Chapitre 23 : L'allée des Embrumes
Deux semaines après l'incident, les habitudes avaient repris leur cours. Les élèves sortaient des cours épuisés, croulaient sous les devoirs, le professeur Rogue distribuait des retenues et des envolées de points à la pelle. Bref, tout était revenu à la normale. On ne parlait plus vraiment de la première épreuve du tournoi, épreuve qui en avait d'ailleurs traumatisé plus d'un. Toute l'attention était focalisée sur la deuxième partie de la compétition, encore inconnue de tous.
Harry Potter avait regagné la cordialité et l'admiration de ses amis et des élèves du château, exceptés bien entendu des serpentards, fidèles à eux-mêmes. Il continuait de voir June de temps en temps mais de moins en moins, la jeune sorcière étant souvent accompagnée de ses amis ou toujours pressée, marchant d'un pas rapide pour aller on ne sait où dans le château. Il n'avait pas vraiment eu l'occasion de s'en attrister car ses amis l'entouraient à présent et son sentiment de solitude s'était progressivement estompé.
June Revali était effectivement de moins en moins présente dans les couloirs, des cernes commençaient à se voir sous ses yeux et elle avait perdu des couleurs. Les professeurs parlaient assez fréquemment de l'altération de son état général en salle des professeurs. La plupart d'entre eux pensaient que c'était dû à son altercation avec le dragon et qu'elle devait ressasser l'histoire, étant passée à deux doigts d'une mort certaine sans l'intervention providentielle du professeur Rogue. Celui-ci fut d'ailleurs chaudement félicité de sa réactivité. Mais lui n'était pas intimement persuadé d'avoir fait du bien à l'humanité en sauvant la demoiselle.
Il la voyait de temps en temps dans les couloirs et rarement à la table des serpentards, où elle ne venait pratiquement plus manger avec ses camarades. Le potionniste avait bien entendu remarqué lui aussi que son état s'était dégradé, mais c'était, il fallait l'avouer, le cadet de ses soucis. De plus, quand les autres ne voyaient que les cernes et la fatigue de la sorcière, lui voyait un œil bien vif d'une jeune femme en pleine réflexion.
Non, miss Revali n'était pas malade ou traumatisée selon lui. Elle était en plein milieu d'une tâche, inconnue de tous, qui devait lui prendre tout son temps et son énergie. Et Rogue n'aimait pas cela.
Effectivement, le sombre sorcier ne s'était pas trompé d'un iota. June était bien au beau milieu de travaux difficiles concernant la préparation du polynectar. C'était la phase finale, autrement dit la plus complexe. Celle qui demandait d'être jour et nuit en face de son chaudron, ajoutant, mélangeant et abaissant ou augmentant le feu toutes les trois minutes.
Pour pouvoir tenir, s'alimenter ainsi que se reposer, June avait dû mettre au point des sortilèges pour enchanter ses ustensiles afin qu'ils fassent les manœuvres requises pendant ses absences qu'elle rarifiait d'ailleurs au maximum.
Un beau jour, en arrivant dans ses quartiers privatifs, elle remua d'un mouvement de cuillère en argent la mixture et eut un grand sourire.
Enfin ! La potion était fin prête ! Elle la mit dans plusieurs petites bouteilles. Voyant qu'il en restait trop peu pour en remplir une dernière, elle opta pour deux petits flacons contenant environ deux doses de polynectar. Elle ne désirait, en effet, pas en perdre une seule goutte. Ce mélange était beaucoup trop précieux et long à préparer pour en jeter même une infime partie. De plus, on n'avait jamais assez de polynectar, potion utilisée dans beaucoup de situations plus ou moins périlleuses.
A présent satisfaite, sa préparation terminée, les bouteilles remplies, elle s'assit dans un soupir de soulagement dans un fauteuil et alluma une cigarette pour fêter l'évènement. Elle glissa à nouveau son regard sur sa réserve de tabac.
Je dois vraiment penser à en recommander à Agatha… Je vais finir par me retrouver sans rien et il est parfaitement hors de question que je fume le tabac infect de Grande-Bretagne !
Elle s'allongea progressivement sur son canapé, attardant son regard sur ses instruments qu'elle n'avait pas touché depuis plusieurs semaines. Elle soupira. Le rythme qu'elle avait tenu pendant ces derniers jours était vraiment devenu insoutenable. Elle ne savait même pas comment elle arrivait à ne pas cumuler de retard dans ses devoirs, toujours aussi excellents au demeurant.
Elle avait également fait faux bonds à plusieurs entraînements de Quidditch, entrainant la colère de son capitaine, qui ne la voyait pas très investie dans la réussite de son équipe.
Non, il fallait vraiment que cette période cesse enfin. Elle réfléchit en fermant progressivement les yeux à quand elle allait mener sa petite sortie dans l'Allée des Embrumes, et, alors qu'elle sentait le sommeil l'envahir et son corps s'engourdir doucement, elle décida qu'elle se laisserait trois jours de repos avant d'agir, ce qui tomberait parfaitement avec la sortie à Pré-au-Lard, prévue le samedi qui arrivait.
