5. Les armées sacrées des Olympiens

Cité d'Élis

Assise sur les marches menant à l'autel et le dos appuyé contre ce dernier, Pandore observait sans réellement la voir la vaste pièce rectangulaire à peine éclairée par les rares flambeaux et lampes. La lumière traçait un chemin rectiligne entre l'entrée et l'autel sacré dédié à Hadès. Le reste du naos était plongé dans les ténèbres nocturnes. Cela devait représenter les Enfers. Ou du moins était-ce ainsi que les mortels les imaginaient. La jeune femme n'avait jamais réalisé à quel point le Temple était vaste et grand, se contentant d'y venir pour déposer les offrandes et prier avant de ressortir. Elle ne passait jamais énormément de temps à l'intérieur. Pandore soupira, ses doigts frôlant le sol de pierre à la recherche de son voile sombre qui devait logiquement dissimuler ses cheveux. Elle l'avait fait tomber sans se préoccuper de son apparence face à l'Olympien. Une fois que ses doigts se refermèrent sur le tissu chaud et léger, elle le serra et elle joua un peu avec les bords. Cela avait en général un effet apaisant sur son être.

Pandore savait qu'elle avait passé plus de temps que nécessaire dans le Temple. Mais en même temps elle avait perdu toute notion des minutes s'égrenant depuis que le dieu Hadès s'était spontanément présenté à elle sous une forme humaine. Cela devait paraître bien long au peuple d'Élis qui attendait à l'extérieur qu'elle revienne avec des réponses. Et c'était sans aucune peine qu'elle devinait les questions qui devaient agiter les esprits de tous les habitants de la cité, désireux d'être rassurés par leur Divinité protectrice. Tout comme elle était certaine que l'inquiétude mordait l'âme du roi, face à sa longue absence, lui qui espérait qu'elle reviendrait avec des bonnes nouvelles. Quant aux prêtres, elle savait leur agacement face à cette situation, où ils jugeaient qu'elle se donnait un trop grand rôle en restant aussi longtemps dans le naos, seule avec l'Olympien, et se faisant désirer… Elle les connaissait si bien après autant d'années au service du dieu Hadès et à celui de sa cité, qu'elle n'avait aucun mal à prévoir leur réaction. Et un léger soupir lui échappa.

Relevant ses yeux rosés, Pandore se permit de regarder le dieu Hadès. Ce dernier s'intéressait aux diverses offrandes. Même s'il était vêtu d'une toge sombre des plus amples, la jeune femme pouvait discerner sous celle-ci l'armure divine de l'Olympien. Elle était noire et sombre comme les ténèbres, tout en scintillant comme des pierres précieuses enfouies au fond d'une mine, qui renvoyaient la pauvre lumière d'une lampe. Ou peut-être comme les étoiles brillant dans un ciel nocturne où Séléné ne régnait guère. Malgré le sérieux de ses propos, l'Olympien dégageait un calme des plus reposants pour l'âme de la jeune prêtresse. Et il ne lui avait pas menti. Il avait répondu à toutes ses questions au sujet de son frère, du sanctuaire de Delphes et d'autres détails moins importants mais qui touchaient la vie quotidienne des citoyens d'Élis. Cependant, Hadès semblait attendre avant de lui expliquer qui était l'ennemi, prolongeant ainsi leur tête-à-tête fraternel. Si elle avait osé s'accorder plus d'importance, elle aurait presque osé imaginer que l'Olympien profitait de ce moment de conversation entre eux. En tout cas, plus le temps passait, plus Pandore imaginait être avec son frère. C'était sûrement quelque chose voulu par Hadès. Après tout, les Déités pouvaient manipuler l'esprit et les sens des mortels à leur guise.

« Le jour doit se lever ? », murmura Pandore dans un souffle en ramenant son voile sur ses épaules. « Je dois sortir du temple pour porter tes réponses à tes fidèles, Seigneur Hadès. »

« Je ne qualifierai point de fidèles les prêtres me servant. Les prêtresses, telles que toi ma chère sœur, faites preuve d'une réelle dévotion et d'une vraie foi. », répondit l'Olympien en lui accordant un regard en coin. « Il reste encore quelques heures avant qu'Éos ne parcourt le ciel sur son char pour annoncer la venue d'Hélios. Mais ne t'inquiète pas, je t'accompagnerai. »

