Ce visage, il le reconnaîtrait entre mille pour la simple et bonne raison qu'il le hantait depuis des années. Des années. Jamais il ne l'avait oublié. Pas un seul de ses traits n'avait disparu de sa mémoire, laquelle marchait fort bien concernant ce sujet, cette personne.
Ce père qu'il n'avait plus eu la chance de voir qu'en rêve.
Stiles n'eut pas la force de prononcer le moindre mot – ni même d'en balbutier le moindre début. Aucune question, aucune réaction plus précise que celle qu'il avait actuellement. Le choc le paralysait, d'autant plus que le jeune homme… Devait se battre contre l'impossible. Contre lui-même. Sa santé mentale qu'il jugea d'un coup fort défaillante.
- Pas possible, c'est… Non…
Des mots qui sortirent à grand peine de sa gorge trop serrée pour en laisser passer davantage. Ils furent en réalité plus soufflés que réellement prononcés et, par ce simple fait, reflétaient fort bien le choc qui s'était emparé de lui. Oui, un choc à nul autre pareil qui, en plus de le paralyser sur place, agit sur son corps en lui-même.
Très honnêtement, Stiles se serait d'ores et déjà effondré au sol si Isaac ne le tenait pas. Son étreinte, légère, servait au départ simplement à l'aider à conserver son maigre équilibre, dans le but de palier sa force pas encore totalement revenue. Désormais, elle le maintenait debout.
Sa vision tanguait, son cœur battait trop vite. Il ne se sentait pas l'énergie de poser quelque question que ce soit, d'essayer de démêler le vrai du faux – le simple fait de s'interroger lui-même l'épuisait déjà. Et cette fébrilité qui le caractérisait à cause du traitement qu'on lui avait fait subir durant des années prenait désormais une toute autre dimension, une ampleur démesurée. Stiles s'effondrait mentalement.
Parce que son père, c'était toute sa vie. Et pourtant, il était censé être mort. On lui avait dit. On l'avait mis face à un corps… Dans un état de décomposition fort avancé. On avait… Enfin, le cadavre portait certaines choses qui appartenaient à ce père qu'il voulait tant revoir. Il y avait son étoile de shérif, le bracelet que sa mère lui avait confectionné au début de leur relation, cette bague simple mais magnifique, qu'il portait toujours à son annulaire gauche. D'autres choses, dont il ne se souvenait pas forcément.
On lui avait dit de se pencher, on l'avait obligé à contempler la mort. A se faire à l'idée qu'il n'avait plus rien, ni personne. Et le cauchemar, dont il avait déjà commencé à se rendre compte fort tôt, avait refermé ses griffes sur son cœur meurtri…
… Aujourd'hui en morceau.
Le choc de Stiles était si grand qu'il ne se rendait même pas compte que le visage de l'homme face à lui reflétait la même chose. Douleur. Stupéfaction. Estomaqués, voilà ce qu'ils étaient. Sauf que l'autre n'était pas sur le point de s'effondrer – en tout cas, ce n'était pas l'impression qu'il donnait. Mais Stiles, lui, tombait… Dans tous les sens du terme. Croyances et espoirs s'affrontaient violemment, le laissant d'ores et déjà sans défense pour appréhender la suite. Stiles s'était très souvent trouvé en position de faiblesse, et c'était d'ailleurs le cas depuis que l'on avait commencé à l'exploiter, mais jamais il n'avait été si… Vulnérable. Que ce soit sur les plans physique ou psychique – ici, les deux à la fois. La chute mentale était si dure… Qu'il n'était plus complètement là et qu'il ne s'en rendait d'ailleurs pas compte. Ses yeux voyaient la figure paternelle se rapprocher, lentement, puis avec une précipitation non mesurée – mais son esprit y était aveugle. Il ne sentit même pas les mains fortes se poser sur ses joues, passer dans ses cheveux, tâtant comme pour voir s'il était réel. Et il l'était – partiellement. Que l'on ne compte pas sur sa tête. Réagir correctement, il en était pour l'instant incapable. Alors entendre ce surnom, qu'il utilisait comme un nom depuis tout petit ? Percevoir cette voix fébrile mais si familière, ce ton tremblant ? Stiles était devenu comme… Aveugle, insensible au toucher, sourd.
Le voilà complètement prisonnier d'un choc qui le dépassait et paralysait son corps dans son entier… Jusqu'à sa tête, son esprit muselé.
