Bonjour à toutes et à tous !

La rédaction de l'Acte 3 se poursuit tranquillement, j'en suis contente. En revanche, j'avais oublié à quel point il y avait de la baston, presque tous les deux chapitres quasiment !

Aujourd'hui, une scène que j'ai particulièrement aimé écrire. Curieuse de votre retour !

Réponse aux reviews :

Cassye : Merci beaucoup pour ta review ! Oui, je trouve que toute l'histoire avec Orphéys et l'Empereur nous tombent un peu dessus, c'est pourquoi je me suis permise quelques modifications. Mais ça, c'est notamment quelque chose que nous aurons l'occasion de voir au chapitre suivant ! J'espère que tu aimeras cette rencontre avec Araj !

Recommandation musicale : Baldur's Gate 3 OST - Wash My Pain Away pour la fin de chapitre, réalisée par Borislav Slavov.

Je vous souhaite une excellente lecture !


Chapitre 23 :

Renaissance

Nymuë avait toujours considéré Lae'zel comme une force de la nature, impossible à intimider. Alors qu'elle s'était retrouvée perdue au sein d'un monde étranger, loin de son peuple et infectée par un parasite illithid, la guerrière était restée un pilier inébranlable de leur équipe. Sur le front, comme en dehors, elle s'imposait en dominante. Pourtant, la simple mention de cet ancien prince - Orphéys - avait suffi à la dépouiller de tout son sang-froid. Elle allait et venait dans le bureau de Balthazar, incapable de maîtriser ses soubresauts de colère.

"C'est une hérésie ! éructa-t-elle. Un affront envers Vlaakith elle-même !

- Calmez-vous, Lae'zel, et respirez, intima Ombrecoeur. Que raconte cette tablette exactement ?"

La githyanki observa ses alliés, les pupilles dilatées. Le nom d'Orphéys ne leur évoquait rien, pas plus que l'allusion à une rébellion gith. Pendant des siècles, ce peuple avait été asservi par les illithids, jusqu'au jour où leur première souveraine - dont ils tiraient leur nom - les avait libérés. A sa disparition, la toute première Vlaakith l'avait remplacée ; et toutes les reines depuis lors se nommaient ainsi. Mais aucun des rares traités existant sur les githyankis n'avait jamais cité l'existence d'un prince.

"On raconte qu'à la mort de Gith, la toute puissante Mère, le kith'rak jhe'stil Voss transperça son fils de part en part à l'aide de son épée d'argent. Orphéys, le Prince de la Comète, fut ensuite démembré et jeté en pâture à Ephelomon, son grand dragon rouge. Voilà notre histoire, telle qu'elle fut vécue et enseignée. Le commandant Voss est encore aujourd'hui un des plus fidèles guerriers de Vlaakith.

- Comment notre artefact pourrait-il avoir un lien avec tout ça ?" s'enquit Astarion.

Ce que Lae'zel avait lu devait lui être extrêmement douloureux, car il lui fallut plusieurs inspirations avant de répondre :

"Le prisme astral serait le garant d'une prophétie murmurée par certains hshar'lak, des traîtres s'opposant au règne de Vlaakith.

Le Prince de la Comète n'est pas mort.

Le Prince de la Comète nous reviendra.

Le Prince de la Comète nous délivrera.
Et ce sera la fin de la tyrannie de Vlaakith.

C'est un tissu de mensonges. De la propagande visant à duper les esprits crédules !

- Pourquoi Orphéys fut-il éliminé par les vôtres ? interrogea Nymuë. En tant que descendant de la reine Gith, n'aurait-il pas dû hériter du trône ?

- Il n'en était pas digne ! rugit la guerrière. Sa puissance n'avait aucun égal ; il était capable de mettre un millier de githyankis à genoux d'un simple mot. Il y a bien longtemps, afin de nous délivrer de nos oppresseurs ghaik, notre Mère Gith a forgé une alliance avec l'archidiablesse Tiamat dans les Enfers. C'est elle qui nous a fait don de nos dragons rouges ; Gith est restée aux Enfers, et l'émissaire de Tiamat a proclamé en son nom que Vlaakith serait notre prochaine souveraine.

