D'aussi loin qu'il se souvienne – même si cela faisait à peine quelques années –, Stiles avait toujours adoré son métier, une passion qu'il avait depuis tout jeune. Faire partie du FBI avait été un rêve fou, puis une lubie et enfin, une réalité. A force de détermination et de travail acharné, il avait réalisé l'objectif de sa vie et ne voyait pas ce qu'il pourrait faire d'autre pour être heureux. D'ailleurs, il peinait de plus en plus à atteindre cette idée… Tant les jours gris s'enchaînaient, ces derniers temps. Parfois, la météo s'éclaircissait, mais pas son humeur. La faute à son sommeil un peu bancal – quoique Stiles dormait régulièrement d'une traite. Le fait est qu'il se réveillait très souvent fatigué, avec l'impression que sa nuit n'avait pas servi à grand-chose. Se lever devenait lentement mais sûrement une épreuve, qui croissait avec son manque d'envie d'aller au travail. C'était là qu'il se considérait un peu compliqué, dans le sens où lorsqu'il laissait les jours gris l'atteindre en profondeur, sa vision des choses changeait et tout ce qu'il avait l'habitude d'aimer lui paraissait fade.
Ce fait se vérifiait en particulier depuis qu'il avait appris pour Beacon Hills, pour ces évènements dont on lui avait caché l'existence… Jusqu'à ce que Lydia Martin se décide à l'appeler bien après la résolution quelque peu tragique de l'affaire à laquelle elle avait participé. Si Stiles lui en avait voulu? Absolument, et pas simplement parce qu'elle l'avait quitté un an plus tôt pour un motif qu'il trouvait stupide. La raison pour laquelle sa rancœur était si grande… Pouvait se résumer en un fait simple: on l'avait jugé trop inutile pour aider la meute. Ou faible, ou les deux. Le fait est que Lydia n'avait pas bien su lui répondre lorsqu'il avait explosé durant cet appel en lui demandant pourquoi personne n'avait daigné le prévenir de l'enfer que tous vivaient à ce moment-là. Et pourtant c'était bête parce que Stiles savait pertinemment qu'il aurait pu les aider. Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, il connaissait ses limites et se savait capable d'agir en faisant preuve de prudence, chose à laquelle son métier l'avait habitué. Car même si obéir aux ordres n'était pas une chose qui le branchait particulièrement, il avait dû apprendre à le faire et en retirait malgré tout des points positifs.
L'on pouvait donc le considérer un peu plus docile qu'autrefois… Même s'il gardait sa personnalité telle quelle et la faisait prévaloir lorsque c'était nécessaire car il était bien placé pour savoir que parfois, l'insubordination pouvait servir. Tout était une question de moment et de dosage… Ce que la meute à laquelle il appartenait ne comprenait vraisemblablement pas: Stiles leur apparaissait sans doute encore comme un hyperactif un peu trop tête brûlée qui se lançait sans réfléchir, en faisant plus ou moins fi du danger… Ce qui pouvait, il le concédait, compliquer certaines opérations. Quoiqu'il était souvent à l'origine de leur réussite. Enfin, le fait est qu'il avait très mal pris la façon dont on l'avait écarté et que s'il était d'accord pour finir par passer l'éponge, il n'oublierait néanmoins jamais cela. Lui qui accordait autrefois une confiance sans bornes à ces gens s'en méfiait désormais un peu.
Voilà l'une des principales raisons pour lesquelles il se montrait si froid avec Scott. Autant il pouvait éventuellement pardonner à Lydia même s'il avait bien des choses à lui reprocher, autant l'alpha… C'était plus compliqué, bien plus délicat.
Et quand il se rappelait la façon dont il était allé comparer leur état à tous et celui de Derek… Stiles soupira. C'était dans ce genre de moments qu'il se demandait comment on pouvait encore le considérer comme un alpha, un chef, un leader... Qui minimisait les blessures de certains pour mettre en valeur sa propre fatigue. En cela, Stiles le trouvait quelque peu incompétent. De toute façon, à ses yeux, Scott avait perdu sa légitimité par rapport à son rôle depuis bien longtemps.