Il y eut du contact, des mots, une étreinte désespérée, des supplications silencieuses. Mais Stiles, s'il gardait les yeux ouverts et tremblait comme pas possible, n'avait plus conscience de rien. A l'intérieur, il était juste terrifié, complètement confus et… Désireux de se protéger malgré lui. Des horreurs, il en avait vues, subies, entendues et c'était pour échapper à la pire d'entre elles qu'il avait tout donné pour s'enfuir en douce de la tanière dans laquelle vivait son ancienne meute, celle qui l'avait réduit en esclavage.
Mais petit à petit, son trouble se dilua et les larmes lui montèrent aux yeux. Stiles redevint un enfant, celui qu'il avait été avant que sa vie ne dérape. Il réclama la présence de son père sans plus se soucier du fait qu'il n'était peut-être rien de plus que le fruit de son imagination, laquelle se plaisait à le torturer régulièrement. Son choc était tel qu'il avait besoin de reprendre pied – et il le ferait. Cela faisait partie de ce réflexe protecteur : l'obliger à se remettre au plus vite, de sorte à pouvoir agir et se défendre si besoin.
Enfin, Stiles ne réfléchissait pas de façon aussi poussée. Pas pour l'instant, en tout cas. Il avait désormais les yeux fermés, la joue contre cette épaule solide mais néanmoins secouée par de nombreux soubresauts dont il ne comprenait pas vraiment l'origine.
- Papa…
Un murmure désespéré, échappé, l'ultime expression d'une parole étranglée. Stiles se reposait complètement contre lui, ses jambes ne le tenaient plus. Isaac ? Il s'était mis en retrait, mais pas trop. Il avait à cœur d'aider si besoin mais pour l'instant, l'étreinte du shérif était solide. Et même si son choc était immense, il agissait d'instinct, ne réfléchissait pas. Serrait son fils dans ses bras, tout contre lui. Les jambes de Stiles ne le portaient plus ? Qu'importe, il était là, il le tenait. Son énergie, longtemps envolée, lui revenait en force, comme un réflexe paternel. Il se devait de compenser les faiblesses actuelles de ce fils à ses yeux revenus d'entre les morts. Il lui embrassa le front, lui caressa les cheveux, répéta frénétiquement qu'il était là, que tout allait bien.
Mais rien n'avait de sens, et Noah Stilinski en avait parfaitement conscience. Lui-même ne comprenait absolument rien à ce qu'il se passait, mais… Il était incapable de réfléchir depuis que ce visage était entré dans son champ de vision. Il l'avait reconnu instantanément et même si cela paraissait impossible, il était en capacité d'affirmer haut et fort qu'il s'agissait de son fils. C'était foutrement invraisemblable, trop difficile à appréhender et pourtant… Le shérif, homme de loi de jour, père éploré la nuit, avait besoin d'accepter cette réalité des plus inconcevables. Se confronter à ce visage sans l'accepter signifiait pour lui mourir une deuxième fois, la disparition de Stiles des années plus tôt l'ayant déjà détruit de l'intérieur. Alors voilà, cela avait été rapide, presque instantané, sans doute trop vite, mais il s'en fichait.
C'était lui, son fils, son bébé, son étincelle, son petit bout.
Lequel tremblait désormais de tous ses membres, complètement démuni et à bout. Il pleurait aussi et ce, sans trop faire de bruit. Mais c'était la façon dont il s'accrochait à lui, qui faisait penser à Noah qu'il ne se trompait pas. Ce désespoir, ce besoin… Cette détresse qui lui donnait l'air d'un enfant – celui qu'il n'était plus – qui s'appuyait sur son parent. L'instinct parlait.
Mais le corps de Stiles se ramollit dans les bras du shérif au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient. Noah ne s'en rendit pas tout de suite compte, trop perturbé qu'il était à se perdre dans des litanies qui se voulaient rassurantes… A tenter, dans le même temps, de prendre conscience de la chance qu'il avait, d'en saisir l'ampleur. A cet instant, c'étaient des années entières qu'il devait remettre en question, des années s'accompagnant naturellement de mille et unes questions – toutes aussi difficiles à appréhender les unes que les autres. Le bonheur n'avait même pas encore réellement surgi : tout n'était que stupéfaction. Noah tentait de réagir au mieux, mais il ne contrôlait pas grand-chose. Peut-être rien, en fait, mis à part la façon dont il le serrait dans ses bras. Si fort et si délicatement à la fois. Soulagé d'apprendre qu'il était vivant, mais désespéré de lui faire mal.
Néanmoins, Isaac, qui s'efforçait de rester en retrait, fut obligé de s'avancer. Il avait un air passablement préoccupé. De son côté, Derek ne bougea pas – mais valida silencieusement l'initiative. Lui aussi, il l'avait senti.
Stiles, et même si c'était très lent, était en train de perdre connaissance. C'en était trop pour lui : son cerveau disjonctait.