- Ce qui n'a pas plu à son fils." devina Astarion.

Lae'zel approuva d'un hochement de tête :

"A la tête de sa garde d'honneur, il a tenté un coup d'Etat contre Vlaakith, première du nom. Les varsh nous enseignent que le kith'rak Voss le vainquit ensuite au terme d'une terrible bataille. Orphéys était connu pour son incroyable force psionique, si puissante qu'elle laissait une traînée visible dans le ciel lorsqu'il chevauchait son dragon, d'où son surnom. Mais le Prince de la Comète était aussi fasciné par les pouvoirs des ghaik, et cette avidité manqua de mener mon peuple à sa fin.

- Pensez-vous que l'artefact contiendrait… un fragment du don d'Orphéys ? s'exclama Ombrecoeur.

- Cela, ou alors il s'agit d'une arme, conçue par le prince au moment de sa révolte…

- N'allons pas trop vite en conclusions, tempéra Nymuë. Vous semblez oublier qu'une entité vit à l'intérieur du prisme : notre fameux visiteur nocturne. A ce jour, il n'a nullement exprimé son désir de mener une mutinerie githyanki.

- Cet ange gardien ne se montre pas à nous sous sa véritable forme, rétorqua Astarion. Il adopte différentes apparences, selon son interlocuteur.

- Et il nous encourage grandement à utiliser notre larve…", poursuivit la prêtresse.

Les compagnons s'adressèrent un regard lourd de sous-entendus :

"Quelles que soient ses intentions, reprit la musicienne, nous n'avons pas d'autres choix que de faire avec. Si le prisme astral contient ne serait-ce qu'une parcelle des capacités d'Orphéys, cela peut expliquer pourquoi il nous protège de l'influence de nos parasites… Et pourquoi l'Absolue le recherche à tout prix. Imaginez un peu, s'il pouvait multiplier la puissance des vers illithids ?

- Le Grand Dessein, murmura Lae'zel. La fin du libre arbitre, sur ce Plan comme dans tous les autres. Le règne illithid parfait.

- Si votre peuple nous trouve, peut-être pourrons-nous convenir d'une solution. Après tout, les vôtres ont déjà vaincu les flagelleurs mentaux ! En attendant, nous ne pouvons permettre aux cultistes de trouver cet artefact."

Les aventuriers acquiescèrent, les traits creusés : il aurait été appréciable, pour une fois, d'obtenir des réponses simples… Mais à nouveau, leurs découvertes ne faisaient qu'augmenter leurs interrogations.

Ainsi que le nombre de menaces auxquelles ils avaient affaire.


De retour au rez-de-chaussée, leur lanterne lunaire soigneusement brandie afin de justifier leur excursion, les compagnons décidèrent de se rendre aux dortoirs. La majorité des salles était pleine à craquer, mais leur statut d'âmes éveillées leur permit de négocier un espace isolé, assez large pour monter leurs tentes. Une véritable aubaine… si on excluait l'odeur épouvantable qui y régnait en maître.

"Qu'est-ce que c'est que cette horreur ? s'écria Ombrecoeur. On dirait du métal fondu, que l'on aurait mélangé avec des intestins…

- Du sang, les informa Astarion. Sérieusement avarié, si je puis me permettre."

Les aventuriers déambulèrent dans les pièces adjacentes, afin de découvrir la source de la puanteur. Le débarras qui jouxtait leur lieu de repos était éclairé par quelques bougies, et servait majoritairement de zone de stockage. Toutefois, un grand bureau avait été calé devant une ancienne cheminée. Penchée par-dessus des alambics aux formes variées, se tenait une elfe noire ; les arômes putrides provenaient de ses concoctions.

Au son de leurs pas, elle se tourna vers eux. Elle ne paraissait nullement déboussolée d'être interrompue en plein travail, et prit au contraire une expression cordiale :

"Araj Oblodra, se présenta-t-elle, marchande de sang et spécialiste des arts qui s'y rapportent. C'est un plaisir de faire votre connaissance, âmes éveillées… En particulier, celle de votre acolyte au teint pâle."

Nymuë observa Astarion, s'attendant à le voir se pavaner, lui qui appréciait si bien que l'on vante son physique…. Cependant, son compagnon recula d'un pas. Le regard prononcé d'Araj, plutôt que de le ravir, semblait le mettre sur la défensive.

