- Est-ce que je t'ai déjà dit que j'étais fier de toi?

- Tu me le dis tous les jours.

Souffles courts. Mots susurrés. Yeux entrouverts. Cœurs battant à tout rompre – presque à l'unisson. Jackson prit le visage de son homme en coupe avant de l'embrasser, encore et encore. Pour couper ces mots qu'il avait toujours un peu de mal à entendre et dont il avait paradoxalement souvent besoin. Chaque compliment lui réchauffait le cœur autant qu'il le gênait. Ainsi, il préférait les actes aux paroles – d'amour dans les deux cas. Et Isaac savait y faire. Il savait étonnamment bien donner ce qu'il n'avait jamais connu, tout simplement parce qu'il en avait longtemps rêvé. Et Jackson le lui rendait bien. A sa manière, en toute simplicité. Parfois de manière un peu brutale, mais jamais violente. Sa sincérité, sans aucune fioriture, pouvait juste se montrer explosive. Et Isaac le savait parce qu'il avait la chance de connaître son homme sur le bout des doigts. Il connaissait donc son dilemme intérieur, cette façon qu'il avait d'éviter les mots. D'accepter ses intentions d'une autre façon.

- Je te le répèterai jusqu'à ce que tu n'en puisses plus, réussit à articuler le jeune homme à la chevelure éternellement bouclée.

Et il savait que ce n'était pas le cas. Jackson avait beau avoir du mal à accepter les compliments, il n'en aurait jamais marre, parce qu'il savait que ceux d'Isaac étaient tout ce qu'il y avait de plus sincère. Comme lui, il avait toujours été honnête. La différence, c'était que chacun de ses mots faisait l'effet d'une caresse. La franchise d'Isaac était plus contrôlée et par extension, plus douce. En cela, et comme sur un grand nombre de points, ils se complétaient l'un-l'autre.

- T'étais splendide, tu brillais, Jacks.

La façon dont Jackson l'embrassa à nouveau, alors que ses mains se perdaient dans ses cheveux bouclés, fut sans équivoque. Isaac le laissa faire, sourit tout contre ses lèvres alors qu'il avait ses mains posées au creux de son dos. Elles étaient là, patientes, caressant la peau douce sous la chemise avec une certaine décence. C'était délicate et ne dépassait pas le stade de la simple sensualité. Si un emportement devait avoir lieu, ce serait chez eux. Ni Jackson ni Isaac n'était emballé de l'idée de faire la chose dans un endroit insolite. Dans leur couple, on aimait se détendre, savoir que l'on pouvait être tranquille quelle que soit la façon dont on décidait de s'aimer. Ce qu'ils s'accordaient dans la voiture n'était rien de plus qu'un moyen de se retrouver en douceur. Pour Jackson, il s'agissait de relâcher la pression en la présence du seul être capable de le comprendre. Quant à Isaac, l'idée restait, comme toujours, de lui faire comprendre qu'il serait toujours son plus grand fan. Dire qu'il était fier ne traduisait que partiellement la véritable émotion qui le remuait, mais il savait que Jackson avait besoin de ce mot. Si simple et pourtant si parlant, il représentait tout ce dont le musicien avait manqué plus jeune. Ce mot qu'aucun de ses parents ne lui avait jamais dit.

Dans la famille Whittemore, les compliments revêtaient le statut de légende. Quoique pour en faire, il fallait les penser. Or, il n'avait jamais satisfait ni Catherine, ni David, quel que soit le domaine.

- Tu es génial et personne ne peut jouer comme toi. Je suis si fier de toi Jacks…

- Tais-toi, souffla le musicien tout contre ses lèvres.

Isaac obéit, mais Jackson voyait son regard. Il était aisé de le déchiffrer, de savoir que son homme ne s'exécutait qu'à moitié. Parce que ces yeux céruléens avaient la particularité d'être extrêmement expressifs… Difficile donc pour Jackson d'ignorer cette lueur non pas de fierté, mais d'admiration dans ses prunelles. Ainsi, Isaac se taisait juste momentanément, histoire de ne pas le gêner plus que de raison. Il connaissait ses limites et ne les dépassait jamais – sauf cas exceptionnels. Si ce soir-là avait été son véritable premier concert et que sa prestation revêtait, par extension, une importance particulière, Isaac savait qu'il ne fallait justement pas forcer. Jackson avait besoin de temps pour laisser retomber son stress et accepter sa réussite, en laquelle il ne croyait jamais.

