Les deux accusés, debout, attendaient aussi patiemment que possible le début des hostilités.

L'adolescente était plutôt calme, elle donnait l'impression de mener la partie d'échec d'une main de maitre tandis que son partenaire de crime, lui, transpirait la nervosité. Il tremblait comme une feuille et ne cessait d'éponger ses mains moites sur son jean, tout le monde percevait à quel point il était intimidé par les trois juges qui le surplombaient depuis leur estrade – comme des vautours survolant leur prochaine proie.

« Avocate d'Ava Tillman, est-ce que l'un de ses tuteurs est présent aujourd'hui ? » Lança Albert Spencer.

« Malheureusement non, les parents d'Ava ne sont pas en mesure d'assister à ce procès en raison de leurs emplois en Europe, je les représenterais. » Annonça Zelena qui se leva pour prendre la parole.

« Je suis juge depuis 22 ans et pourtant, je n'ai jamais vu une telle brochette d'avocat dans un tribunal pour jeune délinquant. » Avoua l'homme.

« Je prends cela comme un compliment. » Sourit la rousse.

En effet, du haut de leur perchoir, les trois juges voyaient aisément trois factions – s'ils pouvaient les nommer ainsi – se former juste sous leurs yeux. Ava sur le côté gauche, accompagnée de près par Madame Green puis de leur dizaine d'avocat qui occupaient les différentes rangées de chaise. Sur la droite se trouvait Nicholas et son avocat commis d'office et la mère de celui-ci – seule présence de soutien – était parvenue à se libérer à temps cette fois-ci.

Finalement, tout au fond de la salle, se trouvait un couple qui se tenait la main. Ils se faisaient discret, presque comme s'ils ne voulaient pas être remarqués, comme s'ils voulaient disparaitre de cette pièce. Regina n'eut aucun mal à reconnaitre la mère du jeune Devin : le teint pâle, presque maladif, des cernes immenses sur le visage, visage qui laissait apercevoir la forme de son ossature tant elle avait perdue de poids depuis leur dernière rencontre.

« Défense d'Ava Tillman, admet-elle le meurtre et l'abandon du corps ? » Continua le juge en chef d'un air neutre.

« Elle l'admet en partie mais elle n'est pas d'accord sur tout. Comme l'a déclaré Nicholas, elle a commis le meurtre et abandonné le corps mais elle assure que ce n'était pas prémédité, c'est un homicide involontaire dû à une aliénation mentale. » Déclara Zelena.

« Défense de Nicholas Zimmer, est-ce qu'il admet avoir été son complice ? »

« Non, il ne l'admet pas. » Fit l'avocat commis d'office.

« Nicholas Zimmer a pourtant avoué son crime il me semble. » Nota le juge en ayant les aveux de l'adolescent juste sous les yeux.

« Oui mais il n'était pas son complice, il dément l'avoir aidé pour ce meurtre. »

« Sur quelle base ? »

« Nicholas Zimmer pensait que toute cette histoire n'était qu'une blague jusqu'à ce qu'Ava Tillman commette ce meurtre dans son appartement. » Dit-il.

Le silence plana quelques instants dans la salle d'audience. Les trois juges avaient évidemment pensé à cette possibilité mais tout de même, ils avaient du mal à en croire leurs oreilles.

Après toutes les horreurs que l'adolescent avait dit, dans cette même salle, lors de leurs précédentes rencontres, il avait l'audace de se présenter à eux avec une telle défense ? Comment diable pouvait-il qualifier ce piège d'une blague ?

« Ava, je lis ici que votre adresse est : appartement 3201 de l'immeuble 103 de la résidence Capital Palace. C'est exact, c'est bien votre adresse ? » Demanda Emma.

« Quoi ? » Souffla la brune qui n'avait pas écouté un traitre mot de ce qu'elle venait de dire.

« Je vous demande si votre adresse est bien : résidence Capital Palace, immeuble 103, appartement 3201. Vous confirmez ? » Répéta-t-elle.

