UN ECLAT DANS LE NOIR
(octobre 844)
Keith Shadis

Qu'est-ce que je disais, ces saletés nous encerclent maintenant ! Heureusement que ces deux tours nous facilitent la tache ; grâce à elles, nous pourrons facilement repousser les titans avant qu'ils ne s'approchent trop d'ici.

Il fait nuit depuis plusieurs minutes, les titans devraient roupiller maintenant ! Mais ils sont bien éveillés ! J'ai déjà constaté plus d'une fois cette "anomalie"... Il faudra que je demande à Zoe de réviser sérieusement cette théorie foireuse !

Je dépasse des rangs de soldats blessés ou moribonds, les têtes se baissent sur mon passage, avec honte ou déférence. Vous avez fait ce que vous pouviez, nous sommes à l'abri maintenant. Mais tout n'est pas fini. Je veux que tous les vétérans valides soient prêts à partir au combat dans dix minutes au plus tard ! Nos ennemis ne doivent pas détruire cet endroit ! Et allumez des torches, on y voit rien ici !

Je croise l'escouade d'Erwin dans un couloir qui mène à la réappro. Zacharias et Wenzel sont en train de se ravitailler déjà, et Elfriede distribue des médicaments et de l'eau. Ils ont pas l'air blessés, c'est une chance. Je me dirige vers eux et leur ordonne de se placer en ligne de front au plus vite. Je hoche la tête à l'adresse d'Elfriede pour la féliciter de sa bravoure ; sans elle nous perdions le chargement. Cela aurait été catastrophique.

Et où est leur chef ? Zacharias m'indique un autre couloir encombré de civières menant vers l'hôpital de fortune que nos médecins ont monté en vitesse. Erwin est-il blessé ? Non, Livaï est blessé, qu'il me répond. Voyez-vous ça ! Le prodige a fini par se planter ! Voyons ça !

Je remonte le corridor en enjambant mes soldats au passage. Leur vue m'est insupportable, surtout quand je me rappelle de leur jeune âge... Personne ne mérite de finir comme ça, loin de chez soi... Si nous n'avions pas poussé aussi loin... Nous aurions pu rester près de la mine, monter un avant-poste provisoire et repousser les quelques titans qui se seraient aventurés jusque-là. Mais non, il a fallu qu'on aille voir plus loin ! Cette satanée curiosité nous perdra ! Je sais qu'elle est la raison d'être du bataillon, mais je ne peux m'empêcher de me dire que nous ne devrions pas aller si loin... Nous n'en avons pas les moyens, cette menace nous dépasse...

Erwin n'est pas de cet avis. Rien ne lui fait peur et c'est aussi à cause de lui si on est dans cette panade ! Certes, s'il n'avait pas cru jusqu'au bout à l'existence d'un tel endroit, nous n'aurions pas été plus avancés, mais ça n'efface pas les morts ! Le bataillon n'est jamais allé aussi loin au sud... C'est peut-être notre limite... Cette zone paraît infestée de bien plus de titans que nous ne le pensions !

Je ne peux rien lui reprocher, c'était à moi de lui imposer ma volonté ; mais je n'ai pas pu... Il était sûr de ne pas se tromper ; et il avait raison ! Il nous a menés ici... Mais maintenant il lui revient de défendre cet endroit avec les autres ! Où est-il ?

Le voilà. Près de la porte de la salle de soins, assis adossé au mur. Il tient quelqu'un dans ses bras, son expression est soucieuse, et il a l'air exténué. Il est rare de le voir avec ce visage là... J'espère que la sensation lui plaît ! Je trace jusqu'à lui et me plante devant, les mains sur les hanches. Smith ! Tous les vétérans sur le front immédiatement ! Les titans vont attaquer l'avant-poste, et tu es encore debout ! Alors file leur botter les fesses !

Erwin bredouille tout bas qu'il ne partira pas d'ici tant que Livaï n'aura pas été pris en charge par les médecins. Quoi ? Ai-je bien entendu ?! Tu contestes mon ordre !? Ecoute bien, je me moque que ton champion soit aux portes de la mort ! Il y en a d'autres ici dans un état pire ! Tu nous as amenés ici alors va jusqu'au bout et défend le bataillon avec tes hommes ! Ils sont déjà là-bas ! Et que ça saute !

Il ne se lève pas et jette un regard fuyant vers notre médecin en chef en train de se laver les mains. Tu comptes pas te montrer coupable d'insubordination, Erwin ? Tout le monde te regarde. Et si tu persistes à pas lever tes fesses pour aller au combat, je peux te garantir que c'est sur ta carrière que tu pourras t'asseoir ! Car si on s'en sort vivants malgré tout et qu'on repasse la porte de devant, c'est la destitution et la prison qui t'attendront ! Ne compte plus sur mon indulgence ! Il y a urgence !

Qu'y a-t-il, Erwin ? Tu te sens embarrassé ? Indécis ? Ca a pas dû t'arriver souvent ! Ca fait quoi ?!

Gratia se précipite vers nous et fait en sorte de relever Livaï des genoux d'Erwin ; elle l'assure qu'elle va s'en occuper tout de suite. Il a effectivement l'air mal en point. Le visage d'Erwin exprime une grande gratitude et il finit par me suivre dans le couloir.

Je suis soulagé ; m'engueuler avec lui est la dernière chose dont j'ai besoin.