Pandore se tourna à moitié pour observer Hadès, la surprise brillant dans ses pupilles rosées et sur ses fins traits de porcelaine. Alors l'Olympien désirait se manifester à tous et toutes. C'était exceptionnel. La jeune femme n'avait point le souvenir d'avoir entendu qu'une telle manifestation divine se soit déjà produite, à part dans certains mythes. Généralement, les Déités se manifestaient à un mortel en particulier ou uniquement par des signes divins. Pandore supposa que l'ennemi devait être très puissant. La peur revint hanter son âme. Cependant, le Seigneur des Enfers semblait à mille lieues des préoccupations et des inquiétudes de sa prêtresse. En fait, il sélectionnait avec soin les morceaux d'agneau et les fruits disposés sur l'autel sacré pour les déposer sur le plateau en argent. De toute évidence, les offrandes l'intéressaient plus qu'une probable guerre. Une fois satisfait de son choix, il vint s'installer à ses côtés sur l'escalier. Et il lui présenta le plateau avec un sourire, la laissant choisir son met en premier. Pandore observa les denrées alimentaires qui lui étaient ainsi offertes. Et elle plissa le nez d'étonnement. Était-il vraiment l'heure d'un repas ? N'y avait-il pas des préoccupations plus importantes à gérer ? Mais désireuse de ne pas vexer l'Olympien, elle accepta de prendre quelques grains de raisin et un morceau de viande. Son ventre cria famine juste à ce moment-là, provoquant une rougeur embarrassée sur ses joues. Elle avait faim et elle ne pouvait le nier. Détournant le regard tout en grignotant sa part du festin, la jeune femme ne put voir le sourire amusé d'Hadès. Tout en dégustant sa part, Pandore se demanda si elle ne commettait pas un sacrilège d'oser dévorer ainsi l'offrande faite à un Olympien.

« C'est moi qui te l'ai proposé. », commenta Hadès en réponse à ses questions muettes. Et Pandore ne s'étonna pas qu'il puisse lire ses pensées aussi facilement. « De plus, ne serait-il pas triste de ne pas profiter de ce repas ? Les récoltes se font moins bonnes, autant ne pas gaspiller ce que l'on a. »

« Tu sais aussi que les récoltes ne sont guère aussi bonnes que les autres années ? », demanda la jeune femme avec étonnement.

« Bien sûr. Il y a un prix à payer quand on devient sourd aux présages divins. Bien que pour une fois, Déméter ne soit pas vraiment la cause de cette disette. Elle s'en lamente d'ailleurs autant que les mortels… Mais laissons donc le sujet de l'agriculture pour plus tard. Nous avons une préoccupation bien plus importante… », expliqua l'Olympien en finissant son morceau de viande.

« La guerre, qui est à nos portes… », murmura Pandore avec un soupir tremblant. « Quelle cité sera donc notre ennemie, qui soit si redoutable pour nous ? »

« Aucune. », répondit laconiquement Hadès. « Notre ennemi est commun à toutes les cités. Il possède le plus vaste empire, et par conséquent une armée puissante et nombreuse. Il vient de l'Est. Il détruira d'abord l'Attique, ayant de toute évidence un compte à régler avec Athènes. Puis son appétit de conquête s'étendra à toutes les cités grecques : Sparte, Corinthe, Argos, Marathon, Thèbes… Même notre cité sera anéantie si nous ne l'arrêtons pas. Il se sent invincible de par sa grandeur et sa force de frappe. »

Pandore tressaillit. La peur s'insinua dans tout son être, rampant jusqu'à son esprit pour paralyser sa capacité à réfléchir. Elle se glaça sur place, ne sachant comment réagir, telle une proie prise dans le regard d'un prédateur et incapable de fuir. La jeune femme n'était pas une spécialiste de la politique, ni des armées. Bien que participant au conseil royal, elle n'était présente que pour écouter et annoncer les présages divins quand on lui demandait. Aucun homme n'aurait imaginé qu'une femme puisse avoir une quelconque connaissance guerrière, même si c'était une Déesse qui était vénérée en temps de guerre. Mais une Déité n'était pas une mortelle. Et Pandore n'oserait jamais se comparer à la déesse Athéna, loin de là. Cependant, même sans avoir le savoir nécessaire à la stratégie militaire, la jeune prêtresse devinait que la présence du dieu Hadès ne présageait rien de bon. Et les mots prononcés par l'Olympien apportaient un poids encore plus lourd aux auspices qu'elle avait pu lire quelques jours plus tôt dans les plaines de l'Élide. Tout convergeait vers cette guerre imminente sur leurs terres, qui serait accompagnée de son cortège de fléaux habituels. Pourtant, au tréfonds de son âme brillait une faible lueur. La même que celle qui était restée dans la boîte que la première Pandore, dont elle portait le nom, avait conservé après avoir libéré tous les maux sur les mortels. L'espoir. Ce sentiment, qu'on disait capable de soulever des montagnes, était à cet instant leur meilleure arme. Et la jeune femme y croyait. Parce qu'Hadès promettait de leur venir en aide personnellement. Si les Olympiens combattaient à leurs côtés, alors peut-être avaient-ils une chance de victoire. Du moins, elle voulait y croire. Inspirant pour calmer sa nervosité et chasser les doutes de son esprit, Pandore tourna un regard déterminé vers Hadès.

