Isaac n'avait pas envie de forcer le châtain recroquevillé sur lui-même dans le lit à se lever, tout comme il ne désirait pas lui imposer la visite du shérif. Disons qu'il pensait aux conséquences qu'un hypothétique raté pourrait avoir sur Stilinski… Et ce jeune homme sorti de nulle part. Alors, Isaac prit le parti de ne rien dire, de ne pas lui faire espérer quoi que ce soit. Le regard désabusé que lui lança « Stiles » dès son entrée dans la chambre lui serra le cœur. Voilà l'exacte raison pour laquelle il trouvait le pari de Derek risqué. Leur invité n'avait rien et continuait de croire que l'on allait l'utiliser comme un vulgaire outil, comme si sa vie ne valait pas grand-chose.
- Est-ce que tu veux bien… Descendre, avec moi ? Tenta le bouclé.
Il avait à cœur l'idée de s'assurer de son consentement même si… Au fond, il savait que, quelle que soit la réponse du châtain, il finirait par essayer de le convaincre et, par extension, de mettre à exécution le plan de Derek. C'était plus fort que lui : n'importe quel loup-garou faisant partie d'une meute obéissait à son alpha. Si le sien ne lui avait donné aucun ordre, il lui avait toutefois demandé d'amener leur invité lorsqu'il lui ferait signe. Le moment était venu et Isaac… Avait besoin de l'écouter. Il le savait bon, gentil, juste.
Mais dans le même temps, le bêta ne voulait pas brusquer ce Stiles. Pas le moins du monde.
Fut-il surpris par le soupir que poussa le châtain ? Lui-même ne saurait le dire, mais les mots que l'autre prononça quelques secondes plus tard suffirent à lui faire mal :
- Je ne sais même pas pourquoi tu te fatigues à me demander mon accord pour une chose pour laquelle je n'ai pas vraiment le choix.
Isaac commençait à connaître le personnage, néanmoins… Chaque fois qu'il arborait cette attitude, le loup se demandait comment, objectivement, il pourrait réussir à changer sa façon de penser. A quel point l'avait-on maltraité pour qu'il en vienne à se considérer de façon si misérable ? C'était comme s'il affirmait haut et fort les couleurs de sa personnalité tout en la niant… En effaçant ses propres droits.
Et pourtant, Isaac le voyait, ce désir de protection qui transparaissait derrière chacun de ses mots. Le châtain avait si peur de croire qu'on puisse le considérer, si peur d'être déçu, qu'il préférait agir comme si cela ne serait jamais le cas. Alors il ne répondit pas, serra la mâchoire… Et tendit la main à ce jeune homme si particulier. « Stiles » se redressa et finit par s'en saisir en détournant le regard. Pire, il en vint à le baisser lorsqu'Isaac, après l'avoir aidé à se lever, le soutint de telle sorte à ce qu'il puisse s'appuyer sur lui pour marcher. L'air de rien, le châtain récupérait… Mais ce n'était pas encore assez et si sa voix lui paraissait plus claire, il était aisé de voir à quel point son corps, lui, manquait d'énergie. Des jours. Il lui faudrait des jours pour se requinquer. Et Isaac comptait bien l'y aider.
- On va y aller doucement, le prévint-il, par habitude.
Si cette fois, le châtain retint une nouvelle parole acerbe, l'expression de son visage, même s'il était légèrement baissé, parlait pour lui. Cette gentillesse, pour lui de façade, l'agaçait plus que de raison. Il n'en voulait pas. Manque de chance pour lui, Isaac ne faisait pas semblant et il continuerait d'agir ainsi avec lui, que cela lui plaise ou non. Il ne renierait pas sa personnalité pour lui faire plaisir… Et lui donner faussement raison.
L'épuisement du jeune homme se voyait jusque dans sa démarche et Isaac ralentit davantage le rythme lorsqu'il remarqua que celui qu'il lui avait proposé était encore un peu rapide. C'était une bonne chose, que le châtain recommence à marcher, à bouger, mais il n'avait pas suffisamment d'énergie pour augmenter sa vitesse. Isaac savait qu'il ne faisait pas semblant : il y avait dans son attitude cette obéissance silencieuse… Et complète. On le faisait marcher, il marchait. On lui faisait comprendre qu'il devait avancer, il avançait. Mais son corps, lui, ne suivait pas comme il le faudrait. Qu'importe : Isaac se savait patient et n'irait pas lui reprocher cette faiblesse qu'on avait fait naître chez lui, tout comme il n'irait pas l'accroître – Derek non plus. De façon générale, il était en sécurité, l'on n'était pas là pour l'utiliser. Et le jeune loup était persuadé qu'il réussirait à le lui faire comprendre un jour ou l'autre.
