En début d'après-midi, une nouvelle audience pour le meurtre de l'enfant de Concord débuta.
Nicholas était là, il lui faisait face, son air arrogant toujours bien présent sur le visage. Il donnait l'impression d'avoir gagné la guerre et, au fond, il pensait vraiment se sortir victorieux de cette bataille sans savoir que son ennemie n'était pas du genre à fléchir aussi facilement.
« Et donc, vous déclarez que vous souffrez toujours de crise de schizophrénie ? » Lança Regina en zieutant le rapport qu'elle avait demandé au psychiatre qui suivait l'adolescent jusqu'à ce qu'il soit arrêté.
« Ouais. »
« Vous êtes au courant que me mentir ne fera qu'aggraver les choses ? »
« Ouais, je sais. »
« Le motif de votre crime est la schizophrénie, n'est-ce pas ? »
« Ouais. »
« Vous admettez avoir attiré ce jeune garçon chez vous, l'avoir assassiné et avoir ensuite mutilé son corps ? »
« Ouais. »
« Vous vous êtes rendu uniquement parce qu'il y a cette loi pour les jeunes délinquants ? »
« Bordel de merde... Ouais. »
La brune le regarda avec attention du haut de son perchoir et se mordilla l'intérieur de la joue pour se retenir. Que ce soit son vocabulaire ou encore son comportement, ce jeune délinquant faisait décidément tout pour la faire sortir de ses gonds.
« Tenez ! » Grommela l'adolescent en lui tendant une feuille.
Elle se leva sans attendre, descendit les quelques marches qui menait à l'estrade et lui arracha le document des mains.
Belle, qui était censé servir d'intermédiaire entre l'accusé et les juges, n'avait pas été informée qu'il y avait des documents à transmettre sinon elle les aurait récupérés avant l'audience pour les avoir sous la main et ainsi les utiliser au bon moment. Elle bondit de sa chaise en voyant la brune qui approchait du banc des accusés d'un pas enragé, tout le monde dans la pièce était bien au courant du mépris que cette dernière avait envers les jeunes criminels alors elle resta debout, même si un peu en retrait, afin d'intervenir en cas de soucis.
Regina ne s'en formalisa pas le moins du monde, elle ne lui porta même pas la moindre intention pour être honnête. Ses yeux glissaient à une vitesse folle sur les informations qu'elle tenait en main et elle fut tout simplement incapable de retenir le léger ricanement qui donna des frissons à Ruby.
« Le motif du crime n'est pas la schizophrénie. » Affirma-t-elle avec un calme olympien.
La brune l'avait déjà compris avant de venir au tribunal ce matin mais le rapport que Nicholas avait demandé à son psychiatre la confortait un peu plus dans l'idée qu'elle avait enfin trouvé la faille.
N'étant pas médecin, elle n'avait eu d'autre choix que de se renseigner correctement sur ce qu'était la schizophrénie et, pour ce faire, elle n'avait pas hésité à sacrifier de nombreuses heures de sommeil. Elle avait lu des livres, comparé les témoignages de différent malade, analysé en profondeur des dizaines de vidéo explicative et la conclusion s'était imposée à elle : au mieux, la maladie était un prétexte, au pire, ce sale énergumène menait tout le monde par le bout du nez et ce, depuis le début. La suite de ses recherches avait simplement révélé la véracité de la seconde partie de son hypothèse : il se jouait d'elle.
« Voyez-vous, il y a plusieurs symptômes dans la schizophrénie : il y a ceux qui sont persuadés que quelqu'un souhaite leur faire du mal, ceux qui entendent et voient des choses ou même ceux qui les sentent et les ressentent. Le problème avec ces symptômes c'est qu'ils sont différents d'un malade à un autre toutefois, ce que ces personnes ont en commun, c'est qu'il n'existe aucun remède contre la schizophrénie. » Annonça-t-elle.
En effet, il existait plusieurs traitement médicamenteux mais leur but n'était pas de guérir le malade, ils étaient plutôt utilisés afin de permettre une rémission – c'est-à-dire, une diminution des symptômes handicapants.
La schizophrénie était une maladie qui gardait de nombreux facteurs inconnus. Jusqu'à aujourd'hui, les chercheurs n'étaient pas encore capables d'affirmer son origine : génétique, infection au stade embryonnaire, environnement néfaste, malchance – il y avait énormément de possibilité diverses et variées.
Quoi qu'il en soit, depuis les années 1950, les malades avaient à présent des traitements à base d'antipsychotique – à prendre à vie – qui devaient les aider à vivre un peu plus facilement avec la maladie.