« Quel est notre ennemi, Seigneur Hadès ? », questionna-t-elle avec une certaine détermination dans la voix. Si elle devait prédire une guerre, elle devait pouvoir identifier leur opposant et l'annoncer aux dirigeants d'Élis.

« L'Empire achéménide. », répondit l'Olympien très sérieusement. « Mais je vais vous aider. Je réveillerai les Spectres, mon armée personnelle. Ils combattront aux côtés des armées d'Athéna et de Poséidon, ainsi qu'auprès des guerriers des différentes cités prêtes à résister. »

« Les Spectres ? », répéta Pandore avec une pointe de surprise dans la voix. Elle n'avait jamais entendu parler d'une armée sous les ordres du dieu Hadès.

« Oui, ils sont cent huit. Et c'est à toi qu'il incombe de trouver les guerriers qui porteront ces Surplis, les armures sacrées de mon armée. Tu en seras la seule et unique dirigeante, secondée par les trois Juges. C'est uniquement avec vous que je communiquerai. Comprends-tu ? », expliqua Hadès en la regardant droit dans les yeux.

« Oui, bien sûr mais… », murmura Pandore, incertaine d'être à la hauteur de la tâche que l'Olympien lui confiait.

« Fais-toi confiance autant que tu as foi en moi. Ta route a déjà croisé celles de certains Spectres. Tu les reconnaîtras. », l'interrompit Hadès. Et il se pencha vers elle pour lui passer un joli collier autour du cou. « Un présent pour toi, petite sœur, symbole de notre lien et de ton grade dans mon armée. »

Les fins doigts de Pandore frôlèrent le bijou ornant son cou. Et elle se contenta d'acquiescer pour toute réponse. Elle obéirait à l'ordre du dieu Hadès. Elle ignorait comment elle s'imposerait face au roi et à son conseil pour contrôler les armées, mais si l'Olympien restait à ses côtés rien ne lui était impossible. D'ailleurs, en y réfléchissant un peu, Pandore pensa que Rhadamanthe et ses frères, en tant que chefs des armées de la cité d'Élis et au vu de leurs capacités guerrières, devaient être de bons candidats pour hériter d'un Surplis de l'armée d'Hadès. Elle en était même intimement convaincue, que c'était leur destin à tous les trois.

« Viens. Il est temps maintenant d'aller expliquer les présages. », ajouta l'Olympien en l'invitant de la main à se lever. Il avait raison. Il leur fallait sortir du Temple et préparer la guerre ou au moins organiser leurs défenses et leurs armées, et trouver des alliés…


Cité d'Athènes

Le jour était levé depuis un long moment. Les rayons bienfaisants d'Hélios éclairaient le naos du Parthénon, créant un chemin lumineux jusqu'au socle où autrefois s'élevait la statue de la Déesse. Athéna n'avait pas bougé depuis qu'elle s'était incarnée dans le corps de Saori. Elle n'avait guère besoin de repos. Elle attendait donc simplement que les mortels s'éveillent. Le regard pers de l'Olympienne restait fixé sur le socle vide face à elle. Puisqu'elle s'était manifestée aussi directement, il était inutile de conserver un symbole de sa présence dans la cité d'Athènes. Pour autant, la Déité n'était pas certaine que le message serait suffisamment limpide aux yeux des Athéniens. Elle avait la certitude que les prêtres étaient devenus incapables de comprendre ce que les Divinités leur disaient à travers divers signes et oracles. Et au vu de l'identité de l'ennemi à combattre pour protéger les cités grecques, aucun Olympien n'avait eu envie de prendre le moindre risque et de s'en remettre totalement aux mortels. Ses oncles, Hadès et Poséidon, s'étaient eux aussi incarnés cette nuit dans leur Sanctuaire respectif. Elle pouvait sentir leur aura divine et leur présence physique dans le monde des humains. Et tout comme elle, ils comptaient réveiller leurs armées sacrées pour combattre et forcer les cités à une alliance qui serait probablement leur seule chance de victoire. Athéna eut un fin sourire. Saori avait déjà rencontré trois de ses chevaliers. Et elle pouvait sentir la présence toute proche de son Temple des trois jeunes hommes. C'était un bon début pour rassembler ses troupes et récupérer sa lance divine. L'Olympienne savait qu'elle n'aurait aucune difficulté à trouver ses autres guerriers. D'ailleurs, elle pouvait sentir que les Amazones approchaient de l'Attique. De toute évidence, elles avaient bien compris son message divin. Bientôt, Athéna en était certaine, son armée serait réunie autour d'elle et elle pourrait leur rendre les armures sacrées qu'Héphaïstos avait autrefois forgées.

