Stiles s'aspergea le visage avec l'eau du robinet. Bordel. Il n'en pouvait plus et profitait de la pause qu'on lui accordait magnanimement avec un plaisir qu'il avait tout fait pour dissimuler. Le but n'était pas d'incommoder ses hôtes, encore moins de se montrer impoli, mais il fallait avouer qu'il était terrifié et que la peur de faire la moindre incartade était là, bel et bien présente. Feindre l'impassibilité, il avait du mal, pour ne pas dire qu'il n'y arrivait pas. C'était tout juste s'il arrivait à ne pas grimacer d'inconfort, et encore.

Il ferma le robinet et les yeux, par la même occasion. Tenir son rôle était bien plus difficile qu'il ne le pensait, d'autant plus que chaque pan du devoir qu'il devait faire avec Jackson le pétrifiait sur place. Il se rendait compte que ses lacunes étaient bien plus importantes qu'il ne le pensait de prime abord, et c'était mauvais signe pour la suite. Comment pourrait-il arriver à obtenir un quelconque diplôme avec… Si peu de notions comprises ? Son avenir lui paraissait affreusement compromis parce que… On n'allait pas loin sans aucun diplôme en poche. Même les métiers les moins exigeants dans ce domaine préfèreraient prendre quelqu'un avec un certain bagage plutôt que… Lui. Le discret. L'empoté. L'angoissé. Et sans travail, forcément, pas d'argent. Sans argent, pas de survie. Stiles se doutait bien que son père l'aiderait un temps – il lui finançait déjà ses études et c'était beaucoup – mais viendrait un temps où il lui couperait les vivres et c'était parfaitement normal. De même, l'hyperactif n'avait pas pour intention de vivre aux crochets de son paternel alors qu'il devrait se débrouiller. En fait, il avait déjà songé à prendre un emploi à mi-temps, en parallèle de ses études, mais pour l'instant, c'était tout bonnement impossible pour lui de concilier les deux.

Il avait trop de lacunes et s'il voulait s'en sortir, il allait falloir qu'il redouble d'efforts. Même si l'envie de rejouer dans ce bar était une idée qui le tiraillait depuis un moment, il allait devoir faire une croix dessus. Les études passaient avant le plaisir personnel. Et puis il y avait cet homme, l'hôte de ces lieux. Derek Hale. Il l'avait entendu jouer et espérait de tout son cœur qu'il n'allait pas lui demander de faire une démonstration en ce jour, parce que Stiles n'y arriverait tout simplement pas. Son stress était tel qu'il redoublait d'efforts pour ne pas se laisser submerger. Bon, il était à deux doigts de faire une crise de panique mais ça allait. Pour l'instant, il tenait le coup.

Et il fallait que ça continue. Tant qu'il était dans cet endroit, il ne pouvait pas se permettre de craquer. Parce que c'était… On allait forcément en profiter. Descendre quelqu'un qui se laissait aller était diablement simple. Ces gens n'avaient pas l'air d'être méchants, mais… Il ne les connaissait pas. Même en dehors de ça, l'humain était du genre à faire le mal si on lui offrait ce genre d'énergumènes sur un plateau d'argent. Parce que c'était amusant, facile et jouissif. La hiérarchie était partout, le plus fort faisait toujours du mal au plus faible. Enfin, c'était l'idée qu'il se faisait de la société. Comment penser autrement lorsque l'on avait passé des années dans un enfer qui vous martelait que les choses fonctionnaient ainsi et pas autrement ? Stiles serra les poings. Ça va aller, ça ne va pas durer longtemps. Oui, mais pour que cela soit rapide, il fallait qu'il comprenne ce qu'il avait à faire et comment résoudre ces exercices qui, pour lui… Ne voulaient rien dire. Son retard était monstrueux.

Des coups légers portés contre la porte le firent sursauter.

- Tout va bien ? Fit la voix d'Allison.

