Après s'être séparés un peu précipitamment, reprenant tous les deux leurs positions, ils avaient séché leurs larmes. Snape était parti en marmonnant :
"Je dois aller manger… euh… dans la grande salle."
Mal à l'aise, et sachant très bien qu'à cette heure le déjeuner serait très probablement terminé, il avait laissé Hermione seule dans la salle.
Les soirs suivants, il l'avait attendue, pensant qu'elle se précipiterait dans son bureau à la moindre occasion. Mais il lui avait fallu patienter quelques jours avant de la voir à nouveau avec cette tête aux cheveux broussailleux. Il avait presque cru un moment qu'elle ne reviendrait pas et qu'au final, elle lui en voulait. Pourtant, elle s'était présentée à son bureau en dansant d'un pied sur l'autre, ne sachant pas trop comment agir.
Quand il l'avait laissée, elle avait eu besoin de réfléchir et de comprendre tout ce qu'elle avait entendu. Et elle craignait qu'il la repousse à nouveau après s'être ouvert. Elle avait encore mille et une questions à lui poser sur les souvenirs qu'elle avait vus et ne savait pas trop comment l'aborder sans le braquer. Finalement, elle s'était dit que de toute façon, elle n'aurait aucune réponse si elle n'allait pas le voir.
Aucune de leurs peurs ne s'étaient confirmées et il l'avait laissée entrer dans ses quartiers, abandonnant le bureau rempli de souvenirs désagréables pour son salon beaucoup plus chaleureux. Ils avaient chacun pris un livre. Elle était installée dans le canapé et lui dans son fauteuil. Elle lisait sans comprendre, tournait les pages de son roman pour ne pas interpeller Snape. Elle le regardait prendre quelques notes, relire certains passages puis reprendre des notes. Elle étudiait son froncement de sourcil, le pincement de ses lèvres lorsqu'un passage l'intriguait ou le contrariait. Dans cette pièce, les artifices étaient levés et Snape apparaissait tel qu'il était.
"Sur quoi travaillez-vous ? osa-t-elle finalement demander, brisant le silence de la pièce.
— J'essaie de comprendre comment votre corps réagit à ce qui vous entoure."
— Vous travaillez toujours sur mon état ?" dit-elle surprise.
Il leva les yeux vers elle.
"Il y a toujours plusieurs choses que je ne comprends pas."
Devant l'expression interrogative de la jeune femme, il s'expliqua.
"Nous n'avons pas réussi à expliquer comment vous faites pour continuer à interagir avec votre environnement. Toutes les choses vivantes ne peuvent pas vous voir ou vous entendre, mais tout ce qui est inanimé oui. Je n'ai aucun moyen de vous faire revenir mais nous pourrons peut-être simplement améliorer votre situation.
— Cela pourrait expliquer pourquoi les tableaux arrivent à me voir même si c'est avec difficulté.
— C'est-à-dire ?
— Il me faut toujours plusieurs essais avant qu'un tableau veuille bien me laisser passer. Cela m'a déjà pris au moins un quart d'heure pour que la grosse dame me laisse passer.
— Elle ne vous voit pas ?
— Je ne sais pas si elle ne me reconnaît pas et m'ignore simplement ou si juste elle ne me voit pas vraiment. Je n'ai jamais réussi à lui arracher plus de quelques mots."
Il nota quelque chose sur le carnet à côté de lui et la regarda à nouveau, un air interrogateur sur le visage.
"Avez-vous toujours votre ombre ?
— Mon ombre ? Je n'ai pas eu l'impression qu'elle ne soit plus là."
Elle se leva et se tint devant la cheminée. Elle regarda à terre. À partir de ses pieds, une tache plus sombre formant sa silhouette se dessinait sur le sol. Elle vit les yeux de Snape briller au moment où il l'étudia et une douce chaleur l'envahit. Ses joues se colorèrent d'une jolie teinte rosée.
Il se racla la gorge et reporta son regard sur son carnet.
"Je peux la voir aussi", lui assura Snape, "mais les autres ne la voient pas, sinon ils seraient probablement interpellés qu'une ombre se balade dans les couloirs.
— Vous voyez aussi ce que je tiens dans mes mains.
— Oui ? lui répondit-il intrigué.
— Quand je prends un livre à Madame Pince dans la bibliothèque, elle passe parfois la journée à le chercher. Je peux être assise à une table, tant que je le tiens dans mes mains, il n'apparaît pas pour elle. Si je le lâche, celui-ci réapparaît quelques secondes après.
— Elle n'a pas dû apprécier que sa précieuse bibliothèque perde des ouvrages qui réapparaissent n'importe où.