« Que fais-tu en ces lieux, jeune fille ? Ne sais-tu pas qu'il est interdit d'entrer dans le Temple de la Déesse ? », tonna la voix furieuse du grand prêtre. « Et quelle est cette tenue ? Une femme en armes ? Quel manque de savoir vivre… Et… Mais… Mais où est la statue de la déesse Athéna ? Parle, qu'as-tu fait ? »

Athéna leva les yeux vers le plafond du Temple. Et elle soupira. Certains mortels étaient vraiment étroits d'esprit et manquaient de capacité à accepter les manifestations divines. Mais qu'importaient les propos du vieil homme, elle n'avait plus besoin de ses services. L'Olympienne choisirait elle-même le chef de son armée. Faisant volte-face, la Déesse fixa ses yeux pers sur le prêtre. Ce dernier eut un léger mouvement de recul, surpris par le regard déterminé, autoritaire et franc de la jeune femme lui faisant face. Il était inhabituel qu'une femme s'imposa de cette manière et par sa seule présence. L'Olympienne avança vers l'entrée du naos. Le bruit métallique de ses bottes claquant en rythme régulier sur les dalles de marbre résonna dans tout le Temple, imposant le bruit de pas des armées avançant au combat. L'impression d'être près d'un champ de bataille écrasa la capacité à réfléchir du grand prêtre qui resta pétrifié et immobile, la peur le rongeant. Quant à Athéna, elle l'ignora. Elle sentait la présence de ses protégés non loin d'elle. Son regard franc était posé sur les jeux de lumière venant de l'extérieur. Sans s'arrêter, elle dépassa le prêtre qui était comme enraciné dans le sol. Elle eut à peine un regard en coin pour lui.

« Je n'ai plus besoin de tes services. Je choisirais moi-même mon représentant et le chef de mon armée. », déclara-t-elle en passant près de lui pour sortir du Parthénon.

La lumière aveugla brièvement la jeune Déité. Fermant les yeux, Athéna profita de la douce caresse tiède des rayons de l'astre du jour sur son visage, et du frôlement léger du petit vent matinal. Il y avait quelques petits avantages, à son sens des plus agréables, à être incarnée dans le corps d'une mortelle. Certaines choses n'étaient appréciables qu'à travers l'éphémérité de l'existence humaine. Ouvrant les yeux, l'Olympienne observa les rares personnes présentes à cette heure plus que matinale au pied des marches de son Temple. À quelques mètres du Parthénon, en retrait et silencieux, se tenaient Seiya, Shun et Hyoga. Ils l'attendaient patiemment. Les trois jeunes hommes affichaient une expression étonnée et un peu perdue. À cette heure-ci, seuls les prêtres et prêtresses se trouvaient sur l'Acropole. Leur trouble était compréhensible. Ils ne devaient guère encore appréhender les raisons de leur présence en ces lieux, ni même deviner ce qui les unissait à l'Olympienne. Mais puisqu'ils avaient répondu spontanément à son appel, leur lien spirituel était aussi intact et aussi fort que lors de la dernière guerre qu'ils avaient menée côte à côte. Les souvenirs de cette autre vie leur reviendraient peut-être avec du temps.

Déviant son regard, Athéna s'intéressa à l'autre trio présent sur l'Acropole et bien plus proche du Parthénon. Il était composé d'après ce qu'elle voyait d'un prêtre de rang inférieur au vieillard qui fulminait dans le temple et de deux de ses disciples ou de ses guerriers. Et l'Olympienne n'eut pas besoin de plus qu'un simple regard pour savoir qu'ils étaient eux aussi les descendants de ses premiers guerriers sacrés. Elle considéra cela comme un signe de chance. Elle avait déjà à ses côtés cinq chevaliers et le chef de son armée. Elle pourrait donc assez rapidement reformer ses effectifs guerriers. Chevaliers et Amazones seraient bientôt à nouveau sous ses ordres. Elle savait le temps compté. Son armée devait être prête, avoir revêtu les anciennes armures sacrées avant que l'ennemi ne foule les terres de l'Attique. Et ce serait le cas. Du moins, la Déesse l'espérait. Mais cela dépendrait aussi des mortels. D'un pas décidé, toujours revêtue de son armure divine, Athéna avança d'abord vers les trois amis de Saori. Ils seraient les plus aptes à comprendre leur relation unique, celle qu'elle avait noué avec chacun de ses chevaliers, même si elle ne pouvait nier avoir des affinités en plus avec certains… Le bruit métallique de ses bottes se répercuta sur toute la place, imposant un silence impressionné aux mortels présents.