Par chance, elle n'ouvrit pas la porte. Stiles ne voulait pas qu'elle le voie ainsi, il avait besoin d'un peu plus de temps. Juste un tout petit peu, histoire d'endosser ce masque si difficile à faire tenir.

- O-ouais, balbutia-t-il. J'en ai juste… Encore pour une minute, je… J'arrive.

Sa voix était diablement faible, atrocement pas assurée. Ce qu'il détestait se trouver dans ce genre de situation ! Il était seul. Seul, dans un appartement comptant nombre d'inconnus. Il ne connaissait que trois personnes et encore, connaître était un bien grand mot. Allison avait l'air adorable, mais il ne savait pas à quoi pouvait ressembler son vrai visage. Que pouvait-il se cacher sous cet air angélique ? Scott ne semblait pas l'apprécier outre mesure et à vrai dire, il ne s'en cachait pas vraiment. En tout cas, il n'avait pas l'air d'être d'accord avec la manière dont sa copine se rapprochait de lui, l'étudiant quelconque à lunettes qui, lui, voulait simplement vivre sa vie. Quant à Jackson… C'était difficile à dire. Sans être brutal ni agressif, il le faisait se sentir… Comme une merde. Et il y avait de quoi. Il s'agissait d'un bel homme blond, sportif, aux magnifiques yeux bleus. Le fantasme vivant de bon nombre de jeunes femmes – et jeunes hommes, en soi. Il avait un visage dur et fermé, lui donnant un air qui soufflait à Stiles de ne jamais lui chercher de noises, même par accident. Pour les autres, il les avait à peine regardés, même ce Derek, qu'il avait déjà aperçu dans ce bar. Sa terreur était telle qu'il ne voulait pas vraiment chercher à en savoir plus. Disons qu'il avait d'autres chats à fouetter… Comme endiguer la nouvelle horde de crises de panique qui le menaçaient.

Un bruit sourd le fit sursauter. Tournant brusquement la tête, il vit Allison… Qui venait d'entrer et refermait la porte derrière elle. Stiles se figea. L'arrivée de la jeune femme était un imprévu de plus qu'il devait gérer alors que son cerveau semblait être sur le point d'imploser. Il était d'ores et déjà en surchauffe et c'était mauvais signe… Parce que bordel, il n'était pas près de partir. Il devait finir ce satané devoir avec Jackson, tout en étant parfaitement conscient du fait qu'il n'y comprenait pas grand-chose. Et alors que la jolie brune avançait dans sa direction, l'hyperactif sentit un frisson glacial le traverser. Stiles n'avait absolument aucune idée de ce qu'elle venait faire là, auprès de lui. Elle n'était pas simplement venue prendre de ses nouvelles, si ? Non, bien sûr que non ! C'était idiot. Complètement stupide. Il n'était pas de ceux pour qui l'on s'inquiétait… Il n'avait pas de valeur, tout simplement. Demandait-on à un meuble si tout allait bien ? Non, parce qu'il faisait partie du décor. Et Stiles… C'était la même chose. Pour être honnête, il ne s'était pas toujours considéré aussi inférieur, aussi peu bien. Une chose était certaine, Alvan l'avait bien changé.

Il eut des sueurs froides alors que la douce Allison posait une main sur son épaule dans un geste qui se voulait gentil et rassurant.

- On s'inquiète, tu ne revenais toujours pas… Tu as vraiment une petite mine, fit-elle, l'air préoccupée.

Et alors ? Aurait-il répondu s'il avait du cran. Il choisit d'ailleurs de ne pas relever la première partie de sa phrase : on ne pouvait pas s'inquiéter pour lui. Et puis… Ces gens ne le connaissaient même pas ! On ne s'inquiétait pas pour un inconnu dans son genre. Que voulait-elle vraiment ? Se moquer de lui ? L'humilier ? C'était diablement probable. Stiles jeta un coup d'œil angoissé à la porte. L'attendait-on derrière ?

