L'après-midi passa en un clin d'œil pour laisser place à la nuit qui apporta un voile orangé sur la ville. Regina était assise sur un banc dans la cour du tribunal, les yeux dans le vide, elle était perdue dans ses pensées. Elle repensait inlassablement aux discussions qu'elle avait eu un peu plus tôt, était-elle vraiment si inconsciente que ça ? Était-elle donc la seule à percevoir l'injustice de cette situation ?
Le jeune Devin était mort, dans d'atroce souffrance et il allait voir – depuis le paradis si un tel endroit existait – l'un de ses meurtriers vivre sa vie sans même être inquiété ? C'était impossible, impensable, elle ne pouvait le tolérer. Elle n'avait qu'à rendre sa robe de juge immédiatement si le monde entier percevait cela comme de la justice.
Elle fut tirée de sa réflexion par une longue chevelure blonde qui entra dans son champs de vision.
« Qu'est-ce que vous faites là ? Je vous ai cherché partout ! » Annonça la propriétaire des cheveux.
La brune la regarda de haut en bas avant de simplement détourner le regard. Elle était en colère et fatiguée, elle préférait de loin rester seule que de se disputer à nouveau avec qui que ce soit.
« Allons chercher la complice de ce meurtre. » Lâcha Emma, attirant ainsi son attention avant de reprendre : « On aura besoin de preuve pour convaincre le juge Spencer mais allons-y, faisons notre travail. »
« Pourquoi est-ce que vous avez changé d'avis ? » Demanda-t-elle, sur la défensive.
« Parce que... J'ai confiance en vous. J'ai le sentiment que, si on arrive à travailler ensemble alors on y arrivera. »
Pour une raison qu'elle ignorait, la brune sentie ses joues chauffer – cette déclaration des plus banales lui fit chaud au cœur. Ce n'était pas grand-chose, juste une collègue qui se fiait un peu aveuglément à son jugement et pourtant, elle se sentit profondément touchée.
Sans attendre, comme pour prouver ses dires, la blonde se mit à lui expliquer tout ce qu'elle avait fait depuis leur petit accrochage, il fallait avouer qu'elle n'était pas restée à se tourner les pouces !
Se rendant au poste de police, elle avait rencontré l'inspecteur Graham Humbert, celui qui avait arrêté Nicholas après le meurtre. Elle lui avait posé énormément de question, lui demandant au passage de raconter dans les moindres détails ce qui s'était passé ce soir-là.
« La première fois que je l'ai vu, c'était en face de commissariat. Il avait l'air vraiment très nerveux. Il ne donnait pas l'impression de vouloir se livrer au début et puis... Comment vous expliquer ? C'est comme si d'un seul coup, il était devenu quelqu'un d'autre. Son visage a changé en un clin d'œil. » Confia l'officier.
Emme avait pris des notes de son récit pour ne rien oublier, elle lui avait même demandé d'être un peu plus clair quant au fait que l'expression de Nicholas avait radicalement changé. Graham avait tenté de trouver les mots juste pour lui expliquer ce qu'il avait vu, ce qu'il avait ressenti mais aucun n'était assez significatif alors, plutôt que de perdre son temps, il avait décidé de lui montrer l'enregistrement des caméras de surveillance du poste de police.
« Attendez ! Vous pouvez revenir en arrière de quelques secondes et agrandir l'image ? » S'exclama la blonde.
Le jeune homme la regarda fixement pendant un instant. Il avait déjà visionné cette bande des centaines de fois depuis ce fameux soir mais il n'avait absolument rien trouvé qui pourrait aider les juges. Toutefois, il s'exécuta sans poser la moindre question, peut-être était-il passé à côté d'un élément important justement parce qu'il connaissait chaque seconde de l'enregistrement.
« Mais qu'est-ce qu'il est en train de regarder ? » Marmonna-t-elle.