« Je suis heureuse de vous revoir après autant de siècles. », salua-t-elle les trois jeunes hommes avec un sourire amical et une voix presque maternelle. « Je vous rendrais sous peu vos armures, afin de vous permettre d'accomplir d'autres exploits. Comme autrefois, avec votre aide, je vaincrais l'ennemi. »

« Saori… On s'est vu il y a quelques jours… Qu'est-ce qui t'arrive ? », demanda Seiya, étonné par le changement de comportement et de personnalité de la jeune femme. D'ailleurs à bien y regarder, la couleur de ses yeux avait changé. Et elle dégageait une étrange force. Elle n'avait plus rien de la jeune fille perdue et apeurée qu'ils avaient aidé au marché à leur arrivée à Athènes.

« Je peux vous promettre que Saori va bien. Je veille sur sa sécurité et son bien-être. Elle sera récompensée pour le sacrifice qu'elle a consenti. », les rassura Athéna avec douceur. « Elle a bravement accepté que je m'incarne à travers elle pour combattre dans cette guerre qui est à nos portes. » Elle laissa quelques instants de silence s'installer entre eux. Ses yeux pers regardèrent avec bienveillance les trois hommes face à elle. Elle se doutait que la compréhension se faisait dans leur esprit. Ils étaient intelligents et doués d'un grand sens de réflexion et d'observation. Tout comme elle les savait dévoués à son culte, et qu'elle devinait leur dévotion envers les Divinités. « Vous savez qui je suis… »

« Comment oses-tu parler de guerre, jeune fille ? », l'interrompit la voix coléreuse du grand prêtre qui était sorti de sa stupeur et avait à son tour quitté le Temple. « Qu'y connais-tu au combats ou en présages divins ? Tu fais honte à ton père et ton époux, si tant est que tu es mariée, vêtue de la sorte ! Pour qui te prends-tu, une stratège? »

« Ô parce que tu penses t'y connaître mieux que moi au sujet de la guerre, l'ancien ? », répondit l'Olympienne en se tournant pour faire face à l'homme d'âge mûr élu pour être son grand prêtre. Sa voix était d'un seul coup devenue glaciale, mais malgré le poids de ses mots son ton resta étrangement calme. « Que comptes-tu faire quand les armées de l'Empire achéménide débarqueront sur nos plages et détruiront nos villages et cités sur leur passage ? Quel Dieu ou quelle Déesse prieras-tu avec désespoir, espérant une intervention divine quand tu n'écoutes plus aucun de nos présages, trop pris dans tes privilèges de mortel et trop certain d'avoir la sagesse ! Que conseillerais-tu aux Athéniens, dis-moi ? De payer les Perses dans l'espoir que l'or apaisera leur soif de conquête et de puissance ? Fermeras-tu les yeux en espérant que l'orage passe comme vous l'avez fait pour nos cités en Asie mineure et le Sanctuaire de Delphes ? Dis-moi donc prêtre, quelle merveilleuse et brillante stratégie tes amis et toi avez-vous donc élaboré pour défendre nos terres ? »

« Les Perses ne sont pas nos ennemis... Tu divagues, jeune fille. Comment peux-tu avancer de tels arguments ? », s'offusqua le vieil homme, appréciant peu d'être remis à sa place par une jeune femme. « Pour qui te prends-tu donc, femme ? »

« Je suis Athéna, fille de Zeus, sœur d'Apollon, Artémis, Arès, Dionysos et Hermès. Je suis la Déesse de la guerre, de la stratégie et de la sagesse. Fondatrice d'Athènes et victorieuse des ennemis de mon père, conseillère des héros. », répondit l'Olympienne d'une voix claire, forte et assurée. Un éclat doré traversa ses pupilles claires alors qu'elle fixait le grand prêtre de toute sa hauteur. « Et dis-moi, vieil homme, crois-tu vraiment qu'ils s'arrêteront aux cités grecques d'Asie mineure ? Penses-tu qu'ils ne traverseront pas la mer Égée ? Ils ont déjà détruit le Sanctuaire et la demeure de mon frère Apollon. »

Consciente que les mots ne suffiraient pas face à des esprits aussi étroits, Athéna laissa sa nature divine s'étendre sur toute l'Acropole. L'énergie divine dorée entoura et illumina la fine silhouette de la Déité. La lumière semblait émaner de son propre corps. Son ombre imposante s'étendit derrière elle sur le sol pavé au pied du Parthénon et des autres Temples. Un éclat scintillant traversa ses pupilles pers. Sous la puissance de l'énergie divine, le vieil homme recula, pétri à nouveau par une crainte légitime face à l'Olympienne, qu'il se devait de servir. Les autres hommes présents s'agenouillèrent tous rapidement, avec une réelle dévotion face à la manifestation d'Athéna. Apparemment, ils avaient maintenant pleinement conscience de qui elle était. Peut-être pourrait-elle donc avancer ses pions et préparer avec stratégie la future bataille. Satisfaite d'avoir obtenu le respect, elle se tourna à nouveau vers ses trois chevaliers. Et oubliant qu'elle avait été interrompue, l'Olympienne reprit ses explications.

