Je me rend compte à la correction qu'il ne se passe vraiment pas grand chose dans ce chapitre, et j'en suis désolée -_-


À cause de l'absence de Lucile, Drago avait dû trouver de nouvelles techniques pour espionner Potter chaque matin. Le Sorcier effectuait sa séance de natation tôt et les risques d'être surpris par une tierce personne étaient donc faibles, mais il pouvait arriver qu'un Surveillant sorte prendre l'air, avant ou après un tour de garde. Par ailleurs, le simple fait que Potter sache était un problème.

Une fois, il était venu avec un stock de flacons vides et s'était mis en tête de récolter du guano, l'ingrédient pouvant être utilisé dans la Potion de Silence. Une autre fois, avec un sécateur pour tailler le pommier. Au final, il avait vite compris que s'occuper des albatros — récupérer le courrier, nourrir tout le monde, vérifier la santé du poussin — était l'excuse la moins aberrante à avancer. Il ne pouvait certes pas suivre le nageur durant toute sa prestation, mais il pouvait entendre son crawl presque tout du long quand le vent n'était pas trop fort.

Il était impossible que Potter ne l'ait pas vu, mais il n'était pas venu le déranger jusqu'à ce matin-là. Drago était occupé à brosser le bébé albatros afin que les rémiges de ses ailes puissent pousser bien droits. Il doutait de l'utilité de l'opération, mais les adultes le laissaient faire et cette autorisation faisait presque office d'ordre.

Il entendit le son bref et désagréable d'un corps qui émerge de l'eau, comme un soupir agacé, et après quelques secondes, des pas dans les pierres qui se rapprochaient. Drago grimaça en préparant mentalement sa répartie, mais le bruit de marche s'arrêta juste dans son dos et aucune voix ne retentit. Il resta concentré sur sa tâche, grattant patiemment et délicatement de l'ongle un morceau d'écaille qui empêchait la plume de s'ouvrir. Quand après plusieurs secondes, il devint évident que c'était à lui d'agir, il tourna nerveusement la tête par-dessus son épaule.

« Je t'aime. »

Drago grogna et revint à sa tâche.

Potter souriait joyeusement dans son dos.

« Tu sais, je repensais à la dernière fois. Je veux dire que je me suis demandé pourquoi tu me parlais soudain de l'avancée de ta relation avec ce tocard. Et tu peux économiser ta salive, Kieran Price est un tocard. »

Drago referma la bouche avant d'avoir pu articuler une syllabe.

Désormais, ses escapades entre les cuisses de l'architecte étaient quasi-quotidiennes — mieux valait ça que certaines discussions — et il en oubliait presque ce qui l'avait avant tout séduit chez l'homme, à savoir sa patience et sa timidité.

« Je pense que tu voulais que je pète un plomb. Tu voulais que je m'énerve et que je devienne violent, et ça t'aurait conforté sur le fait qu'il vaut mieux que moi. Sauf que je suis incroyablement maître de moi-même. En plus d'être patient et tolérant. Je mérite franchement une médaille, je pense. La question est donc : déçu ou pas déçu ? »

Potter termina sa tirade en s'accroupissant à côté de lui et en tendant le bras pour gratouiller le crâne de la mère du poussin. En quelques secondes, une demi-dizaine d'oiseaux les avaient rejoints, et réclamaient son attention à grands cris. C'est cependant vers Drago qu'il tourna la tête et à lui qu'il adressa son fameux sourire arrogant.

« Tu surinterprètes les choses, Potter, souffla Drago en tâchant de l'ignorer.

– Possible. » Il laissa passer un moment et Drago crut que la discussion était close, mais il reprit : « Comment dois-je interpréter le fait que tu aimes entendre mes déclarations enflammées, Drago ? »

Grâce à Merlin, un albatros particulièrement disgracieux lui fournit une occasion de ne pas répondre : l'oiseau atterrit sur Potter et lui fit perdre l'équilibre avant de se redresser sous les reproches de ses congénères et venir réclamer ses caresses personnelles. Le Survivant s'exécuta en riant à gorge déployée. Dans ces cas-là, son visage paraissait infiniment plus jeune. Pas comme un collégien stupide mais comme un enfant insouciant.