« Oui. »

« Quand quelqu'un demande de confirmer une adresse, la plupart du temps, ce que les gens font, normalement, c'est qu'ils répondent par oui ou par non à la demande. C'est ce que vous venez de faire, n'est-ce pas ? »

« Oui. »

« Et, en général, les gens demandent de confirmer une adresse pour visiter un lieu ou lorsqu'ils souhaitent envoyer quelque chose à cet endroit, comme une lettre ou un colis par exemple. »

« Probablement. » Répondit Ava, la voix soudainement tremblante.

« Alors pouvez-vous m'expliquer pourquoi Nicholas Zimmer a répondu : il est vivant ? Tu as vérifié les caméras de sécurité ? » Demanda la blonde, la voix posée avant de reprendre : « Ils ont échangés des messages sur les réseaux sociaux à 11h28, voici un de leurs échanges. »

Scarlett alluma le vidéoprojecteur et tout le monde dans la salle tourna la tête en direction de la toile blanche pour y découvrir plusieurs captures d'écrans. On y voyait, par exemple, une photo – prise en selfie – qui ne laissait aucun doute sur le fait qu'il s'agissait d'Ava dans l'uniforme scolaire de Nicholas puis un message de celle-ci, demandant à son ami, de confirmer son adresse.

« Les images de l'ascenseur ont été prises à 11h29. Les caméras de sécurité et les messages échangés nous révèlent deux choses. Tout d'abord, la personne qui a entrainé la victime sur le lieu du crime n'était pas Nicholas Zimmer mais Ava Tillman. Deuxième point, le message de Nicholas Zimmer « Il est vivant ? Tu as vérifié les caméras de sécurité ? » nous montre bien qu'ils ont complotés pour commettre ce meurtre. » Conclu-t-elle alors que la vidéo d'Ava, dans l'ascenseur, en compagnie de Devin, était diffusée sur la toile.

« De plus, Ava Tillman a attiré la victime dans l'appartement de Nicholas Zimmer mais celui-ci aurait pris cela pour une blague ? C'est un peu difficile à croire. » Rajouta Albert Spencer.

Regina observait la scène en restant silencieuse. Tout se déroulait exactement comme elle l'avait prévu.

Ils étaient obligés de plaider l'accident. Ils n'avaient plus la possibilité de nier l'enlèvement, le meurtre, la mutilation ni même l'abandon du corps puisque Nicholas avait déjà tout avoué. Celui-ci était soit complice, soit il avait participé quant à Ava, c'était soit un meurtre prémédité, soit un homicide involontaire.

Ils devaient donc, respectivement, prétendre avoir aidé au meurtre en commettant un homicide involontaire pour maximiser leur chance. Malheureusement pour eux, ce qu'ils ne savaient pas, c'est qu'ils avaient en face une experte de l'échiquier qui avait déjà lu l'intégralité de leur jeu et, sans même le savoir, ils avançaient les pions qu'elle leur murmurait de jouer.

Après plusieurs minutes, ce fut le moment de faire entrer en scène les témoins. Zelena afficha un immense sourire en remettant la veste de son tailleur en place, persuadée de jouer une carte maitresse qui lui permettrait de tirer son épingle du jeu.

« Témoin, est-ce que vous connaissez Ava Tillman ? »

« Oui, je la connais. Je suis psychiatre et j'ai suivi le cas d'Ava Tillman pendant 3 ans. » Répondit l'homme depuis la barre.

« De quoi souffre-t-elle ? Est-ce que vous pouvez décrire son état ? »

« Eh bien, c'est une patiente neurasthénique, dépressive, atteinte de trouble comportementaux et de trouble délirant persistant. Elle a été diagnostiquée en ces termes. »

« Des troubles délirants persistants ? Pouvez-vous nous expliquer ? »

« Il y a plusieurs types de troubles délirants persistants mais dans le cas d'Ava, ce sont des symptômes de paranoïa – en d'autres termes, il s'agit ici de trouble délirant de persécution. Les patients en proie à des délires de persécution interprètent les actions d'autrui comme des menaces. Elles vont vivre ça comme de la calomnie, du harcèlement et vont avoir tendance à y répondre instantanément. »

La brune écouta d'une oreille distraite la tirade parfaitement ficelée du médecin pendant qu'elle lisait un vieux rapport de police sur Ava. Celle-ci n'était pas inconnue des tribunaux ce qui expliquait sans doute, en partie, pourquoi elle se sentait si à son aise sur le banc des accusés.