« Donc, je disais, je vais vous rendre vos armures sacrées, à vous mes plus dévoués et fidèles guerriers, à vous avec qui j'ai partagé tellement de combats et de victoires. », déclara d'une voix redevenue bienveillante Athéna, arborant un sourire à nouveau.

« Eux ? Ce ne sont pas des guerriers. Ce sont des paysans venus chercher un emploi dans la cité… », déclara le grand prêtre d'une voix incertaine. « Si tu veux une armée, nous avons de très bons soldats. »

« Et qui es-tu pour juger de la valeur, du courage et de l'honneur de mes guerriers sacrés ? », questionna Athéna en le fusillant du regard par-dessus son épaule. « C'est leur destin. Et ils rempliront à nouveau leur devoir avec la même dévotion et le même sens du sacrifice qu'autrefois. »

« Nous ? Des chevaliers ? », balbutia Seiya. À ses côtés, Shun et Hyoga échangeaient eux aussi un regard étonné par l'affirmation, toute divine qu'elle pouvait être. Ils n'en revenaient pas d'être remarqué par la déesse Athéna et d'être choisi pour la servir directement, alors que le prêtre avait raison, ils n'étaient à l'origine que des paysans vivant dans la campagne environnant Athènes.

« Oui, vous êtes mes meilleurs, mes plus proches et mes plus fidèles chevaliers. Faites-moi confiance. Je lis mieux que quiconque dans le cœur des mortels, et le vôtre est pur et vaillant. Je réveillerai donc les quatre-vingt-huit armures sacrées, qu'Héphaïstos a forgées à ma demande. », expliqua l'Olympienne. Puis elle se tourna vers les trois hommes plus âgés qui semblaient avoir fait le choix du silence face à elle. « Shion. », interpella-t-elle le prêtre. « Tu seras le chef de mon armée. Il t'incombe de retrouver mes chevaliers. D'ailleurs, tu en as déjà deux à ton service en les personnes de Saga et Aiolos. À vous aussi, j'offrirai une armure. Et vous aussi vous me servirez et vous protégerez nos cités. Quant aux Amazones, elles seront bientôt des nôtres. Bien, nous avons peu de temps pour organiser nos défenses. Allons, au travail. »

Athéna eut un regard pour la cité d'Athènes, qui sortait lentement du sommeil nocturne, située en contrebas de l'Acropole. Oui, le temps était compté. L'ennemi avait une bonne longueur d'avance. Il avait déjà rassemblé ses troupes de l'autre côté de la mer Égée. Elle devait préparer la contre-offensive rapidement, et nouer des alliances avec les autres cités pour résister à la vague destructrice qui les menaçait tous et toutes tel un raz-de-marée.


Cité de Corinthe

Assis sur le trône en marbre blanc du roi de Corinthe, Poséidon admirait le décor de la vaste salle dont le plafond haut était soutenu par deux rangées de colonnes ioniques. Son regard océan se perdit pendant de longues minutes sur le plafond sculpté et décoré de la salle du trône. Un bref instant, l'Olympien se demanda pourquoi les mortels construisaient des édifices aussi hauts et larges. Ils n'étaient pourtant pas bien grands en taille comparé à d'autres créatures mythiques telles que les géants ou les cyclopes. Mais il fallait reconnaître que les humains possédaient un égo parfois supérieur aux Déités qu'ils vénéraient. C'était probablement à l'image de leur puissance rêvée que les mortels édifiaient leurs bâtiments concurrençant la grandeur des Temples. Il était certain que l'humilité n'était certainement pas la valeur, ni la qualité la plus répandue, même chez les serviteurs des Divinités. C'était peut-être pour cela que les prêtres et la majeure partie des mortels étaient devenus sourds aux messages divins. Pourtant, lui comme les siens avaient multiplié les mises en garde. Et même si certains avaient compris en partie le message, la majorité des citoyens semblait se complaire dans l'illusion d'une paix éternelle.