— Pas vraiment… dit-elle avec une grimace à moitié désolée, à moitié amusée. Elle a fouillé les sacs de tous les Serdaigle pendant presque deux semaines pour être sûre qu'aucun ne les emprunte sans qu'elle ne soit informée. Elle a même fini par fouiller les sacs de quelques Poufsouffle.
— Alors c'est de cela qu'elle parlait avec Minerva en début d'année. Elle avait fait tout un scandale dans la salle des professeurs comme quoi un élève s'amusait à mettre le désordre chez elle.
— Désolée du dérangement.
— Ne vous excusez pas, dit-il clairement amusé par la situation. Je ne l'avais pas vue se mettre en colère avec une telle énergie depuis le jour où quelqu'un a renversé son verre sur la table à côté d'un de ses précieux livres. Il n'avait même pas été touché. Elle fait parfois un bon divertissement."
Après cela, ils continuèrent de chercher toutes les petites choses étranges qu'Hermione avait découvertes sur son état. Elle lui parla de l'hiver, des vêtements qu'elle avait dû voler et combien elle se sentait mal. Il l'avait bizarrement réconfortée à sa manière.
"De toute façon, cette boutique a toujours été bien trop chère pour la qualité des produits qu'elle vendait", avait-il rétorqué.
Elle lui expliqua comment elle était tombée sur la petite chambre, en fouillant dans tout Poudlard, évoquant que le château n'était pas assez bien entretenu et qu'elle avait eu beaucoup de mal pour trouver un nouvel endroit où dormir.
"Vous n'avez pas essayé d'utiliser la salle sur demande ?
— Bien sûr que si, mais elle ne m'a toujours donné qu'une salle vide, avait-elle répondu.
— Peut-être que c'est comme avec les tableaux ? Toutes les personnes vivantes et conscientes n'arrivent à vous voir réellement ou ne se souviennent de vous.
— Sauf vous, ajouta-t-elle.
— Sauf moi. Mais le château et les tableaux ne sont pas des êtres vivants ni réellement conscients. Le château a vu tellement de sorciers qu'il garde une empreinte de cette magie et a fini par avoir des réactions qui sont presque conscientes, ce qui peut expliquer que la salle sur demande vous ait été ouverte sans pour autant accéder à votre demande."
Elle était revenue le lendemain. Ils s'étaient installés à la même place, elle lisait et lui corrigeait des copies. Au bout d'un moment, elle l'entendit se lever. Elle lui jetait des coups d'œil alors qu'il prenait sa cape. On arrivait presque à la fin du mois de mai. Les journées se réchauffaient mais la nuit restait fraîche.
"Où allez-vous ?" demanda-t-elle.
-J'ai une ronde à faire. Vous pouvez rester là si vous le souhaitez, j'en ai pour une heure.
— Je peux venir avec vous ?"
Il la regarda d'un air surpris. Puis lui tendit la cape qu'Hermione avait déposée en entrant. Elle lui souriait en retour, heureuse qu'il l'acceptait ce soir encore.
Ils marchèrent ensemble en silence. On n'entendait que la respiration d'Hermione un peu haletante qui essayait de suivre les pas de Severus alors qu'il avançait sans même réfléchir par habitude.
"Pouvez-vous ralentir un peu ?" demanda-t-elle alors qu'ils arrivaient en haut de la tour d'astronomie, une fois qu'il eut délogé deux élèves faisant le mur, leur enlevant par la même occasion quelques points.
Toujours en silence, il acquiesça et descendit plus tranquillement les escaliers, se calant sur le pas d'Hermione. Ils avancèrent encore quelques minutes jusqu'au moment où ils arrivèrent devant le portrait de la Grosse Dame.
"Madame ? l'appela-t-il.
— Oui ?
— Nous pourrions profiter de cette petite escapade pour vérifier quelque chose ?
— C'est à dire ?" demanda-t-elle.
Il réveilla la Grosse Dame qui dormait profondément en tapotant sur son tableau. Elle grogna, se tourna sur le bord du tableau jusqu'à ce qu'elle dise les yeux à demi-ouverts :
"Mot de passe…
— Je ne l'ai pas, répondit-il.
— Alors débrouillez-vous et laissez-moi dormir."
Elle se réinstalla et ferma les yeux.
"Madame, réveillez-vous, c'est urgent !" tonna-t-il.
Sa voix fit frissonner Hermione. Il avait à peine haussé le ton, mais elle était assez vibrante et grave pour que la Grosse Dame se réveille vraiment cette fois-ci, en sursaut.
"Mais vous êtes malade, ma parole ? Nous sommes en pleine nuit, ce n'est pas l'heure pour me réveiller ! dit-elle alors que sa voix commençait à partir dans les aigus.