Officiellement, l'adolescente avait laissé tomber le lycée en première année mais après une courte discussion avec Lilith, il s'avérait que cette dernière avait plutôt été renvoyée et pourtant, impossible de mettre la main sur le moindre document retraçant les faits. Il avait fallu plusieurs jours à l'inspecteur Humbert pour retrouver cette plainte qui avait été classée sans suite après un accord entre les deux parties.

Les faits étaient simples. Un jour, à l'heure de la pause déjeuner, une jeune élève – dont l'anonymat était assuré par la lettre X – avait bousculé Ava alors que celle-ci commençait tout juste son repas. X se serait excusé puis aurait continué son chemin jusqu'à la sortie avant d'être rattrapé par l'adolescente, folle de rage, qui l'aurait attaquée avec son plateau. X aurait fini à l'hôpital, avec plusieurs point de suture sur le crâne et le bras emplâtré.

A l'époque, l'avocate d'Ava avait sans doute plaidé l'aliénation mentale pour expliquer sa violence ce qui aurait poussé l'avocat de X à trouver un accord pour ne pas laisser sa patiente comme perdante. Il était facile d'imaginer qu'il était question d'un important chèque contre le passage sous silence du renvoi et de l'agression.

Puisque ce stratagème avait déjà fonctionné une fois – et sans doute plus – il était normal de vouloir le ressortir encore une fois.

« Selon la nature de leur délire, il est possible que ces patient aient le plus grand mal à contrôler leur colère. »

« Donc, dans ce cas, est-il possible que ce meurtre soit une conséquence directe de son trouble délirant persistant ? » Demanda Zelena qui savait très bien sur quel chemin elle voulait mener la discussion.

« Peut-être mais, quoi qu'il en soit, rien ne peut être sûr à cent pourcent. »

« Y-a-t-il une possibilité que ce soit dû à cela ? »

« Vous demandez si c'est possible ? Alors je dirais que oui, c'est possible en effet. » Répondit l'homme au crâne dégarni.

« Très bien, je n'ai pas d'autres questions. » Termina la rousse, un sourire vainqueur sur le visage.

Les trois juges se regardèrent pendant de longues secondes et, d'un simple signe de tête, ils se mirent d'accord.

« Nous allons procéder à une interruption, le procès reprendra après une pause d'une heure. » Annonça Albert Spencer.

Sans un mot, ils quittèrent la pièce alors que Nicholas était ramené dans une autre salle par des agents de probation. Ils traversèrent le couloir, dossier sous le bras et, sans prendre le temps de retirer leur robe, ils prirent place dans le bureau du juge en chef pour débattre à l'abri des regards.

« Si on va dans ce sens, ça va durer une éternité. » Soupira l'homme.

« L'avocate d'Ava m'a tout à fait l'air de vouloir plaider l'accident dans cette affaire. » Ajouta Emma en grimaçant.

Regina réfléchissait, chaque cellule qui composait son cerveau travaillait à toute vitesse. N'ayant eu le rapport de police dans les mains que quelques minutes avant le début du procès, elle avait été prise de court mais ce n'était pas une fin, elle pouvait trouver une solution. Elle devait trouver une solution pour reprendre l'avantage dans cette partie d'échec.

Elle devait réfléchir et trouver leur point faible pour l'exploiter, elle devait... Exactement !

« Moi, ce que je propose, ce serait de diviser Nicholas et Ava. On pourrait les monter l'un contre l'autre et, de cette manière, les pousser chacun à révéler la vérité sur l'autre. »