Encore heureux, certains mortels avaient encore foi en eux et faisaient preuve d'une réelle dévotion dans leurs rituels et prières, tel que le jeune prince héritier de Corinthe, Julian. Ce dernier avait accepté de le laisser s'incarner à travers lui, lui faisant confiance. Et Poséidon se faisait un devoir d'assurer que le jeune homme soit en sécurité et puisse retrouver un jour sa liberté. Tapotant des doigts sur le bras du siège en pierre, l'Olympien ramena son regard sur les hommes vêtus d'armures et agenouillés avec respect face à lui. Leurs regards fixaient le sol de marbre, sans oser se relever sur l'incarnation de l'Empereur des Océans. Il devait le reconnaître, Thétis avait travaillé avec rapidité et une redoutable efficacité comme à chaque fois. Trois de ses généraux étaient déjà à ses côtés. Les autres ne tarderaient guère à les rejoindre. Poséidon pouvait sentir leur présence converger vers la cité de Corinthe, guidés par la voix envoûtante de la Sirène. Quant aux guerriers déjà présents, l'Olympien leur avait d'emblée offert leurs Écailles respectives. Ces dernières brillaient d'un éclat doré et bleuté, rappelant la lumière se perdant dans les flots marins. Ces armures sacrées avaient autrefois été forgées par Héphaïstos à la demande des certains Olympiens pour protéger leurs cités et les mortels. Il n'aurait jamais cru qu'un jour, il devrait revenir combattre en personne. Et réveiller ces lointains souvenirs dans des âmes, qui l'avaient autrefois, il y avait bien longtemps, déjà servis avec honneur et courage. Il lui manquait quatre généraux, et il pourrait imposer les chefs de son armée sacrée. Et alors, il pourrait aller à la rencontre d'Athéna et d'Hadès, qui auraient aussi leurs guerriers, pour nouer cette alliance victorieuse. Car Poséidon ne doutait pas que la victoire serait dans leur camp. Niké y veillerait.

« Que fais-tu installé sur le trône de ton père ? », questionna la voix du grand prêtre en entrant dans la salle pour le conseil matinal.

« Hum… Ma foi, maintenant je dirige cette cité. Ce qui me semble bien mieux. », répondit l'Olympien avec un vague sourire moqueur, en appuyant sa tête dans la paume de sa main et fermant un bref instant les yeux. Les choses amusantes allaient commencer. Poséidon devait prouver qui il était et prendre définitivement le contrôle des armées de Corinthe. Sinon leur stratégie serait vouée à l'échec.

« Tu n'es pas encore roi de Corinthe ! En imaginant bien sûr que tu le sois un jour. », répliqua le prêtre avec un certain agacement dans la voix. Et il semblait très certain de son fait.

« Ô mais n'aie aucun doute, Julian sera un jour roi de Corinthe. », répliqua l'Olympien en dardant son regard bleu sur le grand prêtre. « Mais toi, tu ne conserveras guère la charge de grand prêtre de Poséidon quand cette année sera révolue. Je doute que les citoyens de cette cité voudront encore de tes médiocres services. »

« Que se passe-t-il donc ici ? », demanda le roi de Corinthe, en entrant avec le reste des membres du conseil dans la salle. « Julian, que fais-tu avec cette armure ? Te prépares-tu au combat, mon fils ? »

« Plutôt à la guerre. Mais je peux t'assurer, vieux roi, que ton fils va bien. », se contenta de répondre Poséidon.

Poséidon se leva de son siège. Lentement, il descendit les marches menant au trône. À nouveau, il trouva ironique ce besoin de se surélever physiquement pour s'imposer comme chef sur les autres mortels. Avaient-ils tous si peu confiance en leur propre valeur ? Son regard océan se posa sur le groupe d'hommes formant le conseil royal de Corinthe, composé des prêtres élus pour l'année et des patriarches des familles aristocratiques les plus influentes de la cité. L'Olympien lisait dans leur âme et leur cœur avec une facilité déconcertante, car nul ne pouvait mentir aux Déités après tout. Il évalua leur valeur, leur dévotion aux Dieux et Déesses et la pureté de leurs intentions et pensées. Le constat n'était malheureusement pas très brillant. Entre ceux prêts à tout, même à pactiser avec l'ennemi pour s'enrichir et gagner du pouvoir, ceux trop certains de leur importance, sagesse et savoir et enfin ceux écrasés par le poids des années et de leur charge, la conclusion n'était guère des plus positives. Leur chance de victoire sans une intervention divine était clairement inexistante aux yeux de l'Olympien. Il avait bien fait de s'incarner et de réveiller ses armées sacrées. Sans cela, les Perses n'auraient aucun mal à mettre la main sur toutes les cités de la Grèce. Sans vraiment se presser, Poséidon dépassa ses généraux, toujours respectueusement agenouillés, et il s'arrêta à quelques pas des membres du conseil et du roi. Il les toisa de toute sa hauteur avec un rictus dédaigneux, imposant son ombre divine dans la pièce, la rendant soudainement bien petite et étouffante pour les mortels.