— Bien, maintenant que nous avons toute votre attention, vous pourriez peut-être répondre à quelques-unes de mes questions.
— Vous verrez, Snape, la directrice entendra parler de ça, je déteste qu'on trouble mon sommeil.
— Faites donc. Est-ce qu'il y a quelqu'un à côté de moi ?"
Hermione regardait Snape, les mains jointes derrière son dos et un sourcil levé. Mais que faisait-il ?
"Quelqu'un à côté de vous ?
— Dites quelque chose, Miss Granger, faites ce que vous voulez, mais faites-la réagir, lui dit-il.
— A qui parlez-vous ? demanda la Grosse Dame. Avez-vous bu ? Faut-il que j'appelle Poppy ?
— Allez… l'encouragea Snape.
Ses yeux passèrent de Snape au tableau, puis du tableau à Snape, jusqu'à ce qu'elle ouvre enfin la bouche.
"Madame ?"
La Grosse Dame continuait d'examiner Snape depuis sa toile sans lui prêter la moindre attention.
"Madame ? Pourriez-vous m'ouvrir ?"
Les yeux de la Grosse Dame s'arrêtèrent sur Hermione avant de regarder Snape, le visage dur.
"Si vous me jouez une farce, Snape, celle-ci est très mauvaise.
— Je ne joue à rien. Ne voyez-vous pas Miss Granger ? Elle est juste à côté de moi."
Elle regarda à nouveau Hermione sans être davantage impactée par sa présence.
"Cela ne sert à rien, Monsieur, elle ne me remarque pas totalement…
— Oh, allez, Madame, faites un effort, continua-t-il sur sa lancée. Est-ce qu'il faut que je vous apporte des lunettes ? Regardez bien, elle est juste là", finit-il en poussant un peu Hermione vers l'avant, juste sous le regard de la Dame.
La Grosse Dame plissa les yeux.
"Je vois… commença-t-elle.
— Oui ? Insista-t-il.
— Quelqu'un… Je ne suis pas sûre.
— Vous me voyez ? demanda Hermione avec espoir.
— C'est difficile à dire… continua la Grosse Dame.
— Mais vous voyez quelque chose ? Dit Snape.
— Enfin ! finit-elle d'une voix plus forte. Ce n'est pas l'heure pour les devinettes. Si vous voulez entrer, il vous faut le mot de passe. Si vous continuez de m'importuner, j'appelle la directrice !
— Pas besoin de faire tout un scandale, Madame. Je voulais juste m'assurer d'une chose.
— Bien, maintenant c'est fait. Laissez-moi dormir, je dois reposer ma voix."
Elle se réinstalla contre son cadre quand Snape marmonna :
"Ce n'est quand même pas très poli d'ignorer Miss Granger…"
— Snape ! s'écria-t-elle. Mais de qui me parlez-vous à la fin ! Merlin ! Vous êtes devenu fou.
— Monsieur, je pense que cette chère Madame m'ignore simplement, dit Hermione, entrant dans le jeu du professeur. Je suis d'accord que ce n'est pas très poli de sa part, mais après tout, je suis invisible."
Les yeux de la Grosse Dame s'arrondirent. Son visage commençait à virer au rouge.
"Miss, je ne vous permets pas de me parler sur ce ton !
— Ah ! Vous la voyez donc ! Dit Snape.
— Non, mais vous avez fini ! Je ne vois rien !
— Maintenant, en plus d'être sourde, elle est aveugle."
La remarque de Snape fit rire Hermione, mais beaucoup moins la dame devant elle. D'autres tableaux autour commencèrent à se réveiller et des "chut" se firent entendre un peu partout.
"Vous allez me le payer !
— C'est vrai qu'elle n'a pas une très bonne oreille… ajouta Hermione, mais de là à dire qu'elle est sourde, n'est-ce pas un peu méchant de votre part, monsieur ?"
Maintenant écarlate, la Grosse Dame semblait au bord de l'explosion.
"Si elle entendait correctement, elle aurait déjà compris que crier ne signifie pas chanter.
— Je ne vous permets pas, grinça le tableau.
— Enfin, bon, Miss Granger, je pense que nous devrions la laisser avant qu'elle ne se mette à chanter ou plutôt d'essayer de le faire…
— Vous avez raison. Je préfère mille fois rester invisible qu'entendre une fois de plus son opéra."
Ils s'enfuirent en entendant la Grosse Dame vociférer des insultes en tout genre.
