Regina eut à peine le temps de retirer sa robe de juge qu'elle était déjà convoquée dans le bureau du juge en chef. Pour quelqu'un qui passait son temps à vagabonder ici et là, délaissant ainsi son travail au tribunal, il avait décidé d'être présent pile au bon moment. Au vu de la mine que tirait Ashley, elle savait pertinemment qu'elle n'allait pas passer un agréable moment mais ce n'était certainement pas un vieux singe comme lui qui allait lui dicter la manière dont elle devait travailler.
Après avoir pris le temps de boire quelques gorgées de son café qu'elle avait plus que mérité après une telle audience, elle se dirigea donc vers le bureau où elle était attendue. A l'instant même où elle posa un pied sur le sol de la pièce, l'homme commença à s'emporter.
« Bon dieu mais de quoi est-ce que vous me parlez là ? Il va vraiment falloir que vous vous calmiez avec cette affaire ! On n'effectue pas le travail de la police ici ! A quoi est-ce que vous jouez au juste ? » Cria Albert Spencer qui avait eu vent de tout ce qui s'était passé quelques minutes plus tôt.
« J'ai eu des informations et il se trouve qu'elles coïncident, on se doit de vérifier. » Répondit simplement la brune en se rappelant qu'elle était face à son supérieur.
« Vous croyez vraiment que ce sont des crétins dans la police ? Vous croyez qu'ils n'ont pas enquêté avant d'envoyer ce gamin ici ? » S'exclama l'homme, hors de lui.
« Non, ils n'ont pas enquêté parce qu'il s'est rendu ! Ils l'ont cru coupable à cause de l'arme du crime, de la schizophrénie et aussi parce qu'il a avoué avoir commis le meurtre ! Seulement ils avaient tors parce qu'il a une complice. Il n'aurait pas pu faire ça tout seul justement parce qu'il est atteint de schizophrénie. » Expliqua-t-elle avec calme.
« Vous avez des preuves de ce que vous avancez ? » Gronda-t-il.
« Des enregistrements téléphoniques et des SMS avant et après le meurtre, des caméras la montrant dans un ascenseur avec la victime, elle portait le même uniforme que Nicholas Zimmer et j'ai aussi un rapport du médecin. Il vous en faut plus ? » Lista la brune.
Albert Spencer soupira et prit quelques secondes pour réfléchir. Ce que racontait la nouvelle arrivante était tout à fait cohérent et, s'il s'agissait d'une autre affaire, il prendrait même le temps de se renseigner correctement pour l'aider à mener à bien son affaire mais, là, il était question du meurtre de l'enfant de Concord. La voie à suivre était toute tracée, Nicholas était coupable, il suffisait de le condamner, de cette manière, ils sustentaient le pays tout entier qui attendait de pied ferme une sanction à la hauteur du crime.
Le parti libéral avait été clair, il devait mener cette affaire sans faire de vague seulement voilà, il avait déjà donné ce dossier à un autre juge, il ne pouvait le récupérer à présent et la juge en question s'apprêtait à faire n'importe quoi. Il était clairement sur la selecte, il jouait son avenir et cette satanée brune à la mine morose ne lui facilitait pas la tâche.
Effectivement, si Nicholas avait bel et bien eu une complice, celle-ci méritait également d'être punie. Bien qu'il se soit dénoncé à la police, il ne méritait pas de porter seul le poids d'un tel meurtre alors que son implication s'avérait être minime mais les risques étaient bien trop importants pour qu'il ait l'audace de s'écarter du chemin.
« Qu'est-ce que vous voulez, concrètement ? Vous voulez qu'on renvoi l'affaire à la police ? » Grommela-t-il à la recherche d'une solution.
« Cette affaire est scrutée par tout le monde et vous le savez tout aussi bien que moi. La police a déjà déclaré qu'elle tenait le coupable, vous croyez qu'ils vont admettre avoir commis une telle faute ? C'est moi, je vais aller la chercher. »
« Vous êtes juge vous ne pouvez pas ! » S'époumonna l'homme dont le visage devint rouge de rage.
« C'est le devoir d'un juge que d'aller au bout d'une affaire en appliquant la procédure appropriée ! Pour le moment, c'est une affaire qui entre dans le cadre de la loi sur la protection des mineurs mais si Nicholas Zimmer a une complice de plus de 14 ans alors c'est une affaire de crime de mineur dont on parle ! On est le seul département de justice criminelle pour mineur et vous voudriez qu'on laisse tomber ? » S'exclama Regina qui commençait à perdre patience.
« Juste une chose : si vous vous plantez, vous imaginez un peu le scandale que ce sera ? »
« J'en assumerais l'entière responsabilité ! » Assura-t-elle avec aplomb.
« Mais bordel de merde ! Je... Vous arrêtez ça, vous arrêtez tout ! Vous continuez ce procès et vous vous tenez tranquille ! » Hurla-t-il en tapant du poing sur la table.