Elle finit par tomber dans un profond sommeil réparateur.
Samedi arriva rapidement et la sortie à Pré-au-Lard fut organisée comme June l'avait prévu. Elle prit dans une poche de sa cape un petit flacon de Polynectar dans lequel elle ajouta un des cheveux prélevés sur Gregory Goyle deux semaines auparavant, qu'elle avait précautionneusement conservé dans un tissu.
Elle fit plusieurs boutiques avec ses amis, acheta plusieurs ingrédients plutôt utiles. Vers la fin de l'après-midi, ses amis voulurent aller prendre une bière-au-beurre aux Trois Balais. June les laissa y aller, prétextant devoir acheter un cadeau d'anniversaire pour une amie de l'Institut Durmstrang.
Elle se mit en route dans la direction de l'allée des Embrumes et s'arrêta dans une petite ruelle déserte où elle sortit son flacon. Elle en but environ la moitié et attendit les effets caractéristiques de la potion.
Ses pieds se mirent en premier à changer d'apparence, prenant approximativement cinq pointures supplémentaires, ses cheveux se raccourcirent et le visage féminin de la jeune femme laissa sa place à des traits beaucoup plus durs. Elle prit également une vingtaine de centimètres de plus en taille et un tour de biceps également plus imposant. June sortit un miroir. Elle reconnut directement les yeux méchants et assez stupides de Goyle ainsi que sa mâchoire carrée. C'était absolument parfait.
Bien entendu la sorcière avait pensé à tout. Il ne fallait pas que le jeune homme soit vu à deux endroits différents au même moment. Elle avait donc opté pour une solution radicale, empoisonnant Gregory lors du petit déjeuner. Elle avait profité d'une bagarre entre deux étudiants de serpentard et gryffondor pour verser dans le thé du sorcier une potion laxative. Dans l'incapacité de quitter les toilettes des garçons, il avait dû annuler sa sortie à l'extérieur de Poudlard.
Évidemment, elle ne devait pas croiser non plus les connaissances du garçon qui risqueraient de compromettre son plan. Elle devait pour cela aller vite, trouver le manuel qu'elle recherchait, le payer et sortir le plus vite possible. Elle attendrait la dissipation des effets, cachée et désillusionnée dans la même ruelle. Les effets de la potion ne devraient durer qu'une demi-heure environ.
Elle sortit du passage et trouva rapidement l'Allée des Embrumes. Elle s'y enfonça directement d'un pas assuré. C'était un endroit qui faisait froid dans le dos, les passants avaient des regards franchement menaçants à son passage et June ne regretta pas d'avoir choisi l'apparence de Goyle. Sa forte carrure et sa grande taille dissuadait les affreux personnages de s'approcher trop près d'elle. Elle esquiva une demi-douzaine de prostituées qui lui proposèrent leurs services pour une bouchée de pain. Fort peu intéressée par ces offres juteuses, elle réussit à les contourner sans entrer en leur contact.
Un enfant essaya de lui faire les poches mais elle s'en aperçut immédiatement et donna une tape ferme et sèche sur cette petite main aventureuse. Le petit garçon partit en courant pour fuir la sorcière, et probablement pour tenter sa chance sur un autre passant. Elle trouva enfin une librairie dans l'allée. Un frisson d'excitation la parcourut. Elle allait sûrement trouver son bonheur dans cette « boutique ».
Elle entra, générant un affreux tintement de clochette, prévenant le vendeur de l'entrée d'un éventuel client ou potentiel voleur dans sa librairie.
Encore faudrait-il que les voleurs du coin sachent lire… se dit ironiquement June.
Elle salua sèchement le libraire d'un hochement de tête. Celui-ci lui sourit en une horrible grimace faisant voir des dents sales et même pourries pour certaines.
Ses yeux étaient très perçants et il regardait méchamment June, heureuse une fois de plus d'être dans le corps imposant de son camarade.
Elle s'avança dans la librairie et parcourut les rayons à la recherche de son bonheur. Elle trouva un certain nombre de grimoires aussi douteux que dangereux. Elle les feuilleta rapidement sans perdre de temps.
Elle mit alors la main, au bout de quelques minutes de recherche, sur un très vieux livre à la couverture poussiéreuse. Elle l'ouvrit et tomba sur le sommaire. Elle parcourut des yeux les différents sujets abordés et posa enfin le doigt sur ce qu'elle voulait à la section Incantations Obscures et Interdites. En arrivant audit chapitre, elle trouva un tas de sortilèges plus sombres les uns que les autres et tomba sur des rituels d'immortalité et de divisions de l'âme.
Parfait. Je dois maintenant payer et sortir d'ici rapidement. J'ai mis beaucoup trop de temps à trouver ce livre.