D'une part, il y avait les neuroleptiques dits classiques qui avaient une action directe sur un des messagers chimiques du cerveau, la dopamine. Ils étaient connus pour être particulièrement actif sur les symptômes dits positifs tels que les délires, les hallucinations, les troubles de la pensée et du langage ou encore les troubles psychomoteurs.
D'autre part, il y avait les neuroleptiques dis atypiques qui, eux, avaient la particularités d'agir simultanément sur deux messagers chimiques du cerveau, ils influençaient à la fois la dopamine et la sérotonine. Leur efficacité était plus importante sur les symptômes négatifs de la maladie comme la démotivation, l'apragmatisme, les troubles de l'humeur, l'apathie ou encore la dépersonnalisation.
Au-delà de la distinction entre classique et atypique, les médicaments étaient également différentiés par leurs actions : la sédative qui visait l'angoisse et l'agitation, celle dite anti productive qui traitait les délires et les hallucinations, la désinhibitrices qui luttait contre l'apathie et la démotivation. Certains neuroleptiques produisaient essentiellement un seul de ces effets mais les trois actions pouvaient se retrouver en coexistence dans une même substance en fonction de la dose utilisée. Il était tout à fait possible de prescrire un traitement à base de sédation à moyenne dose, d'anti-production à forte dose et de désinhibition à faible dose.
La schizophrénie était, pour le moment, soignée un peu à l'aveuglette. En effet, les divers traitements reposaient tous sur l'hypothèse de l'impact de la dopamine dans la schizophrénie.
Selon cette théorie, la schizophrénie serait la conséquence d'un dérèglement des quantités de dopamine dans le système nerveux ce qui provoquerait un dysfonctionnement du système dopaminergique du cerveau. En effet, la dopamine jouait un rôle dans plusieurs aspects de la vie quotidienne comme l'attention, le fonctionnement des reins et du cœur, l'inhibition de la synthèses prolactine – ce qui interrompait la production de lait maternel – ou encore l'amour et le plaisir sexuel.
Bien que la dopamine ait pour but premier de faire voir la vie en rose sur un instant t, un excès de celle-ci pouvait se révéler dangereux pour la santé.
L'un des effets fréquents étaient la dyskinésie, c'est-à-dire, des mouvements involontaires et handicapants comme dans la maladie de Parkinson.
La surstimulation des récepteurs dopaminergiques situés sur la paroi de l'estomac pouvait provoquer des nausées constantes et donc de nombreux vomissements ce qui pouvait entrainer le malade à tomber dans la boulimie ou l'hyperphagie.
Si les récepteurs dopaminergiques présents dans les reins étaient trop stimulés, il pouvait y avoir une hypotension orthostatique, concrètement une baisse de la pression artérielle, ce qui favoriserait des chutes lors du passage de la position allongée à la position debout.
L'excès de dopamine dans les voies dopaminergique présentes dans le cerveau moyen était à l'origine de troubles psychiatriques bien plus préoccupants comme l'agitation, l'anxiété, les délires d'interprétations et même les hallucinations.
La dopamine tirait son surnom « hormone du bonheur » car elle était libérée par notre cerveau lors d'expérience associée au plaisir mais ce n'était pas la seule à posséder ce jolie nom – elles étaient en réalité 4 et la sérotonine en faisait partie bien qu'elle ne soit pas une hormone mais un neurotransmetteur.
La sérotonine jouait un rôle proche, elle agissait sur le système nerveux central notamment pour réguler certains comportement relatif à l'humeur ou à l'émotivité. Elle intervenait dans la souffrance morale, dans la dépression notamment mais elle avait aussi une action sur le sommeil, sur les troubles sexuels et alimentaires. Un taux bas serait en partie responsable de la dépression et, un taux élevé favoriserait les états agressifs.
En conclusion, la sérotonine était essentielle à la régulation des humeurs tandis que la dopamine était provoquée par le plaisir immédiat. Elles subsistaient l'une avec l'autre et, quand le taux de sérotonine était trop important, la dopamine diminuait et, lorsque le taux de sérotonine était trop bas, la dopamine n'était plus régulée donc elle affluait sans problème.
L'hypothèse de l'impact de la dopamine dans la schizophrénie démontrait qu'il y avait un lien non négligeable entre le taux d'hormone du bonheur et la schizophrénie. Se basant sur cette théorie, les chercheurs avaient finalement réussi à mettre en place les neuroleptiques dis atypiques qui avaient pour but de jongler entre la dopamine et la sérotonine pour les réguler à tour de rôle en fonction du dosage nécessaire.
« Pour les personnes atteintes de schizophrénie c'est vraiment très dur d'arriver à se concentrer sur une seule et même chose. » Continua la brune.
