Chapitre 32 : Mesures drastiques

Ce n'est pas une mais bien deux personnes qui entrèrent dans la pièce où régnait un silence de mort. Il s'agissait du professeur Flitwick et du professeur McGonagall, toujours assortie de son grand chapeau pointu en velours vert sapin.

Les deux professeurs se stoppèrent d'un coup quand ils virent que rien ne se passait plus dans cette pièce, l'urgence écartée depuis plusieurs minutes déjà. Seuls restaient June et le professeur Rogue, le corps tendu et tournés de trois quarts vers eux dans un levé de sourcil identique. La situation aurait pu être comique si elle n'était pas aussi grave.

-« Que se passe-t-il Severus ? Nous avons croisé professeur Maugrey en direction de l'infirmerie dans le couloir avec un Mr Londubat complètement déboussolé. Il nous a demandé d'alerter Albus et nous a simplement dit que « quelque chose » s'était passé dans la salle des duels. » Commença la vieille femme d'un air inquiet ressentant une certaine électricité dans l'air.

-« Il se passe, Minerva, que notre jeune Londubat s'est fait ensorceler par un sortilège de l'imperium et qu'il a méchamment attaqué Miss Revali ici présente pendant leur duel. Celle-ci a réussi à le neutraliser avant que nous ne puissions agir. Persuadée que c'était Igor Karkaroff le responsable, Miss Revali a tenté de lui faire subir ses foudres. J'ai pu heureusement intervenir juste à temps. » Lui répondit le professeur Rogue d'une voix neutre.

Les professeurs fraîchement arrivés passèrent des regards médusés sur les deux autres sorciers.

-« Vous… Vous plaisantez Severus ! Pourquoi par Merlin, Igor ferait-il une chose pareille ? Allez-vous bien Miss Revali ? Et comment va monsieur Londubat ? »

A sa première question, June comprit que l'incident de début d'année entre Karkaroff et elle était resté à la discrétion de Dumbledore et de Rogue seulement. Elle acquiesça pour lui signifier qu'elle allait bien.

-« Je l'ignore Minerva, » mentit-il, « il va falloir que nous nous entretenions avec Albus le plus rapidement possible. Quant-à Mr Londubat il n'a pas été blessé. »

Minerva hocha la tête, rassurée.

-« Albus s'est malheureusement absenté aujourd'hui Severus, il avait une audience importante au ministère si je me rappelle bien. » répondit la directrice adjointe.

-« Toujours absent quand on a véritablement besoin de lui… » Grommela le maître des potions en roulant des yeux.

Le professeur Flitwick jaugeait du regard la jeune serpentard, essayant de comprendre ce qui avait bien pu se passer dans sa tête pour penser qu'un aussi « illustre » invité puisse être responsable de cela. June soutint son regard sans ciller avant de tourner sa tête dans la direction de la professeur de métamorphose. Celle-ci aussi regardait June d'un air soucieux. Mais la jeune femme savait qu'elle avait été dans son droit de faire ce qu'elle avait fait car elle était certaine de ce qu'elle avait vu. De plus, il n'y avait qu'une seule personne dans cette école qui lui en voulait assez pour désirer qu'elle meure ou bien qu'elle tue un autre élève. Cela aurait été en effet assez pratique que la jeune femme, majeure au demeurant, soit envoyée à Azkaban pour un long moment voire pour toujours.

Elle fut coupée dans ses sombres réflexions par un bras qui vint l'empoigner pour la sortir de la pièce. L'intensité de la poigne de pouvait appartenir qu'à l'homme en noir. Il la mena dans tous les couloirs du château, la tirant derrière lui comme un sac de graviers. June ne se débattait même pas. C'était parfaitement inutile. La magie ne crépitait plus en elle et l'homme était bien trop fort. Elle détestait se sentir aussi vulnérable.

Ils arrivèrent devant le bureau directorial qui avait encore changé de mot de passe, optant pour une « meringue au citron ». Ils grimpèrent les marches quatre à quatre et June se retrouva bientôt les fesses vissées sur un fauteuil, en face du bureau directorial, alors inoccupé.

Quelques instants après, le professeur McGonagall et Flitwick débouchèrent, essoufflés d'avoir suivi leur hâtif collègue.

Tous prirent place autour du bureau, excepté le potionniste qui resta à faire les cent pas dans le bureau, au grand dam de Minerva qui commença rapidement à être exaspérée de son manège.

-« Severus, du calme je te prie. Albus ne devrait pas tarder. Il avait rendez-vous en début d'après-midi… »

Le sombre homme se stoppa près de la cheminée où crépitait un bon feu. Il se mit alors à taper nerveusement du pied, faisant soupirer la vieille femme.

C'est au bout de plusieurs minutes et dans cette ambiance faite de silences, seulement interrompus par les bruits de la semelle du potionniste contre le sol en pierre et les crépitements des bûches dans l'âtre, qu'arriva le directeur, habillé dans une robe bleu-ciel.

