs. Il était seul mais au moins, il se savait en sécurité. Même si Allison semblait adorable, que Scott n'avait pas l'air prêt à le frapper et que Jackson ne semblait étonnamment pas hors de lui, peut-être que c'était uniquement pour endormir sa méfiance. Le problème, c'est qu'en plus de n'en avoir aucune idée, Stiles avait juste envie de se laisser porter parce que tout ça, c'était fatiguant, vraiment.

Alors, quand le sujet dériva – grâce à Allison qui lui jetait de réguliers coups d'œil – Stiles se permit de se détendre un peu. Juste un peu. Un tout petit peu. Il fallait qu'il accepte que ce n'était pas la mer à boire et que, hors d'Alvan, les gens pouvaient être tolérants, accepter les retards, supporter l'erreur. Et puis le reste viendrait, sans doute.

Stiles mentirait s'il disait ne pas avoir envie que son état d'esprit change. Bien sûr qu'il en mourrait d'envie – tout comme il voulait rejouer du piano. Mais comment faire lorsque l'on était seul ? Ces gens, à cette table, sans doute ne les verrait-il plus, mis à part Jackson qu'il entrapercevrait de temps à autres parce qu'ils avaient un cours en commun. Plus qu'à espérer que Jackson et lui bouclent ce devoir, qu'on n'en parle plus et peut-être que la froideur finirait par quitter son regard.

Puisque Jackson avait cours d'ici une dizaine de minutes, ils se fixèrent une date pour le devoir : ils se verraient le lendemain après les cours, à un endroit dont il lui communiquerait l'adresse par message et même si cette technique déplut fortement à Stiles qui continuait tout de même de craindre sa potentielle rancune, il n'eut d'autre choix que d'accepter. Qui était-il pour refuser ? Désireux de rentrer chez lui pour réviser et continuer de rattraper ses lacunes dans plusieurs domaines, il profita du fait que Jackson avait cours pour s'excuser encore auprès de lui mais également remercier Scott et Allison pour leur patience et leur bienveillance – enfin, celle d'Allison, mais mieux valait ne pas provoquer ni froisser Scott. Enfin, il les salua et put s'en aller, sans remarquer que les yeux de ses trois nouvelles connaissances continuaient de le fixer avec perplexité.

Lorsque l'hyperactif fut assez loin, Jackson ouvrit la bouche :

- Tu as senti ce que j'ai senti, McCall ?

Scott hocha la tête, sans sourire.