Nicholas venait tout juste d'atteindre Graham qui était, jusque-là au téléphone. Le policier avait ensuite cherché à le faire entrer au poste, s'en était suivi d'un échange de parole puis l'adolescent avait tourné la tête pour regarder derrière lui. Ce fut précisément à cet instant que son visage changea du tout au tout, la peur qui se lisait dans ses yeux disparu pour laisser place à ce qui semblait être de la détermination.
« Est-ce que ce serait possible d'avoir les images de l'autre côté de la rue ? » Questionna la blonde qui nota toutes ses observations sur une feuille volante.
« Bien sûr, je dois pouvoir trouver ça. » Affirma l'agent Humbert.
Très facilement, il eut accès à une caméra qui filmait dans le bon angle. Il dut faire quelques réglages pour ralentir la vitesse de visionnage, il y avait beaucoup de trafic, des voitures de diverses couleurs sur lesquels se reflétaient les lumières des décorations de fin d'année et il ne voulait pas se montrer incompétent une nouvelle fois.
Et il eut bien raison de mettre toutes les chances de son côté car sans ces ajustements, le mouvement répétitifs des véhicules lui aurait obstrué la vue. De l'autre côté du trottoir, au niveau d'un panneau de signalisation, se trouvait une adolescente. Des cheveux clairs encadraient son visage et elle portait des habits large, un seul coup d'œil était suffisant pour comprendre que ce n'était absolument pas son style vestimentaire et qu'elle avait sans doute pioché dans l'armoire de son grand frère... ou d'un ami.
La juge n'eut aucun mal à la reconnaitre et Regina ne sembla pas du tout étonnée en l'écoutant.
« Pour être tout à fait honnête, je crois que je ne comprendrais jamais pourquoi vous traitez les jeunes délinquants de cette façon. Seulement, voilà, si nous intentons un procès uniquement pour ce garçon alors qu'en vérité, il aurait une complice dans ce meurtre horrible, alors ce serait faire honte à notre tribunal. Même si ça doit mettre en rage nos supérieurs, je me rangerais de votre côtés. Je ferais tout mon possible pour vous aider. C'est normal, vous... Vous êtes mon ainée, pas vrai ? » Annonça-t-elle.
La brune eut un pincement au cœur – était-ce de la déception ? Sa collègue était prête à l'aider, prête à se faire enguirlander à ses côtés, prête à mettre sa position au sein du tribunal en danger dans le seul but de l'aider alors pourquoi était-elle déçue ? Elle n'attendait rien de la jeune femme et pourtant, ce sentiment était bien présent. Elle ne savait quoi dire, ni même quoi faire, elle était un peu perdue même si elle n'était plus seule dans cette bataille.
Regina se leva sans un mot et retourna à l'intérieur du bâtiment, elle décida de mettre tout ce qu'elle ressentait actuellement sur le dos de la fatigue et de se concentrer sur son travail. Grâce à la juge associée, elle avait maintenant une preuve irréfutable que l'adolescente avait un lien directe avec le meurtre mais elle devait encore trouver un moyen de trouver comment et surtout pourquoi elle y était impliquée.
« Vous n'allez pas pouvoir faire ça toute seule ! » S'exclama Emma qui lui emboita le pas jusqu'à leur bureau. « Vous n'avez aucune idée d'où viennent ces gamins et vous ne savez pas non plus quelle genre de relation ils ont créé sur les réseaux et dans la vie. Ava Tillman a abandonné le lycée de Concord dès la première année et devinez qui d'autre est allé à ce lycée parmi les cas que l'on a traité ? »
La blonde se comportait de manière amicale avec tous les jeunes délinquants dont elle avait la charge, d'une part parce qu'elle estimait que chacun avait le droit à une deuxième chance donc elle ne faisait que preuve d'un peu d'humanité mais aussi parce que, de cette manière, elle parvenait à les mettre en confiance. Une fois la confiance établie, elle arrivait enfin à les faire parler ce qui lui permettait de les aider à hauteur de leur besoin.