Son regard était pourtant sérieux quand il fixa de nouveau ses yeux brillants dans les siens :

« Comment dois-je interpréter le fait que tu sois ici à cette heure ? »

Drago avala sa salive et rendit l'oisillon à sa mère avant de se redresser et d'essuyer les mains sur sa robe à laquelle des pellicules de plumes et de débris s'étaient accrochées. Il avait beau avoir préparé sa réponse, il savait celle-ci bancale :

« Ça n'a rien à voir avec toi, Potter. C'est justement pour éviter de croiser du monde que je viens ici tôt. »

Potter était tranquillement assis par terre, là tête levée vers lui, et il gratouillait tous les oiseaux qui passaient à sa portée en ignorant ceux qui tentaient de lui fouiller les poches.

« Tu sais, j'ai lu un bouquin, dernièrement.

– C'est fascinant, Potter.

– Du genre érotique. »

Drago haussa les sourcils et fixa son regard sur l'horizon. L'information expliquait en partie pourquoi l'individu lisait dans son lit et amenait un tas d'images désagréables en tête.

« Du genre érotique avec des vibes un peu BDSM.

– Est-ce que le but de cette conversation est de me mettre mal à l'aise ?

– Au contraire. En fait, ils ont ce système d'échelle de la douleur, tu vois ?

– Je ne suis pas sûr de vouloir savoir.

– Genre quand tout va bien, le gars doit dire qu'on est lundi. Quand ça va pas, qu'on est dimanche. Le système est codé pour qu'ils puissent en parler même devant témoins, tu comprends ?

– Tu serais surpris par mes connaissances en matière de messages codés, Potter. Si tu me demandes mon avis, je juge celui-ci particulièrement médiocre. »

Bien malgré lui, Drago était intrigué par ce livre. Il doutait cependant d'avoir la possibilité de l'emprunter sans se fourrer dans une situation particulièrement inconfortable.

« Je me dis qu'on pourrait utiliser le même genre de code quand je te drague, pour voir à quel point je te mets mal à l'aise.

– Tu confonds la drague et l'insistance, Potter.

– Là par exemple, on est sur un… ? »

Drago sourit malgré lui.

« Probablement un dimanche.

– Non. Dimanche, c'est quand ça va vraiment pas, quand t'es sur le point de craquer. Dimanche, tu me parlerais même pas.

– Samedi, alors, se corrigea Drago avec un haussement d'épaules.

– À ce point ? Tu me laisses très peu de marge de manœuvre… »

Drago baissa les yeux : Potter le regardait toujours, joyeux, et trois albatros étaient parvenus à se percher sur ses jambes. Les autres s'étaient lassés de son désintérêt et avaient repris leurs activités de sentinelles ou de dormeurs.

« Tu es un samedi permanent, Potter.

– Plutôt un samedi matin ou un samedi soir ? »

Et sa façon de quémander la moindre miette d'affection était divertissante plutôt qu'exigeante.

« Il est tôt, supposa Drago en constatant l'évidence.

– Je voudrais te réinviter à manger avec moi.

– C'est non.

– C'est dimanche ?

– C'est non.

– Qu'on aille faire un tour de balai ensemble, alors.

– Je n'ai pas le temps.

– Demain, ici, à la même heure. Je ramène ton balai.

– Je ne serai pas là.

– Tu seras là.

– Je serais probablement là, admit Drago. Mais je ne t'accompagnerai pas.

– Et tu m'accompagneras. »

Si seulement les choses avaient été plus simples par ailleurs…

« J'ai du travail. Bonne journée, Potter. »

Drago se détourna et reprit la direction du château.

« Drago ? »

Drago hésita, se mordilla les lèvres, puis finit par lui accorder un nouveau regard méfiant. Potter n'avait pas bougé, toujours immobilisé par les oiseaux perchés sur son corps. Il était à une dizaine de pas de là et il dût élever la voix pour se faire entendre :

« Avec Price, vous en êtes à quel jour de la semaine ?

– Ça n'a rien à voir : je suis amoureux de lui.

– C'est faux, et pas ce que je t'ai demandé. »

Drago réfléchit quelques secondes avant de répondre :

« Probablement un jeudi ? »

Potter le fixa sans rien dire avec un air indéchiffrable sur le visage. Drago attendit une réaction en se demandant vaguement pourquoi il n'avait pas répondu que sa relation avec Kieran Price était un lundi permanent… Et puis il fit volte face et partit en direction des murs protecteurs d'Azkaban.

·

Kieran Price revint chercher Drago à l'infirmerie, ce matin-là, et Nguyen éleva le ton d'une façon qui laissait peu de place à la discussion. Il n'attendit même pas que l'architecte soit sorti pour asséner :

« Monsieur Malfoy, nous avons déjà eu cette discussion : Je ne tolérerai pas la présence de cet individu dans mon laboratoire sans raison valable. Si vous persistez à l'amener, vous-même ne serez plus le bienvenu !