"Je serai ravie de vous proposer mes services, poursuivit la drow.

- Qui consistent ?

- Le sang est mon fonds de commerce, de même que les potions que l'on peut en tirer. Je me ferai un plaisir de vous en concocter une, pour peu que vous consentiez à me donner un échantillon de votre fluide de vie. Avec une goutte, je vous préparerai une puissante potion ; quant au reste, je le garderai pour moi.

- De quels types de recherche parlons-nous exactement ? interrogea la prêtresse.

- Oh ! Quelques expériences, par-ci, par-là. Tout ce qui a trait au sang a toujours eu le don d'attiser ma curiosité. Les effets de ma potion seront uniques, je vous le garantis : un mélange de votre sang et de la bénédiction de l'Absolue, parfaitement entremêlés.

- C'est fort aimable, répondit poliment Nymuë, mais je crains de ne pas être intéressée."

Si la potion en question avait la même odeur que les autres préparations de l'alchimiste, la jeune femme passait volontiers son chemin. Les aventuriers allaient devoir prendre sur eux pour cette nuit…

Alors qu'elle s'apprêtait à prendre congé, Nymuë remarqua un pendentif sur l'armure de sa congénère : le motif représentait une veuve noire, une goutte de sang remplaçant la marque rouge sur son corps velu.

"Votre blason… murmura la musicienne. La Maison Oblodra viendrait-elle de Menzoberranzan ?"

La marchande de sang parut plus curieuse que surprise ; Nymuë se félicita d'avoir dissimulé son collier sous son pourpoint.

"La famille Oblodra a été détruite il y a un siècle, expliqua posément Araj. Fort heureusement, j'étais en voyage lorsque cela s'est produit. Mes cousins aimaient se vanter du fantastique point de vue qu'ils avaient sur le Gouffre de la Griffe. Aujourd'hui, leurs ossements en ornent le fond.

- Connaîtriez-vous, par hasard… la Maison Asenred ?" osa demander la jeune femme.

Son interlocutrice écarquilla légèrement les yeux, son intérêt renouvelé. Elle esquissa un sourire suave :

"Oh, mais tous les elfes noirs ont entendu parler de l'ancienne Quatrième Maison… sa chute, en particulier. Néanmoins, ne gâchons pas notre conversation avec de la politique drow, voulez-vous ? Il y a tellement d'autres choses dont nous pourrions discuter… votre ami, par exemple."

Araj se tourna à nouveau vers Astarion pour l'étudier de haut en bas. Son rictus se fit gourmand :

"C'est un vampire, non ? Ou du moins, un de leurs rejetons."

Les compagnons tiquèrent : il était vrai que les yeux rouges ainsi que le teint pâle de leur comparse étaient suspicieux - et peu discrets -, mais de là à deviner sa nature d'un simple coup d'œil ? Cette femme avait un remarquable sens de l'observation… ou alors, elle avait bien travaillé son sujet. Dissimulant son malaise, le principal intéressé fit preuve de cynisme :

"Vous n'avez rien à craindre, indiqua-t-il. Nous sommes tous liés devant l'Absolue. Je ne mordrai pas.

- J'espérais justement le contraire…", suggéra Araj d'une voix aguicheuse.

Cela fit perdre ses moyens au roublard, qui contempla la marchande de sang d'un air incrédule :

"J'ai bien entendu ? reprit-il. Vous voulez vous faire mordre ?

- Bien entendu, répondit Araj. J'en rêve depuis que je suis toute petite."

Elle ignora le vampire, et s'adressa cette fois-ci à Nymuë :

"Je présume qu'il vous appartient ?" interrogea-t-elle.

La stupéfaction rendit la musicienne muette l'espace de quelques secondes. Elle sentit le regard d'Astarion, et fut consternée de ne pas l'entendre réagir promptement. Sa réponse était-elle réellement nécessaire ? Alors qu'elle ouvrait la bouche pour le rabrouer, elle comprit. Bien sûr. A quel moment, exactement, le vampire avait-il eu l'occasion de se revendiquer en tant qu'individu ? Prisonnier d'un maître dont le moindre mot avait l'ascendant sur ses faits et gestes ; constamment affamé, sa vision teintée de rouge ; soumis à la torture.