-« Eh bien ! Quel comité d'accueil dites-moi ! » Dit-il en plaisantant en entrant dans la pièce. « Je ne vois en revanche ni guirlandes ni confett… »

Il fut interrompu dans sa joyeuse tirade par son espion, pas d'humeur à entendre les blagues de son mentor.

-« Albus, je ne crois pas que ce soit le moment de plaisanter. »

Le vieil homme balaya alors de son regard acier l'ensemble des figurants installés dans son bureau. De là où il était, il remarqua en premier lieu sa chère Minerva, Filius et son maître des potions. Mais en étant plus attentif, une quatrième personne était assise dans un fauteuil, dos à lui. Il reconnut alors les épaules et le maintien de tête de la nouvelle recrue de Poudlard. Il fronça imperceptiblement les sourcils. Il ne fallait, en effet, pas être devin pour comprendre que quelque chose de grave s'était encore produit.

Le vieil homme s'avança dans la pièce, contourna son bureau, et dans un soupir, se laissa choir dans son fauteuil, non sans un craquement sinistre d'articulations.

-« Bien mes enfants, si vous me racontiez ce qui vous tracasse ? » Commença-t-il de sa voix calme.

Rogue leva les yeux au ciel devant le surnom employé par son mentor puis lui raconta toute l'histoire en n'omettant aucun détail. Ses interlocuteurs l'écoutaient attentivement. June, elle, avait les yeux rivés sur un étrange objet, posé sur le bureau, perdue dans ses réflexions, connaissant déjà l'histoire.

Elle releva la tête quand sa professeur de métamorphose se mit à parler.

-« Mais enfin, comme je l'ai dit tout à l'heure, pourquoi, par les bijoux de famille de Merlin, notre cher Igor ferait-il cela ? »

Le vieux mage se garda bien de faire une réflexion sur la vulgarité nouvelle de la vieille écossaise et regarda alors son espion dans les yeux et celui-ci hocha la tête. Il posa ensuite ses yeux bleus sur June qui acquiesça en silence.

-« Bien… Minerva, Filius. » débuta-t-il en s'adossant dans son fauteuil, les mains posées sur ses accoudoirs. « Vous devez vous souvenir qu'Igor Karkaroff a eu un début d'année difficile entre ces murs.

-Oui c'est vrai, il est resté quelques temps à l'infirmerie une dizaine de jours après son arrivée à Poudlard me semble-t-il. » Répondit le petit sorcier en hochant la tête.

-« Effectivement, Filius, ce que vous ignorez en revanche c'est pourquoi il y a été envoyé…

-Arrêtez de tourner autour du pot Albus ! » Grogna le maître des potions.

-Karkaroff était dans un état lamentable et c'est Severus qui l'a trouvé dans l'un des couloirs du château, au niveau des cachots pour être plus précis. Il était en compagnie de miss Revali, ici présente… » continua le directeur, obéissant à l'injonction de son potionniste.

-C'est donc vous qui l'avez… » commença la directrice adjointe en se tournant vers son élève.

-« Desséché comme un vieux pruneau ? Oui c'est moi. » Répondit June sans ciller.

-« Mais enfin… » S'exclama l'écossaise, outrée par la légèreté de son élève dans un tel instant.

-« Miss Revali s'est simplement défendue, Minerva. » Coupa le vieux directeur, « Mr Karkaroff était très menaçant à son égard. Severus peut le confirmer, il est arrivé à ce moment-là pour intervenir. Elle a juste usé de sa magie pour se protéger.

-Menaçant, menaçant… je veux bien… mais à quel point pour que vous vous énerviez ainsi miss ? Pomona m'a expliqué, sans entrer dans les détails, qu'elle n'avait jamais vu, en trente ans de carrière, un patient dans un état aussi dégradé et en si peu de temps. » Demanda Minerva à June.

June ne répondit pas mais se contenta de la regarder avec un regard perçant et équivoque, attendant qu'elle devine d'elle-même.

Le regard de sa professeur s'écarquilla, sous le choc et son visage devint blême.

-« Ma pauvre enfant, je suis désolée, je ne savais pas… » dit-elle avec difficulté.

-Vous ne pouviez pas savoir madame. De plus, comme vous l'a dit Albus il y a quelques instants et Pomona en début d'année, je me suis bien vengée avant qu'il ne puisse réellement me faire du mal. » lui répondit June avec un sourire légèrement effrayant.

La vieille femme déglutit, mal à l'aise, mais hocha la tête. Au bout de plusieurs secondes de réflexion, elle se mit soudainement à fusiller le directeur du regard.

-« Albus, ce que vous êtes finalement en train de nous dire, c'est que vous avez laissé cet immonde personnage errer dans le château à la suite de cette histoire ? Il aurait pu s'attaquer à d'autres élèves qui contrairement à miss Revali, n'auraient jamais pu se défendre ! Y avez-vous simplement pensé ? » s'écria-t-elle, furieuse.

Le vieil homme eut le bon goût de se montrer gêné et la vieille sorcière secoua la tête, désabusée.