En effet, au fil de ses recherches, elle avait découvert que les malades éprouvaient quasi systématiquement des difficultés cognitives persistantes que ce soit au niveau de la mémoire, de l'attention ou encore dans la résolution de problèmes.
« Que se passe-t-il lorsqu'ils commettent un meurtre ? Les personnes atteintes de schizophrénie se font habituellement attraper sans avoir effacer leurs traces ou nettoyer derrière eux. Le nettoyage d'une scène de crime demande une très grande concentration ce qui provoque beaucoup de stress mais vous n'avez pas seulement nettoyé la scène de crime, vous avez attiré l'enfant, planifié le meurtre, mutilé et fait disparaitre le corps. Après tout ça, vous osez dire que le motif du meurtre est la schizophrénie ? Vous n'avez donc pas mieux que ça ? » Annonça-t-elle avec colère en désignant le document que Nicholas venait de lui transmettre.
Sur le rapport du psychiatre que l'adolescent avait dût consulter depuis son incarcération, il était écrit noir sur blanc : trouble schizo-affectif sous psychotropes. Regina n'inventait rien, Nicholas était malade, il ne pouvait donc pas être le meurtrier.
Le trouble schizo-affectif désignait un trouble mentale qui associait à la fois les symptômes d'un trouble bipolaire et les symptômes d'une schizophrénie. La personne malade vivait donc dans un état de dépression, à cause du trouble bipolaire, tout en faisant face à des hallucinations, à cause de la schizophrénie. Les symptômes pouvaient varier à chaque épisode mais les plus rencontrés étaient les hallucinations et la dépression donc mais aussi les actes insensés, les idées délirantes, le désintéressement à la vie ou encore l'apragmatisme.
Quoi qu'il en soit, durant un épisode schizo-affectif, le malade était incapable de percevoir certaines personnes de son entourage autrement que comme des personnes lui voulant du mal ce qui entrainait un comportement de replis et de désintéressement à la personne. En outre, le schizophrène avait tendance à éviter tout contact avec le monde extérieur dans ce genre de moment.
L'apragmatisme s'observait, quasi incessamment, au cours d'une psychose lié à un trouble schizo-affectif. Ce signe se traduisait par une incapacité à entreprendre des actions nécessitants une certains coordinations ce qui avait tendance à résulter, chez le patient, sur un désintéressement totale pour les activités de la vie quotidienne telles que les tâches ménagères ou encore l'hygiène. Dans cette situation, la capacité même de « vouloir faire » est atteinte, le patient est tout simplement incapable de panifier quoi que ce soit.
Les psychotropes étaient une catégorie de médicament ayant pour but d'agir directement sur le système nerveux central en modifiant l'activité mentale pour impacter la perception des sensations, de l'humeur ou de la conscience. Les neuroleptiques faisaient partie de la famille des psychotropes, de la même manière que les antidépresseurs, les somnifères, les anxiolytiques ou encore les thymorégulateurs.
Donc, si Regina prenait le temps de résumer : Nicholas affirmait être en plein crise au moment des faits et que ce serait justement la crise qui l'aurait à commettre ce meurtre.
Or, avec les nouvelles informations qu'elle avait en sa possession, elle savait pertinemment que Nicholas, s'il avait réellement eu une crise, aurait été incapable de planifier un tel meurtre et – même sans crise – l'angoisse provoqué par la situation l'aurait tout bonnement empêché de couvrir ses traces, nettoyer la salle de bain aussi parfaitement ou encore de faire disparaitre le corps.
Pour être l'auteur, il fallait qu'il soit guéri mais ce n'était pas le cas et ça ne le serait, malheureusement pour lui, jamais.
« En général, les criminels cachent leurs intentions dans deux cas : le premier est quand la situation leur serait fortement défavorable et la seconde... Le second cas, c'est lorsqu'il y a quelqu'un d'autre d'impliqué. »
Une fois qu'elle eut pris conscience de ce détail, la brune avait visionné les enregistrements des caméras de surveillances des dizaines de fois, peut-être même des centaines de fois. Au début, elle avait juste eu l'impression de se faire souffrir pour rien, elle regardait encore et encore la personne qui se faisait passer pour Nicholas, attirant le pauvre Devin dans l'appartement tout en sachant comme l'enfant finirait.
Mais justement, elle savait. Elle connaissait absolument tous les détails sordide du meurtre alors elle ne pouvait abandonner même si chaque visionnage lui retournait un peu plus l'estomac. Après des heures passées le visage presque collé à l'écran de son ordinateur, elle se rendit compte que « Nicholas » évitait scrupuleusement le champs de la caméra, il savait exactement dans quel angle se placer pour n'être filmé que de dos ce qui confirmait son hypothèse.