Les marches furent une épreuve pour le châtain et ce, même si Isaac le tenait fermement. Il n'aimait pas ça, les escaliers. C'était d'autant plus vrai qu'une chute lui occasionnerait davantage de dégâts que s'il tombait simplement sur un sol lambda. Ça faisait mal. Puis il avait parfois un peu de mal à évaluer les distances, la profondeur de certaines marches… Celles de cet escalier étaient particulièrement raides et Stiles rêva, l'espace d'un instant, de se laisser tomber malgré tout. Il avait vu des tas de films policier et nombre de victimes mourir stupidement en s'effondrant dans des escaliers… La chute s'avérait souvent mortelle. Alors oui, il ne fit qu'en rêver, conscient qu'Isaac ne le laisserait pas réaliser cette vision aussi morbide qu'insensée. Mais le jeune loup ne pourrait jamais contrôler ses pensées… Lui faire abandonner cette idée qui n'était rien de moins, pour lui, qu'un moyen de se sortir de cette vie infernale.
Malgré le rythme lent de leur descente, ils arrivèrent en bas sans encombre et Stiles retint un soupir mélangeant à parts égales le désespoir et le soulagement. Pas de mort, mais pas de douleur non plus. Stiles considérait avoir suffisamment souffert pour ne pas désirer subir quelque nouvelle douleur que ce soit. Sa peau n'avait peut-être pas gardé beaucoup de traces des châtiments qui lui avaient été imposés mais sa psyché, elle, en serait marquée à vie.
Stiles n'aimait pas non plus l'idée de savoir qu'on le tenait. Isaac disait l'aider à marcher et à l'empêcher de tomber ce qui, au vu de sa forme, n'était pas si incongru… Mais le châtain se refusait à accepter pleinement l'idée que le loup puisse être honnête avec lui. A ses yeux, un lycanthrope, ça mentait forcément. C'était méchant, rempli de mauvaises intentions… D'un appétit du pouvoir croissant dont la source ne se tarissait jamais.
En bas des escaliers, Isaac le laissa reprendre son souffle rendu légèrement irrégulier à cause de son épuisement toujours palpable. Qu'il arrive à rester suffisamment éveillé pour parler et bouger était un progrès certain, mais… Il lui faudrait bien plus de quelques jours pour recouvrer sa véritable énergie. C'est alors qu'il commença à percevoir des voix. Deux, plus précisément. Celle de l'alpha, il la reconnut sans mal tant il l'avait entendue récemment : l'autre, un peu plus basse, plus ténue… Il la trouva instantanément familière mais se retrouva incapable de mettre un visage dessus. Disons qu'il ne l'entendait pas très bien et… Qu'une peur naissante dont il n'avait pas encore consciente paralysait certaines choses en lui. Si l'alpha n'était pas seul, si quelqu'un était avec lui et qu'on avait décidé de le faire descendre, lui, Stiles…
- Calme-toi, tout va bien, lui souffla Isaac.
Stiles lui lança un regard torve. Il ne croirait pas en ses salades. Jamais. Qu'est-ce qui pouvait aller, sérieusement ? Rien. Esclave un jour, esclave toujours. Il ne devait pas s'habituer au fait qu'on puisse bien le traiter, car la chute n'en serait que plus difficile à encaisser. On allait l'acheter, l'échanger… L'affaire le concernait de près, c'était certain… Et ça le terrifiait. A côté, un peu floue, cette voix. Familière, qui lui disait vraiment quelque chose… La gorge sèche, Stiles ne put que suivre le mouvement lorsqu'Isaac l'encouragea à reprendre leur avancée et le fit sortir du couloir… Pour faire leur entrée dans le gigantesque salon. Stiles ne put garder la tête baissée et mira sans attendre ce qui était censé représenter le danger le plus proche. Mais ses iris couleur whisky accrochèrent deux orbes bleu ciel. Son cœur rata un battement des plus parlants alors que ses yeux s'écarquillaient de stupeur sans qu'il ne s'en rende compte.
Et le temps se figea.