- Ecoute, je sais que tu ne te sens pas à ton aise mais tu n'as pas à stresser, ici. Le loft, si tu veux… C'est un peu notre lieu de rassemblement, lui expliqua-t-elle d'une voix douce. C'est grand, il y a toujours de la place pour s'assoir, de quoi manger et s'occuper. Si Jackson t'a fait venir ici… C'est parce qu'on y est à l'aise. Tu as vu ? Vous avez même un endroit où travailler tranquille.

Oui, ou un endroit où on pourrait s'occuper de lui en toute discrétion. Stiles avait bien trop expérimenté ce genre de situations pour sa santé mentale. Alors, instantanément, il douta des paroles de la jeune femme. Elle essayait de l'adoucir, il le voyait bien… Mais il n'arrivait pas à se dire qu'elle pouvait n'avoir que des bonnes intentions à son égard. A Alvan, la première leçon que les élèves intégraient rapidement, c'était que l'on ne pouvait se fier à personne. N'importe qui pouvait se retourner contre soi, et Stiles l'avait appris à ses dépens. Innocemment, il se disait qu'il pouvait se faire quelques amis et qu'ensemble, ils pourraient s'entraider, oui, s'aider à mieux supporter ce calvaire.

Que nenni.

Alvan condamnait la solidarité, interdisait l'entraide, favorisait l'individualité, félicitait la violence.

Stiles se crispa, encore : la main d'Allison était chaude et cette chaleur lui faisait peur. Il mourrait d'envie de se dérober, mais sa terreur habituelle l'empêchait d'entamer le moindre mouvement. Et alors qu'il aurait pu parler, lui avouer sa peur ou même nier, il resta muet, pétrifié. Face à lui, le regard de la jeune femme changea légèrement. Et elle se mordit la lèvre inférieure d'un air embêté.

- Tu veux reporter ? Lui demanda-t-elle.

La question surprit Stiles, mais pas dans le bon sens. Ok, il avait merdé. Toutefois… Pourquoi Allison lui demandait cela ? Ce n'était pas elle qui devait faire ce devoir avec lui, mais Jackson. Stiles secoua la tête. De toute manière, en réalité, ce n'était pas à lui de décider. Le sportif devait sans doute vouloir se débarrasser de ce travail, alors il n'allait rien dire, même s'il ne put s'empêcher de songer qu'il serait bien plus simple et rapide pour le blond de le faire seul… Plutôt que de se coltiner un abruti pareil. Pour quoi devait-il le prendre ? Un mec qui ne connaissait rien à rien, qui butait sur chaque notion censée être acquise, mais qu'il n'avait, au final, pratiquement jamais vue. Stiles était dans une impasse.

- Si tu ne te sens réellement pas bien… On ne va pas te forcer, tu sais ?

Non, j'en sais rien, je ne vous connais pas.

- O-ouais, je sais, je… Mais ça va, balbutia-t-il comme il le put.

Le jeune homme savait n'être pas convaincant pour un sou. Toutefois, quel autre choix avait-il ? Et puis, pourquoi lui avait-on envoyé la douce Allison ? Avait-on remarqué… Qu'il avait un peu moins peur d'elle que les autres ? Enfin, un peu… C'était relatif. Stiles frissonna soudainement. Allison avait descendu sa main, qui avait rejoint, celle, un tantinet tremblante, de l'hyperactif, qui mourait d'envie de bouger, de faire quelque chose. Il avait doublé son traitement, mais ce n'était apparemment pas assez… Ou peut-être l'angoisse décuplait-elle son hyperactivité ?

- Un problème ?