Alors qu'elle refermait le grimoire et qu'elle s'était approchée du comptoir pour payer, le carillon de la porte se fit entendre. D'un regard discret au-dessus de son épaule, elle vit que le nouvel arrivant était une femme aux cheveux bouclés. Elle ne voyait pas son visage mais ressentit, émanant d'elle, une aura dangereuse. La femme derrière elle s'impatientait pendant que June réglait rapidement son achat. La jeune serpentard sortit de la boutique pendant que la cliente s'adressait au vendeur. La voix de la sorcière fit frissonner June, toujours dans le corps de Goyle. C'était une voix cruelle et June ne doutait pas que son visage exprimait lui aussi des traits carnassiers. Au moment de refermer la porte elle entendit le libraire répondre à la femme.
-« L'exemplaire que vous recherchez vient d'être vendu à l'instant à ce sorcier qui vient de sortir, je suis navré, ce grimoire est extrêmement rare et unique, c'est le seul exemplaire que j'avais. »
La porte se referma dans un claquement métallique et June, qui s'éloignait de là très rapidement, le cœur battant à toute rompre, entendit nettement la femme grogner de rage. Elle tourna rapidement dans plusieurs ruelles avec la sensation que rester dans les parages n'était pas du tout une bonne idée. Elle n'entendit pas les cris de douleur qui se firent entendre de l'intérieur de la librairie. Elle ne vit pas non plus la sorcière du magasin sortir de la boutique et chercher des yeux le grand sorcier qui l'avait précédée.
June, sortit à toute vitesse de l'Allée des Embrumes et, essoufflée, elle arriva rapidement dans sa petite ruelle où elle se désillusionna rapidement. Il ne restait que quelques minutes avant qu'elle reprenne son apparence originelle. Le temps défila lentement du point de vue de la jeune femme et c'est au bout de minutes interminables que son corps reprit progressivement la corpulence et les traits de June.
Elle annula le sortilège de désillusion et se regarda dans son miroir de poche. Satisfaite de son reflet, elle se mit à emballer son précieux achat dans son écharpe aux couleurs de sa maison puis elle partit vers le quartier central de Pré-au-Lard, laissant derrière elle les ruelles sombres et angoissantes.
Elle entra dans la taverne, espérant pouvoir y retrouver ses amis. Elle les vit dans un coin, en train de bavarder joyeusement. Elle les rejoignit en plaquant un grand sourire sur son visage, qu'elle voulait détendu.
-« Alors June, qu'as-tu trouvé de si intéressant ? » demanda Edgar en glissant son regard sur l'objet encore emballé dans l'écharpe de la jeune femme.
La jeune lui fit un clin d'œil énigmatique et, sans répondre commanda à Madame Rosmerta une bière-au-beurre qu'elle bût avec délectation tout en discutant de tout et de rien avec ses amis, oubliant sa précédente et angoissante situation.
Elle vit du coin de l'œil la table de Drago Malfoy, assis avec ses amis, Vincent Crabbe et Parsy Parkinson, en train d'avoir une énième discussion houleuse en rapport avec le statut du sang. Ils parlaient suffisamment fort pour être certains que leur discussion soit parfaitement entendue par leur Némésis, le trio d'or.
June tourna son regard vers la table des Rouges et Or et vit Hermione Granger au bord des larmes devant la cruelle insulte de « sang de bourbe ». Ron Weasley avait passé un bras réconfortant autour de ses épaules tandis que Harry Potter envoyait des regards furieux aux serpentards.
La sorcière aux yeux bicolores sourit. Cette petite guerre ne finirait jamais. Elle ne prenait jamais part aux insultes de ses collègues ou aux discussions sur le statut du sang. Contrairement à ses parents, elle n'était pas persuadée que naître sorcier dans une famille de moldus était une erreur de la nature. En effet, de nombreuses familles dites de "sang pur" avaient en réalité un certain nombre d'ancêtres cracmols ou même moldus. De plus, beaucoup de "Sangs de Bourbe" dans l'histoire étaient devenus de grands sorciers puissants et influents qui avaient fait de grandes et belles choses pour le monde sorcier.
De nombreuses études avaient bien tenté de montrer la différence moléculaire entre le sang d'un sang pur et celui d'un né moldu, cependant, les chercheurs avaient bien dû se rendre à l'évidence qu'ils ne trouvaient aucune différence entre les deux, à la déception d'une grande proportion des sorciers de ce monde.
Beaucoup de serpentards ne savaient pas vraiment quel était l'avis de June à ce sujet car elle n'en parlait jamais. En réalité, cela ne l'intéressait pas, et, à son humble avis, la plupart des lignées pures devraient se méfier des sorciers ou sorcières nés moldus tels qu'Hermione Granger par exemple, bien plus douée et puissante qu'eux.
C'est sûrement mon côté Gryffondor qui doit être en train de s'exprimer en ce moment présent.
Elle ricana à l'idée de devenir une gryffondor sentimentale. Non décidément la maison verte et argent lui convenait comme un gant. Elle prit une gorgée de sa bière et laissa, sans intervenir, les discussions puériles continuer.