Elle pouvait tout aussi bien s'être transformée en glace. Ses yeux se plissèrent en rencontrant ceux d'Araj :

"Il est son propre maître, rétorqua-t-elle durement.

- Oh, je suis sûre que c'est ce qu'il s'imagine, rit sa congénère. Comme c'est adorable."

Levant la tête vers le roublard, elle lança impérieusement :

"Vous avez un nom, rejeton ?

- Astarion, répondit-il mécaniquement. Mais pas si vite !

- Bien, Astarion, coupa la marchande de sang. Je souhaite ardemment sentir ma force vitale déserter mon corps… Danser sur le fil ténu qui sépare la vie et la mort. Je suis prête à vous offrir gracieusement quelque chose en retour, consoeur : une potion au pouvoir légendaire, capable d'augmenter votre force de manière considérable… Elle n'est pas à vendre, mais je vous la cède volontiers si votre jouet accepte de me mordre.

- Je crains de devoir refuser, répliqua froidement le vampire.

- Vous êtes sérieux ? s'exclama Araj, offensée. C'est l'occasion d'une vie, et vous seriez prêt à passer à côté ?

- Ma réponse est ferme et définitive !" rugit-il.

La drow prit de nouveau Nymuë à témoin, faisant fi de l'objection de son camarade :

"Faites donc entendre raison à votre laquais obstiné !", ordonna-t-elle.

La musicienne la dévisagea calmement. Si Araj souhaitait valser entre la vie et la mort, elle serait ravie de lui offrir une danse de sa propre invention ; cette femme n'était rien d'autre qu'une énième Dame Séri, après tout. Une créature usant et abusant d'autrui, encore et encore. Oh, il serait simple de lui faire goûter à sa propre médecine ; à eux quatre, ils pourraient lui faire regretter son comportement abject.

Mais non. En termes de compagnons, Astarion méritait mieux.

"Il vous a répondu, me semble-t-il ? siffla-t-elle. Il n'y a pas matière à discuter.

- Décevant. Et si j'augmentais mon offre ? Persuadez votre ami ici présent, et… je vous révélerai tout ce que je sais sur la Maison Asenred."

Le cœur de la jeune femme rata un battement. Derrière elle, Ombrecoeur et Lae'zel retinrent un juron. La tempête à l'intérieur de Nymuë gronda.

"Songez-y, continua Araj. Les témoins des événements sont soit tenus au secret par Lolth, soit morts. Vous ne trouverez pas d'autres âmes plus charitables que moi…"

Les mâchoires de la musicienne se crispèrent alors que, instinctivement, elle se tournait vers Astarion. Elle s'attendait à lire de la colère sur son visage ; de l'angoisse, peut-être.

Mais il avait simplement l'air las. Ses yeux étaient deux fenêtres vides, le dissimulant du reste du monde. Elle l'avait déjà vu avec cette expression, la nuit où ils s'étaient rejoints dans la forêt. A ce moment-là, elle avait eu l'impression de toucher un automate, une marionnette suspendue par un fil. Elle avait dû le pousser de toutes ses forces pour le ramener parmi les vivants.

Astarion sourit, de ce faux rictus qu'elle l'avait vu emprunter tant de fois. Son langage corporel adoptait une attitude enjôleuse tandis qu'il pivotait vers Araj, son aisance trahissant une longue, éreintante pratique. Il avait déjà fait ça avant, compris Nymuë : prendre sur lui-même, se replier profondément dans son esprit. Il se distançait des événements extérieurs, opérait une anesthésie complète du mental sur le corps. S'il se laissait suffisamment submerger, peut-être pourrait-il prétendre que tout ceci arrivait à quelqu'un d'autre ? Jusqu'à quelle profondeur s'était-il laissé couler ?

Le roublard ouvrit la bouche, sur le point d'accepter :

"Mon compagnon a exprimé son refus, reprit soudainement la musicienne. Offre ou non, vous avez eu votre réponse. Et cessez de vouloir me faire parler en son nom : Astarion dispose de son libre-arbitre."