– Vous pouvez me dire tout ça en face, Monsieur Nguyen », prétendit Kieran Price avec une colère contenue tandis que Drago se confondait en excuse et rangeit les affaires sur lesquelles il avait été occupé.

« Et bien je vous le dis, Monsieur Price : Ce lieu n'a pas vocation à accueillir le public, et vous encore moins qu'un autre.

– Je peux savoir ce que vous me reprochez, exactement ?

– Vous me privez d'un assistant qui… »

Drago ne laissa pas la dispute s'envenimer : dès qu'il le put, il saisit le bras de l'architecte pour le traîner hors de l'infirmerie. Au début, Kieran Price se laissa faire, mais il se libéra d'un mouvement d'épaules une fois dans le couloir. Drago prit, sans vraiment y réfléchir, la direction de la petite salle de torture dans laquelle ils se voyaient quand leur relation n'en était encore qu'à ses balbutiements.

« Tu m'enlèveras pas de la tête qu'il est rudement jaloux pour un type avec qui t'es pas censé avoir couché. »

Drago soupira un peu trop vocalement et s'attira ainsi un regard courroucé.

« Nguyen est simplement un bon Potioniste. Il est sans cesse dérangé par les visites médicales et…

– Et je te demandais pas de le défendre ou de te mettre de son côté, en fait. »

Drago étouffa le nouveau soupir à se présenter.

« Arrête simplement de venir à l'infirmerie sans raison.

– Et pourquoi ça ne serait pas toi qui arrêterais de travailler là-bas ? »

Ils n'allèrent pas jusqu'à la salle de torture : Drago poussa une porte au hasard qui révéla l'une de ces vieilles geôles au sol et aux murs inclinés de 45 degrés pour rendre les prisonniers fous et il poussa Kieran Price à l'intérieur.

Nguyen n'était pas aussi coulant que Potter – par ailleurs, existait-il au monde une seule personne pour l'être ? – et il vint le voir à son bureau le jour même. L'homme ne s'éloignait pour ainsi dire jamais de son officine et le voir se déplacer pour remettre les choses au clair avait de quoi inquiéter Drago. Ne pouvant certifier que Kieran Price saurait se tenir à distance, il promit d'organiser son emploi du temps pour ne venir aider le Potioniste dans les moments où l'architecte serait occupé.

Il aurait tout aussi bien pu proposer de venir avec un éruptif et un marmot malade : l'infirmier se redressa de toute sa hauteur et toisa Drago avec le dédain qu'il aurait manifesté devant une fiente collée à la semelle de sa chaussure :

« Je le pensais, Monsieur Malfoy, quand je vous ai affirmé que je me passerais plus volontiers de votre présence que de votre nonchalance. Je préfère travailler seul que mal accompagné, et si vous êtes incapable de me présenter un programme régulier, je vous prierai d'imposer votre inconsistance à un autre que moi. »

Drago partageait trop de points communs avec l'infirmier pour ne pas comprendre et adhérer à son point de vue. Il ne chercha pas plus à se défendre. Il aurait baissé le nez s'il avait eu moins de respect pour l'homme, mais, les yeux dans les yeux, il admit ses torts :

« Je suis désolé de vous mettre dans l'embarras en échouant à gérer une situation que j'ai moi-même provoqué. Si vous acceptez de m'offrir une nouvelle chance, je vous promets que je n'en réclamerai pas d'autre. »

Nguyen lui adressa un hochement de tête sévère et lui montra un index solitaire avant de quitter la pièce. Drago entendit les exclamations surprises que l'infirmier provoqua dans le couloir et il se leva pour aller activer le clepsydre signalant qu'il était occupé et refermer la porte avec douceur.

Plus le temps passait, et plus il regrettait d'avoir accordé du temps et de l'attention à Kieran Price. Le plaisir à flirter et à se sentir désiré valait largement moins que le confort et le calme du laboratoire, et à peine plus que les dîners avec Potter. Évidemment, il était trop tôt pour tirer un trait définitif sur cette relation – sans compter que le faire aurait accordé un point à un adversaire qui menait déjà bien trop le score – mais Drago commençait à y penser. En fait, il avait même vérifié, dès qu'il était arrivé dans son bureau, combien de temps encore l'homme devait encore passer sur l'île et s'était vaguement demandé si, s'il décidait de mettre un terme à cette histoire, il serait plus intéressant d'attendre la date fatidique ou d'accélérer les choses.

Il s'était posé la question juste par acquis de conscience, bien sûr. Pour ne pas être pris au dépourvu.