Ainsi, plusieurs autres baisers s'échangèrent. Tantôt lents, tantôt pressés, empreints d'une passion impatiente, ils laissèrent place à une tranquillité douce, mais éphémère. Isaac démarra la voiture tandis que Jackson passa une main dans ses cheveux trop disciplinés, avide de les décoiffer. Il s'occupa également de déboutonner sa veste de costume, ainsi que les deux premiers boutons de sa chemise. S'il avait l'habitude de sauver les apparences, cette précaution connaissait sa fin chaque fois qu'il se retrouvait à l'abri du monde, ou tout simplement près d'Isaac. Ce dernier lui jeta un coup d'œil bref, mais empli d'une envie certaine.

Jackson ignorait bien des choses sur lui-même, quand il ne les niait tout simplement pas. Son manque de confiance en lui n'était plus à prouver, mais Isaac travaillait tous les jours à lui en faire gagner un peu.

- Je te plais toujours?

La voix de Jackson paraissait assurée, sans l'être complètement. Isaac savait qu'il ne doutait pas vraiment de sa réponse, mais… Connaissant son homme sur le bout des doigts, il avait parfaitement conscience du besoin qu'il avait de lui poser cette question. Elle venait parfois après une répétition, un retour de course ou, comme à cet instant, après un concert. C'était à la fois assez aléatoire et... Etonnamment prévisible.

- Plus que jamais.

Pas besoin de rajouter «comme d'habitude» ou «tu devrais le savoir, depuis le temps.» Jackson était très sensible à tout ce qui pouvait sous-entendre un reproche. Par chance, Isaac ne montrait que rarement un signe d'impatience. Il se savait lui-même fragile sur certains points, alors il n'irait certainement pas critiquer le musicien. Son musicien. Cet homme qu'il jugeait extraordinaire par sa seule existence. Sa virtuosité… C'était quelque chose. Mais l'être qu'il était en luidépassait tous les talents du monde, toutes les choses que beaucoup pouvaient considérer comme précieuses. Du matériel, ou bien une plus-value autre.

Jackson était tout pour lui. Son meilleur ami, son amant. Son roc, son soutien. Sa force, sa faiblesse.

Sa force, son énergie.

En plus de tout cela, il était beau comme un cœur et souffrait malgré lui d'un manque de reconnaissance cruel. C'était ça, d'avoir grandi dans l'ombre de parents à l'allure irréprochables qui n'acceptaient rien, si ce n'est la perfection totale. Un défaut, qu'il soit physique ou qu'il réside dans son exécution musicale, et Jackson se prenait une tannée de paroles empoisonnées.

Du côté d'Isaac, on ne pouvait pas dire que son enfance était enviable. Au contraire, elle n'avait rien de reluisant. Lui, c'était dans la violence la plus pure qu'il avait dû grandir, sans rien ni personne pour le protéger ou lui garantir qu'il aurait le droit de manger à tous les repas.

Mais il n'irait jamais comparer leurs vies passées. La seule sur laquelle il avait un droit de regard, c'était la leur, celle qu'ils vivaient ensemble. Tous deux s'en étaient plus ou moins sortis différemment pour en arriver là où ils étaient aujourd'hui – et leur relation, aussi fragile qu'elle puisse paraître, valait tout l'or du monde.

- Et moi? Je te plais toujours? Demanda Isaac, l'air de rien, sans détourner les yeux de la route.

Sauver les apparences, il faisait ça aussi, mais d'une manière bien plus discrète. Il avait l'habitude et ce, depuis tout petit. Et pourtant, il s'en sortait un peu mieux que Jackson. Lui aussi manquait de confiance en lui, à tous les niveaux. Il redoutait chaque jour que ses fragilités personnelles fassent l'objet d'un rejet. La différence, c'est qu'il s'en sortait en les étouffant une par une, les maintenant à couvert jusqu'à ce qu'elles trouvent le moyen de remonter à la surface.

- T'es pas mal non plus, répondit Jackson, la voix légère.

Le conducteur esquissa un sourire en coin: son homme avait du mordant et il commençait doucement à le laisser sortir. Jackson voyait ça comme une libération et Isaac, comme la promesse de lendemains aussi agréables qu'épicés.