"Par Merlin, vous allez voir bande de malotrus sans oreille. Je vais faire remonter ça !" s'écria la Grosse Dame à travers le couloir alors que d'autres tableaux commençaient vraiment à s'impatienter du vacarme qu'ils avaient causé.
Riant dans les couloirs de Poudlard, ils s'arrêtèrent finalement à l'entrée des cachots. Le souffle court et les joues rouges, Hermione regarda Snape qui était dans le même état qu'elle. Ses traits étaient devenus plus doux et il souriait. Son rire était rauque et dur comme s'il n'avait pas été utilisé depuis longtemps. Il ne criait pas, ni ne s'exclamait grandement comme pouvaient le faire Ron ou Harry lorsqu'ils se faisaient des blagues. Ce n'était pas non plus le rire caché des jumeaux Weasley lors de leur farce. Non, son rire grondait et vibrait.
Il reprenait son souffle, penché vers l'avant. Il se sentait comme un enfant insouciant à cet instant. Le rire de la jeune femme était contagieux et chaque fois qu'il avait voulu calmer le sien, celui d'Hermione l'emportait à nouveau dans l'hilarité. Il se surprenait. Il avait aimé l'entendre rire, il avait aimé la faire rire. Chaque fois qu'elle avait l'air de vouloir arrêter, il faisait une nouvelle remarque qui la faisait se plier en deux. Ses yeux pleuraient, mais pour la première fois, les larmes qu'il faisait couler n'étaient ni de tristesse, ni de peur.
Ils avaient l'impression d'être deux gamins qu'on pourrait prendre en flagrant délit à tout moment mais qui pourtant ne pouvaient pas s'empêcher de rire.
Hermione essuya ses yeux et Snape se redressa, reprenant un peu sa posture droite mais pourtant détendu. Leurs yeux se croisèrent et Hermione retint son rire qui menaçait de reprendre à nouveau.
"Stop, stop, stop, dit-elle essoufflée. J'ai mal aux abdos, s'il vous plaît arrêtez."
Il la regarda, les yeux espiègles.
Elle avait ce soir une nouvelle facette de Severus Snape. Une partie qu'elle n'avait encore jamais vue, celle joueuse.
"Nous devrions nous arrêter là. Nous devrions aller dormir, il se fait tard."
Les yeux de Snape se plissèrent dans un sourire tendre.
"Quelle heure est-il ? demanda-t-elle.
— Presque une heure du matin, lui répondit-il en regardant sa montre.
Ni lui ni elle n'avaient vu les heures passer.
"Ce n'était pas ma ronde la plus efficace, bien qu'elle doit être la plus divertissante", dit-il alors qu'il marchait pour rejoindre son bureau.
Passer de ce côté ferait faire un détour à Hermione, cependant, elle voulait apprécier encore un peu cette soirée et cette amitié retrouvée.
"Je ne pense pas. Je suis sûre que les rares élèves qui auraient dérogé au couvre-feu ont certainement dû fuir en vous entendant rire comme un fou dans les couloirs.
— C'est sûr qu'ils ne pouvaient pas entendre votre rire de hyène, contrairement à moi.
— Je n'ai pas un rire de hyène ! s'offusqua-t-elle bien plus fort qu'elle ne l'était en réalité.
— Vous ne vous êtes pas entendue. Vous devez être aussi sourde que cette pauvre Grosse Dame, la chahuta-t-il.
— Oh non ! Ne me parlez plus d'elle ou je n'arriverai plus à m'arrêter.
— Pour le bien commun, ou plutôt seulement le mien, je vous promets d'éviter."
Ils s'arrêtèrent devant la porte du bureau de Snape, sans pour autant qu'il ne rentre chez lui.
"Au moins, mon rire ne ressemble pas à celui d'un moteur de tracteur, répliqua-t-elle.
— Je pense préférer le moteur au charognard", fit-il en faisant semblant de réfléchir.
Ils se regardèrent un instant encore. Les yeux noirs de Snape vibraient de malice et elle se sentit tout d'un coup gênée sous son regard.
Snape regarda la porte derrière lui et Hermione commença à se balancer d'un pied à l'autre, les mains jointes derrière son dos.
"Eh bien…
— Bon… dirent-ils au même moment.
Un petit rire sortit de la bouche d'Hermione. Severus observa la jeune femme devant lui, ses joues colorées, ses cheveux allant dans tous les sens, puis regarda à nouveau la porte.
"Vous devriez vraiment rentrer.
— Oui, c'est ce que je vais faire."
Elle lui sourit une dernière fois et commença à s'éloigner.
"Bonne nuit, Miss Granger."
Elle se retourna un instant et lui sourit une dernière fois.
"Bonne nuit, Severus."
Et elle disparut dans l'obscurité du couloir.