Elle n'avait aucun mal à discuter pendant des heures avec un jeune, bien au contraire, la discussion se faisait toute seule tant certains en avaient gros sur le cœur. Elle n'était rien de plus qu'une épaule sur laquelle ils venaient pleurer, une oreille à laquelle ils pouvaient se confier. La famille, les études, les amis, les relations, les rêves, les espoirs pour demain, les désillusions d'enfances : elle écoutait chacune de leur confidence avec la plus grande sincérité.
Elle n'eut donc aucun mal à comprendre qu'Ava avait fréquenté le même établissement scolaire que l'une de leur adolescente à problème : Lilith. Elle se doutait bien que cette dernière devait amèrement en vouloir à Regina qui l'avait renvoyé en centre pénitencier alors qu'elle venait tout juste d'en sortir alors elle s'y était rendu seule, s'armant de son plus beau drapeau blanc en signe de paix.
La blonde n'était pas venue les mains vides, elle avait pris le temps d'aller lui acheter un chocolat chaud ainsi qu'un roulé à la cannelle car la brune lui avait, une fois, confié qu'il s'agissait de sa viennoiserie préférée. Une fois seule à seule, elle lui expliqua la situation, dans les grandes lignes, dans les très grandes lignes puisqu'elle ne pouvait pas révéler d'information importante à une personne extérieur à la chambre.
« Si tu le fais, peut-être que ça jouera en ta faveur pour la suite. L'avenir est imprévisible après tout, qui sait ce qu'il nous réserve. Une bonne action peut avoir un effet boule de neige dont on ne s'attend pas. »
« Non. Je ne veux pas vous aider. » Marmonna la brune en triturant son gobelet.
« Ça, ce n'est pas très gentil... Je ne t'ai jamais rien demandé jusqu'à présent et je t'ai toujours aidé du mieux que j'ai pu. Pour une fois, tu pourrais faire une geste. Je t'en prie, aide-moi, rien qu'une toute petite fois. » Sourit-elle avec douceur.
Lilith ne pouvait dire le contraire, depuis que la jeune femme avait récupéré son dossier, elle n'avait cessé de chercher la meilleure manière de la tirer vers le haut. Elle avait fait en sorte de lui trouver une place dans un centre pour jeune délinquant au plus près de sa famille et elle avait aussi convaincu le juge en chef de lui autoriser les visites et sorties encadrées. Sa condition de vie en centre s'était nettement améliorée depuis que la blonde l'avait pris sous son aile alors, même si elle n'en avait pas grand envie, elle fit un pas vers elle.
« Elle m'a confié qu'Ava avait pour habitude d'aller dans un cybercafé du quartier sud, pas bien loin du parc du Mémorial Field. Vous avez le permis de conduire, n'est-ce pas ? Je vous prête ma voiture mais faites attention, elle est neuve et je n'ai pas encore fini de payer le crédit. » Informa Emma en lui donnant son trousseau de clé avant de reprendre : « Je vais aller voir au domicile d'Ava Tillman, elle va sans doute chercher à communiquer avec Nicholas, sans doute via un chat de jeu ou des réseaux sociaux. »
Encore une fois, la brune resta sans mot. Elle qui avait passé l'après-midi à ruminer dans son coin se rendait compte de tout ce qu'avait accompli sa collègue en un temps record. Celle-ci n'était en aucun cas obligé d'en faire autant et pourtant, en une après-midi, elle avait donné un nouveau souffle à son enquête.
Avec un léger sourire sur le coin des lèvres, elle récupéra sa veste et s'en alla sans attendre. Elle descendit jusqu'au parking sous-terrain et commença à chercher le véhicule en question tout en faisant tinter les clés dans le creux de sa main. Le porte clé qui pendouillait de l'anneau était un dinosaure – un stégosaure si sa mémoire était bonne – et, en le voyant, elle ne put s'empêcher de penser que la jeune femme avait plus que passé l'âge pour ce genre de passion qui lui donnait un air d'enfant.