Après encore une dizaine de visionnage, elle avait fini par mettre la main sur une partie de l'enregistrement où le visage de l'individu était entraperçu. La scène dans l'ascenseur ne durait que quelques fragments de secondes, elle dut la repasser un nombre incalculable de fois, jouer avec la vitesse de diffusion, jurer des centaines de fois pour un mauvais arrêt sur image avant d'enfin y arriver.
« Comme vous savez que la loi protège les mineurs, vous saviez par conséquent qu'elle vous serait favorable. Je sais très bien que vous ne me dites pas tout. Il y a une autre personne qui est impliquée dans ce crime. »
« Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas elle ! Elle n'a rien à voir avec tout ça ! Vous allez la laisser tranquille ! Je vous dis qu'elle n'a rien à voir avec ça ! » Hurla immédiatement Nicholas en tapant du poing sur la table.
Regina bouillonnait intérieurement. Elle savait que l'adolescent qu'elle avait sous les yeux n'était pas le meurtrier, elle avait aussi compris que la personne qui avait cherché à se cacher des caméras de surveillance avait des traits de visage très féminin mais elle n'avait, jusqu'alors, rien pour l'affirmer si ce n'est qu'une image de caméra de surveillance tellement pixélisé qu'elle ne pouvait servir lors d'une identification.
Si Nicholas était bel et bien le seul coupable, il aurait plutôt clamé que « personne d'autre » n'avait rien à voir avec tout ça et pourtant, il avait utilisé le pronom « elle ». A force de vouloir protéger la véritable coupable, il était juste en train de les mener à elle.
« Je savais bien que quelque chose n'allait pas dans cette histoire. Pourquoi est-ce que la victime irait chez un étranger, quand bien même elle devrait passer un coup de téléphone en urgence ? Autre point : puisque vous étiez prêt à vous rendre, pourquoi avoir fait disparaitre le corps ? »
« Espèce de... » Gronda l'adolescent qui attrapa une chaise afin de l'attaquer avec.
« Meurtre. Mutilation. Elimination du corps. Ce n'est pas vous qui avez commis ce meurtre. » Conclu la juge qui laissa les policiers intervenir sans reculer d'un pas.
Ce fut cet instant que choisi Ashley pour entrer dans la pièce, elle chercha à comprendre pourquoi l'un des agents de polices tenait une chaise dans les mains mais elle préféra ne pas poser de question. Ce n'était, après tout, ni le lieu, ni le moment. Elle se contenta d'approcher, lentement, jusqu'à Ruby qui l'accueilli d'un sourire tendu.
« Voici les informations que Madame Mills m'a demandé. » Annonça-t-elle en lui transmettant une pile de feuille avant de repartir.
En arrivant ce matin après une très courte nuit de sommeil, Regina avait demandé à la secrétaire de lui obtenir le relevé téléphonique de Nicholas. Cette tâche, pourtant nécessaire dans un bon nombre d'affaire, pouvait s'avérer ardue même pour le tribunal lorsque les opérateurs ne se montraient pas compréhensif. Visiblement, la jeune femme avait eu la chance de tomber sur quelqu'un de compétent puisqu'elle avait même eu le temps de surligner, à l'aide de son meilleur feutre rose, les appels entrant et sortant qui les intéressaient.
« C'est bien elle ? » Questionna-t-elle de façon rhétorique en montrant le document à l'adolescent.
Dès qu'il vit la photo qui se trouvait épinglé en haut de la page, son visage devint rouge de colère. Il se jeta sur la juge pour lui arracher l'image des mains mais, au vu de la violence dont il avait déjà voulu faire preuve un peu plus tôt, un policier était resté derrière lui et le plaqua donc immédiatement à sa chaise.
« J'ai pourtant été claire. Je vous avais bien prévenu que me mentir ne ferait qu'aggraver la situation. Appelez son gardien et renvoyez-le au foyer pour mineur. »
« Non ! Merde ! Arrêtez ! Elle n'a rien à voir avec ça ! Lâchez-moi ! Je veux rentrer chez moi ! Putain de merde, lâchez-moi ! » S'époumonna Nicholas qui se débattait en vain.
Regina ne lui accorda pas la moindre attention, ses yeux étaient fixés sur la photo qu'elle tenait entre ses doigts. Ava Tillman avait beau avoir un air innocent sur le visage, la brune savait déjà quel genre de monstre se cachait sous le masque tout ce qu'elle ignorait été la raison pour laquelle le monstre s'était révélé au grand jour.