Sans un mot de congé pour sa consoeur, l'elfe noire fit volte-face. Ses camarades prirent rapidement sa suite. Elle pouvait entendre les exclamations outrées d'Araj, tandis qu'ils retournaient près de l'espace leur ayant été alloué pour la nuit. Cela l'indifférait ; présentement, elle veillait surtout à éviter le regard d'Astarion, de crainte qu'il n'y lise toute la rage qu'elle essayait de contenir.

Nymuë prit sa tente, et jeta son dévolu sur une zone en hauteur, là où la charpente s'était à moitié effondrée ; tournant le dos au reste du groupe, elle attrapa son paquetage et partit.


"Avez-vous l'intention de vous cacher toute la nuit ?" demanda une voix dans son dos.

La musicienne jeta un œil par-dessus son épaule : Astarion avait grimpé jusqu'à son perchoir, aussi silencieux qu'à l'accoutumée. Bien entendu. Mentalement, elle remercia sa vision nocturne sans laquelle elle aurait été incapable de le repérer. Il n'y avait nulle torche dans cette partie de Hautelune, et leurs deux autres compagnes avaient éteint leurs bougies depuis longtemps.

"Je ne me cache pas, grogna-t-elle.

- Évidemment, répliqua le vampire. Ce n'est pas votre genre."

Nymuë s'assit sur sa couchette, lui faisant face :

"Qu'est-ce que voulez exactement, Astarion ?", soupira-t-elle.

Il parut hésiter ; la pâle lueur de la Lune - seule source d'éclairage à leur disposition - lui révéla ses traits tirés, mal assurés. Malgré son approche quelque peu acerbe, le roublard paraissait presque… déboussolé.

"Je… je voulais vous remercier.", lança-t-il maladroitement.

L'elfe noire le contempla avec des yeux ronds, la bouche entrouverte :

"Pourquoi donc ? s'enquit-elle, éberluée.

- Pour ce que vous avez dit, face à cette vile drow… Sans offense, bien sûr."

Elle balaya l'insulte d'un revers de la main, trop confuse pour y prêter attention :

"Vous n'êtes pas fâché, donc ? questionna-t-elle.

- Fâché ? Pendant deux cents ans, mon corps a servi à appâter des proies attrayantes, que je ramenais ensuite pour… pour lui. Ce que je voulais, ce que cela me faisait ressentir, ça n'a jamais compté. Vous auriez pu me demander de faire de même : de m'offrir à elle, au diable ce que je désirais. Mais vous ne l'avez pas fait et… je vous en suis reconnaissant."

Nymuë se leva, les jambes tremblantes. Les yeux d'Astarion trahissaient un désarroi aussi grand que le sien. Comme s'il s'attendait à la voir faire machine arrière ; ou, pire encore, à ce qu'elle le ramène auprès d'Araj, afin de corriger sa précédente impulsion.

La jeune femme posa une main sur une des poutres de la charpente : sa gorge la serrait, et elle peinait à trouver ses mots :

"Vous n'avez pas à agir contre votre volonté, peu importe la demande.

- C'est un nouveau concept, sourit-il avec embarras. Assez intimidant, je dois dire. Cela aurait été tellement facile de juste… faire ce qui m'était ordonné. Un bref moment de dégoût, le temps de me forcer à agir et ensuite… j'aurais juste vécu avec, comme je l'ai toujours fait.

- Mais cela aurait été mal, objecta l'elfe noire.

- Cela fait une éternité que je n'ai pas eu à prendre ces décisions pour moi-même : personne ne s'est jamais demandé si c'était "mal" auparavant. Et je ne comprends pas pourquoi vous, vous l'avez fait. N'était-ce pas votre unique chance d'en apprendre plus sur les membres de votre famille ?

- Parce que vous pensez que je les aurais choisis, eux, plutôt que vous ?"

Le roublard la contempla sans un mot, bouche-bée : bien sûr qu'il s'attendait à ce qu'elle valorise ses intérêts avant sa personne. C'est ce que tout le monde avait toujours fait. C'est ce qu'il aurait fait, si les rôles avaient été inversés.

"Avez-vous toujours été dégoûté par vos victimes ? poursuivit Nymuë.