Arrivant enfin au niveau du bloc de place destinée à la chambre des mineurs criminels, elle utilisa la télécommande du trousseau pour savoir laquelle de ces voitures elle allait avoir le privilège de conduire. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant les phares de la berline jaune s'allumer.
« Sérieusement ? Elle ne pouvait pas choisir une couleur plus voyante... » Grommela Regina qui grimpa tout de même à l'intérieur.
Une fois assise derrière le volant, elle soupira en posant ses mains sur le cuir de celui-ci. Elle n'avait pas conduit depuis un petit moment. Conduire s'était révélé bien trop dangereux pour elle, comme pour les autres usagers, alors elle avait revendu sa Mercedes de collection pour devenir une fidèle cliente de taxi. Elle craignait d'être un peu rouillée mais elle ne pouvait se défiler plus longtemps, elle espérait simplement que ce soit inoubliable – un peu comme pour le vélo.
Elle prit tout de même quelques instants pour se convaincre qu'elle pouvait le faire puis elle fit vrombir le moteur. Elle ne l'avouerait jamais à haute voix mais la sensation de son pied sur la pédale d'accélérateur lui avait peut-être légèrement manqué. Sans perdre plus de temps, elle quitta la place de stationnement pour s'engager dans l'allée où, à sa grande surprise, la mère de Nicholas se jeta pratiquement sous les roues du véhicule.
Elle fut légèrement secouée dans l'habitacle. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et elle ne put s'empêcher de lâcher un profond soupir en voyant que la femme allait bien, que ses réflexes étaient toujours aussi bons. Une fois le soulagement passé, elle soupira cette fois-ci d'agacement avant de sortir.
« Vous avez perdu la tête ? Vous vous croyez où ? J'aurais pu vous blesser, c'est stupide ! »
« Je vous en prie, libérez mon fils. Pitié, relâchez-le ! Ce n'est pas possible qu'il ait fait ça. Je lui ai donné la vie, je le connais mieux que n'importe qui ! » Supplia Dory en lui agrippant le bras.
« Tous les parents qui viennent défendre leur enfant coupable disent la même chose. » Fit la brune avec désintérêt avant de retourner dans la voiture.
Mais voilà, la mère de Nicholas n'avait pas dit son dernier mot. Elle se replaça sur son chemin, posa même les mains sur le capot dans l'espoir de l'empêcher d'avancer, dans l'espoir d'être écoutée. La juge leva simplement les yeux au ciel avant d'écraser la paume de sa mai sur le klaxon qui résonna dans le souterrain.
« Je vous demande de laisser sortir mon fils ! »
« Ecartez-vous de là ! Je ne le dirais pas une deuxième fois. » S'exclama-t-elle en ouvrant légèrement sa vitre pour être entendue.
« Vous devez le relâchez, je vous en prie. » Pleura Dory à chaudes larmes.
« Ça va... J'en ai marre... Vous allez dégager de là oui ? » Grommela Regina en bouclant sa ceinture.
Cette fois-ci, elle perdit patience. Elle démarra de nouveau et écrasa son pied sur la pédale. La jeune femme afficha une grimace de douleur sur son visage, prête à encaisser le choc avec le capot de la voiture mais au contraire, le crissement des pneus semblait s'éloigner ce qui la fit rouvrir les yeux.
Regina n'était pas folle, elle n'allait tout de même pas la renverser. En plus d'être un acte totalement insensé, elle aurait attiré des ennuis à sa collègue qui lui avait prêté le véhicule. Seulement voilà, elle n'avait pas de temps à perdre avec les pleurnicheries de cette femme alors, si elle ne pouvait pas se contenter d'aller tout droit, elle n'hésiterait pas à faire un détour tant qu'elle parvenait à atteindre son but.