- Stilinski, vous serez au pôle Est. Pour l'instant, c'est assez calme. Je pense que nous n'aurons pas besoin de vous avant ce soir.
Stiles hocha la tête face à son supérieur, qu'il n'avait pas vu arriver. Il avait cependant suffisamment de contrôle sur lui-même pour ne pas laisser son corps réagir à l'instinct et sursauter comme s'il était encore un adolescent. Ainsi, il partit sans sommation en direction des archives, sélectionner ça et là des dossiers qu'il pourrait étudier en attendant que l'on fasse appel à ses services. S'il était avant tout agent au FBI, il jouait au consultant à ses heures perdues, survolant des affaires irrésolues ou classées sans suite dans l'espoir d'y trouver un os et de s'en occuper. En ce sens, Stiles se considérait comme un agent hybride, multitâches et toujours actif. Disons qu'il avait besoin de toujours faire quelque chose… En particulier lors des jours gris.
C'est l'humeur toujours aussi morose qu'il se posta devant l'une des très nombreuses étagères, lesquelles semblaient vomir les différents dossiers par centaines, voire milliers. Une moue légèrement apathique s'inscrivit sur le visage de l'agent hyperactif. Il lui fallait quelque chose de complexe, mais pas trop déprimant. Des affaires tout sauf intrafamiliales, pas de meurtre ou de violences sur des enfants. Aujourd'hui, il n'avait pas les épaules pour supporter des choses de ce genre. Un autre jour, peut-être. Le fait est qu'il avait besoin de résoudre des mystères – ou du moins essayer –, de se sentir utile, quelque part. Il bâilla en s'emparant d'un premier dossier, qu'il feuilleta rapidement avant de passer à un autre une fois, deux fois, pour enfin tomber sur quelque chose d'intéressant, qu'il mit de côté le temps d'en sélectionner un second. Il lui en fallait plus, pour ne pas avoir à revenir de la journée et consacrer tout son temps à ces dossiers-là.
Alors qu'il sortait de ce local aux dimensions gargantuesques, Stiles repensa tout naturellement à la meute et plus particulièrement à l'homme que Scott semblait négliger: Derek. Derek Hale. Ce qui était particulier, c'était qu'il voulait prendre de ses nouvelles de façon directe depuis un moment, mais il ne le faisait jamais. Si l'on étudiait les choses de façon plus large, Stiles n'avait appelé personne récemment, si ce n'est Lydia, puis Scott. Ah si, il avait eu Liam, une fois. Et c'était bête parce que malgré la rancœur qu'il entretenait à leur égard, ils lui manquaient.
Et Derek l'inquiétait. Parce que ce que Lydia lui avait laissé entendre le concernant lui faisait froid dans le dos. Sauf que Stiles se connaissait et il avait parfois besoin de voir les choses pour les croire. Ainsi, plusieurs de ses envies et besoin convergeaient depuis un moment en une seule idée: rentrer à Beacon Hills. Pas longtemps, juste quelques jours, peut-être deux semaines… Il avait tout un tas de congés non utilisés à poser. Et cette pensée-là le séduisit au point qu'une fois arrivé dans ce qui lui servait de bureau – un petit local en retrait, près des toilettes –, il la considéra comme valide et prête à être concrétisée. Il lui fallait renouer avec la meute, au moins le temps de démêler toute cette histoire et prendre des nouvelles de cet ancien alpha bougon qui avait un téléphone décoratif. Il n'appelait pas, n'envoyait pas de messages, rien. Mais il ne pouvait, comme tout être vivant et civilisé, se soustraire à une visite, encore moins la sienne.
Car lorsqu'il le voulait, Stiles pouvait se montrer bien plus envahissant et capricieux que Lydia Martin.
Ainsi, il considéra sa décision prise et envoya sans plus attendre un message à son supérieur en bâillant à s'en décrocher la mâchoire.
