CE QUE L'ETAT NOUS CACHE...
(juillet 844)
Livaï
Tout ce qu'il vient de me dire me tourne dans la tête. C'est incroyable qu'il ait pu relever toutes ces incohérences. Maintenant que je les connais moi aussi, je me demande comment elles ont pu m'échapper... Toutes ces nouvelles perspectives me foutent le vertige...
Il faut dire que pendant longtemps, j'ai cru que les Murs et les titans n'existaient pas ; et une fois à la surface, j'avais d'autres choses à penser... Qu'il m'ait mis face à cette réalité qui dérange m'intrigue. Il prend effectivement de gros risques en m'en parlant. A moins... qu'il ait en moi une confiance totale...
Nous chevauchons ensemble vers les baraquements, sous les arbres afin de ne pas être vus. Mais je sais bien que Mike et Steffen doivent m'attendre. Je leur ai dit que je rentrerai tard, et ils se sont mis à se marrer... Je leur dirais que j'étais avec Erwin, et ils arrêteront de se faire des idées.
J'en suis à me demander quel bobard je vais pouvoir leur sortir quand nous arrivons en vue des dortoirs. Erwin me salue de la main et continue vers la forteresse. Je guide ma monture vers le paddock, lui enlève son harnachement et pose tout ça dans la sellerie. Puis je me dirige vers les baraquements, un peu fatigué. J'ai pas l'impression de m'être reposé...
A mon entrée, je constate que les autres dorment, mais pas mes deux camarades, évidemment. Tous les deux assis sur le lit de Mike, ils étaient en train de discuter. Ils se tournent vers moi et Mike me demande à voix basse si elle était jolie. C'est ça, une grande blonde aux yeux bleus très sexy... J'étais avec le chef, idiot ! Ils me regardent, la bouche ouverte, en attente d'une précision... Arrêtez de vous imaginer des choses, il avait un truc important à me dire, à propos de... Je sais que Mike est au courant, mais pas Steffen. Disons que c'était à propos de quelque chose dont je peux pas parler, vous me suivez ?
Bizarrement, Mike paraît comprendre à demi de quoi je parle. Il insiste pas et ils me laissent aller me coucher. Je me déshabille, plie mes affaires - que je laverai demain - et grimpe dans mon lit. J'aurai aimé partager ça avec Furlan... Ca l'aurai passionné... Mais là, je suis seul avec toutes ces nouvelles infos inédites et fabuleuses... toutes ces possibilités, en dehors des Murs... Je vois le bataillon sous un jour nouveau...
Les yeux ouverts dans le noir, les bras sous la tête, je contemple le plafond et des tas d'images s'impriment sur le fond de bois noir : des baleines, surtout. Les ours au pelage blanc. Les espèces de chevaux avec de drôles de bosses sur le dos... Si quelqu'un a inventé ça, il est vachement sonné ! Et puis dans quel but ?
C'est comme si l'esprit d'Erwin s'insinuait en moi, comme si j'étais capable de voir le monde comme il le voit... Non, pas encore tout à fait, il a un temps d'avance sur tout le monde ; et je suis presque sûr qu'il m'a pas tout dit, qu'il a retenu certaines infos importantes... Bah, il me les dira peut-être un jour. J'ai pas voulu le harceler, et j'avais déjà trop de trucs à assimiler.
J'aime l'idée qu'il ait pu se décharger sur moi de certains de ses secrets. J'ai l'impression de mieux le comprendre maintenant, de faire partie d'un espèce de complot... Bien sûr, j'ai jamais aimé les bourges, les aristos, et toute cette clique semble encore plus coupable maintenant à mes yeux. Erwin est vraiment pas comme eux ; comment j'ai pu le penser ?...
Evidemment j'arrive pas à dormir, comme d'habitude. Je me tourne sur le côté et m'enroule dans mon drap mais j'arrive qu'à me ronger les ongles. Je ne le faisais plus depuis un moment. Pourtant je ne me sens pas particulièrement stressé ; juste excité par tout ça. Et puis le parfum du thé émane encore de mes fringues en bas. Cette odeur m'a toujours rassuré, donné l'impression d'être "chez moi"... Je me suis senti parfaitement bien dans le bureau d'Erwin ce soir, tout à fait en sécurité à tel point que j'ai totalement baissé ma garde... Faudrait pas que ça se reproduise trop souvent...
Et maintenant que je sais de quelle bande d'hypocrites dépend l'avenir du bataillon, je risque pas de me relâcher.
Je décide de bouquiner, et je craque une allumette pour enflammer la bougie à mon chevet. Je sors le volume du "Royaume des Trois Déesses" et reprend là où je m'étais arrêté. Cette lecture ne me causera aucun ennui. J'aurai bien aimé potasser plutôt un des bouquins d'Erwin... Je me demande s'il dort maintenant... Non, il doit être comme moi, les yeux fatigués mais incapables de se fermer, et faisant marcher son cerveau à plein régime.
Sina, Rose, Maria... Qui elles sont, ces trois-là ? Maria... Maria ? Ca me rappelle autre chose, ce nom... Ah oui, j'aurai dû demander à Erwin qui était cette Mary dont parlait la lettre dans son coffre. Malgré le temps passé, ce nom me reste en mémoire... Mouais, vaut mieux pas. Même s'il sait que j'ai déjà fouillé son bureau, pas la peine de remettre ça sur le tapis...