- J'ai essayé de jeter mon dévolu sur des proies séduisantes quand je le pouvais, mais il y en a eu tellement… Au bout d'un moment, j'ai cessé de prêter attention. Toute ma vie, on m'a répété que ma raison d'être était de séduire autrui d'un battement de cœur."

La musicienne croisa son regard, sans oser formuler sa prochaine question. Si c'était vrai… qu'y avait-il donc à déduire sur cette nuit qu'ils avaient partagée ? Astarion parut deviner son trouble, car il détourna les yeux. Peut-être n'avait-il pas de réponse.

"Ce que je veux dire, reprit-il difficilement, c'est que leur nom comme leur visage se sont effacés au fil du temps. Je les ai considérés comme ils me considéraient. Une occupation éphémère ; une nécessité. Ils ne m'ont jamais regardé, moi, alors pourquoi me serais-je soucié d'eux ? Ce qu'ils voyaient, c'étaient les promesses d'une nuit en ma compagnie. Un instant d'oubli, de simulation, une escapade hors du temps, et rien d'autre.

- Ils ont loupé le meilleur de votre personne, alors."

Tellement de peur, derrière ses prunelles. De panique. Le mépris, la luxure, la violence, c'étaient des concepts qu'il comprenait et même maîtrisait. Astarion aurait su gérer la situation si la musicienne avait exigé de lui une compensation. Ou si elle s'était mise en colère. Peut-être même aurait-il été rassuré. Car sans ces repères, comment savoir quel comportement adopter ? Mais à la place, elle agissait avec gentillesse… considération. Pourquoi diable cela lui donnait-il envie de s'enfuir en courant ?

"Je ne sais pas… ce que vous attendez de moi, déclara-t-il enfin.

- Ce que j'attends de vous ? répéta-t-elle.

- Je dois bien payer ma dette envers vous, n'est-ce pas ? Vous récompenser, en passant une nouvelle nuit avec vous ? Ou bien alors, dois-je juste… vous laisser et prétendre que rien ne s'est passé ?

- De quoi avez-vous envie ? lui demanda calmement la jeune femme.

- D'aucun des deux." confessa le roublard, au bout d'un moment.

Nymuë sourit et s'assit sur sa couchette, lui laissant une place de libre :

"Aucun des deux, en ce cas. Vous pouvez simplement rester ici. C'est à vous de voir."

Astarion oscilla, avant de prudemment s'installer à ses côtés. Ses gestes étaient raides et nerveux. Au bout d'un moment, il se relaxa et laissa son épaule s'appuyer sur celle de sa camarade. Il resta longtemps éveillé, à contempler silencieusement les rayons de Lune à travers les murs branlants de la tour. Bien après que Nymuë se soit endormie, avachie sur son bras, il réfléchissait encore.

Jusqu'à aujourd'hui, il n'avait pas réalisé qu'il avait continué à se considérer comme appartenant à Cazador. Tous ses instincts lui criaient que rien n'avait changé. Et ce qu'il commençait à comprendre, au sujet de l'elfe noire, était une complication qu'il n'avait pas prévue... Une part de lui ne pouvait s'empêcher de s'y cramponner, pourtant. Serait-ce possible qu'il puisse être plus qu'un outil, destiné à être utilisé ?

Cela réveillait quelque chose en lui ; quelque chose qu'Astarion pensait mort. Ce soir était peut-être bien celui où commençait réellement sa liberté.


Notes de fin :

Et voici pour la rencontre avec Araj. J'espère que vous avez aimé, j'ai vraiment adoré écrire ce passage. Et non, pas de scène de confession entre nos personnages, pas tout de suite en tout cas... Je pense qu'il leur faut encore un peu de temps, mais ne vous inquiétez pas : cela approche.

La semaine prochaine s'annonce un poil compliqué. A la suite de tristes évènements dans la famille de mon conjoint, ma disponibilité va être limitée. J'essayerai de poster le chapitre dimanche comme d'habitude, mais cela risque d'être plutôt dimanche soir. Autrement, il arrivera lundi avec un peu de retard.

Je ferai au mieux. Je vous remercie pour votre lecture et vous souhaite une excellente semaine !