Stiles retint comme il le put le sursaut qui menaçait de montrer de manière concrète la peur qui le contrôlait. D'un même mouvement, Allison et lui tournèrent la tête en direction de l'entrée de la salle de bain. L'hôte de ces lieux, Derek Hale, venait d'ouvrir la porte et de passer sa tête dans l'entrebâillement. Stiles se figea. Il s'était vraiment mis dans de beaux draps. D'un coup, une foule de regrets le traversa alors que son visage ne cachait plus grand-chose de ce qu'il ressentait malgré ses efforts. Il aurait dû faire attention. Revêtir un semblant de masque devant Allison, faire son possible pour contrôler ses émotions, cette angoisse qui semblait toujours plus forte à chaque seconde. La crise de panique n'était pas loin. Pour le moment, il arrivait à l'endiguer… Mais pour combien de temps encore ?

Non parce que si Derek n'avait pas l'air de lui vouloir de mal, comme Allison, il avait des traits durs qui le faisaient frissonner d'horreur. Cet homme devait avoir déjà usé de ses poings dans sa vie. Il avait également la carrure adéquate. Stiles savait bien que juger n'était pas une bonne chose, mais il essayait de déterminer pour lui la meilleure manière de s'en sortir sans trop de dommages. Il avait beau savoir que le monde entier n'était pas comme celui contenu dans la sphère d'Alvan, la violence continuait d'être partout. Elle attendait, dans un appartement, ou bien au coin d'une rue, imprévisible, latente.

Et Stiles était à la merci du moindre individu que comptait ce loft.

- Aucun, souffla-t-il.

Ce n'était pas le moment pour lui de continuer d'attirer l'attention de cette manière. Il devait retourner travailler avec Jackson, finir ce satané devoir et s'en aller. Rentrer chez lui. En sécurité. Enfin, tout était relatif. N'importe qui pourrait entrer par effraction. Après, il n'avait rien de valeur, si ce n'est son téléphone tout cabossé.

Il vit l'homme froncer les sourcils.

- Si, il y en a un, insista Allison.

La gorge de Stiles s'assécha. Pourquoi ne s'accordait-elle pas sur sa version ? Avait-elle enfin prévu quelque chose pour lui faire du mal ? Après tout, c'était l'occasion parfaite. Il mentait et n'était pas si idiot que cela : il savait son mensonge visible.

La brune tourna à nouveau la tête vers lui, sans cesser de lui lâcher la main.

- Demande à Jackson si ça ne le dérange pas de continuer ce devoir plus tard, fit-elle sans cesser de regarder Stiles qui avait, par avance, détourné le regard.

Et même s'il voulut protester, sa peur le musela. Il acceptait déjà son sort en silence. Un élan de faiblesse soudain l'obligea à fermer les yeux un instant. Ses jambes semblaient d'un coup avoir du mal à soutenir son poids, si bien qu'il devait lutter pour ne pas céder à la panique qui avait repris du galon. Galvanisée par la terreur de l'hyperactif et l'incapacité de celui-ci à se détendre, elle gagnait du terrain. Allison remonta sa main jusqu'à son épaule et propriétaire du loft s'approcha. Un air soucieux collé au visage, il défit un bouton au niveau du col de sa chemise et vint faire face à l'hyperactif qui releva la tête vers lui, avant de la baisser et de faire un pas mal assuré en arrière. Le regard de Derek fut d'autant plus préoccupé, qu'il n'arborait, de son point de vue, aucune attitude hostile à son égard. Ce faisant, il décida de prendre les choses en main et dit à Allison non pas de demander à Jackson si reporter le devoir ne le dérangeait pas, mais bien de lui dire qu'il était reporté. Il l'avait décidé ainsi, sans que Stiles en comprenne la raison. Mais au lieu d'y voir un poids en moins, une source d'angoisse effacée pour un temps donné, Stiles y vit une menace et fit un autre pas en arrière alors qu'Allison le lâchait à regret et sortait de la pièce d'un pas hésitant.

Finalement, il se retrouva seul avec son hôte, l'homme à la carrure impressionnante et au visage dur, mais aussi et surtout… Ce client qui l'avait écouté jouer au bar.

Stiles céda tout autant à son angoisse que ses jambes cédèrent sous son poids.