C'était là, l'un des nombreux grands problèmes de cette société encore extrêmement patriarcale. Les violences perpétrées sur les femmes, et même sur les enfants parfois, étaient encore très lâchement acceptées dans le monde sorcier, ce qui était une véritable différence avec le monde moldu, en avance de ce côté-là, bien que loin d'être parfait non plus. Minerva le savait car une partie de sa famille était moldue et vivait en France, loin de cette société sorcière et de ces mœurs n'ayant pas évolué depuis le Moyen-âge. Le contraste la choquait parfois quand elle rendait visite à l'une de ses nièces dans le sud de l'hexagone.

Évidemment, Albus n'avait pas « accepté » en tant que telle l'attitude de son homologue bulgare et l'avait même placé sur la sellette. Mais en fin de compte, celui-ci était tout de même libre de ses mouvements, déambulant dans une école remplie de jeunes étudiants et étudiantes, finalement à sa merci.

Le vieux directeur savait depuis le début, au fond de lui, que Karkaroff ne s'arrêterait pas là. Le connaissant comme il le connaissait, sachant son passé, les affaires louches dans lesquelles il avait trempé et trempait toujours d'ailleurs, le laisser errer dans le château comme cela avait potentiellement mis ses élèves en danger. Et cela s'était confirmé ce jour même. De cela, le mage blanc n'était pas fier. Mais il avait agi pour « le plus grand bien », voulant gérer l'affaire en interne pour éviter qu'elle ne s'ébruite et surtout afin d'empêcher ainsi un conflit international et médiatique par les temps qui couraient.

Le professeur Flitwick se racla la gorge avant de prendre la parole, s'adressant à Rogue et à l'élève de serpentard.

-« Savez-vous où se trouve Igor Karkaroff à présent ?

-« Non. Il s'est enfuit comme un lâche pendant que le professeur Rogue m'empêchait de le transformer en purée de citrouille. » dit June d'un ton las. « D'ailleurs pourrais-je récupérer mes pouvoirs maintenant que je suis parfaitement calme monsieur ? » demanda-t-elle en se retournant vers son professeur de potions.

Celui-ci la fixa en jubilant. Il faillit lui répondre un « Persuadez-moi. » pour la provoquer mais devant le regard perçant de Dumbledore et celui, sévère, de Minerva, il jugea bon de se taire et de faire ce que la jeune femme lui avait demandé. De mauvaise grâce et d'un geste négligeant, il fit tournoyer sa baguette en prononçant un dimittis magicae. June sentit alors crépiter en elle sa magie et ferma les paupières, la laissant doucement l'envahir. Alors qu'elle rouvrait les yeux, un courant d'air frais envahit la pièce, signe qu'un fantôme allait rapidement faire son entrée dans le bureau. Le baron sanglant entra effectivement dans la seconde et s'adressa de sa voix sépulcrale aux cinq sorciers présents dans la salle.

-« Le professeur Maugrey m'a demandé de vous prévenir qu'il a trouvé Igor Karkaroff. Mais il se peut qu'il … »

Personne ne le laissa terminer. Le professeur Dumbledore se leva dans un raclement de fauteuil, suivi de la directrice adjointe et du professeur de sortilèges.

Le maître des potions était déjà en train d'ouvrir la porte pour laisser tout le monde sortir. June passa en dernière l'embrasure de la porte et ignora le regard noir de son professeur.

Vous savez vraiment souffler le chaud et le froid professeur. Pensa-t-elle en se rappelant de la voix qu'il avait prise pour lui parler quand elle était encore aveuglée par la rage.

Elle haussa les épaules à sa propre réflexion et suivit d'un pas rapide les trois professeurs qui marchaient devant. Le baron sanglant les guidait d'un air résigné et inquiet.

Au bout de plusieurs minutes de marche, ils arrivèrent au niveau de la tour d'astronomie, endroit que June connaissait déjà. Elle n'y venait pourtant presque jamais même si le point de vue, y était, il fallait le dire, absolument somptueux. Cependant, le vent s'engouffrait entre les colonnes et donnait l'impression de se trouver en plein air, les oreilles sifflant désagréablement, comme sur un balai volant, ce que la sorcière ne trouvait ni confortable ni reposant pour se poser calmement et réfléchir au sens de la vie.

Le professeur Maugrey était là, le visage ensanglanté, en train de gémir de douleur en haut des marches d'accès à la tour. Les professeurs, alors en bas de l'escalier, se hâtèrent de monter pour s'enquérir de son état. June monta derrière eux, ayant un mauvais pressentiment.

La professeur McGonagall arriva, malgré son âge relativement avancé, la première en haut des marches et se pencha sur l'auror pour l'examiner. Les autres professeurs se hissèrent quant-à eux jusqu'à la plateforme supérieure et virent, après avoir fait un tour d'horizon, étendu sur le sol à quelques pas du vétéran, Igor Karkaroff, les yeux grands ouverts et immobile. Le professeur Rogue s'approcha de lui à grands pas et se mis à genoux pour lui prendre le pouls. Il se tourna alors vers le vieux mage avec gravité. Le pouls était absent et le verdict sans appel. Le directeur de Durmstrang était mort.