« La coupable... »
« On ne peut pas créer de problème avec cette affaire et ça, vous n'avez pas l'air de le comprendre ! »
En même temps, comment le pourrait-elle ? Il n'avait pas touché un seul mot à qui que ce soit quant à sa petite discussion avec Sidney Glass, il avait simplement fait savoir que l'interview s'était déroulée sans accroc et qu'ils en avaient profité pour partager un bon repas mais sans plus.
Comment pourrait-elle deviner qu'il avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Comment pourrait-elle savoir que son comportement risquait de lui couter cher, vraiment très cher ? Si elle échouait, si le résultat final ne répondait pas aux attentes, il pouvait dire adieu à sa carrière en politique alors que celle-ci n'avait pas encore commencé. Il était si près du but, il y était presque... Durant toutes ces années, il avait fait tellement d'effort, tellement de sacrifice, il avait donné tellement de sa personne, ce n'était pas pour voir son projet être étouffé dans l'œuf.
« Si jamais vous... Je vous donne l'ordre de ne rien faire. Vous m'avez entendu ? Rien. A présent, sortez. Sortez de mon bureau. » Déclara-t-il, catégorique.
Regina le fixa du regard pendant de longues secondes, elle était à la fois étonnée et profondément dégoûtée de son comportement. Comment diable pouvait-il prétendre être au service de la justice quand il n'y avait absolument rien de juste dans ses prises de décision ?
Elle avait la folle envie de le secouer pour lui rappeler le serment qu'il avait juré de respecter. Elle voulait lui hurler dessus, lui cracher sa haine au visage, l'incendier de nom d'oiseau mais elle ne le pouvait pas, il était son supérieur hiérarchique et lui manquer de respect venait à tirer un trait sur sa vie au sein du tribunal ce qu'elle ne pouvait se permettre. Au lieu de ça, elle enfonça ses dents dans l'intérieur de ses joues pour se retenir d'exploser puis elle s'en alla, sans un mot.
Vu le regard que lui lança Ashley, celle-ci avait absolument tout entendu mais la brune fulminait bien trop pour s'en préoccuper, elle retourna simplement à son bureau où elle soupira d'agacement en s'installant.
« Je suis plutôt d'accord avec le juge Spencer sur ce coup. » Lâcha Emma qui pianotait sur son clavier d'ordinateur.
« Je vous demande pardon ? »
« Le chemin que vous voulez emprunter est beaucoup trop risqué. Si jamais ça venait à sortir d'ici, la police et tout le monde dehors saurait qui est Ava Tillman mais si jamais elle n'a rien fait ? Ce procès va la détruire, elle et toute sa famille. Continuez avec le procès de Nicholas et enquêtez plus tard sur... »
« Plus tard quand exactement ? Quand les parents de Devin se seront foutus en l'air ? Ce sera le moment ? » Cracha-t-elle en lui coupant la parole.
« Madame Mills... » Fit doucement la blonde.
« S'il vous plait ! Faisons notre travail. »
Regina ne pouvait rester une seconde de plus dans cette pièce, elle avait l'horrible sensation de suffoquer. Elle se releva aussitôt, empoigna sa veste et s'en alla sans un mot.
« Quel douce femme. » Soupira Emma avec ironie.
Elle se leva à son tour et passa ses mains dans les mèches blondes qui lui tombaient sur le visage. Elle ne savait l'expliquer mais à chaque fois qu'elle venait à échanger plus de deux mots avec la brune, elle avait l'impression de marcher sur des œufs. Sa collègue l'intimidait tellement.
En plus de posséder une rare beauté, elle était aussi extrêmement intelligente mais ce n'était pas tout, son regard... Il y avait quelque chose dans son regard qui lui faisait perdre ses moyens. A chaque fois qu'elle croisait le chemin des pupilles chocolat, elle se sentait transpercée part en part. Elle ne pouvait se l'expliquer, c'était comme si son être tout entier était mis à nu, comme si son âme était sondée, comme si la brune pouvait lire en elle sans restriction. Elle ne savait pas si elle détestait cela ou si, au contraire, elle commençait à apprécier.
Elle regarda rapidement à travers la fenêtre avant de porter son attention sur le bureau de la juge associée. Celui-ci était parfaitement rangé, même les stylos étaient triés par couleur dans leur pot ce qui laissait entrevoir un petit côté maniaque. Elle s'approcha un peu et aperçu la photo de la victime qui était bien mise en évidence, comme pour constamment lui rappeler ce qui la poussait à autant travailler.
A cet instant, Emma comprit quelque chose d'important.
Même si le chemin à entreprendre était tortueux, même si elle risquait d'y perdre ses ailes, Regina n'avait pas d'autre choix que de l'emprunter car cet enfant avait été sauvagement assassiné par deux personnes, il fallait donc punir deux adolescents et non pas juste un. Il s'agissait là de la seule manière possible pour lui rendre justice, pour respecter sa mémoire mais aussi les principes qu'elles défendaient chaque jour au tribunal.
Soupirant, elle attrapa sa veste en cuir rouge et seprécipita hors du tribunal. Elle ne savait pas encore commun mais elle avait bien l'intention de lui tendre la main, d'ajouter sa pierre à cet édifice que la brune semblait construire.
