UN ECLAT DANS LE NOIR
(octobre 844)
Gratia Heilwig, médecin en chef

Si je ne m'en étais pas mêlée, Smith n'aurait sans doute pas bougé d'un pouce. Maintenant qu'il est parti avec le major, la tension est retombée.

Voyons un peu cette blessure à la tête. Mon assistant couche le blessé sur une des paillasses de fortune que nous avons installées. J'écarte les cheveux et constate que le sang vient à peine de commencer à coaguler. Si j'en juge par la quantité étalée sur son visage et ses vêtements, il a en perdu une bonne partie. Mais pas assez pour mourir apparemment. Cela dit, une telle hémorragie aurait pu tuer n'importe qui d'autre, surtout quand on imagine les conditions qui ont accompagné son sauvetage.

Je me saisis d'une bouteille de désinfectant et en imprègne une compresse. En l'appuyant sur la plaie, le blessé n'a qu'une faible réaction. Pourtant, de ce que je peux voir, la coupure est très profonde et a même atteint la boîte crânienne - l'incision me permet de le constater. Je tapote sa joue sans douceur et lui demande de me dire combien il y a de membres dans son escouade ; exercice permettant de constater si ses fonctions cérébrales sont touchées. Il me répond correctement dans un souffle. Il semble lucide.

Je détache son foulard, ouvre ce qui reste de sa chemise et constate qu'il souffre de diverses contusions, comme s'il avait été piétiné ou battu. Elles ne semblent pas graves. Sa cape a dû amortir les chocs, mais sa chemise est à moitié déchirée. Un gros bleu violacé au creux de son bras droit me signale qu'il a dû être démis mais qu'on la remis en place depuis.

Le rythme cardiaque de mon patient est très calme, son coeur bat normalement, et quand il me répond, il semble à la limite de la conscience ; on dirait presque qu'il s'est plongé dans une sorte de transe méditative, utilisant ses fonctions vitales au minimum pour ne pas mourir. Je finis de nettoyer la plaie et me permet de l'examiner plus en détail.

Et bien, ce n'est pas un titan qui a pu lui faire ça. En dix ans de carrière dans l'armée, j'en ai déjà vues des comme ça, mais rarement sur le champ de bataille ; le plus souvent dans les brigades d'entraînement... Les recrues se blessent souvent avec les lames au début, cela fait partie des bobos qu'on soigne le plus souvent. Inconcevable qu'un vétéran puisse faire ce genre d'erreur... Dans le feu de l'action tout est possible, mais vue la réputation de celui-ci, cela me paraît étrange... Quelle pitié qu'un héros comme lui ait pu s'infliger ça ; cela arrive même aux meilleurs après tout...

Ma théorie se voit confortée par la découverte dans la plaie d'un minuscule fragment de métal. Je le jette dans une compresse rougie et me remets à nettoyer la plaie plus consciencieusement. Je vois l'os du crâne. Espérons qu'il n'a pas été touché, mais je n'ai pas les moyens ici de faire ce genre de constat, mon travail est de pallier au plus pressé. Il fera des examens plus approfondis une fois rentré. Espérons que cela sera le cas...

Les bords de la coupure sont rouges ; mauvais signe... Il y a peut-être eu une infection, car j'ai remarqué que de la boue était mêlée au sang pendant que je nettoyais. S'il a chopé une saloperie, il ne passera peut-être pas la nuit. Je lui ferais prendre quelque chose pour l'aider à lutter contre les germes. Le problème, c'est que les germes de l'extérieur ne nous sont pas toujours connus et des soldats meurent souvent à cause d'une simple infection ou d'un virus. Espérons que cela soit suffisant.

Il est temps de recoudre la plaie. Je prépare le fil chirurgical et ma plus petite aiguille, tandis que mon assistant coupe une partie des cheveux autour de la blessure. Je joins les lèvres de la coupure et entreprends la dernière étape de mon travail. Il réagit à peine quand la pointe d'acier attaque sa chair, il faut dire qu'il en a eu sa part pour aujourd'hui. Mais j'ai quand même l'impression qu'il ne sent rien, c'est étrange...

Cela me prend pas mal de temps. La blessure est longue de huit centimètres, mais sera recouverte par le reste de sa chevelure. Avec de la chance, il n'aura qu'une cicatrice à peine visible ; si elle cicatrise bien... Cette rougeur reste inquiétante, et quand je touche son front après avoir terminé, je constate qu'il est brûlant. Une fièvre, évidemment. Il a bien dû attraper quelque chose.

Je lui fais une piqûre afin de prévenir les risques d'infection. Il n'en reste que ce garçon me fait pitié ; mourir ici sans que ce soit de la faute des titans, c'est ce qui peut arriver de plus pitoyable à un soldat... Que de talent gâché... Je demande à mon assistant de soulager le blessé de son harnais dès qu'il aura le temps. Il n'est de toute façon pas en état de combattre si cet endroit est pris d'assaut. Et s'il survit, il ne le sera peut-être pas demain, ni les jours suivants. Mais quelque chose me dit qu'il ne se laissera pas faire facilement.

Je remonte la couverture sur lui et me dirige vers un autre blessé. Je m'immobilise soudain ; un choc sourd fait trembler l'édifice pendant au moins cinq secondes. La bataille fait rage dehors...