« Donc, vu que notre ennemi a déjà rassemblé ses armées sur les bords de la mer Égée en Asie Mineure, à partir de maintenant et pour le salut de la cité, je suis le seul maître de Corinthe et de ses armées. Soldats qui seront sous la responsabilité et les ordres de mes sept généraux. », déclara Poséidon d'une voix neutre, mais déterminée et assurée. Il était clair qu'il n'admettait aucune contrariété. S'il avait les traits de Julian, sa personnalité était bien celle d'un des Dieux les plus puissants du panthéon grec.

« Qui es-tu ? Tu n'es pas mon fils, même si tu en as pris l'apparence. Tu n'es pas Julian. », murmura le vieux roi, étonné par cette manifestation qu'il hésitait dans son esprit à qualifier de divine. Était-ce un monstre mythique qui se jouait de lui ou bien une Divinité avait réellement pris la place de son fils unique ?

« Ne l'as-tu pas deviné vieil homme ? Ne connais-tu pas la dévotion et la foi que ton fils me porte ? N'as-tu pas la responsabilité de mon Sanctuaire à Isthmia et des jeux qui me sont offerts ? », répondit sous forme énigmatique l'Olympien en fixant le roi.

« Dieu Poséidon… », souffla le roi à voix basse et respectueuse. Et il s'agenouilla devant lui, baissant la tête en signe de dévotion.

« C'est impossible… Poséidon ne s'incarnerait pas … et sûrement pas en… », balbutia le grand prêtre, mais il fut interrompu par une bourrasque d'air qui le fit reculer de plusieurs pas. À nouveau, l'ombre de l'Olympien glissa sur le sol et les murs, et envahit toute la salle, imposant sa puissance divine aux mortels qui osaient douter de son identité.

« Qui es-tu pour prétendre savoir ce qui est possible ou non de réaliser pour un Dieu ? », déclara l'Olympien d'une voix grondante aux accents de tempête. Ses yeux brillèrent d'une lumière bleutée. « Je suis Poséidon, Empereur et maître de sept Océans, fils de Chronos et Rhéa, frère de Zeus, Hadès, Héra, Hestia et Déméter. Et Corinthe est ma cité. Vos richesses et vos bienfaits, vous me les devez. Et votre remerciement ces derniers mois laisse fortement à désirer. Il manque bien des sacrifices et des offrandes sur mes autels. Bien des prières sont récitées sans y croire. Néanmoins, je protégerai ces terres, par bonté et bienveillance. Vos armées me serviront. Elles combattront sous les ordres de mes généraux. Nulle contestation ne sera tolérée. Faites scrupuleusement ce que Kanon du Dragon des Mers, Isaak du Kraken et Krishna de Chrysaor vous ordonnent. Les autres généraux arriveront sous peu. Et ne me décevez pas ou ma colère sera terrible pour Corinthe et pour vous ! »

Poséidon n'avait jamais été de nature très patiente, ni très porté sur la négociation. Et il ne comptait pas perdre plus de temps que nécessaire dans cette discussion. Il avait une guerre à préparer. Il devait au plus vite unir les cités grecques, et rejoindre Athéna qui était en Attique, bien plus proche de lui qu'Hadès. D'ailleurs, ce dernier ne tarderait guère non plus à marcher vers les côtes de la mer Égée, là où l'ennemi débarquerait. Sans un mot de plus, après un signe de la main pour ses généraux, l'Olympien quitta la salle, suivi par ses trois guerriers. Il était temps pour lui d'inspecter les armées de Corinthe et de préparer la défense de la cité.


Notes :

Cette partie aurait dû être incluse dans le chapitre précédent, mais à mon sens il aurait été trop long. J'ai donc fait le choix de le couper en deux. Il y aura plus d'action à partir du chapitre suivant, les protagonistes étant tous plus ou moins présentés et le contexte posé. Alors, avez-vous trouvé quel fait historique me sert de fil conducteur ? Même si je le retravaille sous un angle plutôt mythologique.

Éos = déesse de l'aurore

L'Attique = territoire de la cité état d'Athènes, une des régions de la Grèce antique bordée par la mer Égée

L'Empire achéménide = premier Empire perse, le plus grand empire de l'antiquité avec 5,5 millions de kilomètres carrés allant de la mer Méditerranée aux frontières de l'Afghanistan et du Pakistan actuel. Il menacera par deux fois les cités grecques, avant d'être conquis par Alexandre le Grand.

colonne ionique = un des trois styles architecturaux de la Grèce antique, caractérisé par des colonnes cannelées et des chapiteaux à volute

Niké = déesse de la victoire et du triomphe

En Grèce antique, les prêtres et les prêtresses étaient tirés au sort ou élus pour un an, parfois ils héritaient de la charge sacerdotale familiale. N'importe quel citoyen pouvait donc le devenir.